Louvi-Kiz, Aspasia : La rencontre pacifique de deux mondes chrétiens. Les monastères de la Péribleptos et de la Pantanassa à Mistra. 418 p., ISBN : 978-2-86958-574-4, 45 €
(École française d’Athènes, Athènes 2022)
 
Compte rendu par Jean-Michel Spieser, Université de Fribourg
 
Nombre de mots : 2148 mots
Publié en ligne le 2024-04-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4675
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       Il est à peine besoin de dire qu’un livre sur l’architecture de deux monuments importants de Mistra comble une lacune importante des études byzantines. Il est agréable aussi de voir la publication de ce volume dans une collection de l’École Française d’Athènes, ce qui symbolise le nouvel intérêt de l’École pour les relations entre Byzance et le monde occidental. Il y eut certes un lointain précurseur, plutôt oublié, Jean-Jacques Armingaud (1841-1889) qui s’intéressa aux relations entre Venise et l’Orient. Beaucoup plus tard, on trouve Antoine Bon (1901-1972) qui, devenu membre de l’École en 1924, fit sa thèse sur les fortifications de la Morée franque, thèse publiée seulement en 1969. Le livre d’Aspasia Louvi-Lizi est donc doublement bienvenu.

 

       Les deux monuments concernés sont parmi les mieux conservés de Mistra tant du point de vue de l’architecture que pour les peintures qui sont évoquées dans ce livre quand il le faut, mais ne sont pas son objet principal. Ce sont aussi deux monuments construits à des moments importants de l’histoire de Mistra (et de l’empire byzantin) où les liens sinon avec l’Occident proprement dit, mais, comme il va être montré, avec les Occidentaux présents en Orient, jouent un rôle important, ce qui est un thème essentiel de ce livre, avec, en particulier, un point fort, la proposition d’une nouvelle datation de la Pantanassa.

 

       Après ce que l’on pourrait désigner comme trois chapitres introductifs (l’autrice les appelle Introduction, puis Chapitre 1 et Chapitre 2), le livre se poursuit par deux chapitres, chacun consacré à un des monastères évoqués par le titre, un cinquième chapitre concluant le volume.

 

       Dans une brève introduction, p. 1-4, l’autrice fait un historique de la recherche sur Mistra et, surtout, pose les questions auxquelles elle veut répondre dans son livre. Dans un chapitre 1, également bref, p. 5-7, elle rappelle les faits historiques qui vont être importants pour la suite de sa réflexion en se concentrant sur l’arrivée de Manuel Cantacuzène, deuxième fils de Jean VI Cantacuzène, comme despote à Mistra, et sur son mariage avec Isabelle de Lusignan. C’est à la vie de celle-ci qu’est consacré le chapitre 2 du livre, bien plus long que les précédents, p. 9-22. Cette place qui lui est laissée donne tout de suite à entendre qu’Isabelle de Lusignan va jouer un rôle essentiel dans la problématique que l’autrice met en place.

 

       Le long chapitre 3 (p. 25-78) est entièrement consacré à la Péribleptos ; sa consultation reste aisée grâce à une table des matières très détaillée et une présentation typographique qui met en évidence ses articulations. Il commence par une description très précise des bâtiments, vestiges des bâtiments monastiques, katholikon, bâtiments annexes, avec de nombreux renvois aux illustrations qui servent de soutien aux descriptions. L’abondance et la qualité de l’illustration, tant graphique que photographique, méritent d’être relevées. Il aurait sans doute été plus facile pour le lecteur d’avoir au moins les plus importantes de ces illustrations, surtout lorsqu’il s’agit de dessins au trait, intégrées dans le texte. En complément nécessaire de cette description, l’autrice revient sur les campagnes de restauration en recourant en particulier aux archives de Millet. Quelques pages, elles aussi nécessaires, sont consacrées aux voyageurs depuis les visites de Cyriaque d’Ancône jusqu’à la fin du XIXe siècle, avec une insistance particulière sur les informations données par l’abbé Michel Fourmont, qui visita Mistra en 1730 pour relever des inscriptions. Cette insistance annonce l’importance qui dans la suite du livre sera donnée à la lecture et à l’interprétation des inscriptions, en particulier pour la Pantanassa. En fait, les inscriptions n’apportent pas d’information fondamentale pour l’histoire de la Péribleptos (p. 50-54).

 

       Une attention plus soutenue est accordée aux blasons visibles dans le monument, dont les motifs sont liés aux fondateurs ; l’autrice conclut de la présence de deux lions dans un blason de Manuel Cantacuzène à la volonté d’y associer Isabelle de Lusignan. Ces observations seront en fait mises en valeur plus loin dans le livre (p. 71 sqq) où l’autrice discute de manière plus approfondie des fondateurs. Ces pages sur les blasons achèvent en quelque sorte la partie descriptive pour laisser la place aux conclusions qui peuvent en être tirées.

 

       La première série de ces conclusions porte sur l’évolution architecturale de la Péribleptos, essentiellement du katholikon. L’autrice distingue trois phases de construction. Pour la première, elle confirme que le katholikon a été construit avant la chapelle Agia Aikaterini et que la tour n’est pas antérieure au katholikon. Dans une deuxième phase, la porte Ouest est condamnée, travaux sans doute dus à Léon Mavropappas. Sous troisième phase, l’autrice met en évidence toutes les transformations effectuées à l’époque postbyzantine jusqu’au XVIIIe siècle.

 

       Sont ensuite mises en évidence les particularités architecturales du katholikon qui reprend le même plan que l’Evangelistria et Agia Sophia, mais sans narthex à cause de la configuration du terrain. Comme dans d’autres églises de Mistra, le bel appareil cloisonné se limite aux endroits visibles, tandis que l’ensemble de la construction est plutôt rudimentaire. L’autrice note aussi a présence de motifs occidentaux dans l’architecture, thème qui sera développé dans les pages qui forment la véritable conclusion de la partie consacrée à la Péribleptos, sous le titre « Les fondateurs et la rencontre originale de deux dogmes religieux » (p.71-78).  L’autrice montre de manière convaincante que les parallèles aux éléments occidentaux de la Péribleptos ne sont pas à chercher dans les églises franques du Péloponnèse, ni directement en Occident, mais à Chypre, ce qui peut s’expliquer par le séjour à Chypre d’Isabelle de Lusignan, qui, rappelons-le, avait passé son enfance à la cour de Constantinople avec son père Guy de Lusignan, un proche d’Andronic III.

 

       Dans la partie consacrée à la Pantanassa, l’autrice suit à peu près le même plan. Après une brève introduction qui permet de voir qu’elle veut en particulier montrer que la date généralement attribuée à ce monastère, 1428, n’est pas assurée, elle fait une description très précise du monument (p. 80-89), puis discute des différentes phases de restauration dont les plus anciennes, sans doute importantes, sont difficiles à mettre en évidence. Un long chapitre est consacré aux inscriptions. Plusieurs inscriptions indiquent comme fondateur Jean Frangopoulos, protostrator. L’autrice dans ces pages, règle, définitivement, me semble-t-i, le problème de la date de 1428 en montrant que l’inscription copiée par Michel Fourmont, dont une partie a été retrouvée, avait été gravée à une époque postérieure sur une plaque paléochrétienne utilisée comme antimension et qui fut, par la suite, réemployée comme plaque d’autel à la Pantanassa. La discussion autour de l’identité du donateur Jean Frangopoulos est complexe, mais la conclusion de l’autrice qui l’identifie à un Jean Frangopoulos attesté en 1444 dans un argyrobulle de Constantin Paléologue semble être une bonne solution. Avant de voir la signification de cette date pour l’histoire du monastère, l’autrice examine les différentes phases de construction de la Pantanassa (p. 106-123).

 

       D’après les observations de l’autrice, l’église actuelle était précédée d’une église en croix inscrite à quatre colonnes, surmontée d’une coupole plus petite, avec un portique ouest et un portique nord. Le clocher a été ajouté postérieurement dans une deuxième phase en même temps que l’adjonction d’un étage au narthex. Comme pour les éléments occidentaux de la Péribleptos, l’autrice trouve des parallèles à Chypre plutôt qu’en Occident. L’étude du clocher entraîne une comparaison avec l’Odigitria de Mistra et une révision de certaines interprétations sur la construction du clocher de cette église, qui ne serait peut-être pas due à Pacôme (p. 115-116). Ce clocher a été ajouté à l’église de la première phase, qui reçoit aussi un nouveau décor avec des éléments « occidentaux » sur sa façade est. La troisième phase voit la transformation de l’église primitive en église de type « mixte », et lui donne son aspect actuel, donc avec un plan basilical au niveau inférieur et une structure en croix inscrite au niveau supérieur. On retrouve cette transformation à la Métropole de Mistra et dans l’église des Saints-Apôtres à Leontari en Arcadie, qui avait été publiée par A. Louvi-Lizi en 2007 dans le Deltion tis christianikis archaiologikis Etaireias. Cette transformation est attribuée à Frangopoulos, qualifié de fondateur sur des monogrammes (p. 119-120). Dans ces pages, 118-123, l’autrice n’examine que les aspects techniques de la transformation de l’église. Le contexte historique et les circonstances de cette transformation sont examinés dans les pages suivantes sous le titre « À la fois monastère de la Pantanassa et monastère Zoodotou »

 

       Dans ces pages, l’autrice s’efforce de démontrer que l’identification proposée par M. Chatzidakis entre le monastère Zoodotou et l’Agia Sophia de Mistra n’est pas fondée. Elle propose que Manuel Cantacuzène a fondé à Mistra la Péribléptos, Agia Sophia et le monastère du Christ Zoodotou. Ce dernier point est établi par un sigillion de 1365, qui, en plus, détache ce monastère de la juridiction de la métropole de Mistra et le rattache directement au patriarcat.

 

       La troisième phase de la Pantanassa est mise en relation avec la période où les Paléologues ont remplacé les Cantacuzène à la tête du despotat de Mistra. C’est dans le cadre de cette transformation que le monastère reçut sa nouvelle dédicace à la Pantanassa. La transformation de la Métropole en église du type mixte, due à un métropolite Matthaios attesté en 1442 (p. 139) et celle de la Pantanassa due au protostrator Frangopoulos, attesté en 1444, ont donc dû avoir lieu vers la fin du despotat de Théodore II Paléologue. Cette transformation se fait à l’imitation du plan de l’Odigitria de Mistra qui a été directement construite de cette manière et n’est pas le résultat d’une transformation, peut-être en anticipation d’une visite d’Andronic II, pour permettre à l’empereur de suivre la liturgie dans les mêmes conditions qu’à Constantinople. L’imitation de ce type à Mistra aux environs de 1440 serait liée, d’après l’autrice, à l’éventualité du transfert du siège de l’empire à Mistra. La fin de cette partie s’intéresse à l’histoire du monastère postérieure à la reddition de Mistra en 1460.

 

       Un dernier chapitre est intitulé Architecture et pouvoir (p. 147-158). Une première partie est consacrée à l’œuvre de bâtisseur de Manuel Cantacuzène et d’Isabelle de Lusignan. L’autrice leur attribue, dans une argumentation qui paraît solide, la construction du palais. Mais les remaniements successifs et une restauration récente rendent difficile une vérification précise des phases de sa construction. Agia Sophia aurait été construite avant l’arrivée d’Isabelle, mais celle-ci joue un rôle dans sa transformation en chapelle du palais. La Péribleptos, alors située en-dehors des remparts, a pu servir pour les fidèles Latins de Mistra (l’auteur a noté que, dans sa première phase au moins, il n’était pas possible de passer derrière l’autel). Les aménagements permettant d’accéder à la tribune au-dessus du narthex, tant à la Péribleptos qu’à la Pantanassa, sont dus à une décision « politique » pour reprendre l’expression de l’autrice. Les éléments occidentaux aussi bien dans le palais que dans les églises seraient dus à la présence d’Isabelle de Lusignan. L’autrice insiste, à juste titre me semble-t-il, sur le fait que les deux églises en question ne peuvent pas être considérées comme des églises franco-byzantines comme il s’en trouve ailleurs dans le Péloponnèse, résultant d’une longue cohabitation entre Francs et Byzantins et d’une assimilation progressive, ce qui n’était pas le cas à Mistra quand Manuel Cantacuzène était despote. À Mistra, il s’agit d’une importation de Chypre où cette assimilation progressive avait pu se faire. La présence d’Isabelle de Lusignan n’aurait peut-être pas suffi pour imposer ces innovations, mais elles sont liées à la politique pro-occidentale du despotat, liée à celle de Jean V.

 

       Ce bref résumé essaie de montrer qu’Aspasia Louvi-Kizi a écrit un livre important qui, d’une part, permet une connaissance architecturale approfondie de deux monuments essentiels de Mistra et propose, pour l’un d’entre eux, la Pantanassa, une nouvelle datation, d’autre part a le mérite de ne pas s’en tenir à un niveau strictement archéologique, mais d’aller au-delà en mettant en relation ces monuments avec un contexte politique et religieux très précis.

 

 

Sommaire

 

Préface de Véronique Chankowski

Avant-propos

Abréviations

 

Introduction

 

Chapitre 1 – Les faits historiques

 

Chapitre 2 – La vie d’Isabelle de Lusignan, dite aussi Ζαμπεασ ντε Λεζηναω ou Marie-Marguerite

 

Chapitre 3 – Le monastère de la Péribleptos

Topographie : les ruines des bâtiments monastiques

Le Katholikon

Les bâtiments annexes

La chapelle Agia Aikaterini

La chapelle Agios Panteleimon

La chapelle Agia Paraskevi

Le narthex

Le clocher

La tour

Les campagnes de restauration

Les voyageurs

Les inscriptions

Les blasons

Les phases de construction de la Péribleptos

Première phase de construction

Deuxième phase de construction

Troisième phase de construction

Les particularités de l’architecture du monument

Les fondateurs et la rencontre originale des deux dogmes religieux

 

Chapitre 4 – Le monastère de la Pantanassa

La topographie

Description du Katholikon

Les campagnes de restauration

Le pavement

Les inscriptions

Qui était, en fin de compte, le protostrator Ioannis Frangopoulos ?

Les Phases de construction de la Pantanassa

Première phase de construction

Deuxième phase de construction

Troisième phase de construction

À la fois monastère de la Pantanassa et monastère Zoodotou

 

Chapitre 5 – Architecture et pouvoir

L’œuvre de bâtisseurs de Manuel Cantacuzène et d’Isabelle de Lusignan

 

Chronologie

Sources et bibliographie

Index des principaux noms

Table des illustrations

Table des matières