Molinié, Anne-Sophie: Corps ressuscitants et corps ressuscités. Les images de la résurrection des corps en Italie centrale et septentrionale du milieu du XVe au début du XVIIe siècle (Bibliothèque Littéraire de la Renaissance, n° 64). 484 p., 29 planches en noir et blanc. 15x22 cm. 88,40 €. ISBN 978-2-7453-1345-4
(Honoré Champion, Paris 2007)
 
Compte rendu par Claire Mazel
 
Nombre de mots : 1229 mots
Publié en ligne le 2010-07-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=436
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Dans l’introduction de son ouvrage, Anne-Sophie Molinié propose « d’utiliser l’iconographie chrétienne comme document d’histoire et la résurrection des corps comme domaine d’observation des mentalités religieuses ». Elle justifie son cadre géographique, les régions du nord et du centre de l’Italie, ainsi que les cantons suisses étroitement liés à l’Italie, par leur commune identité culturelle et religieuse, puis son cadre chronologique (1440-1610) par un changement, au début de la période, dans la dévotion et une transformation du thème iconographique des fins dernières, et par le passage, à la fin de la période, à « une véritable individuation du destin », dans le cadre « de l’avènement du baroque et des apothéoses ».

 

L’étude se déploie ensuite en trois parties, progressant d’une présentation générale du thème de la résurrection des corps à son étude dans les œuvres du corpus et au traitement plus particulier de la représentation des corps. La première partie (« Présences au jour du jugement. Théologie, images et représentations au Moyen Âge ») contient trois chapitres. L’auteur y présente chronologiquement les textes (bibliques, patristiques et médiévaux) dans lesquels il est question de la résurrection des morts (chap. I), puis résume les modes de représentation de ce thème iconographique au Moyen Âge (chap. II) et revient enfin sur la question de la représentation de la résurrection des corps dans le Nouveau Testament et dans les écrits des théologiens du Moyen Âge (chap.III). La deuxième partie (« Faire ressusciter les morts. Signes picturaux et aspects formels de la représentation de la résurrection ») contient quatre chapitres. L’auteur d’abord présente son corpus et traite les questions de l’emplacement du thème de la résurrection des corps dans les édifices religieux, de son appartenance à la scène du Jugement dernier, de la diffusion de ce thème dans le cadre géographique de l’étude, de l’intégration de ce thème dans des programmes iconographiques plus vastes (chap. IV). Puis elle analyse la place précise de la scène de la résurrection dans la scène plus vaste du Jugement (chap. V), la représentation du lieu dans les scènes de résurrection, ainsi que les dynamiques qui animent les compositions et donnent à voir selon plusieurs modes ce temps de passage (chap. VI). Enfin, elle montre la stabilité des représentations dans les périphéries alpines, au contraire des lieux d’innovation que sont Rome, Florence et Venise, la gravure permettant à terme la diffusion des nouveaux modèles (chap. VII). La troisième partie enfin (« Ressusciter en chair et en os. L’image du corps dans la résurrection finale ») contient quatre chapitres. S’interrogeant sur les acteurs de la résurrection, l’auteur montre l’individuation progressive des figures dans les représentations, questionne la tension entre l’universalité de la résurrection et l’identité sociale des individus, et étudie les rapports entre les ressuscités et les figures d’intercession (chap. VIII). Après un rappel des recherches anatomiques aux XVe-XVIe siècles, elle analyse la difficulté de représenter le passage de l’état de squelette à l’état charnel et montre « l’indispensable corporéité » des figures dans les scènes de résurrection (chap. IX), puis il est question du passage d’une gamme de gestes symboliques relativement réduite au Moyen Âge à la fameuse variété gestuelle et émotive de la Renaissance (chap. X). Dans le dernier chapitre de l’ouvrage, l’auteur traite de la « contamination thématique » de la scène de résurrection par d’autres scènes picturales (la scène de bataille, le déluge…), puis après une brève allusion aux traités post-tridentins sur les images, l’auteur réinscrit les transformations de l’image des corps dans le contexte d’une affirmation renouvelée de la participation de l’homme à son propre salut. à la fin de la lecture, semble menée à bien la démonstration d’une évolution de la scène de résurrection des morts vers un traitement plus individualisé, en rapport avec « une pastorale qui insiste sur la part de l’effort humain et fait de la résurrection un événement personnel, humain, malgré sa dimension universelle, qui concerne aussi chaque homme comme être de chair ».

 

L’ouvrage possède des qualités indéniables. La longue liste des sources (p. 421-433) et la bibliographie (p. 435-464) témoignent de l’ambition du sujet, de la curiosité de l’auteur et de la multiplicité de ses lectures. Ainsi, dans les sources de l’étude, il n’est pas seulement question de sources théologiques et de traités d’art, mais on trouve encore des recueils de sermons, des textes liturgiques, des livres de piété ou des traités d’anatomie… Cette richesse se perçoit à la lecture de l’ouvrage dans lequel figurent des passages intéressants sur les sources originales que sont les livres de messe, la littérature de dévotion et de spiritualité, les arts de mourir (p. 57-66), le théâtre religieux (p. 199-205), les bibles illustrées (p. 231-234). En outre, l’auteur présente de façon intéressante les questions de la diffusion des modèles iconographiques dans les périphéries alpines et de l’itinérance des artistes (p. 221-226), à la suite des articles d’Enrico Castelnuovo sur ce sujet : ainsi, la chapelle éloignée de San Pellegrino à Giornico fut décorée d’une grande scène du Jugement impressionnante par sa taille et sa composition, par un atelier actif dans le Tessin dans les dernières décennies du XVIe siècle, car elle était une halte pour les voyageurs venant de la vallée. L’auteur traite de façon satisfaisante et avec équilibre la partie attendue d’un tel sujet, à savoir Le Jugement dernier de Michel-Ange, sa diffusion, ses reprises et transformations iconographiques (p. 235-245).

 

Je formulerai cependant plusieurs réserves. La première concerne l’établissement et la présentation du corpus. à la fixation peu argumentée des cadres géographique et chronologique de l’étude, s’ajoute le problème d’un corpus dont on ne prend connaissance qu’au chapitre IV de l’ouvrage. L’auteur a recensé quatre-vingt trois peintures murales (nombre que l’on cherche longtemps), auxquelles elle ajoute tableaux, gravures et dessins. Elle les présente sous forme d’un tableau (p. 125-134) qui gomme la chronologie et dans lequel l’on se perd : les peintures murales sont d’abord présentées selon un classement géographique, mais les tableaux, puis les gravures et dessins, selon un ordre chronologique. Les planches placées au centre de l’ouvrage reprennent le même ordre et présentent des images en noir et blanc, de petites dimensions, peu lisibles. Concernant toujours l’établissement du corpus, l’appartenance le plus souvent du thème de la Résurrection des morts au sujet plus général du Jugement dernier conduit au découpage un peu arbitraire d’une partie des images analysées. La deuxième réserve tient à l’écrasement de la chronologie du fait d’une approche typologique, parfois structuraliste, de son objet. Il y a beaucoup d’œuvres dont la date n’est pas rappelée au fil du texte, de nombreux allers-retours chronologiques suscités par la comparaison. Cette absence de fil chronologique conduit à un éparpillement des problèmes ; le propos est très décousu. La troisième réserve enfin tient à l’absence de réflexion préalable sur l’analyse iconographique elle-même. Tout en citant ici ou là les travaux de Daniel Arasse ou de Jérôme Baschet, l’auteur ne propose pas de méthode pour analyser les images autre que celle qui consiste à les décomposer, à isoler tantôt un motif, tantôt un décor, tantôt un type de figure. Le problème est particulièrement visible concernant le rapport entre les textes et les images car les longues présentations de « sources » textuelles ne débouchent sur aucune mise en œuvre tangible dans le domaine des images.

 

Ambitieux dans son sujet comme dans son déploiement intellectuel et historiographique, l’ouvrage d’Anne-Sophie Molinié manque cependant d’une unité générale et d’une véritable confrontation entre les éléments qui appartiennent au contexte culturel et les images elles-mêmes.