Bouvart, Patrick : Les prieurés de Fontevraud dans le diocèse de Poitiers. Conditions d’implantation, topographie monastique et évolution, (Archéologie et Culture), 21,8 x 28 cm, 224 p., EAN : 9782753583252, 35,00 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2021)
 
Reseña de Bruno Varennes
 
Número de palabras : 2341 palabras
Publicado en línea el 2023-10-17
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4488
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       Par son étude sur les prieurés de Fontevraud, ordre fondé en 1101, Patrick Bouvart vient enrichir les connaissances relatives au monachisme occidental à travers une approche renouvelée[1]. Son étude vise à cerner, au sein des maisons disséminées de l’ordre, marquées par de fortes spécificités (absence de gestion de paroisse, structures doubles masculines et féminines), la notion même de prieuré (conditions de mise en œuvre, évolution). Ce choix ouvre d’entrée la portée de l’ouvrage au-delà du cas spécifique fontevriste.

 

       Les études récentes s’attachant à l’abbaye royale en rappellent l’importance à l’échelle du royaume et au-delà, par ses dépendances européennes, mais aussi son rôle pour la Couronne de France et une partie de la haute noblesse[2]. En fondant sa recherche sur une approche archéologique et en ciblant les dépendances de l’ordre, l’auteur enrichit l’histoire des sites fontevristes par le bas au plus près du terrain qu’il fait dialoguer avec les archives[3].

 

       La première des qualités de l’auteur est d’être autant un archéologue qu’un historien accompli, sachant appréhender autant les sites que les sources[4]. Par cette étude, il se place dans la poursuite d’un courant de recherches initié dans la décennie 1980 par J. Avril et J. Becquet[5]. Il renvoie à la proposition de travail formulée anciennement par Ph. Racinet, qui appelait à démultiplier les monographies prieurales, et s’insère dans la dynamique du programme de recherche Aquitania Monastica[6]. L’ouvrage vient ainsi en nécessaire complément des recherches archéologiques sur l’abbaye même, menées depuis la décennie 1990 par D. Prigent.

 

       L’auteur étire son étude sur la longue durée, du bas Moyen Âge à l’ensemble de l’époque moderne, l’entrée des structures monastiques dans le giron des biens nationaux offrant un terminus ante quem. Il est à signaler la qualité et le nombre des figures (152), associant photographies, relevés archéologiques et plans divers.

 

       Les « Modalités de l’étude » forment la première partie (p. 13-16). L’auteur y justifie le champ territorial de l’enquête dans le cadre de l’ancien diocèse de Poitiers, « espace où l’expansion est la plus prolifique puisqu’il regroupe une trentaine de lieux susceptibles d’être des prieurés » (p. 13). Ne délaissant aucune source écrite, l’étude se focalise sur les bâtis implantés au XIIe siècle que l’archéologie peut appréhender. Le corpus est construit sur le questionnement formulé en 2004 par J. Dalarun, élargi à des considérations archéologiques et temporelles[7]. La périodisation permet d’interroger deux axes : les probables manifestations du rôle réformateur de la fondation de Robert d’Arbrissel dans ses bâtis prieuraux, mais surtout la mise en application des statuts de cet ordre double, masculin et féminin, dans des structures conventuelles de petite taille. Enfin les « modalités de l’étude » relèvent ici de l’étude de la topographie monastique[8].

 

       L’auteur dresse ensuite un « État des sources et de la Bibliographie » (2e partie, p. 17-32). Si les fonds apparaissent riches, « l’ensemble des résultats reste (…) très insuffisant » pour la thématique abordée (p. 17). Le Grand Cartulaire de Fontevraud, publié en 1666, est une source de premier ordre, alors que les vitæ de Robert d’Arbrissel n’évoquent pas des prieurés que l’historiographie classique imaginait égrener sur le passage du prédicateur. Les sources écrites présentent globalement les prieurés doubles comme un fait établi que l’étude confronte à la réalité des implantations.

 

       L’« Élaboration du corpus » impose d’interroger la notion de prieuré (3ème partie, p. 33-52). En dépit des études antérieures, telle la thèse de J.-M. Bienvenu, l’auteur a remis à plat le dossier des dépendances avec pertinence[9]. La question de ce qui fait le prieuré y est longuement posée. Cette thématique prend une dimension particulière dans le cas fontevriste. Au-delà de l’étroite frontière entre les prieurés et les domaines, le chercheur se confronte ici à la présence de prieurés doubles, masculins et féminins. Le traitement réservé à « la notion de prieuré dans la lexicologie fontevriste » (p. 35-36) est à souligner. Il amène le chercheur à distancier la mention d’un ou d’une prieur(e) d’une structure monastique à laquelle il n’est pas automatiquement rattaché. Au-delà, l’application statutaire impose de différencier les prieurés doubles des autres structures et de chercher dans toutes ce qui permet la conventualité (p. 37). P. Bouvart conserve, suite à cette analyse, un ensemble de 44 sites du diocèse poitevin, nécessitant un travail de cas par cas et une présentation sous forme de succinctes notices de la trentaine qui peuvent être appréhendées (p. 40 à 47).

 

       L’auteur s’intéresse ensuite aux relations entre « L’abbaye de Fontevraud et le diocèse de Poitiers » (4e partie, p. 53-84), dans le cadre du développement des ordres féminins et le contexte réformateur. La position particulière du groupe formé autour de Robert D’Arbrissel offrait d’abord une réponse érémitique à la « crise du cénobitisme bénédictin » et répondait à l’essor des vocations féminines en un temps où la volonté épiscopale de Pierre II (1085-1115) était de « réformer le monachisme féminin » (p. 54-55).

 

       Les trois dernières parties concernent les bâtis prieuraux. Les « Caractéristiques primitives des prieurés doubles » (5e partie, p. 85-162) sont distinguées des « Caractéristiques primitives des prieurés simples » (6e partie, p. 163-170), « L’évolution des prieurés doubles » (7e partie, p. 171-192) parachevant l’étude. On regrettera le traitement à part du corpus réduit des prieurés simples alors que les interrogations relatives à leurs conditions d’implantation comme leur mise en œuvre sont similaires aux autres. Dans les deux cas, les localisations amènent l’auteur à revenir sur l’image d’un ordre investissant des « déserts », alors que les implantations n’évitent pas les grands axes de circulation et que les fondations profitent de terres globalement mises en exploitation et non à défricher.

 

       Une douzaine de sites de prieurés doubles sont étudiés (fig. 20, p. 85). Dans ces derniers, la partie masculine, moins développée, est en retrait. Si le modèle de distanciation entre hommes et femmes est offert par la structure monastique de Fontevraud même, sa mise en application dans les bâtis prieuraux apparaît davantage le fruit d’une adaptation aux exigences du lieu. Au sein des édifices ecclésiaux féminins, les structures de délimitation, mentionnées par les sources, n’ont laissé que des traces ténues. L’étude de leurs élévations et de leurs plans permet à P. Bouvart de distinguer deux périodes de construction au cours du XIIe siècle, le passage de plans en croix latine à des édifices dépourvus de transept et de collatéraux, élément facilitant la clôture et donc la vie conventuelle. L’étude des appareillages, comme de la couverture de certaines nefs en file de coupoles, dévoile un monde fontevriste proche des évêques et diffusant la sainteté du fondateur. Enfin, le décor architectural paraît parfois pallier les limites des structures cloisonnées empêchant l’élévation de l’Eucharistie depuis la position occupée par les converses dans la nef, au-delà du chœur des sœurs (décor du portail nord de Villesalem).

 

       L’appréhension des bâtiments conventuels reste limitée. Alors que « l’identification des espaces est l’un des enjeux de cette étude » (p. 141), les descriptifs conservés se heurtent à la réalité matérielle d’établissements ayant été très transformés ou détruits jusqu’aux fondations. Dans les structures les mieux conservées, domine un système classique de double « cours », la première réservée aux converses et aux activités agricoles, la seconde formant le préau du cloître. Dans ces établissements ruraux, la présence d’un moulin apparaît être une « condition sine qua non » de l’implantation (p. 88). Enfin, dans les plus petites structures, la mise en œuvre de cloîtres paraît réduite à sa plus simple expression. Dans les plus grandes, la localisation des éléments de séparation reste souvent hypothétique.

 

       L’évolution des prieurés double, qui clôt l’étude, est légitimée par la reprise en main de l’ordre après des périodes de destruction, que ce soit la guerre de Cent Ans, qui impacte fortement le bâti qui se fortifie en conséquence, comme encore les Guerres de Religion dans la seconde moitié du XVIe siècle. La réforme de l’ordre initiée par l’abbesse Marie de Bretagne dès la fin du XVe siècle qui se développe dans le courant du siècle suivant avant de trouver un appui dans la réforme tridentine, entraîne des chantiers conséquents sur le temps long de l’époque moderne. Avec l’époque révolutionnaire, les descriptifs de biens nationaux apportent un dernier éclairage sur des sites qui ont disparu par la suite.

 

       En conclusion, P. Bouvart souligne que la distinction est plus évidente entre les prieurés doubles et simples, et l’originalité d’un ordre essentiellement féminin qui a choisi de ne pas investir les zones urbaines ou péri-urbaines. Il confirme ce qu’avait énoncé M. Parisse : les statuts de Fontevraud sont doubles, mais « dans les prieurés, le cadre architectural » ne permet pas aux frères de « s’adonner à la vie contemplative »[10]. L’auteur reconnaît, par-delà les apports, les limites de l’étude, estimant ce travail comme le point de départ d’une enquête à élargir.

 

       Le choix des limites diocésaines poitevines apparaît un cantonnement utile au chercheur mais appelant à la critique. Le site de Fontevraud même, en partie nord du diocèse de Poitiers, le légitime : les relations entre les évêques et l’abbaye, dans laquelle se trouvent les inhumations épiscopales de Pierre II († 1115), Guillaume I († 1123) et Grimoard († 1142), rappellent le lien entretenu entre le siège poitevin et la maison mère de l’ordre[11]. Néanmoins, si l’auteur insiste avec raison sur l’impulsion réformatrice de l’ordre et le rôle de certains dignitaires lors de la fondation de prieurés, tel Pierre II (1089-1115), ils n’apparaissent pas à l’initiative d’une expansion qui ferait sens dans les limites de leur évêché. Alors que les comparaisons apportées par l’auteur ouvrent les interrogations à l’échelle nationale (figures 14 et 27), la cartographie est centrée sur le conséquent territoire diocésain (fig. 1, 11, 12, 19), souvent réduit à sa moitié nord (les départements des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne, fig. 15 à 18).

 

       On regrettera, à propos des édifices doubles, que l’auteur n’en vienne pas à dresser une définition minimale dans le cadre fontevriste : tous regroupent une chapelle principale pour les sœurs, dédiée à la Vierge, associée à un second lieu de culte voué à saint Jean et réservé aux hommes, l’ensemble entouré de bâtiments conventuels de la double communauté, offrant à minima, une clôture pour les femmes.

 

       Enfin, le choix éditorial ne permettait évidemment pas la présentation détaillée des notices de prieurés que la thèse originelle avait développées. Cependant, la compréhension de certains sites, tel celui de Montazais, dont l’auteur a mené l’étude archéologique, en reste peu intelligible, ce qui impose de se tourner vers d’autres publications de P. Bouvart pour appréhender l’ensemble[12].

 

       Cette étude se présente donc comme une étape de travaux à venir sur les structures prieurales fontevristes. Elle appelle surtout à la comparaison avec d’autres ordres par ses questionnements sur la topographie monastique autant que ce qui fait le prieuré.

 


[1] P. Bouvart est actuellement ingénieur au SRA Nouvelle-Aquitaine, sur le site de Limoges, et membre du Centre d’Étude supérieur de civilisation médiévale (CNRS UMR 7302). Une partie de ses rapports d’opérations archéologiques sont consultables en ligne [https://journals.openedition.org/adlfi/944].

[2] Michel Melot, L’abbaye de Fontevrault, Paris, Jacques Lagorre, 1971 (publication de sa thèse, L'abbaye de Fontevrault de la réforme de 1458 à nos jours : étude archéologique, 1967) ; Jean-Marc Bienvenu, Les premiers temps de Fontevraud (1101-1189) – Naissance et évolution d’un ordre religieux, thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 1980.

[3] Amans Aussibal, Fontevraud et ses prieurés, La Pierre-qui-vire, 1987. La somme récente de M. Melot sur l’Abbaye de Fontevraud ne s’intéresse qu’à la marge aux dépendances de l’ordre, en un chapitre d’une dizaine de pages. Michel Melot, Histoire de l’Abbaye de Fontevraud. Notre-Dame-des-Pleurs, 1101-1793, Paris, CNRS édition, 2022, 628 p. ; IX. Les prieurés, p. 123-136.

[4] L’ouvrage est issu de la thèse en archéologie de l’auteur, complétée par des recherches postérieures. Étude archéologique des prieurés de l’ordre de Fontevraud implantés dans le diocèse de Poitiers entre 1100 et 1149, thèse de doctorat en Archéologie, sous la direction de Cl. Andrault-Schmitt et de L. Bourgeois, Poitiers, 2012.

[5] Joseph Avril, « Recherches sur la politique paroissiale des établissements monastiques et canoniaux (XIe-XIIIe siècles) », Revue Mabillon, 59, 1980, p. 453-517 ; « Moines, chanoines et encadrement religieux des campagnes », dans Istituzione monastiche e istituzione canonicali, 1980, p. 660-678 ; « Paroisses et dépendances monastiques… », p. 95-105 ; Jean Becquet, « Le prieuré : maison autonome ou dépendance selon les ordres », dans Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Actes du colloque organisé à Paris le 12 novembre 1984 par la IVe section de l’École Pratique des Hautes Études et l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, publiés par Jean-Loup Lemaître, Paris, 1987, p. 47-52.

[6] Philippe Racinet, Crises et renouveaux. Les monastères clunisiens à la fin du Moyen Âge. De la Flandre au Berry, et comparaison méridionale, Artois Presse Université, Arras, 1997, 524 p. Pour le programme Aquitania Monastica, voir https://cescm.hypotheses.org/6746.

[7] Dalarun, Jacques « Fortune institutionnelle, littéraire et historiographique de Robert d’Arbrissel » dans Dalarun J. (dir.) Robert d’Arbrissel et la vie religieuse dans l’ouest de la France : actes du colloque de Fontevraud, 13-16 décembre 2001, Turnhout, Brepols, coll. « Disciplina monastica » (1), 2004, p. 310-311

[8] Gillon, Pierre, « Notions d’architecture et de topographie monastique. État de quelques questions », dans Méthodes et initiations d’histoire et d’archéologie, Éd. du temps, Nantes, 2004, p. 265.

[9] Bienvenu Jean-Marc, Op cit.

[10] M. Parisse, « Fontevraud, monastère double », dans Doppleklösterund andere Formen des Symbiose männlicher und weiblicher Religiosen im Mittelalter, Berlin, Duncker und Humbolt, coll. « Berliner Storische studien » (18), p. 135-148.

[11] « Les relations entre Fontevraud et les évêques de Poitiers », p. 56-59 ; « La répartition des prieurés fontevristes, la conséquence d’une politique épiscopale réformatrice » ; p. 59-60

[12] P. Bouvart, « Une installation difficile pour les moniales, une archéologie complexe. L’exemple de Montazais », dans Andrault-Schmitt, Claude ; Bouvart, Patrick ; Treffort, Cécile (publ.), Fontevrault et ses prieurés : études d’Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie, Limoges, 2021, p. 195-218.


 

 

Table des matières

 

Introduction 11

 

Modalités de l’étude 13

 

État des sources et de la bibliographie 17

 

Élaboration du corpus 33

 

Fontevraud et le diocèse de Poitiers 53

 

Les caractéristiques primitives des prieurés doubles 85

 

Les caractéristiques primitives des prieurés simples 163

 

L’évolution des prieurés doubles 171

 

Conclusion 193