Gambaro, Clara: Anton Francesco Gori collezionista. Formazione e dispersione della raccolta di antichità. Accademia toscana di scienze e lettere «La Colombaria», vol. 244, cm 17 x 24, XXII-218 pp. con 203 figg. n.t., € 30,00 [ISBN 978 88 222 5814 4]

(Leo S. Olschki Editore, Firenze 2008)
 
Compte rendu par Cécile Colonna, Bibliothèque nationale de France
 
Nombre de mots : 2347 mots
Publié en ligne le 2010-04-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Anton Francesco Gori (1691-1757) est l’un des noms les plus fameux des débuts de l’archéologie au XVIIIe siècle, un précurseur dans l’étude des objets antiques et un des fondateurs de l’Académie toscane des sciences et des lettres de Florence « La Colombaria ». C’est d’ailleurs sous les auspices de cette institution qu’est publié l’ouvrage de Clara Gambaro, consacré à un aspect un peu méconnu de l’homme : son collectionnisme. Le célèbre antiquaire a déjà fait l’objet de publications importantes et récentes, qui sont détaillées dans la préface. En particulier, C. de Benedictis avait déjà abordé la question de la collection de Gori à partir de l’analyse de sa riche correspondance (« Contributo alla conoscenza del « Museo Gorio » », dans C. De Benedictis et M. G. Marzi [eds], L’epistolario di Anton Francesco Gori. Saggi critici, antologia delle lettere e indice dei mittenti, Florence, 2004, p. 1-10), et certaines œuvres avaient déjà été identifiées (cf. C. Cagianelli, “La collezione di antichitá di Anton Francesco Gori. I materiali, la dispersione e alcuni recuperi”, Atti e memorie dell’Accademia Toscana di Scienze e Lettere La Colombaria, 71, 2006, p. 99-167).

 

          L’entreprise de l’auteur pouvait cependant sembler incertaine. Les objets de la collection ont beaucoup changé du vivant du collectionneur : Gori appartenait à un réseau d’érudits et de collectionneurs avec lesquels il échangeait des œuvres ou à qui il les vendait ou les donnait. De plus, en l’absence de catalogue ou d’inventaire (même au moment du décès), publié ou manuscrit, il est impossible de reconstituer de façon fine la composition exacte de l’ensemble, même à un instant donné. L’auteur a donc puisé dans tous types de sources, principalement archivistiques : dessins, publications, notes, listes manuscrites, correspondances, en grande partie conservées à la Biblioteca Marucelliana de Florence, pour tenter de reconstituer cet ensemble, sa constitution, son histoire et sa dispersion.

 

          Si C. Gambaro reconnaît donc le caractère forcément partial du tableau qu’elle propose, elle a tout de même réussi à tirer de nombreuses conclusions des indices dispersés, et permet au lecteur d’avoir une bonne idée du collectionneur et de sa collection. L’image qui en résulte, reflète certes les sources, lacunaires et parfois floues, mais permet tout de même d’apprendre beaucoup sur le collectionnisme à Florence dans la première moitié du XVIIIe siècle. Le succès indéniable de ce travail patient consiste dans les nouvelles informations fournies sur les objets identifiés de la collection et quelques nouvelles attributions.

 

          L’ouvrage se partage en deux grandes parties : une histoire de la collection, suivie d’un catalogue des œuvres identifiées. Dans la collection, l’accent a été mis sur la collection de vases, car Gori a été un pionnier dans ce domaine à Florence, mais les autres objets, bronzes, marbres, terres cuites, gemmes, n’ont pas été oubliés. Les renvois sont nombreux, et quelques documents inédits sont publiés en annexe.

 

 

L’activité antiquaire de Gori

 

          La maison laboratoire. A Florence, via Larga, la maison de l’érudit est le cœur de son univers. De façon étonnante, Gori ne voyage pratiquement pas. C’est donc là qu’il travaille, au milieu de sa bibliothèque et de sa collection ; c’est aussi un lieu de rencontres et d’expérimentations qui nous est restitué.

 

          La collection d’objets, principalement composée de vases et de bronzes de petite taille, est présentée avec les livres dans un « musée », tandis que les marbres étaient traditionnellement présentés au rez-de-chaussée. Si son aménagement n’est pas connu, des informations sur le travail de soclage et de présentation des œuvres confèrent un aspect concret au musée.

 

 

          Le musée de papier. A côté des objets, Gori possédait un immense fonds de dessins, gravures et estampes, dont l’importance était pour lui tout aussi grande. Il demande de façon pressante à ses correspondants des dessins des découvertes, comme de nombreuses empreintes de monnaies et de gemmes, le tout opérant comme un substitut de ce qui n’est pas dans la collection.

 

          Un aspect intéressant, souligné à plusieurs reprises par l’auteur, est qu’aux yeux de l’antiquaire, et de façon tout à fait contraire à nos représentations actuelles, la reproduction graphique, qui permet la divulgation, l’étude et l’interprétation universelle, est valorisée par rapport à la vue directe de l’objet qui ne semble pas considérée comme importante. La publication d’un objet est ainsi bien plus cruciale que sa possession, et se pose quasiment en substitut de l’objet lui-même.

 

 

          La formation de la collection d’antiques. Dans cette période faste pour le collectionnisme à Florence et en Toscane, les fouilles locales effectuées dans tout le Grand Duché permettent, parallèlement aux prestigieuses collections des Médicis et des grandes familles aristocratiques, le développement de nombreuses collections « mineures » à moindre frais. Gori rassemble ainsi ses antiques grâce à des achats, dont peu semblent onéreux, des dons petits ou généreux, et des échanges nombreux (contre des œuvres, des renseignements ou bien la publication des œuvres). On trouve au fil de la reconstitution de cette formation l’évocation du réseau savant de l’époque dans lequel s’insère l’antiquaire : les collectionneurs G.B. Cassotti, F. Bianchini, Ch. Patin, F. de Thoms, les « émissaires » F. Ficoroni et le Père Paciaudi…

 

 

 

La collection d’Antiques

 

          Parmi les nombreuses sources dépouillées, ce sont principalement les lettres qui permettent la reconstitution de la collection, dont les œuvres proviennent principalement de Toscane et des régions limitrophes : Gori est de façon logique un fervent défenseur de l’origine étrusque des vases figurés trouvés dans toute l’Italie, contre les tenants de l’origine grecque. Certains viennent de Chiusi, beaucoup de Volterra, où les fouilles se développent à partir de 1728. Mais on trouve aussi des objets de Grande-Grèce, des vases de l’aire du Vésuve et de Nola.

 

          La céramique. Gori porte un grand intérêt aux vases ; sa collection formée dans les années 1740 et 1750 est relativement modeste : peut-être une trentaine ou une quarantaine de vases figurés. Elle est pionnière à Florence ; à la même époque, c’est majoritairement à Naples, Rome, en Sicile, à Bologne et dans la région de Venise que sont concentrées les collections de céramiques. Nous sommes juste avant le moment d’affirmation de la collection et de l’étude de la céramique dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, avec la constitution de la collection Hamilton à Naples et les travaux de Winckelman.

 

          Les gravures des deux premiers volumes de son Museum Etruscum sont faites en 1737, avant l’acquisition des vases de sa collection. L’antiquaire voulait les publier dans un quatrième volume uniquement consacré à la céramique. De ce volume qui ne sera jamais réalisé, il reste notamment une liste des illustrations prévues. Après l’abandon de ce projet, la documentation et les dessins réunis sont donnés à Passeri et en partie insérés dans sa publication de 1767-1775, qui contient vingt-quatre vases de Gori.

 

          Les bronzes. Les petites statuettes et l’instrumentum de bronze, impossibles à dénombrer, étaient très importants. La mobilité de ces objets de petite taille, faciles à transporter, vendre et échanger est grande. Le premier tome du Museum Etruscum comprend une vingtaine de petits bronzes, mais d’autres ont été acquis ultérieurement.

 

          Les marbres, urnes et sarcophages, terres cuites et pâtes de verre. Caractériser ces ensembles s’est avéré difficile, les listes manuscrites étant souvent sans précision de matériau ou d’époque. On trouve mention de têtes, bustes, fragments de sculptures en marbre, difficiles à identifier, avec des appellations incertaines ; d’un sarcophage en marbre et d’urnes étrusques en alabastre et terre cuite ; de divers objets en terre cuite et en verre.

 

          Les gemmes et les monnaies. Comme tous ses contemporains, Gori possédait à la fois une importante dactylothèque avec gemmes, intailles, camées, scarabées, et un médaillier. Chaque fonds comportait des originaux et des moulages, sans qu’il soit facile de distinguer les uns des autres. Encore plus que les petits objets, gemmes et monnaies étaient extrêmement faciles à transporter et à échanger. On voit l’intérêt de l’auteur pour la glyptique dans sa collaboration à trois publications importantes : le Thesaurus gemmarum antiquarum astriferarum avec Passeri (3 volumes publiés en 1750) ; la Dactylotheca Zanettiana avec A.M. Zanetti en 1750 (dont il fait le commentaire) ; les Memorie degli intagliori moderni in pietre dure, cammei e gioje dal seccolo XV al seccolo XVIII avec Giulanelli en 1753, et pour la numismatique dans sa correspondance fournie avec E. de Haver, C. Piombanti, F. Argelati.

 

          Les inscriptions. C’est l’un des premiers intérêts de Gori : il collecte les inscriptions grecques, latines, étrusques, leurs calques et leurs dessins. Elles servent notamment à appuyer ses théories sur la place des Étrusques. Elles sont publiées notamment dans les trois tomes des Inscriptiones antiquae in Etruriae urbibus existantes, et dans Difesa dell’alfabeto degli antichi toscani.

 

          Les mosaïques. Diverses sources mentionnent des fragments de mosaïque, certains provenant de la Villa Adriana de Tivoli, un autre étant sans doute une copie du XVIe siècle.

 

          Si les connaissances que nous avons alors des différentes parties de la collection sont disparates, le chapitre permet toutefois de restituer la collection sous toutes ses facettes, quand chaque discipline s’attache généralement à reconstituer sa propre histoire (numismatique, inscriptions, objets).

 

 

La dispersion de la collection d’Antiques

 

          À la mort du collectionneur en 1757, ses biens reviennent à son frère Giuseppe Maria (à l’exception de deux fragments de mosaïque de la Villa Adriana, légués à la Sociéta Colombaria, et ses études sur la langue étrusque, légués à l’Accademia etrusca di Cortona). Ce chapitre narre les péripéties de la collection, que son possesseur souhaite vendre d’un bloc, sans la disperser. Cependant, si la bibliothèque est vendue rapidement, avant mars 1759, à la bibliothèque Marucelliana, la vente des objets s’avère plus compliquée. En 1767 puis en 1771, G. Maria tente en vain d’en céder l’ensemble, puis une partie au Grand Duc Pietro Leopoldo, en échange d’une meilleure position pour lui. Mais sa mort en décembre 1771 interrompt les tractations, et ses héritiers dispersent en deux ans les pièces les plus importantes auprès de différents acquéreurs. Une partie des vases et sans doute des bronzes semble acquise par Roger Wilbraham, collectionneur et bibliophile anglais, pour finalement rejoindre à Londres la collection de Charles Townley. À la mort de ce dernier, sa collection entre au British Museum, où est aujourd’hui identifiée une bonne partie des vases et des bronzes de Gori.

 

          Finalement, la modeste collection de Gori est représentative de toutes les collections, petites et moyennes, du début et du milieu du XVIIIe siècle en Italie, dont l’existence fut brève, le temps d’une ou deux générations le plus souvent, avant leur démembrement (la collection Valletta, restée dans la bibliothèque des Girolamini à Naples, faisant figure d’exception).

 

CATALOGUE

Il est organisé en trois parties :

- Les céramiques, qui ont presque toutes une ou plusieurs illustrations du XVIIIe siècle.

- Les autres objets, dont une partie est illustrée (ce qui permet une identification).

- Les intailles et gemmes, originaux et moulages, largement illustrés.

 

          Chaque notice comprend la désignation de l’œuvre, sa description, les collections auxquelles elle a appartenu et sa localisation actuelle le cas échéant, un commentaire (attributions, faux …), une bibliographie et la liste des documents d’archive s’y référant.

 

          Après chaque partie, les illustrations (dessins et gravures) du XVIIIe siècle sont reproduites.

 

          Ce sont ainsi vingt-neuf vases qui sont catalogués : huit céramiques attiques, dont deux sont identifiées au Louvre et au British Museum, et vingt-et-une céramiques italiotes, dont onze sont identifiées (dix au British Museum et une au Louvre).

 

          Peu des trente-six ou trente-huit bronzes catalogués sont identifiés : de façon certaine, douze sont au British Museum, deux au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France, un à Catane (Museo Archeologico, collection Biscari) ; deux localisations sont incertaines, une au Cabinet des Médailles ou au British Museum, une au Louvre ou au British Museum.

 

          Sur les quatre marbres, un seul est repéré à Leyde (Rijksmuseum van Oudheden, collection Thoms). Le sarcophage et les urnes ne sont pas localisés, comme les six terres cuites et faïences, les deux urnes en terre cuite. Une stèle est à Fiesole (Museo Civico) et une des trois mosaïques est à Berlin. Les quatre-vingt-dix gemmes sont cataloguées avec leur sujet et leur matériau, mais sans identification ni localisation.

 

 

          En annexe est publiée une série de documents inédits de différents établissements florentins : Accademia de Scienza e Lettere La Colombaria, archives historiques des Galleria, archives nationales de Florence, Biblioteca Marucelliana.

 

          Les études sur les débuts de la recherche sur l’Antiquité en Italie sont nombreuses, surtout depuis ces dernières années. Les anciennes publications et les manuscrits inédits sont ainsi étudiés de manière plus ou moins systématique pour améliorer notre connaissance sur les collections de l’Ancien Régime. Ces travaux constituent bien sûr de nouvelles contributions à l’histoire de la discipline mais apportent également de précieuses informations sur des œuvres dont on avait parfois perdu l’historique dans nos musées ou bibliothèques. On peut également espérer que la publication sous forme de catalogue d’œuvres illustrées mais non localisées aujourd’hui pourra permettre de nouvelles identifications (ce qui était aussi le souhait exprimé dans le catalogue d’exposition De Pompéi à Malmaison, les Antiques de Joséphine, Paris, 2008). Cependant, en l’absence d’image, une bonne partie ne pourra sans doute jamais être attribuée de façon certaine (beaucoup de scènes ou d’iconographie courante).

 

          On citera ainsi, parmi les publications récentes non mentionnées dans l’ouvrage, le livre de Maria Emilia Masci qui reprend la publication de Passeri à la lumière de ses archives inédites (Picturae Etruscorum  in vasculis. La raccolta Vaticana e il collezionismo di vasi antichi nel primo Settecento, Rome, 2008). Ceci permet la restitution de nombreuses attributions et identifications, ainsi que le premier numéro d’une nouvelle revue consacrée à l’histoire de l’étude de l’Antiquité, Symbolae Antiquariae 1 – 2008, édité par Mario Rosa, Stefano Bruni (Pisa/Roma, Fabrizio Serra, 2008), qui comporte plusieurs contributions sur le collectionneur florentin (Stefano Bruni, « Anton Francesco Gori, Carlo Goldoni e La Famiglia dell’antiquario. Una precisazione », p. 11-69 ; Cristina Cagianelli, « La scomparsa di Anton Francesco Gori fra cordoglio, tributi di stima e veleni », p. 71-119 ; Bruno Gialluca, « Anton Francesco Gori e la sua corrispondenza con Louis Bourguet », p. 121-181).

 

          L’auteur parvient donc, malgré la difficulté, à redonner vie à cette collection, dans ses singularités et sa personnalité. On peut ainsi mieux la comparer aux autres collections anciennes à propos desquelles nous avons plus de connaissances, parce qu’elles ont été publiées ou qu’elles n’ont pas été dispersées (comme celles de Caylus ou d’Hamilton). Ce n’est que rendre justice à cet homme ainsi décrit par J.J. Barthélémy, garde du Cabinet du Roi à Paris, dans une lettre à Caylus : « Gori est le meilleur homme du monde (…) Si vous le connoissiez, vous l’aimeriez. » (Voyage en Italie, 1802, lettre IV, 25 octobre 1755).