Maillard, Pauline : Kition-Bamboula IX. Les cultes des Salines à Kition : étude des terres cuites d’époque classique, 652 pages, 46 illustrations, 149 planches, ISBN 978-2-35668-081-5, 85,00 €
(MOM Éditions, Lyon 2023)
 
Reseña de Anne Queyrel Bottineau, Sorbonne Université
 
Número de palabras : 8891 palabras
Publicado en línea el 2023-12-12
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4748
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       L’ouvrage de Pauline Maillard, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2019, prend place, sous le numéro IX, dans la série consacrée par la Maison de l’Orient et de la Méditerranée aux fouilles de Kition-Bamboula à Chypre ; il est consacré, selon son titre, aux cultes des Salines à Kition, d’après l’étude des terres cuites d’époque classique. Il se divise en deux parties : après l’introduction, quatre chapitres, de la p. 25 à la p. 267, présentent des commentaires généraux sur le site des Salines, sur le mobilier, sur la production de l’atelier coroplathique et sur les figurines et le culte des Salines ; le catalogue, qui constitue la seconde partie du volume, va de la p. 269 à la p. 569, avec 149 planches comprises dans la pagination, et est suivi de onze annexes, de la p. 571 à la p. 603, de la bibliographie et de trois pages d’indices.

 

       Le compte rendu procède de manière linéaire, en suivant la progression de l’ouvrage ; il s’attarde particulièrement, en raison de l’importance du corpus d’objets dans une étude interprétative, sur la sous-partie typologique du Chapitre 2, étudiée en relation avec le catalogue proprement dit, dans la seconde partie.

 

       L’introduction retrace l’historique de la découverte, dans le cadre de fouilles non scientifiques, de figurines de terre cuite à partir des années 1860 dans un espace cultuel situé près de l’ancienne Kition, l’actuelle Larnaca, près du lieu-dit des Salines ; comme il est bien connu des spécialistes de Chypre, ces objets furent rapidement dispersés dans des ventes aux enchères et figurent en grand nombre dans des musées européens et américains. Proches stylistiquement de figurines grecques du ive siècle, les figurines des Salines furent longtemps mises en relation avec la déesse Artémis en raison de la découverte sur le site de dédicaces d’époque romaine à Artémis Paralia ; elles furent rapprochées aussi de Déméter, en raison de la coiffure d’un grand nombre d’entre elles, une imitation d’un calathos végétal, puis, par la recherche plus récente, d’Aphrodite et plus largement de la grande Déesse de Chypre.   L’auteur – PM – entend ici, par la reconstitution des premières collections, retrouver, autant que faire se peut, l’assemblage originel des offrandes et, par l’examen des figurines, reconstruire l’identité des divinités vénérées dans ce lieu de culte et appréhender la fonction de celui-ci dans le paysage religieux kitien.

 

       Le Chapitre 1, « Les Salines en contexte : paysages et archéologie », p. 25-64, présente à l’aide de cartes, de plans et de photographies, la géographie de la ville de Kition, le contexte historique du royaume phénicien à l’époque chypro-classique et les principaux vestiges archéologiques, l’accent étant mis sur les sites de Bamboula et de Kathari, avant de retracer l’historique des découvertes de figurines de terres cuites sur la rive nord du lac salé : on citera avant tout Charles de Maricourt, frère du consul de France à Larnaca, qui fut le premier à découvrir fortuitement des figurines en abondance sur le site en 1864, avant d’être suivi par Tiburce Colonna-Ceccaldi, consul de France à partir de 1866, et, du côté britannique, dès 1865, par le vice-consul Dominic Ellis Colnaghi – dont le produit des fouilles sera acquis par le British Museum ; les fouilles menées entre 1866 et 1868 par Luigi Palma di Cesnola, consul des États-Unis, furent d’une tout autre envergure et prirent la forme d’un « pillage systématique », avec la mise au jour d’au moins mille objets.

 

       Le Chapitre 2, « Le mobilier des Salines », p. 65-132, revient, dans sa première sous-partie, sur la manière, souvent mouvementée, dont se sont constituées les collections de figurines chypriotes des Salines conservées pour l’essentiel dans un petit nombre de musées d’Europe et des États-Unis, le British Museum à Londres, le Louvre à Paris et le Metropolitan Museum à New York et, dans une moindre mesure, le musée cantonal d’archéologie et d’Histoire de Lausanne,  l’Antikensammlung de Berlin et le musée Pouchkine de Moscou ; un autre musée européen devrait être ajouté à la liste, celui de Turin, d’autant plus important pour les antiquités chypriotes que Cesnola, originaire du Piémont, fut par un don à l’origine de la collection. PM rappelle ensuite l’éclatement de la collection Cesnola dès la première vente aux enchères à Paris en 1870, et l’ampleur de la dispersion à travers les États-Unis de la collection du Metropolitan Museum au gré de reventes et d’échanges. Les trois sous-parties suivantes sont consacrées à une première présentation du mobilier des Salines, sur lequel l’auteur revient dans les deux chapitres suivants et dans le catalogue : on notera que le mobilier traité comprend, à côté des figurines du ive siècle, des figurines du Chypro-Archaïque II et du Chypro-Classique I et quelques figurines d’époque hellénistique et impériale (sous-partie 2, « Les figurines en terre cuite »), quatre objets sculptés en pierre (sous-partie 3), et reprend huit inscriptions publiées trouvées sur le site (sous-partie 4). Nous nous attarderons particulièrement sur la typologie des figurines du ive siècle établie dans cette sous-partie du Chapitre 2, en nous reportant si nécessaire au contenu du Catalogue placé après le Chapitre 4.

 

       Le corpus n’est pas, on le remarque et on le regrette d’emblée, le corpus le plus complet des figurines classiques des Salines qu’il était possible de rassembler en s’appuyant notamment sur les publications de catalogues de collections chypriotes, nombreuses ces dernières années[1], mais une sélection opérée dans ce corpus. On ne peut que s’étonner aussi que de nombreuses figurines connues par des études antérieures, exclues du catalogue de PM aux p. 272 à 557, soient reléguées en notes, comme variantes et versions, dans ce chapitre général sur le mobilier, au lieu d’être pleinement intégrées dans les listes de types et de versions, qui sont de fait le plus souvent réduites à un numéro du catalogue – comme on le constate aussi dans les arborescences données en fin de volume dans les annexes IX à XI. 

 

       Après cette remarque générale, on ne pourra faire ici, en raison de l’impossibilité de développer excessivement le compte rendu, que quelques remarques précises relatives aux types distingués dans les sections intitulées « femmes trônant », nos 38-101, « couples trônant », nos 102-107, « femmes trônant accompagnées de deux jeunes filles portant un coffret », nos 108-122, « jeunes filles portant un coffret », nos 123-163, « femmes coiffées d’un calathos végétal », nos 164-274, sections les plus importantes en nombre et en originalité, « femmes représentées debout », nos 275-291, « représentations du cercle d’Aphrodite », nos 292-303, « têtes féminines et fragments divers », nos 304-338, « types masculins du Chypro-classique II », nos 339-357, « silènes, comédiens et grotesques », nos 358-370, « types de l’époque hellénistique », nos 379-402, et « type tardif », no 403. Pour une question de place et de temps, on limitera ces remarques principalement aux cinq premières sections, avec des remarques ponctuelles sur des figurines des sections suivantes.

 

       Ainsi, on observe dans la section 1, en commençant par les premières classifications proposées qui distinguent la « femme trônant sans attributs » et la « femme trônant portant une phiale », p. 86-87, que la terre cuite de Londres figurant une déesse assise sur un trône avec accoudoirs à sphinx, cat. no 43, qui représente, p. 86, la version A du type B, est classée parmi les « femmes trônant sans attributs », alors qu’elle tient de sa main droite posée sur ses genoux une petite phiale[2], accessoire qui lui est bien reconnu dans le catalogue p. 304. Par ailleurs, l’état fragmentaire de certaines figurines, dont il ne reste que le buste et le haut du bras droit, ne permet pas, si l’on se reporte à la description et aux planches du catalogue, de savoir si la main était vide ou si elle tenait une phiale (ainsi, les nos 40, 41, 44, 48-50). On s’étonne du reste que le buste acéphale no 44, « Type B version B », ne soit pas rapproché d’un exemplaire du même type pourvu de sa tête qui est conservé au Louvre[3] – et qui, à cette place ou à une autre, aurait pu avantageusement être retenu en raison de sa singularité parmi les représentations de déesses trônant. Il est étonnant aussi que le no 111, une figurine de jeune fille au coffret, seule subsistante du groupe à trois, une « triade », qu’elle formait avec une déesse trônant et une autre jeune fille, soit classée dans la rubrique de la « femme trônant portant une phiale », alors que, les attributs étant indépendants des types et des versions, il ne peut pas être assuré que la déesse disparue tenait une phiale, et non par exemple un fruit, comme, sans doute, car l’objet est assez indistinct, la déesse de New York no 108, ou même rien du tout, comme la déesse de la triade londonienne no 118 ou la déesse de l’ancienne collection de Clercq, reproduite pl. XXVI no 158, dans l’ouvrage de 1908 publié par André De Ridder[4]. En revanche, on ne comprend pas pourquoi la partie inférieure de triade no 113, commentée par PM à la p. 352 de son catalogue comme tenant une phiale et reproduite pl. 41, n’est pas mentionnée dans la typologie de la p. 87 au même titre que les triades nos 109 et 110 qui tiennent une phiale ; elle n’apparaît que p. 93 – « Fragments de variantes diverses (cat. nos 113-117) » dans les pages consacrées précisément à la typologie des triades, où reviennent les triades nos 109 à 111, comme types B, C et D. Il aurait été intéressant aussi de signaler que la figurine trônant no 39, autrefois à Berlin et à présent à Moscou, est reproduite par Ohnefalsch-Richer, pl. CCIV 1[5], avec les pieds et la tête qui lui manquent dans sa localisation actuelle, comme sur la pl. 15 de PM : cet état ancien est à mentionner car il était sans doute d’origine, Ohnefalsch-Richter, p. 485, signalant un état de conservation remarquable et aucune trace d’un recollage au niveau de la tête n’apparaissant sur la pl. CCIV 1.

 

       Pour les personnages trônant portant un enfant de sexe masculin, à la p. 87, aux quatre types distingués par PM, il faut ajouter au moins un cinquième type caractérisé par la position du bras de la déesse reposant sur la tête de l’enfant, qui est connu par un exemplaire reproduit par Ohnefalsch-Richter[6]. Le type B, no 70 du catalogue, est rapproché à la n. 129 d’une figurine représentant une version de ce type, conservée à Cannes : on s’étonne des différences soulignées par PM à propos du geste et du drapé, car la figurine 70 que PM a retenue dans son catalogue est très incomplète, alors que la figurine de Cannes est conservée dans toute sa partie supérieure ; cette figurine de Cannes est précisément, comme indiqué dans la bibliographie du catalogue du Louvre, le no 457 du catalogue de la vente Gréau établi par Froehner en 1891, alors que la n. 129 de PM la présente comme un autre exemplaire et, par suite, ne lui indique pas de localisation connue dans l’Annexe IV en fin de volume qui reprend le catalogue de cette vente ; le no 438 de cette vente, auquel il est également fait référence à la n. 129 comme à une autre figurine de ce type, n’est pas reproduit par  Froehner et, d’après la description faite de cette figurine complète à la p. 109 du Catalogue Gréau, on voit difficilement comment PM peut affirmer que les types sont les mêmes ; quant à une quatrième figurine de ce type conservée autrefois dans  la collection de Clercq, la description qu’en fait De Ridder, 1908, p. 186, ne correspond pas du tout, puisque le personnage est debout, et PM elle-même, dans l’Annexe VII où elle reprend la notice de De Ridder, note bien que le personnage est debout. En revanche, on s’étonne que ne soit pas mentionné l’exemplaire acéphale, mais bien conservé pour le buste, reproduit par Ohnefalsch-Richter[7] et qui se rapprocherait plutôt, par la position de la main de la femme, du type C de PM, tout en étant très proche du type B. 

 

       Une vingtaine de fragments, dont un bon nombre sont aussi significatifs que ceux qui ont été retenus pour représenter à eux seuls des types, sont rassemblés p. 88 sous l’appellation « Fragments divers (cat. nos 76-101) » : on s’étonne du sort qui leur est fait en dépit de leur grande variété, puisqu’ils comprennent des bustes incomplets de personnages féminins, acéphales ou non, des parties inférieures de personnages trônant, des acrotères de trône avec cavalier et des sphinx ou fragments de sphinx. Ceux-ci ne sont pas même rapprochés de la déesse trônant de Londres, no 43 du catalogue, alors que l’intérêt principal de cette figurine vient de la présence des sphinx comme éléments d’accoudoirs ou plutôt supports du trône.

 

       Dans la section 2, qui porte sur les « couples trônant », PM oublie, dans sa mention à la note 142 p. 91 d’autres exemplaires du type le plus courant, de faire figurer l’exemplaire trouvé à Amathonte, qu’elle a pourtant évoqué à la p. 90.

 

       Dans la section 3, consacrée aux « femmes trônant accompagnées de deux jeunes filles portant un coffret », qu’on appellera commodément des « triades », p. 91 et suivantes, il est étonnant que ne soit pas souligné, relativement aux variantes, le fait que les jeunes filles sont parfois tête nue : ainsi, sur la triade no 158 de l’ancienne collection de Clercq, déjà évoquée plus haut[8] et que l’on découvre dans l’ouvrage uniquement en consultant l’Annexe VII de la collection de Clercq, où il n’est même pas dit qu’elle est reproduite par De Ridder – pourquoi avoir relégué à cette place une pièce importante ? –, les jeunes filles portent leurs cheveux longs, sans ornement apparent ; pour la triade new-yorkaise, no 108 p. 348, on sera plus réservé sur les « hauts diadèmes » qui les coifferaient, et on songera plutôt à la chevelure relevée en touffe au-dessus du front que portent des élégantes au ive siècle ; l’unique jeune fille subsistante de la triade londonienne incomplète, no 118 p. 356, semble bien être tête nue. Le groupe du Louvre, cat. no 109 de PM, mériterait un commentaire, ou dans le chapitre 2 p. 92 ou dans le catalogue p. 350, sur la phiale, posée sur l’accoudoir, que semble tenir la jeune fille située à la gauche de la déesse : s’agit-il bien d’une phiale, qui serait exceptionnellement tenue par une jeune fille au coffret, d’une maladresse d’un artisan négligent, cette « phiale » n’étant qu’un empâtement de l’extrémité du coussin, ou d’une intention, afin de faire comme un pendant à la phiale tenue par la déesse de sa main droite ?

 

       À propos de la section 4, « les jeunes filles portant un coffret », dont le type A est rapproché, p. 95 n. 159, d’une figurine de Marseille, la seule qui serait conservée avec sa tête, coiffée d’un « calathos bas », on objectera qu’il y a de très fortes chances pour que la tête de la figurine de Marseille, dont le raccord est abondamment maquillé de terre, n’appartienne pas au corps : ce calathos, pas si bas, mais surtout arasé, est en effet orné de sphinx, animaux qui, de manière quasiment certaine, sont réservés aux effigies de divinités[9]. Encore dans cette section des « jeunes filles portant un coffret », il est impossible d’affirmer que toutes les têtes coiffées d’un calathos bas, nos 139 à 153, rassemblées p. 95 avec des coffrets isolés en tant que « Fragments divers (cat. nos 139-163) », n’ont appartenu qu’à des jeunes filles au coffret : si l’on ne considère dans les têtes que les traits du visage et la chevelure, puisque des couvre-chefs variés, moulés à part, peuvent leur être ensuite adaptés, au moins la tête 144 – que l’on rapprochera par ailleurs de celles des jeunes filles au coffret de New York, cat. 123 et 124 – semble bien appartenir, pour les traits du visage et la chevelure, au même type que la tête de la femme trônant portant un fruit, no 57, que la tête, aux traits peu distincts cependant, de la femme trônant avec fruit et lyre, no 68, et que les têtes de deux déesses trônant du Louvre, munies l’une d’un tympanon et l’autre, d’une lyre[10] ; il semble bien, en dépit du caractère empâté des traits du visage et du flou des photographies, que les têtes 145, 146 et peut-être 149 et 150 se rattachent aussi à ce type de tête. Par ailleurs, plusieurs têtes, du même type pour les traits du visage et la chevelure, sont classées par PM, p. 96 et suivantes, dans la section 5, « Les femmes coiffées d’un calathos végétal », dont il est dit, d’une manière fort peu claire, qu’elles « ne peuvent pas être rattachées avec certitude au type de la femme trônant ou d’un groupe formé par une femme assise et deux jeunes filles » (mais alors, à quel genre de figurines féminines appartenaient-elles ?) : on citera, d’après la consultation des planches, les têtes nos 190, 217 à 226, 248 à 253 et 264 de PM, classées en types divers p. 98 à 100 et sans renvoi apparent ni dans le corps du texte ni en notes à ces têtes que nous venons de mentionner ; on leur ajoutera plusieurs têtes qui se rattachent à ce type dans le catalogue du Louvre, les nos 900, 904-906, peut-être 907, 910, 922-924, peut-être 926[11]. Ces têtes sont surmontées d’un couvre-chef plus ou moins haut, imitant souvent le gaufrage de la vannerie, mais aussi parfois orné de rosettes et de feuilles, posé sur le voile ou au contraire sous le voile. Elles semblent, d’après les quelques exemplaires conservés avec le corps, avoir été relativement fréquentes chez les figurines de catégorie secondaire, déesses trônant aussi bien que jeunes filles au coffret, par opposition à d’autres plus prestigieuses. Le très grand nombre de ces petites têtes – environ 4 cm, davantage si le calathos est élevé et bien conservé – retrouvées la plupart du temps détachées de leur corps, montre qu’elles faisaient partie de ce qu’on pourrait appeler le « tout-venant » de la production coroplathique de Kition, dans laquelle, d’après l’état actuel de la documentation, elles étaient adaptées avec des couvre-chefs variés aussi bien à des femmes trônant de dimensions réduites, notamment à celles qui étaient pourvues d’un instrument de musique, qu’à des porteuses de coffret indépendantes[12].   

 

       La section 5 est intitulée « Femmes coiffées d’un calathos végétal », alors qu’elle ne rassemble que des têtes. PM précise que celles-ci « ne peuvent pas être rattachées avec certitude au type de la femme trônant ou d’un groupe formé par une femme assise et deux jeunes filles (au coffret) ». Mais cette définition des objets rassemblés dans la section 5 ne correspond pas à ce qu’on y trouve, puisqu’on y reconnaît quantité de têtes appartenant aux mêmes types que des figurines trônant des sections 1 et 3, ayant conservé, avec leur corps ou un fragment de corps, leur tête, recollée ou non. La progression dans les sections typologiques jusqu’à la p. 107, où il est écrit, à propos de certaines têtes de la section 8 (« Les têtes féminines et fragments divers »), qu’elles « ne portent toutefois pas le calathos caractéristique et [que] leur stature assise n’est pas assurée, c’est pourquoi elles apparaissent dans cette section », amène à se demander si les têtes à calathos de la section 5 ne sont pas considérées en fait, dans leur définition, comme appartenant à des figurines assises, mais sans qu’on puisse savoir si elles appartenaient à des femmes trônant seules ou à des femmes trônant accompagnées de deux jeunes filles. La définition donnée est inexacte, et le lecteur ne sait plus que penser devant la confusion regrettable dont témoigne la typologie. On est d’autant plus perplexe que l’examen de la section 4 des « jeunes filles portant un coffret » a montré, nous l’avons vu, que certaines têtes, coiffées d’un calathos, de ces jeunes filles debout pouvaient aussi convenir à des femmes trônant.

 

       La classification des types de calathoi, dans la section 5, est faite sur des critères classiques, qui sont utilisés par tous les spécialistes de la question : le premier est le rapport entretenu l’un avec l’autre par le calathos et le voile, selon que le calathos est posé sur le voile ou sous le voile ; puis interviennent la prise en compte du bandeau, la mitra, qui enserre ou non la chevelure au-dessus du front, et celle des divers éléments de décor, rosettes, disques, etc., et de leurs combinaisons variées. PM distingue de multiples ramifications avec variantes et versions, et y inclut de très nombreux « fragments divers », mais sans faire malheureusement les renvois nécessaires à des têtes classées dans les sections précédentes. Une remarque adventice sur cette section : le fragment de calathos orné de palmettes et de fleurs de lotus, no 198 de PM (no 898 du Louvre), est à rapprocher, comme les nos 894 à 897 du Louvre[13], d’une tête à calathos de Marseille qui a conservé l’acrotère droit du trône sur lequel le personnage était assis[14].

 

       Parmi ces têtes de la section 5, on s’étonnera du sort fait à celles qui sont surmontées d’un calathos à sphinx, représentées dans le catalogue par les nos 200 et 242, alors qu’elles comptent parmi les plus prestigieuses et les plus significatives de la production coroplathique des Salines, mais sont littéralement invisibilisées : ces deux exemplaires sont noyés dans les cent-onze numéros de la section 5, aux pl. 71 et 85 (= p. 413 et 441). Pourtant, PM est consciente de l’importance du sphinx dans l’aire culturelle orientale et chypriote, puisqu’elle reconnaît cet animal comme propre aux représentations divines[15]. Le lecteur un peu averti peine à découvrir, à propos de ces types rares et prestigieux, ces deux têtes seules, attribuées, l’une, au « type H » d’un groupe, et l’autre, à la « version D du type E » d’un autre groupe ; et c’est uniquement dans les notes 170-171 et 184 des pages 98-99 qui se rapportent à ces têtes et aux « fragments divers appartenant au type H », qu’il peut, toujours en cherchant bien, trouver des informations sur les têtes à calathoi à sphinx et apprendre qu’il existe d’autres têtes avec des calathoi ornés de représentations de cet animal. Or, tout lecteur apprécie d’être aidé par la clarté d’une exposition qui, dans un ensemble, met en valeur les pièces singulières et significatives, comme le sont les têtes à calathoi à sphinx[16] ; enfin, une fois les recherches faites, il ne peut qu’être étonné que soient aussi rapidement regroupées plusieurs de ces têtes, à la n. 171, avec pour seule explication qu’elles appartiennent à « différentes versions de générations successives » ; l’Annexe XI qui présente une arborescence de têtes au calathos ne les fait pas davantage apparaître. On est surpris de trouver, parmi ces générations non justifiées, des têtes avec parfois des visages différents, et des calathoi à sphinx présentant des variantes très significatives, comme sur les têtes nos 869 et 876 du Louvre[17], ou surtout sur une tête du Cabinet des médailles, dont le visage est certes identique à celui de la tête no 200 de PM, mais dont le calathos, au-dessus d’un turban qui enserre les cheveux, absent de la tête no 200, est orné, au-dessous des feuilles dentelées du sommet, d’une simple rangée de palmettes à l’extrémité de laquelle un sphinx semble discernable d’un côté[18]. Par ailleurs, toujours à propos des calathoi à sphinx, on remarquera que, sur la pl. 85 où est reproduite la tête no 242, figure une tête, no 241, décrite p. 440 comme ayant uniquement une rangée de palmettes sur le calathos, et justement rapprochée, p. 99 n. 183, de deux têtes à calathoi décorés de sphinx du Louvre : le petit sphinx du milieu, discernable sur les calathoi du Louvre avec ses ailes largement déployées comme des palmettes, mais dont seul le contour est en faible relief[19], figure peut-être aussi sur le calathos de la tête no 241, dissimulé sous la préparation blanche.

 

       Dans la section 6, « Les femmes représentées debout », on signalera, au no 285 de PM, p. 103, conservé au Louvre, un autre exemplaire de courotrophe debout allaitant, conservé à Turin[20]. Il est incompréhensible que ne soit pas mentionnée, au mieux dans le catalogue, au pire en note, la figurine reproduite par Max Ohnefalsch-Richter dans sa série des courophores[21], qui, conservée dans toute sa moitié supérieure, révèle utilement pour l’étude du type ce que ne donnent pas à voir les deux fragments retenus par PM, nos 287 et 288, p. 103 de la typologie et pl. 101 ; plusieurs autres fragments sont connus de ce type, dont certains montrent bien le pan de draperie retombant derrière le bras droit de la femme[22]. De même, alors que la tête de canéphore retenue, le no 280, ne permet pas de restituer au moins partiellement la figurine, pourquoi renvoyer, à la note 203 p. 103, à une figurine inédite qui permet de savoir que la canéphore est debout, ce qui est attendu, et ne pas mentionner une autre figurine conservée jusqu’à la taille et connue de tous par sa publication, par Ohnefalsch-Richter également[23] ?

 

       Dans la section 7, « Les représentations du cercle d’Aphrodite », où des importations voisinent avec des créations locales, l’énigmatique no 301, fragment supérieur d’un groupe de deux femmes, n’est pas rapproché, n. 208 et 218, d’un fragment du Louvre du même type[24], alors que c’est sur celui-ci qu’apparaît le coffret caractéristique au-dessus duquel est brisée la figurine no 301. À propos du groupe fragmentaire de deux femmes conservé au Louvre, du type dit du « groupe Stackelberg », no 303, l’honnêteté scientifique impose de citer dans le catalogue, p. 286, l’auteur du dessin, Caroline Florimont, et la publication exacte d’où il est tiré[25].

 

       Dans la section 8, « Les têtes féminines et fragments divers », la tête de New York au visage à moitié voilé surmontée d’un polos ou calathos bas, no 319 et p.107-108, n’est pas isolée, elle appartient pleinement au cycle de la déesse trônant, comme le montrent à la fois une figurine du Louvre, représentant le personnage ainsi voilé et trônant, avec le geste caractéristique de la main amenée sous le vêtement jusqu’au cou, qui, étonnamment, est totalement absente de l’ouvrage, et une autre tête du même type, coiffée d’un calathos et reproduite  par Ohnefalsch-Richter[26].

 

       La tête barbue coiffée d’un polos no 352, p. 113, dans la section 9, « Les types masculins du Chypro-classique II », peut être rapprochée d’une tête du Louvre[27]. La section 10, « Les silènes, comédiens et grotesques », est annoncée, p. 114, comme ne comprenant que treize figurines : on leur ajoutera cependant au moins un bon nombre de figurines du Louvre provenant de Larnaca, dont certaines appartiennent au même type et sont mieux conservées que celles retenues par PM[28].

 

       Le Chapitre 3, intitulé « La production de l’atelier coroplathique de Kition », p. 133-177, examine d’abord, de manière générale, les caractéristiques de facture et de production des figurines rapportées à un même atelier, l’« atelier des Salines, ou « atelier de Kition » ; cela ne va pas sans quelques redites par rapport au Chapitre 2, où étaient déjà formulées des remarques de ce type, et aux notices du Catalogue, composées pour l’essentiel de commentaires techniques consacrés à chacun des objets. Une sous-partie contextualise ensuite le dépôt des Salines par des parallèles avec les figurines chypriotes de Marion, de Salamine et d’Achna, et avec les figurines phéniciennes de Kharayeb. Puis sont considérées, sous le titre les « archétypes à l’origine de la production kitienne », des productions coroplathiques grecques, béotiennes, olynthiennes et attiques, en rapport, notamment par le biais de figurines de lécythes plastiques, avec la femme trônant, la jeune fille au coffret, certains types féminins, les danseurs d’oklasma, et des grotesques ; une attention particulière est accordée aux groupes importés avec Aphrodite, issus d’ateliers athéniens de vases plastiques. Le rapprochement avec la production de ces ateliers permet de placer le début de la fabrication par l’atelier kitien des figurines se rattachant au cycle de la femme trônant dans les premières décennies du ive siècle, et d’estimer son activité jusqu’au début du iiie siècle.

 

       Le Chapitre 4, « Les figurines et le culte des Salines », p. 179-256, traite de la question religieuse en rapport avec les milliers d’offrandes qui furent déposées dans l’espace cultuel des Salines, du début du ve siècle au début du iiie siècle, avec un « pic de déposition » vers le milieu du ive siècle ; les inscriptions découvertes par Cesnola montrent que le site fut de nouveau utilisé sous l’Empire, pour un culte dédié à Artémis Paralia, même si, en dépit peut-être du maintien à proximité d’un culte à Asclépios et Hygie, il y eut interruption dans les offrandes[29]. Le très important laps de temps qui s’écoula entre la déposition de figurines en masse et les dédicaces à Artémis Paralia, depuis longtemps souligné, amène l’auteur à s’interroger sur l’identité des divinités vénérées et sur la nature des activités de l’espace cultuel à l’époque chypro-classique, avec pour appui, en l’absence de tout autre donnée, le corpus même des figurines et ses représentations iconographiques. Des comparaisons avec le contexte chypro-phénicien et levantin à des époques diverses permettent de confirmer le statut particulier, et plus précisément le caractère souverain, du personnage féminin trônant, qui plus est lorsqu’il est coiffé d’un haut calathos végétal et associé au sphinx ; plusieurs éléments montrent le lien à établir entre l’iconographie de la déesse vénérée à Kition et les modes de représentation de la déesse de fécondité qu’est l’Astarté phénicienne – dont le culte est attesté ailleurs à Kition. Sont ensuite citées des occurrences de l’épiclèse Ourania dans le monde gréco-levantin, notamment en rapport avec le culte rendu à Aphrodite Ourania par les marchands de Kition établis au Pirée, avant que soit traitée, p. 197-200, la question souvent abordée dans les études chypriotes, avant tout à propos du fameux « groupe Stackelberg » et, abusivement, des couples de déesses trônant[30], d’une dualité de la personnalité de l’Aphrodite grecque, Ourania et Pandèmos, ou encore ouranienne et chthonienne. PM conclut avec raison à ce sujet, p. 200, que la présence attestée parmi les figurines des Salines d’un unique exemplaire du « groupe Stackelberg », dans lequel elle reconnaît en outre une importation attique, ne doit pas recevoir une attention disproportionnée qui nuirait à la compréhension du culte dont témoigne l’iconographie de l’immense majorité des autres documents retrouvés.

 

       Poursuivant son enquête à propos des couples de déesses au calathos trônant, qui lui permet de confirmer dans un premier temps l’exclusion de l’identification comme Déméter et Coré, PM opère des rapprochements avec des divinités doubles dans la documentation archéologique et épigraphique, grecque d’abord, où celles-ci apparaissent en rapport avec les étapes de la procréation, puis ouest-sémitique, rappelant que l’unique exemplaire d’un groupe trônant découvert en dehors de Chypre provient d’un contexte cultuel de Beersheba. À propos des jeunes filles qui entourent la déesse trônant et portent un coffret entrouvert sur une couronne végétale, on exprimera un fort doute, p. 212, sur la supposition qui semble faite qu’elles aient peut-être été « chargées de parer la statue de la déesse lors de certaines fêtes », comme les Ergastines athéniennes mentionnées à la note 291 : on ne connaît pas en effet de statue féminine que l’on puisse rapporter au culte des Salines, et les pratiques cultuelles grecques n’étaient pas celles du monde chypro-phénicien. Envisageant ensuite les divers types de figurines courophores des Salines, qui toutes portent un enfant ou un jeune garçon de sexe masculin, PM examine la documentation chypriote, mais aussi phénicienne, qui a été mise en rapport avec les déesses maternelles, et en vient, avec l’apport des dédicaces trouvées sur le site, à la conclusion que les divinités des Salines assumaient une fonction de protection de la petite enfance, peut-être dès la naissance. L’interprétation comme un personnage « bésoïde », protecteur de la mère et du nouveau-né, de l’enfant au sourire très large, juché sur l’épaule de la figurine de courophore no 287 de PM, nous semble possible, mais un peu excessive, p. 225-229[31] : sur d’autres exemplaires de la figurine[32], le sourire de l’enfant est moins forcé ; par ailleurs, de nombreux « Temple-boys » offrent, comme il est naturel à l’âge du sujet, des visages de bébés expressifs, qui sembleront poupins aux uns, alors que d’autres les trouveront risibles, voire laids[33]. La dernière partie enfin du Chapitre 4 traite longuement du paysage religieux de Kition, en accordant une place particulière à la proximité de la mer et du marais salant : elle vise à mettre en évidence des éléments de continuité dans la fonction cultuelle des Salines, depuis la déesse de l’époque chypro-classique, connue par les figurines de terre cuite comme souveraine et déesse de fécondité, jusqu’à l’Artémis des « marais salants », à l’épiclèse expliquée par Marguerite Yon.

 

       Au terme de l’étude commentée, la conclusion, p. 257-267, revient sur le cadre historique qui voit le développement de cultes périurbains autour du lac salé au ive siècle, le culte d’Eshmoun-Melqart, protecteur des jeunes enfants, sur la colline de Batsalos, et le culte féminin attesté sur le site des Salines par les représentations de la déesse trônant : d’après PM, cette faveur est sans doute à mettre en relation avec la volonté politique et le règne stable des deux grands rois contemporains de Kition, représentants d’une dynastie nouvelle et attentifs par là même à contribuer à la popularité d’une divinité protectrice et « garante de la filiation ».

 

       Le catalogue proprement dit constitue la seconde partie du volume, p. 272 à 569. Comme mentionné plus haut, il inclut huit inscriptions et cinq objets en calcaire, provenant des Salines. Les figurines du Chypro-archaïque II et du Chypro-classique I comprennent 37 numéros (femmes nues se tenant les seins, femmes du type « Dea gravida », courotrophes et « Ptah-Patèque ») ; les figurines d’époque hellénistique et impériale comprennent 25 numéros, essentiellement des femmes drapées et des têtes féminines (nos 379-403). Les figurines du type chypro-classique II, qui constituent le cœur de l’ouvrage, vont donc du numéro 38 au numéro 378 (p. 300-557), à raison d’une page de notices et d’une page de planche. Sauf exception, on ne reviendra pas ici en détail sur ces objets, dans la mesure où ils ont été examinés en lien avec la typologie du Chapitre 2, à propos de laquelle on se reportera aux réserves émises ci-dessus. Les notices du Catalogue comportent pour chaque objet, outre les mentions du lieu de conservation et du numéro d’inventaire, une description iconographique, une description technique, l’historique et une bibliographie sommaire, sans comparaisons propres à l’objet. Les planches correspondent aux notices des objets sur la page en face. On est assez surpris par la mise en page, car, si quatre photographies en moyenne occupent une planche, assez souvent trois têtes, voire deux, se trouvent perdues au milieu de la grande page blanche, cela afin de correspondre exactement aux notices en face (ainsi, pl. 78, 88-94, 109, 141, …). Outre la perte de papier, le poids, et l’encombrement des bibliothèques, cette disposition entraîne dans la consultation des images une fâcheuse discontinuité pour le lecteur, obligé de feuilleter des vingtaines de pages pour retirer une certaine vue d’ensemble des figurines de tel ou tel type, d’autant que l’ordonnancement du catalogue, si on ne se réfère qu’à lui, est peu clair en raison de l’absence de titre donné au début de chaque section. L’échelle 1/1 annoncée n’est souvent pas respectée, cela sur une même planche, ce qui mène à un certain nombre d’aberrations, avec des figurines entières et de bonnes dimensions qui apparaissent plus petites que des têtes (voir à titre d’exemples, les pl. 38, 47, 49, 73 ou 107). On ne peut s’empêcher de penser que ces vides auraient pu être avantageusement comblés par des reproductions de figurines manquantes, dont les notices auraient pu aussi trouver place sur la page en face au prix d’un développement moindre des longues considérations techniques sur chaque figurine.

 

       À propos des figurines retenues dans le catalogue ou évoquées en notes, comme beaucoup de ces objets sont connus depuis longtemps par des publications scientifiques diverses, qu’elles leur soient partiellement ou totalement dédiées, depuis le volume d’André De Ridder en 1908 sur les antiquités chypriotes de la collection de Clercq jusqu’aux catalogues récents de figurines chypriotes du Louvre et du Metropolitan Museum, on attendait un corpus le plus exhaustif possible, et PM en effet, après avoir présenté le « recueil des objets », p. 18, comme une « étape préliminaire obligatoire », déclare, p. 78, qu’elle s’est efforcée de « citer toutes les pièces identifiées par des publications ou connues dans les diverses collections chypriotes ». Elle annonce, p. 179, qu’elle va s’appuyer, en l’absence de tout autre donnée, sur le corpus des représentations fourni par les figurines pour « reconstruire la vocation des activités » qui se sont tenues sur le site, et assure dans sa conclusion, p. 260, que « le matériel cultuel mis au jour aux Salines de Kition [a été] rassemblé pour la première fois au sein de ce travail ». Or, il apparaît dès le Chapitre 2 sur la typologie que tel n’est pas le cas, non parce que, bien évidemment, l’exhaustivité parfaite est impossible à obtenir dans toute entreprise archéologique et que des pièces échapperont toujours à la « traque », « hors des sentiers battus », comme il est justement dit aussi p. 18, mais parce que, au-delà de la sélection entre les objets mis en valeur dans le catalogue et d’autres qui n’ont droit qu’à une mention en note, une autre sélection, volontaire ou non, se trouve de fait opérée entre ceux qui apparaissent et ceux qui n’apparaissent pas du tout. Un critère de sélection est bien avancé p. 18, où il est dit qu’ont été retenues 404 pièces que « l’on peut rattacher au corpus des Salines avec un degré de certitude satisfaisant », cela en fonction des collections par lesquelles elles sont passées : parmi ces pièces, la moitié environ, inédite et de provenance indiscutable, car parvenue au British Museum par l’intermédiaire de Dominic Ellis Colnaghi, qui fouilla aux Salines avec la famille de Maricourt en 1865, constitue, p. 57, le « cœur du présent corpus » ; aux pièces sûres s’ajoutent des pièces de provenance probable, signalées dans le catalogue par un astérisque. Les œuvres reproduites dans le catalogue, au nombre de 340 si l’on considère uniquement les figurines du Chypro-classique II, comprennent presque exclusivement, outre un grand nombre de pièces du British Museum, inédites ou connues uniquement par le catalogue de Walters de 1903, des pièces connues par les deux grands catalogues de musées récents, à savoir le Louvre et le Metropolitan Museum[34], auxquelles s’ajoutent un certain nombre du Musée cantonal de Lausanne et quelques-unes de Moscou. On objectera, à ce critère indispensable d’une provenance à tout le moins probable, que beaucoup de figurines, dont la provenance n’est pas moins assurée que celle des figurines dotées d’un astérisque et incluses dans le catalogue, ne figurent pas du tout dans l’ouvrage : un certain nombre de remarques ont été faites à ce sujet au fil du commentaire sur les pages typologiques du Chapitre 2.

 

       La bibliographie est abondante et couvre les domaines variés qui ont été abordés, du monde grec à l’Orient en passant par Chypre et ses royaumes de l’époque classique. On signalera cependant là aussi quelques incohérences, et des inexactitudes et oublis qui pourront gêner le lecteur.  Ainsi, à propos du catalogue des figurines chypriotes du Louvre, fréquemment cité, on s’étonnera que les références y soient faites systématiquement comme à « Catalogue des terres cuites du Louvre », et non de la même manière qu’à toutes les autres publications d’objets de musées, citées par les noms de leurs auteurs[35] ; on s’étonnera aussi du fait que les renvois à cet ouvrage consistent en un simple numéro, sans indiquer les pages concernées, comme si ce catalogue, qui renferme un grand nombre de figurines du style des Salines, classées en types, n’était qu’une base de données, dépourvue de commentaires scientifiques. Une autre exception dans la manière de citer, à deux ou trois reprises, ce qui serait apparemment un catalogue de musée, concerne le Cabinet des médailles, mais le titre de la publication est totalement erroné : en effet, l’abréviation employée, « Cabinet des médailles », renvoie dans la bibliographie finale à « L. Robert (dir.) [sic], Cabinet des médailles : collection Froehner, t. 1, Inscriptions grecques », ouvrage qui ne renferme aucune figurine de terre cuite chypriote. Ainsi, pour savoir à quoi ressemble la tête à calathos du Cabinet des médailles indiquée au no 43 sous cette référence, à la note 167 de la p. 97, il faut consulter le petit livre, Art antique de Chypre, du bronze moyen à l'époque byzantine, au Cabinet des médailles, Bibliothèque nationale de France, 1994. L’article d’Olivier Masson, « La dispersion des antiquités chypriotes : les deux collections Cesnola », paru dans les Cahiers du Centre d’Etudes chypriotes, ne doit pas apparaître comme « Masson 1966a », à une date où ces Cahiers n’existaient pas, mais comme « Masson 1996 ». L’ouvrage d’Antoinette Decaudin, Les antiquités chypriotes dans les collections publiques françaises, Lyon, 1987, qui pourtant figure dans la bibliographie finale, n’est quasiment jamais mentionné en notes là où on l’attendrait à propos de figurines conservées dans des musées de province, malgré le caractère beaucoup moins développé des publications plus récentes qui lui sont préférées. L’article d’Annie Caubet, « Les collections d’antiquités chypriotes au musée du Louvre », Cahiers du Centre d’études chypriotes, 42, 2012, p. 141-157, qui remet à jour l’article plus ancien de 1993 paru dans M. Yon (dir.), Kinyras, L’archéologie française à Chypre, n’est pas cité dans la bibliographie de la constitution des collections. Parmi les publications de musées, il est étonnant que soit totalement omise la publication, riche en figurines chypriotes, de Felice Gino Lo Porto, La collezione cipriota del Museo di Antichità di Torino, parue en 1986.

   

       En conclusion, l’ouvrage présente l’intérêt de faire connaître un grand nombre de pièces londoniennes inédites provenant de l’espace des Salines. Il mène une enquête précise sur ce qui peut être restitué de l’aire cultuelle, il relate en détail l’exploration archéologique de la rive nord du lac salé dans les années 1860. L’examen de documents grecs, chypriotes et du monde ouest-sémitique au Chapitre 4 est utile pour mieux apprécier les témoignages de piété des fidèles dans l’ambiance phénicienne, dans le royaume de Kition et dans le site même, près du marais salant, particularité de cet espace où ont été offertes en masse ces figurines si singulières. L’ouvrage enrichit ainsi les connaissances et la réflexion sur le royaume de Kition et sa spécificité religieuse au ive siècle, à la veille de la mainmise lagide sur l’île.

 

       Néanmoins, alors qu’il était l’occasion de fournir le catalogue le plus exhaustif possible des figurines d’époque classique, l’absence de pièces significatives, soit par leur intérêt iconographique, comme celles, notamment, qui se rapportent à la déesse trônant ramenant son voile devant son visage ou celles qui apportent un complément d’information en tant que variantes mieux conservées, soit par leur nombre, est de nature à fausser l’analyse, et donc à remettre en cause la pertinence des résultats tirés d’une sélection qui est finalement subjective dans la manière dont a été constitué le corpus. Au-delà de lacunes dommageables, on regrettera que le manque de rigueur ait entraîné aussi un classement très peu commode pour la recherche des objets, d’autant qu’il manque un véritable index muséographique, comportant les numéros d’inventaire de tous les objets cités conservés dans tel ou tel musée, ce dont ne tient pas lieu l’index des « musées, collections » proposé p. 647-648, qui renvoie aux seules institutions, et non aux objets précis qu’elles renferment. Une synthèse à visée générale n’est pas limitée dans son corpus comme l’est par définition la publication d’un catalogue de musée, même pourvu de commentaires généraux et de notices annotées : l’auteur doit viser à l’exhaustivité pour pouvoir ensuite, sur la base d’un répertoire iconographique et quantitatif le plus complet possible, établir des priorités selon des critères qui le feront s’attarder sur une figurine publiée et bien connue, mais qui pose question par son caractère exceptionnel, ou sur les exemplaires de séries bien documentées, variantes comprises, parce que le nombre aussi est significatif dans la recherche, que ce soit pour les techniques de fabrication, ou pour les intentions des dédicants. 

 


[1] Voir ainsi Musée du Louvre, Département des Antiquités Orientales, L’art des modeleurs d’argile, Antiquités de Chypre, Coroplastique, 2 t., (Annie Caubet dir.), par Sabine Fourrier et Anne Queyrel, avec la collaboration de Frieda Vandenabeele, 1998 ; The Cesnola Collection of Cypriote Art, Terracottas, The Metropolitan Museum of Art, New York, par Vassos Karageorghis, Gloria S. Merker et Joan R. Mertens, 2016.

[2] La petite phiale n’est guère discernable sur la photographie en couleur de PM, pl. 17 : on se reportera avantageusement à la photographie en noir et blanc donnée par A. Queyrel, « Calathoi en terre cuite à décor de sphinx », pl. LI, dans F. Vandenabeele et R. Laffineur, Cypriote Terracottas, Proceedings of the First International Conference of Cypriote Studies, Bruxellles - Liège, 1991.

[3] Queyrel 1998 (= Queyrel, dans Musée du Louvre, Département des Antiquités Orientales, t. 2, 1998, p. 433-655), p. 466-467 et n° 939 p. 553. 

[4] On découvre, en se reportant à l’Annexe VII en fin de volume qui reprend la publication d’André De Ridder, Collection de Clercq, Catalogue publié par les soins de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, t. V, Les antiquités chypriotes, 1908, Paris, qu’un rapprochement est fait entre les types (qui ne sont pas complètement identiques) de la triade de Clercq n° 158 et de la triade de New York, cat. 108 de PM. Il est étonnant qu’il ne soit pas tiré un meilleur parti par PM de la publication des objets de la collection de Clercq reproduits par De Ridder, qui, même s’ils ne sont pas tous localisés, restent tout à fait instructifs et pertinents pour l’étude des Salines. On notera que le nom de De Ridder, qui figure pourtant dans la bibliographie finale, n’est pas mis en relation à la p. 73 avec le tome V de la collection de Clercq, pour la plus grande peine d’un lecteur non averti.

[5] Max Ohnefalsch-Richter, Kypros, die Bibel und Homer, Beiträge zur Cultur-, Kunst- und Religionsgeschichte des Orients im Alterthume (dorénavant, KBH), Berlin, 1893.

[6] KBH, pl. CCV n°7

[7] KBH, pl. CCV n°5.

[8] De Ridder, 1908, pl. XXVI.

[9] Voir Queyrel 1991, supra, p. 206 et pl. L, b, avec bibliographie ; et PM elle-même, p.189.

[10] Queyrel 1998, p. 506-508 nos 808 et 811.

[11] Queyrel 1998, p. 540-543 et 547-548.

[12] Les têtes avec le visage de ce type auxquelles sont ajustés des calathoi variés sont si nombreuses qu’on en trouve presque dans toute collection de figurines chypriotes : on citera seulement ici les collections de Stanford (J. Rogers Davis et T.B.L. Webster, Cesnola Terracottas in the Stanford University Museum, 1964, pl. III n°336), de Saint-Germain-en Laye (Catalogue sommaire illustré, Archéologie comparée, J.-P. Mohen dir., 1982, p. 182-183), de Turin (F.G. Lo Porto, La collezione cipriota del Museo di Antichità di Torino, 1986, pl. 35 et 36 nos 362 et 367) et de Marseille (A. Decaudin, Les antiquités chypriotes dans les collections publiques françaises, 1987, pl. LXV n° 155).  

[13] Queyrel 1998, p. 457-458 avec croquis et p. 539-540.

[14] A. Decaudin, Les antiquités chypriotes dans les collections publiques françaises, 1987, pl. LXIV, 149.

[15] PM, p. 182-189. 

[16] Sur les calathoi à sphinx, voir Queyrel 1991, op. cit., et ead. 1998, p. 451-453 avec croquis, et p. 531-533.

[17] Queyrel 1991, p. 203 et 205, pl. XLVII d-e et XLVIII a et pl. L a ; ead. 1998, p. 452-453 avec croquis et p. 531 et 533. Le calathos de la tête n° 869 du Louvre est en outre orné d’un griffon sur le côté, de deux à l’origine.

[18] Cabinet des médailles, n° 44 p. 59, notice d’A. Hermary, dans Art antique de Chypre du bronze moyen à l'époque byzantine au Cabinet des médailles, 1994 (la notice ne mentionne pas de sphinx).

[19] Queyrel 1991, op. cit., p. 206 et pl. L , c et d ; ead. 1998, p. 452-453, type c avec croquis, et p. 533 nos 874-875.

[20] Sur l’exemplaire de Turin, signalé dans Queyrel 1998, p. 515 n°829, voir Lo Porto, 1986, op. cit., p. 170 no 379 (la figurine est dite provenir d’Idalion) et pl. 37.

[21] KBH, pl. CCV, 4. Quel que soit le lieu de conservation actuel de cette figurine provenant de la collection Pieridès, ou bien même son état de perte, sa publication, avec une bonne reproduction, l’a définitivement portée à la connaissance.

[22] Voir les références dans Queyrel 1998, p.515-516 no 830 (voir notamment l’exemplaire de l’ancienne collection de Clercq, dans De Ridder, 1908, op. cit., pl. XXVII n°193).

[23] KBH, pl. CCVII, 4, avec la même remarque qu’à la note ci-dessus. Outre la tête no 1006 du Louvre (Queyrel 1998, p. 602), un fragment du même type, tête et corbeille, est conservé à Autun (Decaudin, op. cit., 1987, pl. VIII no 33) ; un autre, avec la corbeille seule, à Copenhague : N. Breitenstein, Danish National Museum, Catalogue of Terracottas Cypriote, Greek, Etrusco-Italian and Roman, 1941, p. 8 no 59 et pl. 7.

[24] Queyrel 1998, p. 446-447 et p. 513-514 no 827 (le no dans Pottier, BCH 3, 1879, p. 87, n’est pas 11, mais 25, p. 87-88).

[25] Le dessin qui met en position les fragments d’après la bibliographie (Besques 1978 avec première reconstitution dessinée, Hermary 1982 avec proposition d’ajout d’un fragment, et Pouilloux 1986 avec reprise de la reconstitution de Besques 1978) figure p. 572 dans Queyrel 1998, au no 957 : il est de Caroline Florimont, auteur de tous les dessins du catalogue du Louvre, dont les croquis de figurines au calathos p. 446-467, dans L’art des modeleurs d’argile, comme indiqué à la p. 11 du volume 1. On remarquera que le schéma 2 de PM, p. 140, est également repris, mesures en plus, d’un dessin de Caroline Florimont, non citée, dans Queyrel 1998, p. 454, no 878.

[26] Sur les exemplaires de la déesse trônant voilée, voir Queyrel 1998, p. 466-467 avec bibl. et p. 553-555.

[27] Queyrel 1998, p. 597 no 997.

[28] Queyrel 1998, p. 636-649 ; plusieurs ont été acquises à la vente Gréau et doivent donc être retirées de l’Annexe IV de la vente Gréau, p. 114 note 261 et p. 581-585, où elles sont signalées comme non localisées.

[29] Entre rupture et continuité, on ne comprend pas comment PM peut écrire, p. 179 : « Bien que les offrandes déposées n’offrent aucune solution de continuité entre le début de l’époque hellénistique et le ier s. de notre ère, un document épigraphique mentionnant le sanctuaire d’Asclépios et Hygie pourrait indiquer que des cultes se sont maintenus au bord du lac salé jusqu’à la fin du ier s. av. J.-C. ».

[30] Les figurines de couples de déesses au calathos trônant, entièrement vêtues, doivent être traitées séparément des deux figures debout, dépourvues de calathos et dont l’une est à moitié dévêtue, du « groupe Stackelberg ».

[31] L’enfant qui tète, sur la figurine no 285 de PM, p. 228-229, ne nous semble pas particulièrement grotesque.

[32] Voir supra, parmi les figurines courophores de la section 6, les remarques faites aux n. 29 et 30 à propos du no 287 du catalogue de PM., sur d’autres exemplaires de ce type non retenus dans le catalogue

[33] Des goûts, on ne discute pas : voir par exemple le visage, qui peut sembler guère avantagé, du « Temple-boy » S.2 de PM, pl.144

[34] Louvre : L’Art des modeleurs d’argile, Antiquités de Chypre, Coroplastique, Musée du Louvre, Département des Antiquités Orientales, 2 volumes, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1998, sous la direction d’Annie Caubet : p. 36-395, par Sabine Fourrier, p. 396-414, par Frieda Vandenabeele, et p. 433-655, par Anne Queyrel (à l’exception de la p. 478, par A. Caubet). Le volume 2 du Catalogue du Louvre, p. 442-467, 499-557, 561-611, et 615-655 compte environ 250 figurines de cette période avec une provenance kitienne sûre ou probable, avec de nombreux renvois à des figurines conservées ailleurs qu’au Louvre

[35] Les noms des auteurs sont clairement cités dans la publication du Louvre, à la table des matières du tome 2, p. 698-703 : ainsi, PM ne devrait pas écrire, p. 81 : « A. Caubet, S. Fourrier et A. Queyrel ont souligné que le type kitien de la Dea gravida … », quand l’auteur est S. Fourrier, ni, p. 169 n. 210, à propos du no 299 : « Comme le notent A. Caubet, S. Fourrier et A. Queyrel dans le catalogue du Louvre … », quand l’auteur est A. Queyrel. Dans la bibliographie finale, il est inexact d’écrire « Caubet - Fourrier - Queyrel (dir). », comme s’il s’agissait des trois éditrices d’un ouvrage collectif. À propos de la publication des figurines chypriotes du Metropolitan Museum, à laquelle les renvois sont faits comme à « Karageorghis - Merker - Mertens », on signalera que les notices utilisées sont généralement celles qu’a signées Gloria Merker.