| AA.VV. : (Besnard, Tiphaine A. - Bièvre-Perrin, Fabien - Cousin, Élise - Parétias, Jonas [dir.]) Qui es-tu, Apollon ? De l’Antiquité à la culture pop, 272 pages, 185 figures, 22 x 22 cm, relié, 978-2-900314-39-5, 25 € (Éditions Octopus, Oissel-sur-Seine 2023)
| Reseña de Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain Número de palabras : 2116 palabras Publicado en línea el 2023-09-29 Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4742 Cet ouvrage est le catalogue publié à l’occasion de l’exposition organisée en 2023 au musée Juliobona de Lillebonne pour célébrer les 200 ans de la découverte de l’Apollon. Le projet « Juliobona, la cité antique sur la Seine » est un projet de valorisation du patrimoine de la ville de Juliobona, cité gallo-romaine fondée au Ier siècle sous l’empereur Auguste, chef-lieu de la cité des Calètes. Élise Cousin, Stéphanie Gobert et Angélique Pariche nous en précisent les contours dans l’introduction générale : il s’agit essentiellement d’aider à comprendre l’organisation d’un important territoire et de mettre en valeur sa richesse.
C’est dans ce projet que s’inscrit l’exposition consacrée à Apollon à l’occasion du bicentenaire de la découverte de l’Apollon de Lillebonne. Comme le rappellent les auteurs dans l’introduction, l’objectif est ici de présenter le dieu dans toute sa complexité. Ce ne sont pas moins de 70 œuvres, issues de différentes institutions nationales, qui jalonnent un parcours particulièrement original.
Le catalogue s’ouvre sur un rappel concis des caractéristiques essentielles du maître de Delphes : Guillaume Biard et François Quantin se réfèrent essentiellement aux écrits homériques, l’Iliade et l’Hymne à Apollon en l’occurrence, ce dernier demeurant, comme le soulignent les auteurs à juste titre, la source essentielle du théisme apollinien. L’évocation de l’ouvrage de Marcel Detienne, Apollon le couteau à la main, est particulièrement judicieuse dans le souci qu’ont les auteurs de dresser le profil d’Apollon. Les dernières colonnes mettent en évidence, avec force détails, le caractère polymorphique du dieu.
Très répandu dans le monde grec, le culte d’Apollon va progressivement s’étendre à Rome où le dieu aura une place non négligeable. L’empereur Auguste en fera d’ailleurs l’une de ses divinités protectrices. Il deviendra rapidement le divin garant de la Pax Romana imposée par le nouvel empereur. Les nouvelles conquêtes vont de facto amener à l’émergence de nouveaux cultes dans les territoires conquis. Ce sera bien évidemment le cas dans les trois Gaules, où le culte voué à Apollon est clairement attesté, comme le démontrent Jonas Parétias et Raphaël Clotuche sur la base de vestiges et d’indices archéologiques assez conséquents.
C’est le cas en Normandie où de nombreuses représentations de divinités ont été découvertes. Jonas Parétias, Étienne Mantel et Stéphane Dubois présentent quatre statues qui se démarquent par la qualité et la valeur de leur réalisation : l’Apollon et le Jupiter du Vieil Evreux, le Mercure de Berthouville et celui de Briga.
Ce premier chapitre se termine par une synthèse sur l’Apollon de Lillebonne et sur la triade apollinienne, qui englobe Léto et ses deux enfants.
L’Apollon de Lillebonne est une découverte majeure de la commune normande. Élise Cousin et Caroline Dorion-Peyronnet font, en quelque sorte, un état de la recherche ; c’est une étude menée en 2015 par le Centre de recherche et de restauration des musées de France qui a permis de contextualiser plus précisément la statue dans l’Antiquité : il s’agissait vraisemblablement d’une statue cultuelle bien qu’aucun temple n’ait été déterminé.
La manière dont Tiphaine A. Besnard, en quelques pages, présente le mythe de la naissance des jumeaux divins est particulièrement intéressante : à travers différentes représentations judicieusement choisies, elle nous montre comment les époques se réapproprient les histoires, en fonction des contextes socio-culturels et politiques.
Le deuxième chapitre, intitulé « harmonie apollinienne », s’ouvre logiquement par l’évocation du concept philosophique et esthétique issu de la pensée de Friedrich Nietzsche : le philosophe allemand explore le conflit entre deux principes esthétiques opposés, qu’il associe aux dieux grecs Apollon et Dionysos. Selon lui, l’harmonie apollinienne est liée à Apollon, dieu de la musique, de la beauté, de l’ordre, de la rationalité et de la forme. Ce principe apollinien trouve son expression dans la musique, l’art visuel et la tragédie grecque. En quelques mots, Fabien Bièvre-Perrin nous montre que ce sont ces caractéristiques du dieu que l’on retrouve dans ses différentes réceptions artistiques.
Dans la suite de ce chapitre, les différents auteurs montrent combien, à travers différents moments clés de l’histoire – depuis l’Antiquité jusqu’à l’avènement de Louis XIV, avec une petite parenthèse médiévale – la musique en particulier et l’harmonie en général sont restées les éléments les plus distinctifs de la figure mythique du Cithariste.
Sous l’influence de l’historien allemand Johann Joachim Winckelmann, le dieu devient rapidement le symbole du courant néoclassique. Sophie Schvalberg épingle trois artistes en particulier : le dessinateur et sculpteur John Flaxman, le sculpteur Antoine Bourdelle et le peintre Gustave Moreau. L’autrice en analyse succinctement trois œuvres : l’estampe des Euménides chez Flaxman, le décor du Théâtre des Champs Élysées pour Bourdelle et Apollon et les Muses de Moreau.
Tiphaine A. Besnard et Fabien Bièvre-Perrin bouclent ce chapitre dans des pages qu’ils consacrent à la réappropriation de la lyre par différents artistes de notre siècle et du siècle précédent. C’est le cas, en musique pop, par Madonna au spectacle de la mi-temps du Super Bowl en 2012 et par Lady Gaga pour le livret de l’album ARTPOP en 2013. Dans le champ des arts plastiques et contemporains, quelques œuvres ont retenu l’attention des auteurs, comme une peinture à l’huile de l’artiste grec Achilleas Droungas ou encore des sculptures de Jeff Koons.
Apollon est également le dieu oraculaire par excellence. Les cinq textes de ce troisième chapitre du catalogue abordent cette facette du dieu, dans une chronologie tout à fait appropriée, depuis l’histoire du sanctuaire de Delphes jusqu’à l’univers du jeu vidéo.
Si, dans la mythologie, Zeus est un séducteur invétéré, Apollon n’a rien à lui envier. Il s’agit là du côté obscur du dieu que l’on retrouve dans certains épisodes de son histoire et qui sont le sujet du quatrième chapitre de ce catalogue.
Fabien Bièvre-Perrin a retenu quatre récits significatifs. Il débute son article par l’histoire de Daphné, transformée en laurier par Zeus, pour échapper aux ardeurs du dieu. C’est, comme l’écrit l’auteur, l’histoire la plus ancienne et la plus inspirante pour les artistes à travers les siècles. Il poursuit par l’histoire d’Acanthe qui subit le même sort : ne cédant pas aux avances d’Apollon, ce dernier la transforme dans le végétal qui porte son nom. L’article se termine par l’évocation de Coronis et d’Hyacinthe, tous deux victimes de la jalousie du dieu.
Comme le montre Graziella Pastoré, il semble que tant les colères d’Apollon que ses amours tumultueux aient connu un succès mitigé chez les auteurs médiévaux. Au-delà de la relation de ces récits amoureux, il est intéressant de voir comment ils ont été reçus et interprétés par les écrivains. L’autrice de l’article épingles trois textes de référence : l’Ovide moralisé – ouvrage anonyme – l’Espinette amoureuse – par Jean Froissart – et l’Epistre Othea – par Christine de Pizan.
L’importance que revêtira l’art de la gravure au XVe siècle ouvrira la voie à une distribution plus grande des écrits illustrés des Métamorphoses d’Ovide. Hormis le récit de la punition de Marsyas pour avoir fait preuve d’hybris, c’est l’histoire de Daphné qui est la plus fréquemment illustrée. Au travers de quelques exemples singuliers, Clarisse Évrard nous montre, dans son article, comment les images d’un Apollon violent vont foisonner à partir du XVIe siècle. C’est le cas de l’élimination des Niobides dont l’autrice rappelle l’histoire en quelques mots. Le récit se trouvera illustré tant dans les arts décoratifs que dans la peinture d’histoire.
Comme le dit Sophie Schvalberg, dans l’avant-dernier article de ce chapitre, « le XIXe siècle est une période de massification… des grands chefs-d’œuvre de l’art occidental ». L’autrice a choisi l’histoire d’Apollon et de Daphné pour montrer comment, de la sculpture monumentale du Bernin jusqu’à la Daphné de Zadkine, la nymphe a pris progressivement l’ascendant sur le dieu dans la figuration du mythe.
L’une des principales associations que l’on fait quand on évoque Apollon, c’est avec la beauté et la nudité à laquelle elle s’apparente. L’idéal de beauté qu’incarne le dieu a évolué au fur et à mesure des époques. C’est l’objet de ce cinquième chapitre de l’ouvrage.
De l’Antiquité jusqu’au XXIe siècle, l’association d’Apollon avec le soleil reste très prégnante : c’est ce que nous expliquent Guillaume Biard, François Quantin et Graziella Pastore dans leurs articles respectifs : le dieu y apparaît comme « rayonnant ». Le XIXe siècle marque un tournant dans la production des œuvres d’art. Comme l’écrit Sophie Schvalberg, les artistes assombrissent la divinité pour mettre en lumière ses amours déçues.
Nadège Wolff nous montre ensuite comment, au travers d’une réappropriation complète du modèle antique, le monde du culturisme s’est emparé de la beauté apollinienne pour en faire un idéal masculin.
Dans le dernier article du chapitre, les auteurs s’intéressent à la popularité de l’Apollon du Belvédère : cette célèbre statue est devenue un modèle. Elle est le véritable symbole de la manière dont la figure du dieu a marqué les époques et dont elle a frappé les imaginaires.
Le catalogue se termine par une série d’entretiens très intéressants menés avec différents artistes contemporains autour de la manière dont ils ont été inspirés dans leur appropriation personnelle du mythe apollinien.
L’ouvrage, rehaussé d’une riche iconographie et d’une bibliographie assez exhaustive, offre une perspective multidisciplinaire sur le sujet, en intégrant des approches issues de l’histoire, de la littérature, de l’art et des études culturelles. Les auteurs fournissent des analyses solides et des références précises, ce qui en fait une ressource précieuse pour les chercheurs, les étudiants et tous ceux qui s’intéressent à la mythologie grecque, à la réception des mythes et à la culture populaire.
En conclusion, Qui es-tu Apollon ? De l’Antiquité à la culture pop offre une exploration complète de la figure d’Apollon à travers les époques. Son approche érudite et son examen approfondi de l’influence d’Apollon dans la culture populaire en font un ajout à la littérature existante sur la mythologie grecque et son impact sur notre société contemporaine.
Table des matières
Liste des auteurs, 5
Préfaces, 6
Jean-Benoît Albertini, Virginie Carolo-Lutrot, Christine Déchamps
Remerciements, 8
Introduction générale, 12
Le projet « Juliobona, la cité antique sur la Seine », 14
Élise Cousin, Stéphanie Gobert, Angélique Pariche
Introduction, 20
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin, Élise Cousin,
Jonas Parétias
1. Apollon et les siens, 26
De Délos à Lillebonne, 28
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin, Élise Cousin,
Jonas Parétias
De l’histoire et de la puissance d’Apollon dans l’Antiquité, 30
Guilllaume Biard, François Quantin
De Rome aux Trois Gaules, 56
Jonas Parétias, Raphaël Clotuche
Apollon, Jupiter et Mercure, 64
Jonas Parétias, Étienne Mantel, Stéphane Dubois
Synthèse sur l’Apollon de Lillebonne depuis sa découverte, 70
Élise Cousin, Caroline Dorion-Peyronnet
La triade apollinienne, 76
Tiphaine A.Besnard
2. Harmonie apollinienne, 80
Meilleurs ennemis, Apollon et Dionysos, 82
Fabien Bièvre-Perrin
Apollon et les arts dans l’Antiquité, 84
Guilllaume Biard, François Quantin
L’Apollon grec à l’épreuve du Moyen Âge latin, 90
Graziella Pastore
D’Apollon au Roi-Soleil, 96
Fabien Bièvre-Perrin
Apollon au pinacle, 102
Sophie Schvalberg
La lyre d’Apollon, un attribut divin très actuel, 108
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin
3. Apollon oraculaire, 114
Dans l’antre de la Pythie, 116,
Fabien Bièvre-Perrin, Élise Cousin, Tiphaine A.Besnard,
Jonas Parétias
L’oracle d’Apollon dans l’Antiquité, 118
Guilllaume Biard, François Quantin
L’oracle d’Apollon au Moyen Âge, 124
Graziella Pastore
Apollon oraculaire à l’époque moderne, 130
Clarisse Évrard
Éclatants oracles d’Apollon du romantisme à la Belle-Époque, 136
Sophie Schvalberg
Sexe, mensonge et réseaux sociaux, 142
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin
4. La face sombre d’Apollon, 148
Sombres désirs ou la face obscure du dieu solaire, 150
Fabien Bièvre-Perrin, Élise Cousin, Tiphaine A.Besnard,
Jonas Parétias
Des sombres désirs d’Apollon dans les récits antiques, 152
Fabien Bièvre-Perrin
La face sombre d’Apollon au Moyen Âge, 158
Graziella Pastore
Les ténébreuses affaires de l’Apollon moderne, 164
Clarisse Évrard
Apollon et Daphné, un couple paradoxal de l’âge baroque
au modernisme, 170
Sophie Schvalberg
Du soleil aux ténèbres. Apollon face à Me too, 176
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin
5. Le bel Apollon, 183
Beaux comme Apollon, 184
Nadège Wolff, Fabien Bièvre-Perrin, Jonas Parétias,
Élise Cousin, Tiphaine A.Besnard
D’Apollon Phoibos à Phœbus, 186
Guilllaume Biard, François Quantin
Le bel Apollon au Moyen Âge, 192
Graziella pastore
Apollon au XIXe siècle, soleil voilé, 198
Sophie Schvalberg
Des Lumières aux miroirs de la salle de sport, le corps d’Apollon en construction, 204
Nadège Wolff
Être (un) Apollon, 210
Tiphaine A.Besnard, Fabien Bièvre-Perrin
De l’Apollon du Belvédère à la culture de masse, 216
Fabien Bièvre-Perrin, , Tiphaine A.Besnard,
Élise Cousin Jonas Parétias
Entretiens, 226
Faire revivre Apollon
Entretien avec l’artiste Léo Caillard, 228
Redonner ses couleurs à l’Apollon du Belvédère, 234
Stephen Chappel
L’Apollon pailleté
Entretien avec Pascal Lièvre, 244
L’autre face de l’Apollon prodige.
Entretien avec Rachel Smythe, autrice de Lore Olympus, 250
Annexes, 256
Glossaire, 258
Bibliographie, 260
Œuvres prêtées pour l’exposition, 268
Crédits photographiques, 270
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