Bonneterre, Daniel: Banquets, rations et offrandes alimentaires au Proche-Orient ancien: 10 000 ans d’histoire alimentaire révélée. 410 pages, ISBN 1789699754, 9781789699753, £55.00
(Archaeopress, Oxford 2021)
 
Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain
 
Nombre de mots : 1760 mots
Publié en ligne le 2023-06-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4673
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       Comme l’écrit l’auteur lui-même dans son avant-propos, c’est dans l’aventure de l’alimentation au Proche-Orient du troisième millénaire avant Jésus-Christ que nous plonge Daniel Bonneterre. C’est principalement autour du banquet royal qu’il a mené sa recherche, se posant la question de savoir comment on pouvait organiser un tel événement, il y a de cela 3000 ans.

 

       Après avoir délimité sommairement son terrain d’analyse, Daniel Bonneterre pose une question simple en apparence, mais dont le champ de réponse est fort large : « Qu’est-ce que manger ? ». Ce geste, écrit-il, exige un minimum de définition. Il s’agit tout d’abord d’une action naturelle qui répond à un impératif biologique. Mais elle entraîne plusieurs dimensions cachées. Partant de ce constat, l’auteur nous amène progressivement vers le processus alimentaire en Mésopotamie : du repas quotidien au banquet, en passant par le repas pris dans un contexte cultuel. L’occupation de l’espace convivial répond à des modes et à des traditions bien particulières qui remontent à un passé très lointain. 

 

       Et c’est précisément sur les origines lointaines de la table que porte le second chapitre de l’ouvrage. L’objectif de l’auteur, dans cette digression assez singulière dans une étude de ce type, est de témoigner d’une permanence dans les rites et dans les pratiques alimentaires. C’est dans cette perspective que, de manière assez précise, il analyse les données de la Préhistoire. La naissance de l’agriculture a été une véritable révolution. En raison de changements environnementaux majeurs, l’écosystème, de la Turquie à l’Irak, a été favorable à l’homme : le développement de graminées sauvages comestibles va être à l’origine de la première agriculture. Le constat fait par le chercheur est clair : les innovations techniques majeures, les manières de consommer, les techniques de cuisson et les pratiques culinaires allaient considérablement évoluer. Cette évolution qui modifiera considérablement le mode de vie des habitants.

 

       Dans ce contexte, la première contrainte pour l’autorité en place, était de nourrir la cité et par là même, s’assurer du bien-être de tout un chacun. C’est l’objet du chapitre suivant. L’auteur passe en revue les différentes obligations de l’administration, quand il s’agissait pour elle de procéder à une distribution de nourriture à grande échelle. Qu’il s’agisse des ouvriers et des artisans, des voyageurs, des troupes ou même du pays tout entier, il a fallu mettre en place des procédures dont on a pu préciser le fonctionnement grâce aux nombreux textes administratifs, découverts principalement à Ebla et à Mari. De facto, le roi mésopotamien se trouvera dans l’obligation de garantir au pays profusion et opulence. Il se distinguera donc par sa capacité à « donner ». Le roi sera celui qui « fera vivre le pays », comme va l’expliciter l’auteur dans le cinquième chapitre.

 

       Les textes - inscriptions royales tout autant que les archives du palais de Mari montrent à l’envi que le roi assure à son peuple l’abondance dans la nourriture. Il s’agit là d’un devoir princier. En outre, pourvoir à la subsistance est un des fondements du système de valeurs antique. Le monarque révèle ainsi l’ampleur de son pouvoir temporel. En tant que représentant des dieux sur terre, il est tenu de manger comme eux, à savoir avec appétit, voire même avec gourmandise, démontrant ainsi sa puissance et le soutien que les dieux lui accordent.

 

       Dès lors, le repas du roi aura une importance capitale et revêtira un caractère particulier : véritable événement culturel et politique, il sera institué, comme l’attestent les nombreuses sources documentaires – listes de denrées et dossier comptables pour la plupart - essentiellement en provenance de Mari.

 

       Même si la Mésopotamie disposait d’abondantes récoltes, elle a dû faire face à des crises frumentaires périodiques et récidivantes. L’auteur le souligne dans ce sixième chapitre : les interruptions d’approvisionnement sont monnaie courante. Le texte intitulé « lamentation sur Sumer et Ur » est le parfait témoignage d’une crise alimentaire majeure, qui frappa la ville d’Ur. Il est intéressant de lire, dans ce récit comme dans d’autres du même genre, combien la peur de mourir de faim a pris une grande place dans l’imaginaire collectif. Les archives de Mari évoquent régulièrement les crises alimentaires auxquelles le royaume a dû faire face. Riche de la documentation à sa disposition, l’auteur constate que ces crises ont frappé toute la région, depuis la Babylonie jusqu’en Phénicie et en Judée, en passant par l’Assyrie.

 

       Le chapitre suivant est consacré aux très nombreuses fêtes qui marquaient les moments forts de la vie proche-orientale. À partir d’une documentation fournie, Daniel Bonneterre nous donne une image très complète de ce qu’étaient ces moments de convivialité empreints d’une certaine démesure, difficilement compréhensible dans le monde occidental moderne. Mais comme le souligne l’auteur, il est essentiel de replacer le banquet traditionnel asiatique dans une perspective objective : donner un festin, c’est faire montre de pouvoir et de richesse.

 

       Les Mésopotamiens, sensibles à l’hygiène et à la santé, s’entouraient de toutes les précautions possibles pour s’assurer que ce qu’ils mangeaient était comestible. C’est le sujet du huitième chapitre. Sur base, entre autres, des textes mythologiques, l’auteur nous précise qu’il y avait, ainsi, une distinction marquée entre une « nourriture » de vie et une « nourriture de mort ». Et pour un certain nombre de personnes, le régime alimentaire était en étroite relation avec le cycle des saisons en particulier et avec l’ordre cosmique, en général. L’auteur débute ce chapitre par une explication détaillée de ce qui se retrouvait au menu de la table royale. Il s’arrête ensuite sur un aliment emblématique : le criquet. Cet insecte était très prisé moins pour ses valeurs nutritives que pour son rôle de talisman ou comme symbole des fonctions remplies par un messager. Il termine ce chapitre en expliquant qu’il existait au Proche-Orient, comme partout ailleurs, des restrictions sur certains aliments. La nourriture était répartie en deux groupes distincts : celle qui était rejetée de manière permanente et celle qui faisait l’objet de restrictions momentanées. Mais l’auteur précise qu’il est difficile de percevoir la logique de ces « précautions » alimentaires.

 

       Les plantes prenaient une part non négligeable dans l’alimentation générale. L’auteur détaille leurs usages dans le chapitre qu’il consacre à l’alimentation végétale. Différentes céréales, dont l’orge, étaient utilisées pour la fabrication du pain et de la bière. Au potager, ce sont les nombreuses légumineuses qui ont la cote : lentilles, pois chiches et vesces sont les plus appréciés, compte tenu de leur apport en fibres et en glucides et de la longévité de leur conservation. En outre, ils étaient bon marché. À cela s’ajoutent les légumes verts et les fruits dont l’auteur cite les plus consommés : la bette, le céleri, l’oignon, la pomme, la grenade, la figue et la datte. Celle-ci est, par ailleurs, le fruit qui personnalise le mieux la civilisation mésopotamienne : elle occupe une place prépondérante dans l’économie générale du royaume.

 

       Les substances de transformation, l’alimentation carnée et les boissons alimentaires font l’objet des trois chapitres suivants. Dans la nourriture transformée, nous retenons la part importante que Sumériens et Akkadiens accordaient au fromage. Il existait plusieurs variétés de fromages. Le cendré à croûte dorée était particulièrement prisé : composé à partir de lait de vache, il était riche en lipides. Les huiles et la graisse jouaient un rôle important dans la cuisine, tant pour la cuisson que pour l’assaisonnement des légumineuses.

 

       En Mésopotamie, comme dans toute l’Antiquité d’ailleurs, la viande est un symbole riche de sens, car elle confère, à celle ou à celui qui la consomme, une extraordinaire vitalité. Parmi les croyances, la plus répandue est celle selon laquelle la viande transmet aux consommateurs des qualités particulières : c’est ainsi que la viande bovine est assimilée à la puissance et à la force. Mais la viande reste un mets privilégié que l’on ne retrouve, en permanence, qu’à la table des dieux et des rois. Comme dans toute société traditionnelle, la Mésopotamie attachait une grande importance à la vie pastorale. Posséder un important cheptel apportait la garantie d’une certaine autarcie alimentaire. Sur base de documents administratifs, l’auteur démontre l’ampleur de certains troupeaux dont la composition pouvait atteindre plus de cent mille têtes. De tout le cheptel, c’est le bœuf gras qui est considéré comme l’animal le plus noble. On le retrouve principalement au moment des fêtes ou des cérémonies sacrificielles.

 

       Tout comme la pêche et la cueillette, la chasse est une activité fort prisée dans les hauts rangs de la société mésopotamienne. Comme le souligne l’auteur, elle n’a aucun objectif alimentaire. Elle permettait au chasseur d’exhiber sa vaillance et sa puissance.

 

       Dans ce chapitre consacré à l’alimentation carnée, nous épinglerons deux types d’animaux comestibles dont l’auteur fait état : les porcs et les volatiles. Les premiers sont source de répulsion, comme l’attestent les textes assyriens retenus par Daniel Bonneterre. Ils feront donc l’objet de restrictions drastiques dans leur consommation ; quant aux volatiles, ils figuraient très souvent à la table des souverains d’Ur, tant pour des motifs symboliques que culinaires.

 

       Au rayon des boissons, l’eau potable, la bière, le vin et le lait ont, chacun et chacun, une valeur bien spécifique : l’eau est une priorité absolue, la bière, aisément élaborée, est la boisson idéale et le vin est un produit d’exception.

 

       L’avant-dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à la cuisine. Nous y apprenons qu’elle correspondait à des principes multiples, mêlant diététiques, médecines et croyances et à des normes établies par une tradition ancestrale. C’est sur base d’un corpus d’une trentaine de recettes que l’auteur nous donne quelques éléments de compréhension de la cuisine orientale antique. Ces procédés culinaires sont de véritables prescriptions relevant de la pratique rituelle et établissant, de manière très précise, les règles à respecter.

 

       L’ouvrage se termine par une conclusion, réelle synthèse du chemin parcouru par l’auteur, entre la préhistoire et le Ier siècle avant notre ère, pour démontrer les progrès aussi bien techniques que sociaux.

 

       Ce volume est de très haute facture et s’adresse à un large public. La documentation est riche, variée et bien utile à la compréhension des concepts évoqués. L’ouvrage est rehaussé d’une bibliographie sélective très complète et d’un index.

 

 

Table des matières

 

Citations

Table des Matières i

Table des cartes vi

Avant-Propos vii

Remerciements viii

Notes sur les transcriptions x

Notes sur la chronologie xi

Cadre géographique xii

Table des abréviations xiii

Introduction xv

Alimentation et identité, cadre culturel 1

Les lointaines origines de la table. Du sauvage au domestique 3

Naissance de l’agriculture, révolution symbolique et alimentaire 40

Nourrir la cité 90

Le roi nourricier 125

Les durs temps de la famine 153

Que la fête commence !

La diète et sa perception sur la santé 184

L’alimentation végétale 201

L’alimentation prodigieuse et les substances de transformation 222

L’alimentation carnée 245

Les boissons alimentaires 302

Le détour par la cuisine 325

Conclusion 346

Bibliographie sélective 350

Index