Krings, Véronique (dir.) : L’Antiquité expliquée et représentée en figures, de Bernard de Montfaucon. Histoire d’un livre, (Scripta Receptoria, 19), 717 p., coffret 2 volumes et 1 carnet, ISBN : 9782356134226, 45 €
(Ausonius Éditions, Bordeaux 2021)
 
Reseña de Alexis D’Hautcourt, 関西外国語大学, Kansai Gaidai University
 
Número de palabras : 2154 palabras
Publicado en línea el 2023-10-17
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4630
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       Par la beauté de son coffret, l’originalité de ses illustrations dessinées, ainsi que par la qualité de la reproduction des planches de L’Antiquité expliquée (dorénavant abrégée AE), l’ouvrage ici recensé est un bel hommage à Bernard de Montfaucon. Par contre, le frère mauriste n’a pas été suivi en ce qui concerne la rigueur de l’organisation des volumes ; la direction scientifique a été minimale, le plan n’est pas clairement expliqué, et les renvois d’un article à l’autre sont presque absents (cela cause une réelle confusion pour la présentation et l’analyse de l’Aiôn, statue du musée départemental de l’Arles antique, objet de l’article d’Alain Charron, p. 401-413, mentionnée dans une correspondance de 1717 reproduite et commentée p. 122-124 par Cavalier, discutée par Aufrère p. 344-348 et p. 405-406 et par Latteur p. 322-323). Toutefois, la qualité de certains articles et les index finaux en font une étape importante dans l’étude de l’œuvre de Montfaucon, parallèle aux récentes monographies sur les Monumens françois, qui sont disponibles en ligne (Fleur Marçais, Dalle lettere al libro. La nascita dei Monumens de la Monarchie françoise di Bernard de Montfaucon [Turin, 2017] ; Claude-Jacqueline Giauffer, Bernard de Montfaucon (1655-1741). Les monumens de la monarchie françoise qui comprennent l’histoire de France avec les figures de chaque règne que l’injure des tems a épargnées. Une histoire visuelle de l’Histoire nationale [Thèse de doctorat, Université de Lille, 2021])

           

       L’Antiquité expliquée de Bernard de Montfaucon est une entreprise fascinante, par son mélange de nouveauté, avec son ouverture au-delà du monde gréco-romain, ses extraordinaires planches d’illustrations, l’originalité de son financement, première souscription pour un livre en France, et de conservatisme, avec ses défauts méthodologiques et sa fréquente incapacité à analyser les images présentées, parfois jugés un peu sévèrement au prisme des progrès méthodologiques en histoire de l’art et en archéologie. En extrapolant sur la présentation de Grell, on peut aussi y déceler des caractéristiques similaires à celles des réseaux sociaux électroniques contemporains : les correspondants de Montfaucon lui envoient des images pour voir leurs noms mentionnés dans ses volumes, forger leur réputation et accroître leur prestige social auprès de leurs pairs. L’œuvre d’érudition est aussi une grande fabrique de vanité. Comme j’écris depuis le Japon, où deux exemplaires de AE sont conservés dans des bibliothèques universitaires, il me semble qu’une autre critique que l’on pourrait faire à Montfaucon est son absence totale d’intérêt pour les régions du « nouveau monde » que parcourent alors les Européens. Alors que Rogé parle dans sa contribution (p. 19-20) de la relation pacifiée de Montfaucon avec le paganisme, on ne peut que penser aux efforts des Jésuites en Amérique et en Asie à se confronter aux religions non européennes, qui sont remarquablement absentes du « Discours préliminaire sur l’origine de l’idolâtrie et sur l’idée que les païens avaient de leurs divinités » qui ouvre l’ouvrage de Montfaucon.

           

       Tous les articles du volume ici recensé sont intéressants et plaisants à lire. Face à leur nombre, je ne peux dire ici que quelques mots de ceux dont la lecture me semble la plus féconde. En préalable, il faut attirer l’attention sur les contributions de Juliette Jestaz issues de sa thèse de l’École des Chartes (1995) : trois articles et le livret joliment illustré par Alain Maes sur la « Chronologie de l’édition de L’Antiquité expliquée », futur outil de référence. Il faut ajouter, également du clavier de Jestaz, la très pratique base de données en ligne des souscripteurs : http://el.enc-sorbonne.fr/montfaucon, qui ouvre des possibilités de recherches futures (par exemple, qui sont les 12 femmes, sur un total de 566 personnes identifiées, qui ont participé au financement de ces volumes ?) ou de comparaisons avec d’autres contributions du volume (11 professeurs seulement sont identifiés parmi les souscripteurs, un faible nombre à rapprocher des réflexions de François de Callataÿ sur le peu de contacts de Montfaucon avec les grands numismates de son époque).

 

       Même si je n’en partage pas toutes les conclusions et approches, l’article d’Alain Maes (et Bernard Minguet), « Des gravures sous les feux de la rampe », p. 225-276, me semble le plus stimulant du volume. Ses explications sur les techniques d’impression sont enrichies de dessins originaux, parfois dans un style de bande dessinée humoristique, particulièrement clairs. Les explications sur la différence entre la gravure au burin et l’eau-forte sont lumineuses, les réflexions sur le calendrier et les délais de production des pages de texte et des planches d’illustration, parfois dans un esprit d’archéologie expérimentale, sont fructueuses. La présentation des défauts d’impression et de dessin de certaines planches de l’AE fait mouche, même si on peut la juger sévère. Mes réserves sur cet excellent article portent sur les points suivants : Maes a la conviction que les graveurs mentent à Montfaucon en prétendant travailler quatre fois plus longtemps que ce qu’ils font et que le Mauriste ne voit pas la différence au niveau des qualités de travail. Ici, il me semble que Maes pèche par un défaut que l’on peut voir diffus à travers beaucoup d’études sur Montfaucon, que j’appellerais le « mythe du grand homme ». Or Montfaucon ne travaille pas seul ; il a des assistants dans sa congrégation et, sur le point que Maes soulève, je ne vois pas comment les libraires éditeurs pourraient avoir ignoré ou appuyé toute tentative d’escroquer Montfaucon, d’autant que l’un d’entre eux au moins, Pierre-François Giffart, était lui-même graveur et parfaitement apte à juger du travail fourni par les illustrateurs. Je ne peux pas non plus suivre Maes quand il écrit, p. 267, « De mon point de vue, il manque une embardée poétique aux images du Bénédictin qui tire le minimum syndical de ses croquis “bon marché”. », car, en se concentrant sur les images individuelles, il omet l’aspect fascinant, original et presque hypnotique de l’accumulation des gravures sur une même planche leur donnant un rythme propre, qui permet aux lecteurs de donner libre cours à leur imagination, sans doute au-delà de ce que le Bénédictin avait anticipé (un bon exemple est fourni par ce qu’en fait Dandré-Bardon, finement analysé par Laëtitia Pierre et Markus A. Castor, « Relire Bernard de Montfaucon. L’enjeu artistique et pédagogique de L’Antiquité expliquée dans l’œuvre du comte de Caylus et de Michel-François Dandré-Bardon (1752-1774) », p. 551-580, en particulier p. 576 s.).

 

       L’article de Sydney H. Aufrère, « La réception de l’Égypte classique et gréco-romaine chez Bernard de Montfaucon et ses perspectives au début du XVIIIe siècle », p. 329-399, avec ses 364 notes, paraît proche de l’exhaustivité (ajouter toutefois le masque funéraire reproduit dans AE III 2, pl. 147, confusément, dans un chapitre sur les masques de théâtre) et me semble promis à être l’article de référence sur le rôle capital qu’a joué Montfaucon dans l’histoire de l’égyptologie. Olivier Latteur, « Bernard de Montfaucon et le culte de Mithra. Approche historiographique, méthodologique et critique », p. 311-327, est également clair et précis (ajouter à la discussion la lampe présentée AE V 2 pl. 190 et p. 229).

           

       L’article de Vivien Barrière, « L’archéologie du bâti confrontée aux travaux des antiquaires. Bernard de Montfaucon et les antiques d’Autun », p. 491-517, est extrêmement intéressant, naturellement vis-à-vis de ce que Montfaucon a écrit au sujet d’Autun, mais il est surtout une belle démonstration de « Quellenforschung » appliquée aux images produites après celles de Montfaucon, qu’on pourrait imaginer représenter un progrès dans les connaissances par rapport à celui-ci, mais qui en fait ne le sont pas. Cette contribution, en abordant Stendhal, apporte aussi une note à l’étude de la réception de Montfaucon hors des milieux savants. Il me semble qu’elle offre matière à une belle leçon de méthode pour un séminaire de critique historique.

           

       Les articles de Sidney H. Aufrère, « Bernard de Montfaucon, témoin muet des Harpocrates de la collection du conseiller Nicolas-Joseph Foucault (1643-1721), et le secret d’État sous le règne de Louis XIV », p. 519-549, et Manon Champier, « La réception de Minerve dans L’Antiquité expliquée », p. 279-309, montrent tous les deux que le thème de certaines collections d’antiquités et l’érudition à leur propos ne sont pas pures conséquences de la curiosité, du souci du beau et de l’avancement des connaissances, mais peuvent être fortement influencés par la politique contemporaine de l’absolutisme royal, son vocabulaire et ses images. On peut rapprocher ces observations de la contribution de Cecilia Hurley, « L’héritage d’un best-seller. Bernard de Montfaucon de L’Antiquité expliquée aux Monuments de la monarchie françoise », p. 581-599, qui laisse penser que cet arrière-fond de contrôle royal a naturellement été bien plus présent pour les Monuments de la monarchie françoise que pour AE, au point de devenir une gêne, expliquant en partie le relatif échec de cette dernière entreprise.

           

      Wallace Kirsop, « Vers une étude du marché anglais des œuvres de Bernard de Montfaucon », p. 601-614, nous emmène jusqu’en Australie et exploite des sources comme les catalogues de ventes aux enchères pour dessiner une esquisse partielle de la réception, universitaire et commerciale, de Montfaucon jusqu’au 19e siècle. Il offre aussi des réflexions intéressantes sur l’exceptionnelle documentation disponible pour l’étude de Montfaucon et ses écrits, la difficulté de son utilisation, en particulier, le caractère incomplet de la numérisation sur Gallica des archives qu’il a laissées.

           

       François de Callataÿ nous entraîne également sur le net en démontrant par son article le potentiel de la base de données qu’il a coordonnée, les Fontes Inediti Numismaticae Antiquae (FINA), le recueil des manuscrits et correspondances liés à la numismatique avant 1800.

           

       C’est une évidence, l’œuvre de Montfaucon est énorme ; les deux volumes ici discutés ne peuvent prétendre couvrir tous ses aspects. En particulier, il me semble qu’il manque ici 1. une analyse sur la conception des images de Montfaucon : que signifient les allégories originales qui ouvrent les volumes ? Comment le savant les a-t-il composées ? et quelles ont été ses influences pour imaginer le principe des planches aux illustrations multiples ? 2. une analyse linguistique et littéraire de son français, de son latin et donc de son bilinguisme. 3. La mention par Charron du meuble réalisé en 1724 par Johann Melchior Dinglinger, conservé à Dresde et comportant des figures directement issues des illustrations de AE, le dessin de Delacroix conservé au Louvre dans lequel le peintre mentionne explicitement Montfaucon, la présence d’illustrations de l’AE dans la « research Bible » des décorateurs du film Quo Vadis invitent à explorer la réception artistique et artisanale de Montfaucon, pas seulement son succès historiographique. Le coffret présenté ici est une forte invitation à continuer et approfondir l’étude de cet extraordinaire savant. On attend donc avec impatience de pouvoir consulter la base de données collaborative de L’Antiquité expliquée de Montfaucon (Base M) que Véronique Krings est occupée à construire.

 

 

 

SOMMAIRE

 

Volume I

 

Véronique Krings, Préface, IX-XX

 

Chantal Grell, Introduction, 1-9

 

I. « Les routes que j’ai tenues »

 

Raymond Rogé, Le livre d’images de Bernard de Montfaucon, 13-30

 

Emmanuelle Chapron, Les bibliothèques de Bernard de Montfaucon, 31-47

 

Gilles Bertrand, L’expérience mouvante du voyage d’Italie, entre érudition et rencontre des hommes et des lieux (années 1670-1740), 49-69

 

Geneviève Xhayet, Bernard de Montfaucon et le baron de Crassier. Pratiques et réseaux d’érudition entre Paris et le Pays de Liège, 71-85

 

Odile Cavalier, « Œdipe à Avignon ». Le cercle du marquis de Caumont, 87-149

 

Elena Vaiani, Un correspondant du passé. Les manuscrits de Nicolas-Fabri de Peiresc, 151-189

 

Pierre Pinon, La recherche des antiquités de Langres. Les manuscrits de Jean-Baptiste Charlet, 191-223

 

Alain Maes et Bernard Minguet, Des gravures sous les feux de la rampe, 225-268

 

Bernard Minguet, La manière noire, 269-275

 

Volume 2

 

II. « Sur la vaste mer de l’Antiquité »

 

Manon Champier, La réception de Minerve dans L’Antiquité expliquée, 279-309

 

Olivier Latteur, Bernard de Montfaucon et le culte de Mithra. Approche historiographique, méthodologique et critique, 311-327

 

Sydney H. Aufrère, La réception de l’Égypte classique et gréco-romaine chez Bernard de Montfaucon et ses perspectives au début du XVIIIe siècle, 329-399

 

Alain Charron, L’Aiôn du musée départemental de l’Arles antique. Une énigme dans L’Antiquité expliquée, 401-413

 

Benoît Gain, Les auteurs et les monuments de l’Antiquité tardive dans l’Antiquité expliquée, p. 415-433

 

François de Callataÿ, Bernard de Montfaucon et les monnaies antiques, 435-488

 

Vivien Barrière, L’archéologie du bâti confrontée aux travaux des antiquaires. Bernard de Montfaucon et les antiques d’Autun, 491-517

 

Sidney H. Aufrère, Bernard de Montfaucon, témoin muet des Harpocrates de la collection du conseiller Nicolas-Joseph Foucault (1643-1721), et le secret d’État sous le règne de Louis XIV, 519-549

 

Laëtitia Pierre et Markus A. Castor, Relire Bernard de Montfaucon. L’enjeu artistique et pédagogique de L’Antiquité expliquée dans l’œuvre du comte de Caylus et de Michel-François Dandré-Bardon (1752-1774), 551-580

 

Cecilia Hurley, L’héritage d’un best-seller. Bernard de Montfaucon de L’Antiquité expliquée aux Monuments de la monarchie françoise, 581-599

 

Wallace Kirsop, Vers une étude du marché anglais des œuvres de Bernard de Montfaucon, 601-614

 

Juliette Jestaz, Édition commentée des marchés de publication de L’Antiquité expliquée, 617-626

 

Juliette Jestaz, Présentation sommaire des souscripteurs de L’Antiquité expliquée, 627-634

 

Juliette Jestaz, La documentation imprimée et manuscrite de Bernard de Montfaucon pour L’Antiquité expliquée, 635-670

 

Bibliographie générale, 671-696

 

Index des noms de personnes (personnages historiques, littéraires et mythologiques), 697-705

 

Index des varia notabilia, 707-711

 

Index des œuvres et monuments, 713-714

 

Renvois aux figures de L’Antiquité expliquée, 715-716

 

Crédits photographiques, 717

 

Carnet

 

Juliette Jestaz, Chronologie de l’édition de L’Antiquité expliquée (1713-1724), mise en images par Alain Maes (non paginé, livret de 21 pages)