Kamecke, Gernot - Klein, Bruno - Müller, Jürgen (Ed.): Antike als Konzept. Lesarten in Kunst, Literatur und Politik. (textes en allemand, français et italien). 284 Seiten, 50 Schwarz-Weiß-Abbildungen, Maße: 23,5 cm, Kartoniert. 25 Euros. ISBN 978-3-86732-046-7
(Lukas Verlag, Berlin 2009)
 
Compte rendu par Isabelle Warin, EHESS
 
Nombre de mots : 2317 mots
Publié en ligne le 2010-06-22
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=755
 
 


          Ce recueil est la publication d’un colloque, qui s’est tenu en 2007 à la Bibliotheca Hertziana de Rome. Ces discussions avaient pour origine un programme européen intitulé Institutionelle Ordnungen Schrift und Symbole, fruit d’un partenariat entre la Technische Universität de Dresde et l’Ecole pratique des Hautes Etudes (EPHE). Outre les éditeurs, ce colloque réunissait des chercheurs confirmés ainsi que de jeunes chercheurs associés à l’Europäische Graduiertenkolleg (EGK), dont les articles ne déméritent pas, bien au contraire. Le volume mêle ainsi de nombreuses contributions en allemand (15), en français (4) et en italien (1).

 

 

          L’ouvrage propose une réflexion idoine relative à la réception de l’Antiquité, ce que G. Kamecke désigne sous l’expression assez singulière « Antike als Konzept », formule qu’il motive dans sa contribution préliminaire. Dès l’introduction, les éditeurs définissent avec clarté leur dessein, « Die Texte reflektieren zentrale Konzepte antiker Kultur, analysieren ihre Entstehung und Funktionalisierung in den Humanwissenschaften der Moderne oder Thematisieren ihre Rezeption in der Kunst und der Literatur vom frühen Mittelalter bis in die Gegenwart. Die damit einhergende Mannigfaltigkeit der Perspektiven spiegelt die Bandbreite des interdisziplinären Forschungsverbundes wieder. »

 

 

          Ce recueil, organisé en trois parties, aborde la conceptualisation de l’Antiquité, son rôle dans la légitimation politique des gouvernements et enfin la praxis artistique et littéraire. Cette dernière section occupe le champ le plus vaste des contributions, nous offrant un large panorama qui s’étend du principat d’Auguste au XXe s.

 

 

 

I. Conceptualisation

 

 

          Cette première partie très dense aborde la vision personnelle de l’Antiquité des philosophes des XVIIIe et XIXe s., J.-J. Rousseau, F. Nietzsche, et des artistes, notamment A. Dürer. L’introduction de G. Kamecke présente une vision d’ensemble des contributions, donnant ainsi corps et sens à ce recueil. Il rappelle d’emblée que l’Antiquité a servi de modèle de l’Empire romain à la période contemporaine. Elle est alors utilisée comme la démonstration d’un pouvoir politique, qui cherche également sa légitimation. L’auteur articule son article en évoquant par ailleurs la vision de J.-J. Rousseau qui, s’opposant à celle de Montesquieu, constitue un moment charnière dans l’histoire de la réception de l’Antiquité. Les auteurs de la République romaine et de l’époque impériale constituent un modèle, mais au sens dissuasif, modèle qu’il ne faudrait pas suivre. Ainsi, au lieu de souligner l’engouement moderne suscité par l’Antiquité, l’A. évoque une situation de désaveu, qui en démontre tout autant son importance politique, mais aussi culturelle et artistique.

 

 

          L’originalité de la contribution de B. Klein réside dans son évocation de « l’Antikisierung » de l’art roman, qui apparaît au XIXe siècle. Le terme, qui apparaît pour la première fois sous la plume de Ch. de Gerville, est dissocié de l’art normand par l’archéologue français, qui cherche à donner une filiation antique au premier art médiéval. Ch. de Gerville s’oppose ainsi à la classification de Th. Rickmann, en affirmant les liens historiques très forts qui unissent l’art français à l’Antiquité gréco-romaine par le biais de l’Italie, notamment en matière linguistique. Cette volonté de se distinguer de la classification de Th. Rickmann exprime également une indéniable dimension politique et culturelle, qui voudrait préserver une certaine identité française.

 

 

          J. Müller s’intéresse ensuite à la réception de l’Antiquité chez A. Dürer. Son propos concerne la gravure intitulée Les Femmes au bain, dérobée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les troupes russes à Berlin, où elle avait été transportée en 1943 afin de la mettre en sécurité. Découverte fortuitement en Azerbaïdjan, cette gravure a été rendue depuis au musée de Brême. Le graveur, qui a séjourné deux fois à Venise où il a été au contact des monuments antiques, propose une vision ironique de l’Antiquité. A. Dürer reprend certains poncifs de la sculpture classique, qu’il situe dans un contexte vulgaire. Les femmes au bain ainsi représentées adoptent des poses semblables à celles de statues de divinités antiques, mais dans un contexte profane. De ce décalage nait l’ironie du graveur, qui introduit des éléments de distraction, achevant de caractériser le contexte de cette scène : l’homme dissimulé derrière la porte, la vieille dame qui « hume » le robinet d’une chaudière, dont on ne peut nier le caractère phallique. J. Müller offre ainsi une étude d’iconographie à l’interprétation aboutie.

 

 

          J. Dumonteil évoque, dans un article alliant concision et clarté, la position de Nietzsche lors de son discours inaugural tenu à Bâle le 28 mai 1869. Nietzsche affirme sa vision de la philologie contemporaine, à laquelle il reproche de ne pas véhiculer l’image d’une Antiquité cohérente, qui doit servir de modèle culturel et éducatif à l’origine d’un monde idéal. Il s’intéresse d’ailleurs à la transmission de l’idéal antique à travers le monde et la personnalité d’Homère. Nietzsche critique ainsi ses contemporains, dont les travaux restreignent l’étude de l’Antiquité par une vision réductrice et morcelée.

 

 

II. Légitimation : l’utilisation politique de l’Antiquité

 

          La deuxième partie consacrée à la légitimation politique par le biais de l’exemple antique pourrait être divisée en deux sous-parties. D’un côté, les contributions qui proposent une réflexion sur le droit et la philosophie du droit au travers des textes antiques. De l’autre, les articles qui évoquent la légitimation politique d’un Etat ou celle de la religion, notamment par la copie des textes patristiques. C’est ainsi que l’article de C. Zermatten se penche sur la tradition de la copie scriptuaire chez les Chartreux. L’arrivée massive des manuscrits grecs de Constantinople inaugure ainsi l’âge d’or de la copie du texte antique, qui autorise tout à la fois un cheminement personnel vers la contemplation que le rappel d’une observance originelle.

 

 

          C. Lundgreen reprend ensuite une citation de Cicéron, « qua lege, quo jure ? », extraite des Philippiques. L’A. évoque la réception des textes politiques antiques romains dans la réflexion contemporaine sur la philosophie du droit, notamment chez C. Schmitt et G. Agamben. Le XIXe siècle s’est nourri de ces réflexions portant sur la pensée politique et le droit ; pourtant les exemples et les rapprochements effectués par l’A. expliquent tout l’intérêt de cette contribution. S. Conrad aborde ensuite la pensée politique médiévale italienne qui n’hésite pas, forte d’une bonne connaissance des textes antiques romains, de légitimer un pouvoir par la citation, donnant d’ailleurs force à la tradition. L’A. évoque ainsi avec intérêt la célèbre figure de Cola di Rienzo. B. Marx rappelle ensuite la rivalité de la République romaine et de la cité de Venise entre la fin du XIVe siècle et du XVe siècle, qui justifient leur organisation politique par le biais des références à l’Antiquité. Cet usage de l’Antiquité montre sa vivacité et son rôle dans la construction des Etats.

 

 

          H. Vorländer s’intéresse par la suite à la fondation des Etats-Unis d’Amérique, qui développe une double référence à l’Antiquité. Les fondateurs écartent d’un côté les erreurs d’un lointain passé antique afin de construire un monde idéal, cultivant dans le même temps un dilemme qui les partage entre la vénération et le rejet d’une tradition politique et juridique antique. Les acteurs politiques n’hésitent ainsi pas à signer leurs pamphlets des noms de Caton, de Brutus… Les jeunes états refusent néanmoins une filiation directe à l’Antiquité, qui incarne à leurs yeux l’image de la vieille Angleterre.

 

 

III. Praxis 

 

          La troisième partie est la plus longue, mais peut-être aussi la plus homogène. Elle envisage la réception de l’Antiquité dans les arts et la littérature, de l’Empire romain à nos jours. Si l’on déroule le fil de la chronologie, nous débutons par l’évocation des mythes fondateurs grecs dans le décor tympanal des temples romains (K. Kaderka). Sous le principat d’Auguste, la mythologie grecque adaptée aux préférences des Romains joue un rôle indéniable dans la légitimation du pouvoir politique. Ce programme participe également au renouveau religieux, tourné autour de la personnalité de l’empereur, qui annonce la création d’un art éclectique, sachant mélanger les références antiques.

 

          Le panorama se prolonge par l’évocation des peintures murales du palais Davanzatti à Florence (D. Zachmann), construit au milieu du XIVe siècle pour la famille des Davizzi. L’A. s’intéresse à la décoration murale peinte à la fresque, qui reprend les notions de mimesis et d’illusion chères à la peinture antique. Les motifs tout comme la disposition des fresques évoquent les peintures murales de Pompéi, encore inconnues à l’époque. Cette mimesis bien connue des textes antiques marque l’art pictural du Trecento.

 

 

          Suivent alors deux articles concernant la sculpture (J. Blunk) et l’architecture françaises (S. Frommel) dans la première moitié du XVIe siècle. Les auteurs évoquent l’introduction des modèles antiques par l’intermédiaire des artistes italiens : les guerres d’Italie auraient en ce sens joué un rôle indéniable. S. Frommel montre l’importance de l’architecture italienne dans les acquisitions des architectes français, qui s’inspirent d’une version transalpine, forcément remaniée, de l’Antiquité. L’A. rappelle également l’importance des auteurs latins, notamment Vitruve dans cet apprentissage.

 

 

          B. Kaschek évoque par la suite l’importance des voyages en Italie des peintres et graveurs flamands, notamment P. Bruegel l’Ancien et la Diffamation d’Apelle. L’A. étudie en détail la gravure de P. Bruegel, insistant surtout à propos de son rendu formel. La gravure rend ainsi compte d’un événement connu de la seule littérature ancienne, fruit de la survivance de modèles antiques auxquels donnent vie les artistes de la Renaissance.

 

 

          Deux articles sont également consacrés au Cabinet de curiosités et à la galerie de peinture de Dresde. C. Melzer évoque ainsi les représentations des planètes, des monarques et des empereurs par la forme exclusive du dessin et de la gravure, qui trouvent dans la mythologie romaine un répertoire, où les deux arts puisent leur inspiration. Dès la fin des années 1730, le roi de Pologne et électeur de Saxe, Auguste III de Pologne, achetait des peintures privilégiant les maîtres anciens. Le comte Algarotti parvient à convaincre le roi d’acheter des contemporains, notamment G. Tiepolo. Le peintre vénitien associe la citation antique, dont il souligne l’aspect formel, à la fantaisie vénitienne. Il retourne en Italie pour acheter deux tableaux de Tiepolo, le Triomphe de Flore et Mécène présente les arts libéraux à l’empereur Auguste. U.C. Koch nous propose ainsi une présentation pertinente et détaillée de ces tableaux allégoriques.

 

 

          F. Barbier s’intéresse aux éditions spécialisées dans le domaine antique au milieu du XVIIIe siècle. Séduits par une volonté encyclopédiste, les auteurs désirent circonscrire le monde dans un livre. Le Comte de Caylus rédige en ce sens le Recueil des Antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines entre 1752 et 1765. Les fontes et les typographies contribuent à ce mouvement d’érudition, officialisé comme un art aulique à la cour de Louis XIV. L’A. évoque ainsi G. Bodoni qui donne à voir l’Antiquité, à identifier un monde antique idéal au travers d’une typographie originale mise au point par ses soins. Cette démarche associe également des auteurs contemporains, qui deviennent ainsi les représentants d’une Antiquité idéale à laquelle ils sont associés.

 

 

          La dernière sous-partie est consacrée à la réception des mythes antiques du XIXe siècle à nos jours. Y. Heckmann nous fait pénétrer le caractère antique de l’œuvre de Marcel Proust au travers du groupe social et du style. Tandis que O. Galanova investit l’analyse sociologique, dans laquelle le mythe de Cassandre jouerait notamment un rôle indéniable. Cette figure du mythe est fréquemment présente dans l’imagerie populaire, alors qu’elle joue un rôle assez marginal dans l’Antiquité. K.S. Rehberg évoque enfin de grandes figures de la mythologie prises comme modèle dans l’Allemagne de l’Est. Pâris, Héraklès, Prométhée, Sisyphe, Icare, Cassandre sont autant de figures de l’exemplarité, notamment employées par les écrivains et les sculpteurs ou peintres. Dans la veine des régimes fasciste et communiste, les références à l’Antique en DDR en sont pourtant bien différentes ; elles visent à l’anti-héroïsation et l’anti-idéalisation.

 

 

IV. Conclusion

 

          Ce recueil, d’un format très maniable, pâtit de l’absence d’une conclusion solide, qui aurait permis de rendre homogène l’ensemble tout en revenant sur les acquis de chaque contribution. Les idées, exposées par des contributions de qualité, acquièrent pourtant une lisibilité originale par leur juxtaposition. Mises ainsi bout à bout, elles prennent une envergure qu’elles n’auraient peut-être pas eue indépendamment. La variété des méthodologies, la multiplicité des sources et la diversité des propos démontrent la vigueur de la réception de l’Antiquité de la République romaine à nos jours. Cette réception suscite ainsi une ferveur, qui ne s’est pas démentie ces dernières années, encourageant alors une vague de publications de qualité assez diverse. Le recueil qui nous occupe, a choisi une approche multipolaire de la réception et de la transmission de l’Antiquité, tout en préservant le caractère unitaire de l’héritage antique.

 

 

Sommaire

 

Konzeptualisierung : Ordnungen der Antike

Negativität und Transformation. Antike als Konzept bei Jean-Jacques Rousseau, G. Kamecke (p. 11-26)

Die Erfindung der « Romanik » im 19. Jahrhundert. Die Antikisierung der mittelalterlichen Kunst, B. Klein (p. 27-34)

Der dritte Mann – Überlegungen zur Rezeptionsästhetik von Albrecht Dürers Zeichnung Das Frauenbad, J. Müller (p. 35-44)

Une conception intempestive de l’Antiquité : le discours inaugural de Friedrich Nietzsche, J. Dumonteil (p. 45-54)

 

Legitimation : Politische Funktionen von Antike

Qua lege, quo iure? Die Ausnahme in der Römischen Republik und ihre Rezeption bei Carl Schmitt und Giorgio Agamben, C. Lundgreen (p. 55-67)

La réception de l’Antiquité dans l’ordre des Chartreux : entre tradition et renouveau, C. Zermatten (p. 68-76)

Renovatio urbis Romae. Zur Herrschaftinszenierung bei Cola di Rienzo als Potentat und Erretter Roms, S. Conrad (p. 77-86)

La tentazione dell’Impero. Roma antica e Venezia umanistica a confronto, B. Marx (p. 87-111)

Die Gründer und die Klassiker. Zur Rezeption der Antike in der Begründung moderner Demokratie, H. Vorländer (p. 112-126)

 

Praxis : Antike als Konzept in Literatur und Kunst

Les anciens Grecs – les ancêtres des Romains? Les mythes fondateurs “grecs” dans le décor tympanal des temples romains, K. Kaderka (p. 127-139)

Die Ausstattung des Palazzo Davanzati in Florenz und ihr Verhältnis zur antiken Wandmalerei, D. Zachmann (p. 140-154)

Die Justes, Perréal, Champier und der Anachronismus als Bedeutungsträger. Die Grabreliefs Ludwigs XII. Und ihre politische Indienstnahme der Antike, J. Blunk (p. 155-166)

“Weder römisch noch antik?”Pieter Bruegels Verleumdung des Apelles in neuer Deutung, B. Kaschek (p. 167-179)

Aufbruch zu neuen Formen : Die Antike im französischen Klassizismus der 1540er Jahre, S. Frommel (p. 180-196)

Antiken in der Dresdner Kunstkammer. Die Antike als Konzept in Graphik und Zeichnung, C. Melzer (p. 197-212)

Algarotti, Tiepolo und der antike Geschmack,, U. C. Koch (p. 213-223)

Bodoni, Parme et le néo-classique, F. Barbier (p. 224-238)

Metamorphosen des Mythos – Figuren der Antike(n)rezeption in A la recherche du temps perdu, Y. Heckmann (p. 239-253)

Das Überlebensgeheimnis einer mythischen Gestalt. Die Alltagsrezeption der Kassandra als Quelle eines vielschichtigen Erinnerns, O. Galanova (p. 254-260)

“Klassik” und Statuarik. Antike Motive in den Künsten der DDR, K.-S. Rehberg (p. 261-279)