Lehoërff, Anne: L’artisanat du bronze en Italie centrale (1200-725 avant notre ère). Le Métal des dépôts volontaires. 472 p. Ill N/B, 108 €
(Ecole française de Rome, Rome 2007)
 
Compte rendu par Jean Gran-Aymerich, CNRS-Ens, Paris
 
Nombre de mots : 1123 mots
Publié en ligne le 2010-02-09
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=445
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          La métallurgie  des alliages cuivreux occupe une place fondamentale parmi les populations de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer, comme le souligne avec force l’auteur dans l’introduction. Cette étude porte sur l’Italie centrale, et plus particulièrement sa façade tyrrhénienne, entre 1200 et 725 avant notre ère. Ce « cadre de l’action [...] cette région et cette période » ont été préférés à « bien d’autres lieux et pour bien des époques », car une étude sur l’artisanat métallurgique trouve ici le terrain fertile de la richesse matérielle des Étrusques, l’abondance des recherches développées en Italie depuis la Renaissance et en définitive une masse considérable de pièces conservées dans les musées italiens et à l’étranger. L’auteur a décidé de se concentrer sur l’essentiel de ce mobilier, c’est-à-dire les « dépôts volontaires » qui comprennent les trousseaux funéraires et les cachettes isolées, en excluant d’emblée les trouvailles stratigraphiées des habitats. La richesse métallurgique étrusque provenait, comme l’on sait, d’abord des riches et variées ressources minières, concentrées entre les fleuves Arno et Ombrone, l’île d’Elbe et plus au sud des montagnes de la Tolfa, dans l’arrière-pays de Civitavecchia (fig. 20, p. 40). L’ample dispersion du mobilier métallurgique villanovien et étrusque a rendu possibles les analyses effectuées par l’auteur sur des objets conservés à l’Ashmolean Museum d’Oxford et au British Museum de Londres (pl. VII-XIII), qui complètent celles réalisées à Tarquinia et à Civita Castellana sur des pièces de Véies (pl. I-VI, XIV-XVIII). C’est donc bien un travail qui porte pour l’essentiel sur la protohistoire de l’Étrurie. D’ailleurs, l’Annexe des sites examinés réunit 45 dossiers pour les régions actuelles de Toscane, Ombrie et Latium, ainsi que 3 autres pour la Vénétie et les Marches (Annexe I, p. 472 et 365-435) ; il s’agit de l’Étrurie propre et de ses plus proches aires d’influence, comme le montre clairement la carte de la fig. 52, p. 127.

 

          Entre les considérations stylistiques et les constructions typo-chronologiques « qui n’ont délibérément pas leur place dans ce travail » (p. 4), l’auteur, qui n’envisage ni les formes des objets ni leurs décors, a suivi une troisième voie, celle de la technique qui devrait « passer du statut de science auxiliaire de l’histoire à un objet d’étude à part entière » (p. 4). Le chap. 1, « Les lieux et les temps de l’action », offre un résumé historiographique de l’évolution des études, un volet de l’histoire de l’archéologie en Italie centrale pour l’âge du Bronze et l’âge du Fer : « des Étrusques à leurs arrière-grands-parents » (p. 17). Le point final de cette introduction concerne les chronologies des différentes écoles, p. 53-57, sujet sur lequel l’auteur a réuni un colloque à Lille en 2006.

 

          La plus grande partie du texte est consacrée à une enquête sur les techniques métallurgiques, p. 59-246. On envisage d’abord l’aspect méthodologique et conceptuel, chap. 2, « Technè et métallurgie ». Ensuite, on en vient à la fabrication, la « vie » de l’objet, et aux méthodes d’investigation, chap. 3, « Objets, archives et microscope ». Puis sont présentés les étapes de fabrication et les procédés déployés pour la décoration, l’assemblage et les réparations, chap. 4, « Bilan technique des examens visuels ». Enfin, sont abordées les analyses effectuées sur des prélèvements, « À la recherche des techniques de fabrication. Les enseignements du laboratoire », chap. 5, à partir desquelles sont définies la composition et la qualité des matériaux (p. 230-233) ou le travail de mise en forme (p. 234-243).

 

          L’avant-dernière partie, chap. 6, porte sur « Les modalités d’organisation et d’évolution de la production », et se développe en trois parties successives: « Produire plus? » (p. 248-254), « Produire différemment » (p. 256-266) et « Les lieux et les hommes » (p. 267-283). Sur ce dernier thème, il s’agit de définir le statut des artisans, itinérants ou sédentaires, et de saisir l’existence d’« une énigmatique “communauté” des artisans sans nombre et sans statut » (p. 273), comme de déterminer les « très hypothétiques » ateliers, dont l’auteur souligne « l’indigence des vestiges dans l’Italie centrale de la fin de l’Âge du bronze et du début de l’Âge du fer » (p. 275). Pour conclure sur cet éventail d’approches techniques, l’auteur signale la piste des « motifs [et] les techniques de décoration comme signature » (p. 280).

 

 

          Le chapitre 7, le dernier du volume, offre une série de réflexions sur « les voies des changements techniques ». À la base de cette étude sur « les mutations de la métallurgie du bronze en relation avec d’autres phénomènes contemporains », on trouve l’équation entre les impulsions internes (la voie autochtone) et les échanges externes, auxquels est lié le rôle de la métallurgie naissante du fer (p. 285-287). Parmi les impulsions venues du sud, c’est-à-dire les échanges avec le monde méditerranéen, sont passées en revue la piste mycénienne, la piste sarde et la piste de l’expansion grecque inaugurée par les Eubéens à Pithécusses (p. 290-307). À propos d’une impulsion qui serait venue du Nord, c’est-à-dire les échanges avec l’Europe transalpine que l’on sait très anciens et actifs, sont évoqués la piste de l’ambre (p. 314) et le vieux concept de H. Müller Karpe d’une « Koinè métallurgique »  de l’âge du Bronze, cette dernière réexaminée à partir d’hypothèses envisageables en termes d’échanges techniques, ce qui conduit l’auteur à terminer sur « l’aristocratie villanovienne et ses lointains voisins du nord » (p. 319-322). Ces mêmes Villanoviens sont reconnus aujourd’hui par la majorité des chercheurs comme les Étrusques d’avant les transformations de la période orientalisante, qui commencerait vers 725. Avant de conclure, l’accent est porté sur le thème conceptuel de « l’Italie centrale entre Méditerranée et Europe continentale », abordé ici non seulement par le débat centre-périphérie mais encore à  travers les principaux sujets contenus dans le dossier d’examens métallurgiques : « le martelage: un enjeu technique essentiel » et « la fonte en moule non-permanent : un acquis technique fondamental » (p. 327-328).

 

 

          Dans la conclusion générale l’auteur insiste sur le statut de l’artisan qui s’assurerait, grâce aux innovations techniques, « un rôle d’acteur social à part entière ». Puis est réfutée la « simple thèse diffusionniste selon les axes classiques (du sud-est méditerranéen vers un nord-ouest européen) », qui expliquerait l’évolution de la métallurgie en Europe à l’âge du Bronze. Bien au contraire, il est affirmé qu’« il faut ici envisager un développement complexe de l’artisanat dans lequel l’Europe tempérée n’est pas tributaire  uniquement de la Méditerranée pour écrire son histoire.... même pour l’Italie, ce schéma général que l’on tend à garder ne fonctionne pas » (p. 334-335).

 

 

          Cet ouvrage fournit une approche minutieuse des techniques métallurgiques attestées parmi les bronzes protovillanoviens et villanoviens, examine en détail et à l’aide d’analyses en laboratoire des prélèvements provenant des nécropoles de Tarquinia et de Véies et procède à une très ample mise en place des techniques métallurgiques dans le contexte du territoire étrusque, pour la période comprise entre le Bronze final et le premier âge du Fer. Sur tous ces sujets, on pourra consulter utilement le volume.