Lubliner-Mattatia, Sabine : Le Bronzeland parisien. Un monde disparu. 582 p., grand format (15,7 cm × 23,8 cm × 3,1 cm), ISBN 978-2-84654-600-3, 36 €
(Les Indes savantes, Paris 2022)
 
Reseña de Pierre Vaisse, Université de Genève
 
Número de palabras : 1838 palabras
Publicado en línea el 2023-06-27
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4731
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       Une critique pour commencer, mais marginale : que l’invention en revienne à l’autrice ou à l’éditeur, le terme de « bronzeland », qui relève, apparemment, de ce jargon jadis justement stigmatisé par Étiemble sous le nom de « franglais », ne s’imposait pas !

 

       Cela dit, ce monumental ouvrage, qui reprend en les élargissant plusieurs travaux universitaires de l’autrice, dont une thèse de doctorat soutenue en 2003 devant l’université de Paris iv (aujourd’hui Sorbonne-Université… en franglais ! ) est en tous points exemplaire, ou plutôt le serait si son sujet et surtout les circonstances particulières de sa genèse ne lui conféraient pas un caractère exceptionnel qui lui retire, en partie du moins, sa valeur d’exemple. En effet, le père de l’autrice, Maurice Lubliner (1930-1987) fut un important créateur et éditeur d’objets d’art en bronze, et elle-même était destinée, comme elle l’explique au début de l’Avant-Propos, à reprendre la maison si les circonstances n’avaient pas entraîné la disparition d’une activité qui avait largement contribué, un siècle plus tôt, à la richesse et à la réputation de Paris comme capitale mondiale du luxe. Elle s’orienta donc vers l’étude de cette industrie et de cet art, un univers qui lui était familier dès l’enfance et sur lequel elle disposait, par tradition familiale et par ses contacts, d’une information difficile à réunir pour tout autre chercheur.

 

       Loin d’être écrasée par cette somme de connaissances factuelles précises, elle a heureusement su, ayant été à bonne école auprès de Jean Tulard et de Bruno Foucart, les mettre en œuvre au service d’une véritable vision historique. Surtout, loin de se limiter à la dimension strictement spécifique d’un sujet que d’aucuns jugeront très spécial, elle en aborde tous les aspects, du processus de création des œuvres, donc de l’appel à des sculpteurs célèbres jusqu’à la vie quotidienne des ouvriers ainsi qu’à leur rôle dans les luttes sociales et aux problèmes juridiques de la propriété intellectuelle en passant par l’histoire des styles et l’évolution des techniques de fabrication, chacun de ses aspects se trouvant replacé dans un contexte plus vaste. La seule lecture de la table analytique des matières, longue de huit pages (celle qui est reproduite ci-dessous se limitant aux principales divisions des chapitres, sans détailler leur contenu point par point) donne une idée précise de l’ampleur de l’étude qui, si elle concerne au premier chef l’histoire de l’art sous ses différents aspects, intéresse aussi l’histoire de Paris, de son économie et de son rayonnement, celle du monde ouvrier et des mouvements sociaux ainsi que celle du droit – une telle largeur de vue n’interdisant pas à l’autrice d’apporter à l’occasion des renseignements précis sur certains cas très particuliers, mais significatifs sous une apparence anecdotique : c’est ainsi que l’on apprend (si on ne le savait déjà) que Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des cerises (mais les nouvelles générations connaissent-elles encore cette chanson restée justement célèbre pendant des dizaines d’années ? ), qui fut élu membre de la Commune, étant un ouvrier du bronze – et qu’il appartenait donc à ce milieu parisien qui possédait, en même temps qu’une haute qualification professionnelle, une culture suffisante pour écrire des vers, malgré des conditions de vie qui nous paraissent aujourd’hui inacceptables (p. 435).  

           

       Résumer l’ensemble serait une tâche impossible. Du moins est-il permis de dégager quelques points essentiels, à commencer par la typologie (p. 23-25), d’où ressort l’omniprésence du bronze dans les intérieurs à tout le moins bourgeois du xixe siècle, époque à laquelle « les objets mobiliers en bronze, notamment en bronze doré, […] jouissaient d’un grand prestige », comme le rappelle l’autrice dès le début de l’Introduction (p. 12) : à côté de petites statuettes, il s’agissait de bronzes d’ameublement tels que garnitures de foyer, cadres de miroirs ou de photographies, pendules, petits meubles, surtouts de table, garnitures de cheminée, appliques pour meubles, etc. (p. 23-25). Alors que leur fabrication relevait auparavant de plusieurs corps de métiers, principalement les fondeurs et les ciseleurs-doreurs, ce siècle vit « l’apparition d’un chef, le fabricant de bronze, qui s’attribuait le mérite de toute la chaîne de la fabrication », depuis le choix du dessinateur (quand il ne dessinait pas lui-même) jusqu’à la commercialisation en passant par la fonte, parfois en sous-traitance (p. 37).

 

       La fabrication concernait des objets, les bronzes d’édition (une forme de sculpture) et les bronzes d’ameublement qui s’opposaient, selon la hiérarchie académique de l’art, les seconds relevant de l’artisanat, donc d’une activité d’ordre inférieur. Or en un siècle où la hiérarchie des arts dominait les esprits, il est intéressant de constater qu’en général, les fabricants de bronze ne tenaient pas compte de cette opposition : ils produisaient de petites sculptures comme des bronzes d’ameublement, mais pour des raisons commerciales, les seconds l’emportaient dans l’ensemble de beaucoup sur la petite sculpture en bronze, si l’on excepte l’activité de maisons comme Susse et Barbedienne (p.41-43).

           

       Cette opposition (qui domine encore aujourd’hui l’enseignement universitaire de l’histoire de l’art, lequel repose toujours, quoique ceux qui le dispensent s’en défendent ou n’en aient pas conscience, sur la hiérarchie académique) n’a pas été étrangère à la mauvaise réputation dont a souffert par la suite « plus encore que la petite statuaire en bronze, le bronze d’ameublement du xixe siècle » (p. 15). Cette fortune critique, l’autrice l’analyse plus loin (p. 227-237, 5e chap. de la deuxième partie) en des pages d’une grande pertinence qui mériteraient à elles seules un long commentaire et qui montrent qu’à côté d’une connaissance intime du métier, elle sait également s’élever à des considérations d’ordre plus général sur l’évolution de la discipline ou, si l’on préfère, sur les changements de goût et de doctrine qui l’affectent.

 

       Il en va de même des pages consacrées aux sources d’inspiration stylistique des œuvres, surtout des bronzes d’ameublement : avant de les passer en revue, elle insiste sur la différence que les historiens n’ont pas toujours su percevoir, mais qui était évidente pour les jurys des grandes expositions à l’époque, entre la pure copie et les niveaux de réinterprétation, ce qui l’amène à constater que de nombreux bronzes inspirés par tel ou tel style historique ne peuvent à l’évidence avoir été exécutés qu’au xixe siècle (p. 147). Ce sont là des constatations, fruits d’une minutieuse observation des œuvres, qu’on ne rencontre encore que trop rarement et que devraient méditer ceux qui, encore aujourd’hui, croient devoir dénoncer les produits de l’historicisme comme de pures et simples copies qu’ils sont en fait rarement.

           

       Le contenu du long chapitre sur les sources d’inspiration stylistique (p. 143-174) s’apparente évidemment à ce que l’on sait par ailleurs sur l’historicisme et sur l’éclectisme, mais avec des différences liées à la nature des œuvres en cause, différences qui permettent d’affiner la réflexion sur ces deux phénomènes, la valeur référentielle des différentes époques (et de l’art des différents continents) n’ayant pas été la même pour le bronze que pour l’architecture, la grande statuaire ou telle ou telle forme d’art décoratif.

 

       Mais les historiens de l’art non spécialistes des bronzes parisiens du xixe siècle trouveront à l’occasion d’autres sujets de réflexion dans cet ouvrage d’une grande richesse. C’est ainsi que dans les pages consacrées à la dorure et à la patine des bronzes (p. 196-205), domaine qui pourrait apparaître à la lecture de la table des matières comme purement technique et hautement spécialisé, nous découvrons comment un goût prononcé pour la couleur s’était développé sous le Second Empire et comment celle-ci était jugée par une partie de la critique – constatations dont l’intérêt dépasse largement le cadre de la seule technique et même, plus largement, de l’art du bronze. L’ouvrage de Sabine Lubliner-Mattatia constitue donc un apport à la connaissance de l’histoire de l’art très supérieur à ce que le titre (même en faisant abstraction de ce malheureux Bronzeland) pourrait laisser supposer.

 

                                                           

Table des matières

 

Préface.

Avant-propos.

Introduction générale.

Abréviations.

Typologie des bronzes artistiques

          Bronzes d’ameublement

          Petites sculptures en bronze (dites « bronze d’édition »)

          Garniture de cheminée

          Bronzes d’applique pour meubles

          Bâtiment

Tableau de correspondance des anciens noms de rues de Paris.

 

Partie 1. Les processus de création et de production des bronzes d’art et d’ameublement au xixe siècle.

  1. Fabricant de bronzes. L’organisation d’une nouvelle profession.

    Fabricant, fondeur, éditeur : des fonctions différentes

    Des métiers et des produits complémentaires

  1. Une création partagée.

    La création d’un nouveau modèle : du fabricant artiste au fabricant donneur d’ordres

    Les collaborations artistiques

    La circulation des modèles

  1. Une industrialisation entre permanence et innovations.

    Une stratégie industrielle

     Les différentes étapes techniques et leurs récits

    Trois domaines d’invention

   

Partie 2. Les œuvres et leurs critiques.

  1. Les sources d’inspiration stylistique.

    Éclectisme et accumulation

    Reproduction et interprétation : quatre degrés de rapport au style

Les différents styles

    L’art nouveau dans le bronze

  1. Figure humaine et figure animale : les sujets.

    Quelques pistes pour une typologie de la figure animale dans le bronze d’art et

    d’ameublement

    La figure humaine : typologie des sujets dans le bronze d’art et d’ameublement

  1. La diversité des traitements de surface.

    Les techniques de dorure, d’argenture, de vernis et de mise en couleur

    Les patines

    L’émail

  1. Les combinaisons de matériaux.

    Céramique et bronze

    Cristal et bronze

    Opaline et bronze

    Marbre, marbre-onyx et bronze

    Laque, ivoire, mosaïque, matériaux rares et bronze

  1. Théories et critiques.

    Critiques dénonçant la baisse de la qualité

    Le rapport aux styles anciens

    L’image négative des bronzes du e

 

Partie 3. Les entreprises parisiennes du bronze : un succès industriel.

  1. Une industrie en pleine croissance à partir des années 1820.

    Un contexte économique porteur

    L’essor d’une industrie de luxe

  1. Charges et main-d’œuvre.

    Les différents frais

    Composition des emplois ouvriers

  1. Du Marais au canal Saint-Martin : une concentration d’entreprises conquérantes.

    Un réseau industriel

    Déposer et innover : le modèle, un actif stratégique à protéger

    Un système productif localisé

    La clientèle et la politique commerciale

    Une large ouverture sur les marchés mondiaux

  1. Un réseau étendu.

    Les fabricants de bronzes d’imitation

    Les fondeurs

    Les façonniers, une nébuleuse de sous-traitants

    Les façonniers, diversité des situations

 

Partie 4. Patrons et ouvriers.

  1. Les patrons.

    Les origines des fabricants de bronze

    Les succès

    Les échecs

    Les relations avec leurs ouvriers

  1. Les ouvriers.

    Les salaires

    Les conditions de travail

 

  1. Le rôle des ouvriers du bronze dans le mouvement ouvrier.

    Des structures coopératives ou mutualistes

    Les conflits

    Les activités politiques et syndicales des ouvriers du bronze

    Principales figures du mouvement ouvrier dans le bronze

 

Partie 5. La RFB, action syndicale et lutte contre la contrefaçon.*

*[RFB : Réunion des fabricants de bronze de Paris et des industries qui s’y rattachent]

  1. Le rôle syndical prépondérant de la RFB.

    Du maître au fabricant : une mutation professionnelle accompagnée par la RFB

    La RFB, une gouvernance locale

    De l’ouvrier à l’industriel : une nouvelle identité sociale cultivée par la RFB

    Confiance et bienfaisance : l’ascendant de la RFB

    Le rôle de la RFB dans l’enseignement artistique

  1. Le bronze et la propriété intellectuelle : un siècle d’incertitude juridique.

    Les lois en vigueur

    Principales décisions de justice liées à la détermination de la loi de référence

    Principales décisions de justice non liées à a détermination de la loi de référence

    Analyse des décisions de justice concernant les bronzes

    La propriété des modèles

    Les contrefaçons dans les bronzes

  1. Le rôle juridique de la RFB.

    L’action de conciliation de la RFB

    L’action en faveur d’une clarification législative

    Les polémiques

    L’évolution ultérieure de la législation

Conclusion.

Bibliographie.