Dacos, Nicole: Les loges de Raphaël, chef-d’œuvre de l’ornement au Vatican.
24 x 32,5 cm. Relié sous jaquette. 352 p. 320 illustrations couleurs. ISBN : 978-2-7541-0294-0. EAN13 : 9782754102940. 79 €
(Hazan, Paris - Vaticana, Cité du Vatican 2008)
 
Compte rendu par José Lothe, École pratique des Hautes Études (Paris)
 
Nombre de mots : 2062 mots
Publié en ligne le 2009-02-07
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=610
 
 

Après un premier volume consacré à la chapelle Sixtine dû à Heinrich W. Pfeiffer, S.J., La chapelle Sixtine révélée. L’iconographie complète, la Libreria Editrice Vaticana, associée aux éditions Hazan, vient de publier un second ouvrage intitulé Les Loges de Raphaël. Chef-d’œuvre de l’ornement au Vatican, qui étudie un autre des grands décors peints au Vatican, conçu par Raphaël, exécuté sous sa direction et achevé sept ans après les premières fresques de Michel-Ange. L’architecture des Loges ayant été achevée dès l’été 1516, les travaux de décoration avaient commencé à partir de juillet 1517 et le 16 juin 1519 Baldassar Castiglione annonçait à Isabelle d’Este la fin du chantier.
L’auteur de cet ouvrage n’est autre que Mme Nicole Dacos dont tous les historiens de la Renaissance italienne connaissent les travaux scientifiques qu’elle a conduits pour établir combien les peintres et les sculpteurs avaient trouvé des modèles dans l’Antiquité. Que l’on se souvienne de son livre La Découverte de la Domus aurea et la formation des grotesques à la Renaissance, publié en 1969, et d’un premier travail consacré aux Loges de Raphaël, Le Logge di Raffaello. Maestro e bottega di fronte all’antico, réédité en 1987. Personne n’était donc davantage qualifié pour entreprendre une étude renouvelée de ce décor dont Mme Dacos a analysé tous les éléments, son discours étant en outre servi et explicité par de remarquables photographies.

À la mort de Bramante en 1514, le pape Léon X confia l’achèvement du projet architectural à Raphaël qui poursuivit la construction de la dernière galerie, intervint dans l’architecture intérieure de la galerie centrale dont il dirigea ensuite la décoration. Appelée la « loggia » ou la « bella loggia », cette galerie est devenue les « Loges ». Elles sont constituées de treize travées et d’autant de voûtes ; celles-ci furent décorées des emblèmes du pape ou de ses armes, d’ornements à l’antique ou de perspectives architecturales et toutes reçurent quatre fresques illustrant la Bible. C’est donc cinquante-deux tableaux qui furent peints et qui sont passés à la postérité sous le nom de « Bible de Raphaël ». L’architecture était complétée par des pilastres, des arcades, et, sur le mur intérieur, par des édicules de marbre avec de fausses fenêtres ; les lunettes qui surmontaient les édicules ont reçu un décor en trompe-l’œil de festons de fleurs, fruits et légumes; les pilastres étaient ornés de grotesques, de médaillons de stucs. Pour comprendre  l’esprit de cette architecture et du décor conçus par Raphaël, maintenant vides, il faut prendre en compte que Léon X avait fait installer dans des niches quantité de statues antiques. Il faut aussi se souvenir que longtemps la galerie était demeurée ouverte sur l’extérieur et que les décors en ont pâti.

Mme Nicole Dacos a construit son analyse en se référant à quatre grands axes qui se révèlent comme autant de problématiques. La première se rapporte à l’Antiquité. À partir de quelles sources Raphaël avait-il connu l’Antiquité au point d’en devenir si familier ? Où les avait-il rencontrées et comment les a-t-il utilisées dans ce décor ? Mme Nicole Dacos observe d’abord que si, dès son arrivée à Rome en 1508, Raphaël a étudié les antiques et d’abord la sculpture, très vite son intérêt s’est porté vers la peinture romaine connue grâce à la Domus Aurea de Néron, considérée alors comme le palais de Titus. Ce fut Giovanni da Udine qui, selon Vasari, fit connaître à Raphaël la Domus, rapidement célèbre pour ses « grotesques », devenus à la mode au début du XVIe siècle. Dès 1514, Raphaël reprit la composition de la « volta  dorata » de la Domus dans la chambre de l’Héliodore ; il l’utilisa une deuxième fois pour la loggia de Psyché de la Farnésine et s’en inspira pour un troisième décor, celui de la Logetta du cardinal Bibbiena, qui constitue l’antécédent immédiat des Loges et pour lequel Giovanni da Udine fut son principal collaborateur. L’ouvrage de Mme Dacos rend tout à fait compte de l’immense répertoire d’antiques que Raphaël avait constitué, provenant soit de la Domus soit de vestiges archéologiques. L’auteur s’est attachée à identifier le plus grand nombre de sources : la Diane d’Éphèse du pilastre n° VI pourrait être inspirée d’une statue connue à l’époque de Léon X, deux pilastres reprenaient un relief conservé sur la façade intérieure de Saint-Pierre, et elle cite encore les statues de Pan de la collection della Valle et les putti pisciatori. Avec raison, Mme Dacos insiste sur d’autres sources dont Raphaël a disposé et qui ont enrichi son répertoire en particulier les monnaies antiques et les gemmes. Tout ce décor à l’antique fut agrémenté d’éléments tirés de la nature : feuillages, arbres, animaux et surtout oiseaux.
Grâce à Giovanni da Udine qui, s’il n’en avait pas retrouvé la composition exacte, avait du moins obtenu que leur aspect fût semblable à ceux utilisés par les Romains, Raphaël se servit des stucs pour donner du relief à l’architecture intérieure. De petites scènes couvrirent les intrados et les écoinçons tandis que le haut des pilastres recevait systématiquement quatre médaillons où se voyaient un bouclier d’amazone, un cercle, un rectangle et une mandorle, dont les modèles avaient également été pris dans la Domus. Raphaël et Giovanni da Udine s’inspirèrent des décors de sarcophages antiques ; nombre de figures des intrados provenaient des sarcophages du Triomphe de Bacchus ou du Triomphe de Bacchus et d’Ariane. Dans l’ensemble des grotesques, des festons et des stucs, il y a sans doute plusieurs centaines de motifs auxquels il faut ajouter tous les ornements qui les encadrent et en sont le prolongement. On trouve donc un vaste répertoire de godrons, de losanges, de consoles, de palmettes, d’entrelacs, etc., auxquels s’ajoutent les faux marbres peints en trompe-l’œil par Giovanni da Udine. Mme Dacos peut légitimement écrire que « des Loges de Raphaël irradie une sensation de profusion et d’allégresse où règnent avant tout le calme et la sérénité ». Il ne faut pas cependant y rechercher un programme iconographique préconçu mais, avec l’auteur, le lecteur a le sentiment que les Loges faisaient pénétrer leurs spectateurs dans une Antiquité rêvée, idéalisée.

Après celle des décors, la deuxième problématique étudiée est celle des fresques des voûtes où sont représentées quarante-huit scènes de l’Ancien testament et seulement quatre du Nouveau, chacune des voûtes étant consacrée à un personnage dont les actions ou la vie étaient racontées en quatre épisodes, peints à fresque. La place de Moïse dans l’histoire sainte a conduit à lui consacrer huit fresques, les autres personnages étant Dieu le Père, Adam et Ève, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Josué, David, Salomon et le Christ. Les fresques de chaque voûte ont été complétées, sans doute à la fin du chantier et peut-être sans la participation de Raphaël, par des peintures en grisaille exécutées sur les soubassements comme pour imiter le bronze. Puisque nous avons entamé ce compte rendu en parlant de l’ouvrage consacré à la chapelle Sixtine, il faut reconnaître la simplicité du récit en images tel qu’il a été peint par Raphaël, à mille lieues de l’œuvre de Michel-Ange à la Sixtine. Cette vision de la Bible, rassurante, où le drame était exclu – ainsi de la vie du Christ n’étaient montrées ni scène de la Passion ni même sa crucifixion, pourtant fondements de la religion chrétienne - a été voulue par Léon X sans qu’on puisse savoir si un théologien proche de lui l’avait conçue (peut-être Gilles de Viterbe ?). En revanche, la volonté d’associer la culture antique et la culture chrétienne est certaine. En témoigne la connaissance qu’avait Raphaël des grands cycles iconographiques paléochrétiens qui décoraient les basiliques de Rome.
 
Si Raphaël a conçu toute la décoration des Loges, il n’y a rien peint. Ce sont des artistes de son atelier qui ont traduit en fresques les compositions qu’il avait inventées. Il est vraisemblable qu’il leur avait fourni des dessins à la plume, aujourd’hui perdus, à partir desquels ses collaborateurs ont construit, élaboré, les modelli des fresques, ce qui ne signifie nullement que l’auteur du modello fût nécessairement celui de la fresque finale. Lorsque s’ouvrit le chantier, l’idée de Raphaël fut de confier à Giovanni Francesco Penni l’élaboration des modelli et à Giulio Romano les peintures ; plus tard Perino del Vaga fut chargé de mener à bien l’entreprise. Si l’ampleur du projet des Loges a fait naître beaucoup de dessins, peu nombreux – moins d’une quarantaine – sont ceux parvenus jusqu’à nous et il faut bien reconnaître que leur attribution à Raphaël ou à un de ses élèves est loin d’être unanime. Le mérite de l’ouvrage de Mme Dacos est bien sûr d’avoir rapporté les dessins conservés aux fresques et, plus encore, d’avoir dépassé le problème de leur attribution en considérant ces peintures dans leur ensemble afin de reconnaître la part de chacun des collaborateurs choisis par Raphaël pour y travailler. Vasari n’avait mentionné les noms que de sept d’entre eux, ajoutant « qu’il y avait eu de nombreux autres peintres ». Forte de toutes les connaissances acquises depuis qu’elle travaille sur les artistes de la Renaissance, Mme Nicole Dacos a pu corriger ou compléter les informations de Vasari et proposer, pour chacune des fresques (à l’exception de l’Apparition de Dieu à Abraham trop endommagée), le nom de celui ou de ceux qui l’avaient peinte. Si Giovanni da Udine avait été le principal artisan du décor d’antiques, il n’a peint qu’une seule scène, la Sortie de l’arche. Longtemps il fut admis que Giulio Romano avait été le principal artisan des fresques mais l’ouvrage montre que Tommaso Vincidor, seul ou avec Pellegrino da Modena (qui n’a peint seul que le Jugement de Salomon), et Perino del Vaga, associé pour deux peintures à Polidoro di Caravaggio, y avaient travaillé autant que lui. Luca Penni a presque autant peint que son frère Giovanni Francesco. Né en France, devenu peintre-verrier, appelé par Bramante à Rome, Guglielmo di Marcillat était resté auprès de Raphaël et fut l’auteur de quatre fresques. Au peintre siennois Bartolomeo di David, qui a œuvré seul ou avec Giulio Romano ou encore Luca Penni, Mme Dacos a pu attribuer six (peut-être sept) fresques. C’est dire que, considérant les Loges dans leur totalité et proposant une compréhension de ce décor dans son ensemble, le livre est une étude tout à fait neuve qui renouvelle les connaissances qu’on avait de ce décor dont l’auteur montre bien que le sentiment d’unité qu’on éprouve à le contempler « tient du miracle » mais n’est en rien dû au hasard : Raphaël y est omniprésent.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la fortune des Loges qui, le chantier achevé, suscitèrent une admiration unanime. Par l’intermédiaire d’Alonso Berruguete et de Pedro Machuca qui y avaient travaillé, elles furent appréciées et servirent de modèles en Espagne. Nul ne saurait nier que leur influence fut grande sur le Rosso architecte et décorateur de la galerie de François Ier à Fontainebleau. À Nuremberg Albert Dürer s’en inspira pour concevoir le décor d’un grand salon de l’hôtel de ville. En 1778 l’impératrice Catherine II voulut que son palais de l’Ermitage renfermât une copie grandeur nature des Loges ; un architecte construisit donc une galerie aux dimensions semblables tandis qu’une équipe de peintres entreprit de copier tout le décor. Dix ans plus tard le rêve de la Grande Catherine était réalité. À l’initiative d’Ingres, les Loges firent l’objet de copies installées à Paris, dans l’École des Beaux-Arts.
S’il ne semble pas qu’une seule fresque fût gravée du vivant de Raphaël et si Raimondi, Veneziano, Giulio Bonasone, Giovanni Antonio da Brescia, firent quelques planches isolées, le cycle complet des fresques ne fut gravé (à l’eau-forte) qu’en 1605-1607 par Sisto Badalocchio et Giovanni Lanfranco. Pour la première fois un cycle de peintures était reproduit systématiquement par l’estampe. Un deuxième recueil fut publié en 1613, un troisième en 1615, un quatrième en 1626. En 1649 Nicolas Chaperon entreprit de graver au burin les fresques qu’il avait dessinées lui-même et l’on sait qu’à Rome, de 1768 à 1777, furent publiées des planches admirablement gravées et mises en couleurs auxquelles le nom de Giovanni Volpato est resté lié.

Telles sont, ici trop rapidement présentées, toutes les informations que l’historien d’art, l’étudiant, l’amateur, pourront trouver dans cet ouvrage dont Mme Nicole Dacos a voulu qu’il fût complet, qu’il ne laissât dans l’ombre aucun aspect de cette œuvre monumentale et qu’il en renouvelât complètement la connaissance. Et on se doit de reconnaître que l’auteur a atteint parfaitement le but qu’elle s’était assigné. Nous en voudra-t-elle si nous lui suggérons de consacrer une autre étude, de cette qualité, à un autre des grands décors conçus par Raphaël au Vatican ?