Assmann, Jan: L’Egypte ancienne, entre mémoire et science, vol. broché, 14 x 21 cm, 32 ill., 344 p., 25 euros, ISBN 978-2-7541-0395-4 (Editions Hazan / Musée du Louvre, Paris 2009)
Reviewed by Delphine Acolat, Université de Bretagne Occidentale
Number of words : 951 words Published online 2010-03-29 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=769
La
Chaire
du Louvre est un nouveau rendez-vous éditorial pour la recherche en archéologie
et en histoire de l’art. C’est l’Allemand Jan Assmann qui inaugure cette série
avec un ouvrage sur l’Égypte ancienne de 341 pages, dont 36 planches en couleur
et 25 pages de notes, rassemblées à la fin. Cette publication reprend une série
de cinq conférences données au Musée du Louvre en mai 2009 sur la mémoire
collective et culturelle, sur le destin « posthume » de l’Égypte
pharaonique, c’est-à-dire sur l’histoire de sa réception jusqu’à la fin du XIXe
siècle. Après une brève préface du directeur du Louvre, Henri Loyrette,
l’introduction souligne que, pour les Grecs et les Romains, la culture égyptienne
était encore vivante. En Égypte à la période « tardive », en effet,
il y avait un fort conservatisme religieux et culturel qui voulait se voir
comme une garantie de la pérennité du monde.
L’ouvrage est ensuite partagé en cinq parties : l’Égypte et la Bible (p.33-81), les
mystères de l’Égypte au XVIIIe siècle (p. 83-143), avec la Flûte
Enchantée et les francs-maçons, la fascination pour les
hiéroglyphes (p. 145-193), la théologie égyptienne et le cosmothéisme
occidental (p. 195-241), et enfin l’orientalisme dans l’Aïda de Verdi (p. 243-278).
Dans la première partie, le regard biblique est analysé comme un rejet
de l’Égypte, notamment dans l’Exode
que l’auteur examine en détail avec force références aux auteurs antiques,
celui du converti se défaisant de son passé pour commencer une nouvelle
existence. L’Égypte est le modèle de la souveraineté sacrale qui règne, à la
place de Dieu, sur le peuple. L’auteur compare habilement la civilisation
égyptienne et l’Occident chrétien, notamment à travers la transposition,
toujours inconsciente, bien entendu, du principe d’incarnation (figures d’Isis
et de Marie) et du tribunal des morts et du salut (vie éternelle, religiosité).
Il avance la preuve selon laquelle le christianisme a trouvé un écho favorable
et précoce en Égypte.
Dans la deuxième partie, le propos est toujours aussi riche. Il
démontre la fièvre des mystères initiatiques au XVIIIe siècle : la Flûte
Enchantée de Mozart, conçue en pleine égyptomanie,
reprend les mystères d’Isis, qui servent aussi de modèle aux francs-maçons, qui
se posent comme une élite philosophique, éclairée, d’héritiers d’un savoir
secret face à la religion publique et populaire. Jan Assmann fournit une
explication très claire de l’iconographie maçonnique, tirée de l’Égypte, mais
la reprise, chapitre par chapitre, de l’essai d’Ignaz von Born peut sembler un
peu longue. Le parallélisme historique entre les francs-maçons et les rites
égyptiens est habilement relativisé par la nécessaire distinction lexicale
entre sacré et secret, à travers une fine analyse des textes antiques.
La troisième partie est consacrée à la fascination occidentale qui
s’est manifestée à la
Renaissance pour les hiéroglyphes, écriture iconique. Elle
est fondée, entre autres, sur la découverte d’Horapollon qui, dès le Ve siècle, n’avait plus connaissance de la valeur
phonétique du signe d’écriture et le considérait, à tort, comme purement
symbolique et conceptuel par transposition métaphorique.
La quatrième partie, intitulée « le voile d’Isis », est
toujours aussi érudite et expose le rôle déterminant de l’idée d’un dieu caché
dans la pensée religieuse du XVIIIe siècle, en la mettant en relation avec les
conceptions englobant tout de la religion pharaonique, les relations de l’homme
antique à Dieu sur le plan cosmique et moral. Jan Assmann analyse des hymnes
théologiques de différentes périodes du Nouvel Empire, avec la révolution
religieuse du pharaon Akhenaton, héliomorphisme systématique et monothéiste. Il
la qualifie de déisme démythificateur et radical, soulignant ainsi son
caractère intenable. Il termine son chapitre en reprenant la conception d’Isis
dans la religion gréco-égyptienne, déesse universelle réunissant toutes les
divinités.
Enfin, la dernière partie étudie l’Aïda
de Verdi : de façon passionnante, l’auteur évoque dans le détail la genèse de
l’œuvre dans l’Égypte des années 1860, avec le livret rédigé par le célèbre
égyptologue Auguste Mariette, ses recherches en Égypte pour collecter des
modèles pour les costumes, son goût du détail. Aïda s’avère ainsi être une tentative pour élever la recherche sur
l’Antiquité au rang de principe esthétique, un projet issu du rêve éveillé d’un
archéologue, auquel Verdi a totalement adhéré par souci de véracité historique.
Le dossier que fournit l’auteur à l’appui de cette genèse est explicite et très
fourni, avec les reproductions des esquisses de Mariette, conservées à la Bibliothèque
nationale de France, dans les pages d’illustrations à la fin du volume. Jan
Assmann présente ensuite l’ensemble du texte du script de Mariette, redécouvert
et publié dans les années 70, en regard de la version définitive de l’opéra de
Verdi, avec de pertinentes remarques sur les erreurs historiques et décalages
géographiques, mais aussi sur les efforts de reconstitutions historicistes dans
les moindres détails et l’exotisme flamboyant de l’œuvre.
De façon brillante et
sur des thèmes et corpus très divers, Jan Assmann analyse donc la mémoire
culturelle occidentale, et en particulier les écrits et pensées philosophiques
et religieuses du XVIIIe siècle, n’hésitant pas à citerde longs extraits de textes antiques pour les décrypter, et
éventuellement confronter des théories erronées et datées de la redécouverte de
l’Égypte avec des thèses modernes. Il eût été appréciable que le propos ne
s’achevât pas brusquement à la fin du chapitre passionnant sur l’Aïda de Verdi, sans conclusion générale,
mais cela est sans doute dû à l’essence même du projet de cet ouvrage : la
publication de conférences sur des sujets très variés. Les illustrations,
nombreuses et parfois originales, comme des notes manuscrites de Beethoven ou
des dessins de Mariette, sont d’excellente qualité, mais les notes gagneraient
en lisibilité en étant en bas de page et non regroupées en fin de volume par
chapitre.
Editors: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Site created by Lorenz Baumer and François Queyrel, developed by Lorenz Baumer, 2006/7