Krings, Véronique - Pugnière, François (dir.): De la source au jardin. La Fontaine de Nîmes. 278 p., coul., ISBN : 978-2-35518-128-3, 50 €
(Editions Mergoil, Dremil-Lafage 2023)
 
Reseña de Sophie Bouffier, Université Aix-Marseille
 
Número de palabras : 2433 palabras
Publicado en línea el 2024-10-16
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4744
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      Ce collectif, destiné à faire le point sur nos connaissances de la Fontaine de Nîmes, rassemble les contributions d’une dizaine d’auteurs, bons connaisseurs de la ville de Nîmes et de sa région, autour de François Pugnière et Véronique Krings auxquels on doit déjà Nîmes et ses Antiquités. Un passé présent (2013). Affichant sa volonté de créer des ponts entre l’Antiquité et le présent, il s’adresse à la fois au grand public, désireux d’en savoir davantage sur les jardins qu’il parcourt dans ses promenades, et aux spécialistes d’archéologie, d’histoire de l’art et des sciences du patrimoine. L’agrément de ce livre est d’abord de nous présenter les étapes successives de la vie de la Fontaine et du Jardin qui l’entoure, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, tout en traitant des questions de restauration et de valorisation. Le texte, qui adopte souvent la forme du récit, est passionnant. Une bibliographie abondante clôt l’ensemble.

 

      À la lecture, on est frappé de voir à quel point les pulsations du Jardin répondent à celles de la ville : la prospérité de la colonie romaine favorise la construction d’un Augusteum (et non d’un temple de Diane, ainsi appelé à l’époque moderne) ; son déclin au Moyen Âge répond à l’effacement de Nîmes et à chaque fois que la ville retrouve sa prospérité, elle investit dans de nouveaux aménagements autour de la source et de son jardin et y recrute des sans-emplois pour juguler les crises sociales. Les antiquités nîmoises apparaissent comme les symboles de la puissance et de la pérennité de la ville. Les vicissitudes de la source et du jardin témoignent également des tensions entre les différents acteurs, entre le pouvoir central et les autorités nîmoises.

 

      Les érudits locaux et la ville de Nîmes ne s’intéressent vraiment à ce secteur emblématique de leur identité qu’à partir des premières découvertes archéologiques au XVIIIe siècle, lorsque la ville, qui souffre du manque d’eau, lance, en 1739, la remise en état des canaux et que l’on commence à dégager l’énorme complexe architectural de la Fontaine. C’est ce qui ressort du préambule rédigé par V. Krings et consacré au passage, en 1698, de Bernard de Montfaucon, érudit auquel elle a déjà consacré un premier livre (p. 11-28). Celui-ci relève à peine l’existence du temple de Diane, qu’il identifie comme un panthéon, et cite également l’amphithéâtre et la Tour Magne dans son L’Antiquité expliquée et représentée en figures (1719 et suppl. en 1724).

 

      La naissance du site est datée des environs de 500 av. J.-C., comme l’indique Michel Py dans une rapide synthèse (p. 29-43). Habitat de hauteur sur le Mont-Cavalier, installé à proximité de la source et doté d’une zone suburbaine d’établissements et aménagements agricoles, l’oppidum se dote d’une première fortification vers 400 av. J.-C. (la tour Magne en est un des vestiges), puis d’une seconde aux IIIe-IIe s. av. J.-C. marquée par l’intégration de la tour quadrangulaire dans une tour semi-ovale caractéristique du Languedoc oriental à cette période (Ambrussum, Nages), observatoire « symbolisant l’autorité de la ville sur son territoire.» M. Py rappelle également le manque de connaissance sur les monuments publics liés à la source. En revanche, quelques vestiges témoins de leur existence demeurent : statue d’accroupi, guerrier en tenue cérémonielle, comparable à ceux d’Uzès, Roquepertuse, Glanum, Rognac ou Constantine, qui devait être lié à un édifice ; linteau de présentation de crânes d’ennemis défunts et décor de chevaux probablement du IIe s. av. J.-C. ; bâtiment à portique tardo-hellénistique de courte durée ; statue-stèle plantée dans un coffre de dalles calcaires et témoignage probable d’un hérôon pour un jeune de l’élite ; inscriptions gallo-grecques de dédicaces probablement liées au caractère sacré de la source. L’une d’entre elles est une vraisemblable offrande aux divinités des sources Andouonnai comme à Collias (Gard). Tous ces bâtiments soulignent la forte intégration du site préromain dans la culture celtique régionale (fortifications, architecture publique, sculptures, rites).

 

      Pierre Gros synthétise les études publiées précédemment sur le complexe architectural d’époque augustéenne : structuré autour de la source et du nymphée qui lui est adossé, d’un temple, dédié à Auguste et à Rome, et d’un théâtre, cet ensemble répond à un projet politique fort, combinant source naturelle et organisation stricte de la ville. Il a pour objectif de répondre aux exigences de confort de la population nîmoise tout en suivant les modèles politiques, religieux et architectoniques du pouvoir central romain (p. 45-58).

 

      Marc Célié et Martial Monteil (dont on rappellera la synthèse consacrée à Nîmes antique et sa proche campagne en 1999) se concentrent sur l’Augusteum, l’un des deux pôles monumentaux avec le forum, mis en place à la fondation de la colonie romaine (p. 59-72). Ils s’interrogent sur les limites et l’extension du sanctuaire qui a oblitéré les constructions antérieures du quartier mais devait s’étendre sur 2ha a minima, 8-10ha a maxima, vaste espace végétalisé, qui pouvait accueillir des cérémonies de plein air comme des processions. Au-delà de l’Augusteum, s’installe un habitat dense, parfois sur les vestiges d’une occupation antérieure, que l’aménagement des rues et l’installation d’un réseau d’égouts tient à l’abri des inconvénients du dénivelé : domus à péristyle en bas de pente, habitations plus compactes en haut. Les informations sont minces après le Haut-Empire. Si les quartiers des pentes sont abandonnés entre la fin du Ier et le courant du IIIe siècle apr. J.-C., on ne sait pas ce qu’il advient de l’Augusteum. Les auteurs mettent ce déclin en relation avec l’essor du christianisme et l’arrêt des grandes cérémonies publiques à partir de la fin du IVe siècle, comme à Narbonne.

 

      Gérard Caillat s’intéresse à la Fontaine du Haut Moyen Âge à la fin du XVIIe siècle (p. 73-93). Relégué en périphérie, le sanctuaire est transformé en monastère au milieu du XIe siècle et doté d’une église, propriété des religieuses de Saint-Sauveur-de-la-Font, avant d’être dégradé pendant les guerres de religion. Pendant cette phase de la Fontaine, on développe des aménagements hydrauliques destinés à favoriser l’activité lainière et lavandière, à faire tourner des moulins à farine et irriguer les jardins. La nécessité de défendre la ville à partir du XIVe siècle pousse le Roi de France et les autorités nîmoises à utiliser les vestiges antiques pour y dresser des fortifications (en particulier la Tour Magne), provoquant de graves dommages : il s’agit de protéger la source et l’alimentation en eau de la population. Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle, après la privatisation du secteur par des notables qui pillent les pierres antiques pour leurs propres constructions, que s’amorce un mouvement de défense des vestiges romains à travers l’aménagement d’une promenade, la restauration des canaux et des aménagements hydrauliques. La prise de conscience s’accompagne d’une réflexion sur la gestion de l’eau nécessaire à la fois aux activités proto-industrielles, de la soie notamment, à la boulangerie par le maintien des moulins et à l’alimentation de la population.

 

      C’est ce qu’illustre l’article central de Fr. Pugnière (p. 95-137) : la promenade de la Fontaine poursuit son destin conjuguant l’utile à l’agréable au XVIIIe siècle. Les préoccupations des professionnels s’opposent aux inquiétudes de la population croissante, frappée par des sécheresses successives. Pour régler les conflits d’usage et assurer l’alimentation en eau de la ville et des activités annexes, les autorités commandent des plans d’adaptation du système hydraulique à différents spécialistes. Ingénieurs souvent militaires et architectes se succèdent. Alors que l’architecte nîmois, Esprit Dardailhon, est le bénéficiaire de la commission nîmoise d’attribution du marché, l’ingénieur Mareschal, gouverneur des fortifications de la province, est chargé de la direction du projet par le Conseil d’État. Fr. Pugnière relate en détail les vicissitudes de cet appel d’offre et de la réalisation des travaux, où s’entrecroisent antagonismes entre le pouvoir parisien et les intérêts locaux, entre les individualités chargées des travaux, droits de propriétés et activités nîmoises. La réalisation lente et complexe est grevée par d’énormes dépassements des dépenses et à peine terminés, de nouveaux travaux doivent être engagés à partir de 1780. Le projet initial n’est jamais achevé. F. Pugnière évoque également le projet d’urbanisme qu’avait proposé Mareschal entre 1747 et 1755 et qui mettait la Fontaine au centre de la ville nouvelle. Partiellement réalisé, il répond aux préoccupations hygiénistes de la ville et de la société du XVIIIe siècle. Parallèlement, à partir de 1738, les découvertes archéologiques fortuites puis les fouilles des années suivantes entraînent un engouement des érudits à la fois à Nîmes, en France et à l’étranger, notamment en Italie, ce qui n’empêche pas le pillage anarchique des vestiges monnayables, au point que le pouvoir central donne ordre de surveiller l’activité de terrain et de dresser les plans et relevés des structures antiques dégagées.

 

      L’évolution du secteur au XIXe siècle est dressée par Corine Potay qui montre comment une promenade, inachevée au début du XIXe siècle, témoignage de l’art du jardin à la française, devient un espace d’agrément verdoyant qui suit les modes décoratives des époques qu’il traverse (p. 139-167). On boise et aménage la colline à partir des années 1820 : bassins et plantations, fontaines publiques visent aussi à donner du travail aux sans-emploi. Les expropriations et acquisitions de terrains privés permettent l’extension du jardin auquel on applique les principes du jardin à l’anglaise. L’agrandissement et l’aménagement de nouvelles allées, balustrades, rampes et escaliers se poursuivent au Second Empire, reflétant la mode des jardins pittoresques et jusqu’à la fin du XIXe siècle, une des constantes qui traverse les époques : la volonté de concilier agrément et utilité, jardin de loisir et activités productives et manufacturières. Le début du XIXe siècle voit les premiers efforts de rénovation imposés par l’inachèvement des projets de Mareschal et suivants, notamment en matière d’évacuation des eaux pluviales particulièrement dramatiques en milieu cévenol. On installe des entrées monumentales pour valoriser cet espace de sociabilité que le parc est devenu au cours du temps. À l’extérieur, se crée un véritable quartier résidentiel, le quartier de la Fontaine, qui borde les quais d’hôtels particuliers puis d’immeubles de rapport à partir des années 1860-1870 et chasse progressivement les activités manufacturières.

 

      Au XXe siècle, s’affirme le souci de préserver l’héritage, comme l’explique Fr. Pugnière (p. 169-180). Les crises diverses ont livré le Jardin à l’abandon et les premiers financements concernent la restauration des vestiges romains avant de cibler les aménagements de l’époque moderne, le reboisement et les nouvelles plantations. Dans les années 1980-1990, de grands projets, dont un musée archéologique, des espaces de spectacle, un hôtel de luxe ou un programme immobilier de standing, font long feu. L’inscription à l’inventaire supplémentaire d’une grande partie du site en 1991 le protège des dégradations ou des projets trop éloignés de sa vocation d’objet patrimonial public. On se contente de petites reprises sur les plantations, les allées ou les structures en dur.

 

      L’objectif est également de restaurer, conserver et étudier le patrimoine antique (Fr. Pugnière, p.181-197). Ces trois axes sont privilégiés dès le XVIIIe siècle, d’abord chez les élites locales qui y voient l’expression de l’identité de leur ville, tandis que le goût de l’antique en vogue à la Révolution française accentue la volonté de protéger les vestiges romains et d’en diffuser la connaissance : amphithéâtre, Maison carrée, Tour Magne, sanctuaire de Diane et complexe de la source. Fr. Pugnière retrace l’histoire des fouilles et des opérations de conservation et de restauration jusqu’aux années 1970, préalables à la publication de plusieurs synthèses qu’il cite rapidement.

 

      On attendait la dernière contribution du volume consacrée à la source elle-même, depuis le début de la lecture (p. 199-213). N’est-elle pas le point de départ de toute l’occupation du site ? Pourquoi cette source a-t-elle eu tant d’importance au cours de l’histoire de la ville ? Jean Pey en dresse un bilan issu des recherches spéléologiques menées depuis 1830. Il retrace essentiellement les étapes de la découverte de son fonctionnement, par l’officier Benoit Bernard, puis le docteur Jules Teissier dont l’objectif n’était pas tant de connaître la source que d’en élaborer un plan d’exploitation pour la consommation de la population. Après l’étude fondatrice d’Alfred-Léopold Torcapel de la Vigne qui démontre l’origine karstique des eaux en 1894, une première étude spéléologique de Félix Mazauric lance l’exploration méthodique des galeries de 1955 à 1958 par les premiers plongeurs, exploration qui se professionnalise et se complexifie techniquement lors des programmes NEMAUSA II à XIV décrits précisément comme une chronique de travaux.

 

      La conclusion d’Antoine Bruguerolle propose une promenade dynamique à travers le Jardin, à la fois lieu de mémoire de la ville antique, médiévale et moderne, lieu d’activités, populaires, agricoles et artisanale, lieu de loisir et de détente, auquel l’architecte Norman Foster offrira un pendant parfaitement symétrique dans son programme d’agrandissement de la ville.

 

      À ce volume de 220 pages, succèdent quelques varia qui donnent un coup de projecteur sur des édifices ou des anecdotes marquants de l’histoire du Jardin : pourquoi l’appellation de temple de Diane ? quel trésor le jardinier François Traucat cherchait-il dans la Tour Magne ? comment furent perçus les travaux d’aménagement de la fontaine au XVIIIe par les contemporains et les générations suivantes ? les projets d’aménagement de Charles-Étienne Durand, le Pavillon de la Fontaine, le Pavillon à la Chinoise, l’écoulement des eaux de la Fontaine.

 

      C’est donc un très savant et très agréable ouvrage qui est proposé à la lecture. La belle qualité de l’impression, des textes et des images ne peut que donner l’envie de lire cette synthèse qui allie analyses de fond et captivantes anecdotes .

 

 

SOMMAIRE

 

Avant-propos
Véronique Krings et François Pugnière, 9


En guise d’introduction : dans les pas de Montfaucon
Véronique Krings, 11


Le site protohistorique : l’oppidum du Mont-Cavalier et son environnement
Michel Py, 29


Chronologie, ordonnance et destination du site antique
Pierre Gros, 45


Aux abords de l’Augusteum à l’époque romaine
Marc Célié et Martial Monteil, 59

 
La Fontaine du Haut Moyen Âge à la fin du xviie siècle
Gérard Caillat, 73


Conjuguer l’utile et l’agrément : la promenade de la Fontaine (xviiie siècle)
François Pugnière, 95


De la promenade au jardin
Corinne Potay, 139


Héritage et renouveau : le jardin de la Fontaine au xxe siècle
François Pugnière, 169


Restaurer, conserver et étudier le patrimoine antique
François Pugnière, 181


Études scientifiques et explorations aux xixe et xxe siècles
Jean Pey, 199 


En guise de conclusion : un jardin vivant
Antoine Bruguerolle, 215
 

Varia
- La fortune d’un nom : le temple de Diane, 223
- François Traucat et la Tour Magne, 226 
- La réception des travaux de la Fontaine, 229 
- Les projets d’aménagement de Charles-Étienne Durand, 233 
- Le pavillon de la Fontaine, 236
- Le pavillon à la chinoise, 238 
- L’écoulement des eaux de la Fontaine, 241 
 

Bibliographie, 247


Table des illustrations, 259


Auteurs, 267


Index des noms, 271