Hochmann, Michel: Venise et Rome, 1500-1600. Deux écoles de peinture et leurs échanges (Hautes Etudes médiévales et modernes, 85), 664 p., 15,2/22,2 cm, 138 ill., ISBN 2-600-00933-7, CHF hors taxes 94
(Librairie Droz S.A. 2004)

 
Compte rendu par Guillaume Cassegrain, maître de conférences en histoire de l’art moderne, Lyon 2
 
Nombre de mots : 686 mots
Publié en ligne le 2008-01-03
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=69
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La peinture vénitienne est un cas à part dans la production artistique italienne de la Renaissance. Les polygraphes du XVI e siècle, avant les historiens de l’art, l’avaient déjà relevé et théorisé. Le colorito structure la pratique artistique locale et s’oppose, sur de très nombreux points, au disegno, guide et juge de l’art toscan et romain. Cette particularité si originale a souvent encouragé les spécialistes à envisager l’étude de la peinture de la cité des Doges de manière isolée, répétant à l’envi la célèbre formule de Pétrarque : « Venise est un autre monde ». En excluant l’art vénitien d’une grille de lecture générale, les historiens de l’art ont parfois forcé un peu le trait (ne voyant que la confrontation au détriment du dialogue) et simplifié à l’excès la complexité historique. Cette « marginalité » esthétique affirmée entraînant avec elle quantité de problèmes tout aussi insolubles les uns que les autres : que faire des œuvres peintes par des artistes vénitiens dans un contexte étranger ; comment intégrer les œuvres réalisées à Venise, pour des Vénitiens, par des peintres toscans ou romains… ? Fort heureusement, certains textes récents ont renouvelé l’approche critique en favorisant des enquêtes croisées et en se penchant sur les échanges incessants qui ont nourri la spécificité de ces fameuses « écoles ». Rona Goffen, par exemple, en analysant la compétition entre les peintres dans son magistral Rennaissance Rivals. Michelangelo, Leonardo, Raphaël, Titian (Yale University Press, 2002) a mis l’accent sur les influences réciproques, les dettes qui rendent ainsi indissociable l’approche du disegno et du colorito.

Michel Hochmann, en spécialiste avisé de la peinture vénitienne, s’inscrit dans ce courant. Tout en gardant la forme traditionnelle de l’étude comparative, il renouvelle les analyses en s’appuyant prioritairement sur les « échanges » qui ont vu les peintres vénitiens offrir des solutions plastiques nouvelles aux artistes romains et qui ont permis aux peintres romains d’influer sur la production vénitienne. Les chapitres qui composent son livre témoignent de cet angle d’attaque pertinent. La deuxième partie s’intéresse, par le biais du goût éclectique des commanditaires, aux croisements permanents de ces deux écoles (« Deux révolutions parallèles », p. 137-244). La troisième partie (« Une crise maniériste ? », p. 245-362) suit la même direction en montrant de manière convaincante que le maniérisme venu d’Italie centrale n’est pas une rupture (la fameuse « crise », si souvent répétée par les historiens de l’art) de la tradition locale mais, au contraire, une évolution qui permet, notamment avec Tintoret, de redéfinir le vocabulaire plastique vénitien. Les citations de peintures romaines ou toscanes, que Michel Hochmann repère dans certaines œuvres vénitiennes, permettent de mieux comprendre comment un langage étranger peut être traduit, de façon originale, par la tradition locale. La place qu’occupe l’œuvre de Michel-Ange dans la peinture de Tintoret en est un exemple frappant. Michel Hochmann consacre d’ailleurs de nombreuses pages à ce dialogue esthétique (« Tintoret et la peinture vénitienne dans les années 1540 », p. 331-362), confrontation si éclairante pour le sujet général qui est le sien. La présentation très détaillée du mécénat vénitien complexifie encore un peu plus cette histoire et démontre que l’intérêt pour la peinture d’Italie centrale est très grand à Venise tout comme le goût pour le colorito vénitien est développé à Rome.

Le texte de Michel Hochmann est particulièrement stimulant dans la lecture qu’il donne de l’influence vénitienne sur la peinture romaine. Les pages qu’il consacre ainsi à Salviati, au paysage ou, plus encore, à Raphaël « le Vénitien » (« Raphaël et Venise », p. 163-192) ouvrent des perspectives de recherche très intéressantes. Certains portraits de Raphaël, le Bindo Altoviti notamment, rendent caduques les confrontations aveugles des « écoles » italiennes auxquelles certains historiens de l’art ont toujours recours.

On pourra regretter in fine que l’académisme de façade de ce texte n’ait pas été plus souvent délaissé par l’auteur qui, en réutilisant certains concepts délicats et critiquables, masque les profondes originalités de l’analyse. Recourir ainsi à la notion d’ « école » (locale, régionale) ne sert pas forcément la démonstration (les belles analyses sur le débat sur la langue suffisent). En refusant d’en faire la critique (p. 7), l’auteur prend le risque de troubler son lecteur et d’atténuer par une rhétorique de convention les très nombreuses originalités et les véritables qualités de ce texte.