Dey, Hendrik: The Making of Medieval Rome: A New Profile of the City, 400–1420, 400 pages, 285 x 223 x 25 mm, ISBN: 9781108838535, £ 39.99
(Cambridge University Press, Cambridge 2021)
 
Reseña de Auderic Maret, EHESS
 
Número de palabras : 2439 palabras
Publicado en línea el 2023-07-19
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4367
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       L’historiographie sur l’histoire urbaine de Rome est ample et donne lieu chaque année à de nombreuses publications. L’ambition de ce livre, écrit en anglais par Hendrick Dey, enseignant-chercheur à Hunter College (New York) est de proposer une analyse de la fabrication de l’espace urbain de Rome sur l’ensemble de la période médiévale. Ce chercheur américain – avec cette synthèse – annonce, dès le départ, adopter une démarche différente de celle de Richard Krautheimer dont le livre publié il y a plus de quarante ans reste encore aujourd’hui une référence[1].

 

       L’auteur propose tout d’abord une autre chronologie. Alors que Krautheimer faisait commencer son étude avec le règne de Constantin en 320 et la terminait avec le départ des papes pour Avignon au début du XIVᵉ siècle, ce chercheur fait commencer son analyse par un panorama de Rome au début du Vᵉ siècle, pour l’achever par le retour définitif de la papauté à Rome après le Grand Schisme durant le pontificat de Martin V (1417-1431). La conclusion nommée épilogue envisage les débuts de la Renaissance avec le pontificat de Nicolas V (1447-1455). Deuxième grande différence : l’étude proposée s’affranchit du cadre strictement politique et institutionnel de Rome. Les analyses se concentrent sur le cadre urbain, les analyses du bâti, la culture matérielle et les découvertes archéologiques et s’appuient également sur des travaux d’histoire sociale, notamment ceux de Sandro Carocci[2] et de Jean-Claude Maire-Vigueur[3].

 

       En raison de cette longue période de mille ans, le livre suit un plan chronologique. Les périodes envisagées sont liées à des événements politiques concernant Rome ou la péninsule italienne, même s’ils ne sont pas toujours clairement énoncés en début ou fin de chapitre. Par exemple, après une présentation panoramique de la ville au début du Vᵉ siècle proposée au chapitre 1, les analyses du chapitre 2 s’achèvent en 552 avec la bataille du mont Lactarius, qui fait passer la péninsule sous domination byzantine après la défaite des Ostrogoths.

 

       L’ouvrage se révèle très pratique grâce à un index des noms de lieux et de personnes. De plus sont insérées de très belles et nombreuses illustrations, très souvent en couleur. Il s’agit de photographies des monuments étudiés, d’œuvres d’art visibles à l’intérieur comme des reproductions de fresques, des cartes ou encore des plans à différentes échelles. La lecture en est donc très agréable.

 

       L’ouvrage est composé de sept chapitres. Le premier – déjà brièvement évoqué – se veut être un panorama de la ville autour de l’an 400. Sont envisagés classiquement l’héritage de la Rome impériale et les transformations de l’espace urbain au gré de la diffusion du christianisme. L’intérêt de ce chapitre est de proposer un bilan de certaines fouilles archéologiques menées depuis deux décennies sur des lieux de culte de la fin de l’Antiquité. Par exemple, on trouve un passage sur les fouilles réalisées à la basilique Saint-Marc (p. 28-29), construite durant le court pontificat du pape Marc (335-336). De même, sont évoquées des découvertes récentes autour de la basilique Santi Giovanni et Paolo (p. 30-31), dont la construction est ordonnée à la toute fin du IVᵉ siècle par le sénateur Pammaque. Le dernier exemple est les dernières découvertes dans la zone de la basilique Santa Pudenziana.

 

       L’auteur insiste bien cependant pour rappeler que malgré ces nombreuses constructions les papes ne sont que des commanditaires parmi d’autres et qu’ils sont en concurrence avec d’autres pouvoirs dans l’espace urbain. Le chapitre se termine avec cette phrase de l’historien Federico Marazzi déclarant que Rome est encore alors « une église dans la ville et non la ville de l’Église » (« Church in the city but not yet the city of the Church », p. 32).

 

       Le deuxième chapitre couvre la période allant du sac de Rome en 410 par Alaric à la fin de la guerre entre Ostrogoths et Byzantins en 552 quand les Byzantins prennent le dessus. Le titre « From Imperial Metropolis to Provincial City » que l’on peut traduire par « De la métropole impériale à une ville de province » envisage les conséquences du déclassement de Rome sur l’espace bâti. Au-delà du déclin politique est envisagé le déclin démographique lié aux guerres et aux épidémies. Durant ce siècle et demi, la population aurait été divisée par dix, passant d’un peu plus d’un demi-million d’habitants à environ 50 000 personnes (p. 33). Cela entraîne une rétraction de l’espace bâti et la réalisation de projets architecturaux plus modestes. De plus, bon nombre de monuments sont abandonnés, détruits ou bien changent de fonction.

 

       Le troisième chapitre envisage la période byzantine de la ville entre 552 et 705, comme le suggère le titre « Rome byzantine » (p. 69). Rome se transforme notamment en raison des nombreuses fondations d’églises. À partir d’une carte du forum impérial à la fin du VIᵉ siècle (p. 83) sont placées puis renseignées ces fondations comme celle de Santa Maria Antiqua et de l’oratoire des Quarante Martyrs sur le mont Palatin. Est également proposée une carte des sépultures mises au jour. L’auteur livre ensuite les résultats des dernières fouilles et découvertes à la Crypta Balbi (p. 97-100). Des reproductions d’objets sont proposées au lecteur comme des pièces de monnaie des années 613-622, un damier et un jeu ainsi que des poteries de la fin du VIIᵉ siècle.

 

       Dans le chapitre 4 intitulé « Une République pontificale des Romains » (« A Papal Republic of the Romans », 705-882), l’auteur admet que la date retenue pour commencer le chapitre, l’année 705, est un peu arbitraire et ne correspond pas à un événement majeur ayant introduit une rupture mais que c’est dans ces années-là que se creuse le fossé entre Rome et Constantinople (« messy separation between Rome and Constantinople », p. 102). La chronologie retenue est celle de l’institution pontificale car la fin du chapitre correspond à l’assassinat du pape Jean VIII en 882. Les chantiers étudiés dans ce chapitre sont surtout ceux des pontifes comme la transformation par le pape Paul Iᵉʳ (757-767) de la demeure familiale en un monastère dédié aux saints Stéphane et Silvestre (p. 113). Mais ce sont surtout les papes Adrien Iᵉʳ (772-795) et Léon III (795-816) qui ont le plus œuvré à transformer leur capitale, que ce soit par la construction ou la restructuration d’églises, de palais ou une amélioration de l’approvisionnement en eau grâce à des travaux sur les aqueducs.

 

       Le chapitre 5 intitulé « The Long Twilight of the Early Middle Ages, 882-1046 », que l’on pourrait traduire par « Le long crépuscule du haut Moyen Âge (882-1046) » s’intéresse à la période allant de la mort du pape Jean VIII aux débuts de la réforme dite « grégorienne ». L’auteur cherche à réévaluer un long Xᵉ siècle que l’historiographie a généralement considéré – selon lui – comme « la période la plus sombre des âges obscurs du haut Moyen Âge à Rome » (« the blackest [period] of the early medieval "Dark Ages" at Rome », p. 137). En effet, pas de chantier majeur entre la restauration du mur d’Aurélien par Léon IV vers 850 et le milieu du XIIᵉ siècle.

 

       Pourtant certains quartiers restent dynamiques et maintiennent une croissance économique et démographique. C’est le cas, par exemple, de la zone autour de la Porta Maggiore sur l’Esquilin ou celle autour de la Porta Metronia sur la colline du Celio. Cette vitalité économique repose alors sur quelques monastères et abbayes proches des portes de la ville. Si les Tusculani ont joué un rôle politique important durant ce long Xᵉ siècle et ont exercé une forte influence sur la papauté, l’auteur montre que sur le plan urbain et architectural, Théophylacte et ses successeurs n’ont pas mené de grand chantier. Cela s’explique par un manque de moyens financiers et de vision à l’échelle de la ville, les membres de la famille se contentant de projets à proximité de leurs propriétés.

 

       Le sixième chapitre couvre un long XIIᵉ siècle qui va des débuts de la réforme grégorienne (1046) aux années 1230 et qui correspond à trois changements majeurs pour la ville, contenus dans le titre. On peut traduire le titre donné à ce chapitre « Church Reformed, Senate reborn, Rome Renascent » par « Réforme de l’Église, refondation du Sénat et Renaissance de Rome ». L’intérêt de l’auteur se porte principalement sur les changements du paysage urbain, signe de la croissance de la ville.

 

       Parmi les éléments nouveaux, on trouve des tours fortifiées construites par les grandes familles de la noblesse. Plusieurs, encore visibles aujourd’hui, sont ainsi étudiées : la Tor Sanguigna, au nord de la Piazza Navona (p. 184), la Torre delle Milizie (p. 185) ou encore la tour des Conti (p. 186). La construction de campaniles est également le signe de cette vitalité urbaine, celui de l’église Santa Maria in Cosmedin en étant sans doute le plus bel exemple (p. 196). La croissance de la ville passe également par une augmentation de la consommation, qui est étudiée à travers la diffusion de certains types de céramiques. Plusieurs pages y sont consacrées (p. 176-180) avec des photographies de céramiques retrouvées ainsi que des cartes de l’usage de ces poteries à travers la ville.

 

       Le chapitre 7 qui porte sur la période 1230-1420 est intitulé « Barons, Babylonian Captivity, and Black Death. The Apogee and Agony of Late Medieval Rome » que l’on pourrait traduire par « Les barons, la captivité babylonienne et la Peste Noire. Apogée et Agonie de Rome durant le Moyen Âge tardif ». Au XIIIᵉ siècle succède un siècle marqué – selon l’auteur – par l’installation prolongée des papes à Avignon, des épidémies à répétition et une vie politique à Rome caractérisée par les tensions et rivalités entre les grandes familles. Après une vitalité économique importante, ces éléments conduisent à un déclin de la ville, le mot « agonie » présent dans le titre apparaissant tout de même trop fort.

 

       La période est marquée jusqu’au début du XIVᵉ siècle par l’affirmation sociale et politique d’une douzaine de familles désignées comme barones Urbis qui remplacent les nobiles Urbis. Ces familles sont rivales pour les charges, ce qui crée des tensions, la rivalité entre les Orsini et les Colonna étant la plus vive. Ces familles sont aussi très présentes dans l’Église grâce aux membres qui deviennent cardinaux et papes. Des photographies et des cartes rendent compte de l’emprise spatiale de ces familles en présentant les tours qu’elles font construire et comment elles incorporent les monuments antiques dans leurs propres résidences, ce qui leur permet de contrôler l’activité économique des quartiers voisins. C’est par exemple le cas des Caetani autour de la Via Appia (p. 227).

 

       Parallèlement, les papes qui sont issus de familles romaines ou bien du Latium renouent avec la tradition des grands chantiers. Si le rôle d’Innocent III est bien connu, l’auteur propose de réexaminer l’importance du court pontificat de Nicolas III Orsini de 1277 à 1280 (p. 239-243). Il fait fortifier et agrandit le Vatican et encourage la construction de la nouvelle église des Dominicains Santa Maria sopra Minerva. Tout change avec le « mouvement anti-baronial » (« anti-baronial movement », p. 217) incarné par Cola di Rienzo en 1347, qui dans le contexte de la Peste Noire et avec des papes résidant à Avignon depuis 1309, précipite le déclin économique et social de la ville. Il se prolongerait jusqu’au retour définitif de la papauté à Rome avec Martin V en 1420. Le chapitre s’achève avec la mention de l’entrée du pape le 5 novembre 1420 et la mise en place d’un conseil pour rénover la ville. Malheureusement, aucun des chantiers n’est évoqué. Par exemple, le pontife entreprend des travaux importants notamment à Saint-Jean-de-Latran et la réalisation d’un cycle de fresques dans la nef centrale, d’abord confiée à Gentile da Fabriano, puis à la mort de ce dernier en 1427 à Pisanello.

 

       Un chapitre conclusif est consacré au pontificat de Nicolas V (1447-1455) mais il s’articule mal avec le chapitre précédent. En effet, le pontificat d’Eugène IV (1431-1447) n’est pas abordé. Si cela peut se comprendre du fait de l’exil du pontife dès 1434 et de son absence de Rome pendant une décennie, cela donne l’impression qu’il ne se passe rien à Rome. Pourtant l’auteur n’a pas éludé la vie à Rome durant la papauté d’Avignon au cours du XIVᵉ siècle. De plus comme les réalisations de Martin V ne sont pas envisagées, on ne sait pas ce qui prépare ce renouveau sous Nicolas V. La période 1420-1447 est en effet absente de l’ouvrage. Malgré ce petit bémol, ce chapitre est le bienvenu car il montre bien que la Renaissance artistique et architecturale de l’Urbs est antérieure aux pontificats d’Alexandre VI Borgia (1492-1503) et de Jules II (1503-1513).

 

       L’ouvrage propose une intéressante synthèse sur la ville de Rome pendant un millénaire. La perspective adoptée est différente de celle de Krautheimer et on trouve des développements intéressants sur les dernières fouilles réalisées, sur l’évolution démographique de la ville, sur la consommation de la population, sur la culture matérielle… Cela permet à l’auteur de s’affranchir d’une chronologie classique calquée sur l’évolution des institutions ou du cadre politique. Ces développements voisinent avec des éléments plus connus et qui sont utilement rappelés et enrichis : la diffusion du christianisme dans l’espace urbain à la fin de l’Antiquité, la période byzantine, la rivalité entre Colonna et Orsini, la brève rupture politique incarnée par Cola di Rienzo en 1347…

 

       La qualité de l’ouvrage tient également aux nombreuses reproductions et illustrations en couleur, qui occupent parfois une demi-page et plus. Les cartes aussi bien de la ville que de certains quartiers servent judicieusement l’argumentation de l’auteur, qui y a apporté un grand soin. Le cadre spatial est bien délimité grâce à ces aller-retour à différentes échelles. Si la présence d’un index des noms et des lieux rend l’ouvrage pratique, il manque cependant une chronologie sur la ville de Rome avec les événements politiques importants et peut-être également une liste des papes avec la date de leur désignation ou de leur élection, pour donner aux lecteurs un cadre temporel aussi solide que le cadre spatial, surtout pour les pontificats brefs et/ou moins connus, notamment pour le haut Moyen Âge.

 


[1] Richard Krautheimer, Rome. Profile of a City, 320-1308, Princeton, Princeton University Press, 1980.

[2] Sandro Carocci, Baroni di Roma. Dominazioni signorili e lignaggi aristocratici nel duecento e nel primo trecento, Rome, École française de Rome, 1993.

[3] Jean-Claude Maire-Vigueur, L’autre Rome. Une histoire des Romains à l’époque communale (XIIᵉ - XIVᵉ siècle), Paris, Tallandier, 2010.

 

 

Contents 

The Eternal City on the brink : Rome in 400 AD -- 401-552 : From imperial metropolis to provincial town -- 552-705 : Byzantine Rome -- 705-882 : A papal « Republic of the Romans » -- 882-1046 : The long twilight of the early Middle Ages -- 1046-1230 : Church reformed, Senate reborn, Rome renascent -- 1230-1420 : Barons, Babylonian Captivity, and Black Death. The apogee and agony of late Medieval Rome -- Epilogue : Rome and Pope Nicholas V (1447-55)