Autengruber-Thüry, Heidelinde : Hunde in der römischen Antike: Rassen/Typen - Zucht - Haltung und Verwendung, (Archaeopress Roman Archaeology, 84), Paperback; 205x290mm; 482 pages; 487 figures, 8 maps (colour throughout). German text., ISBN 9781789698367. £70.00
(Archaeopress, Oxford 2021)
 
Reseña de Marion Muller-Dufeu, Université de Lille
 
Número de palabras : 2860 palabras
Publicado en línea el 2023-11-11
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4302
Enlace para pedir este libro
 
 

       Ce livre s’appuie sur la thèse soutenue par l’autrice (A.) durant l’hiver 2016-2017 devant l’Université de Vienne en Autriche. Il vient combler l’absence quasi complète d’études sur ce sujet précis, qui m’avait conduite à le proposer à une de mes étudiantes à la fin des années 2000.

 

       On ne peut qu’admirer tout d’abord la quantité d’informations que Mme Autengruber-Thüry a réussi à rassembler sur l’animal en question, et la précision de ces informations : tous les aspects de la vie du chien dans l’Antiquité romaine sont ici présentés depuis le choix des parents et la naissance des chiots, jusqu’à la mort et l’enterrement des chiens, en passant par le choix de leurs noms, la nourriture et les soins qu’on leur prodiguait, les endroits où ils passaient leur vie, les accessoires dont on les munissait, les tâches qu’on leur attribuait, les rapports qu’on entretenait avec eux. Plus encore, l’A. déborde largement sur l’Antiquité grecque (où la situation, telle qu’on la connaît du moins, est sensiblement la même) et utilise des éléments contemporains pour les comparer avec ce qu’on sait de l’Antiquité romaine.

 

       Après le sommaire, un avant-propos et une introduction, le livre présente deux parties de taille inégale : la première, plus longue (9 chapitres, presque 300 p.), est un « aperçu général de l’état des connaissances de l’Antiquité sur le thème du chien ». La 2e (6 chapitres, un peu moins de 200 p.) apporte des approfondissements sur certains sujets, avant un résumé, un appendice contenant une liste des noms de chiens antiques connus avant cette étude, des cartes, le résumé en anglais de l’ouvrage et les habituelles annexes (Liste des abréviations, Bibliographie, Liste des auteurs antiques, Index des citations, Sources internet, et Index des illustrations).

 

       Le 1er chapitre s’intéresse aux races de chiens connues dans l’Antiquité. L’A. précise tout d’abord qu’il n’est pas possible de tracer des liens génétiques entre les races anciennes et les races modernes, et que toute identification des unes aux autres est donc à rejeter. En parcourant les sources antiques à ce sujet, elle constate ensuite qu’on ne peut guère y trouver d’informations précises quant à l’aspect physique des représentants de ces races ; au mieux peut-on avoir une idée de leur taille relative (petit, moyen ou grand chien). Le nom des races est le plus souvent emprunté à la région d’origine, avec parfois des doublons possibles, comme le Laconien et le Spartiate. Bien entendu, il n’existait pas dans l’Antiquité de standards aussi exigeants que de nos jours, et c’est pourquoi l’A. parle le plus souvent de race/type, plutôt que de race au sens actuel. Elle fait ensuite un catalogue alphabétique de tous les noms que nous ont transmis les sources, avec un schéma fixe : origine du nom, sources, description du type si possible et critique des informations transmises. L’A. aboutit ainsi à un total de quatre-vingt-deux noms évoqués, de façon plus ou moins détaillée, par les Anciens. Elle discute ensuite cinq noms évoqués par la littérature récente, sans justification suffisante. Le chapitre se termine par un tableau où sont regroupées les informations données dans les pages précédentes.

 

       Le 2e chapitre explore le domaine de l’élevage des chiens : les éleveurs (et leurs protecteurs divins éventuels), les buts de l’élevage, le choix des reproducteurs, les recommandations sur l’âge et l’époque de la reproduction, la durée de la gestation, les soins accordés à la chienne gestante, la naissance et le nombre des chiots, le développement et l’élevage des chiots, puis leur éducation. L’A. souligne que dans l’Antiquité, le cas le plus fréquent était l’élevage par les particuliers pour leurs besoins personnels. Le croisement des types/races visait soit à reproduire les qualités des parents (deux parents de même race), soit à les corriger/améliorer (parents de races différentes). L’A., dans ce chapitre, utilise des éléments modernes à titre de comparaison avec les affirmations des Anciens. Elle énumère ensuite les recommandations des auteurs anciens relativement à ce thème, en les classant par ordre chronologique, depuis Varron jusqu’à Némésien. Elle fait ensuite litière de certaines croyances antiques, qui imaginaient des croisements entre chiens et diverses espèces de fauves (loup, renard, tigre et lion) : les études modernes ont montré que seul le loup est biologiquement capable de s’accoupler avec le chien. Enfin, elle évoque le commerce des chiens dans l’Antiquité, pour lequel on possède quelques sources.

 

       Dans le 3e chapitre, l’A. évoque les noms de chiens que fournissent les sources antiques : elle s’appuie pour ce faire sur le catalogue établi en 1933 par F. Mentz, en le complétant par ses propres recherches. Après quelques considérations sur les choix possibles ou souhaitables de tels noms d’après les auteurs antiques, elle commente tous ces noms, classés par type de support, puis par ordre alphabétique, d’abord en langue latine, puis en langue grecque : d’abord les noms inscrits sur mosaïque, puis sur stèles, sarcophages et autres columbariums,  les noms livrés par des textes littéraires, les noms inscrits sur des peintures murales, sur des vases, sur des gemmes. Elle termine par des noms dont l’attribution à des chiens n’est pas certaine, et par d’autres qui doivent plutôt être considérés comme noms de personnes. Á l’occasion, elle s’interroge à raison sur la réalité du nom, par exemple sur le nom de « Loraos » transmis par Th. Reinach pour une amphore à col du Musée de Tarquinia, décorée d’une Chasse de Calydon. Th. Reinach s’est visiblement trompé ici dans sa lecture, comme on peut le voir clairement sur la photo du vase sur le site digital du LIMC (http://ark.dasch.swiss/ark:/72163/080e-73dac92456921-3, consulté le 14/09/2023) : le chien s’appelle Gorgos, ce qui est particulièrement adapté à un chien de chasse. L’A. montre en effet que les noms de chiens dans l’Antiquité sont souvent tirés des qualités possédées (réellement ou en souhait) par l’animal. J’aimerais revenir dans un court article sur cette erreur et sur les implications de méthodologie qu’elle implique. (Le commentaire du LIMC reprend la lecture fautive de Reinach, tout en utilisant une photo parfaitement claire !).

 

       Dans le 4e chapitre, l’A. s’efforce de rassembler les quelques informations sur l’accueil et les lieux de séjour des chiens dans l’Antiquité : sources écrites ou iconographiques sont peu disertes à ce sujet. Il semble que le chien pouvait accompagner son maître dans un certain nombre d’endroits (gymnase, boutiques, ateliers, voire banquets), certains pouvaient même être admis sur le lit de leurs maîtres, si l’on en croit des sarcophages, où ils figurent peut-être cependant à titre de symbole de fidélité. Les sources archéologiques, à Pompéi surtout, donnent à  voir quelques aménagements pratiqués dans des maisons, principalement à proximité de l’entrée ou de la guérite du gardien : espace ménagé au sol ou trou dans un mur destiné à accueillir l’extrémité de la laisse/chaîne. Les chiens pouvaient également embarquer, non seulement pour accompagner leur maître, mais aussi pour chasser les nuisibles.

 

       Le 5e chapitre décrit les accessoires utilisés dans la vie quotidienne du chien : collier en cuir ou en métal, parfois richement décoré, voire collier à pointes pour protéger l’animal lors de la chasse, et même harnais couvrant la poitrine du chien, laisse, chaîne ou longe en corde ou en métal, et jusqu’à des protections pour le ventre. On connaît assez bien tous ces accessoires, qui sont reproduits sur divers supports iconographiques et dont l’archéologie a fourni quelques exemples. On évoque aussi d’autres accessoires, moins courants, comme la muselière, et les gamelles, dont peu d’exemplaires sont connus de façon certaine, car on utilisait sans doute pour cet usage des plats déjà ébréchés, ou un sifflet, avec un bel exemplaire en terre cuite. Á ce propos l’A. s’étonne que deux exemplaires (ill. 306 et 307), proviennent de deux sites très éloignés : elle ignore sans doute la façon dont cet artisanat de terre cuite pouvait se répandre sur des territoires très vastes. En tout cas, les deux objets appartiennent très certainement à la même série, le n° 307 étant possiblement un surmoulage du 306.

 

       Dans le 6e chapitre, l’A. s’intéresse à la nourriture du chien : les auteurs anciens donnent à ce sujet un certain nombre de recommandations, tandis que les sources iconographiques évoquent plutôt la nourriture que pouvaient s’adjuger les chiens eux-mêmes, viande, fruits, mais aussi pain et divers autres éléments, pour nous pas forcément très ragoûtants, mais dont les chiens, jadis comme aujourd’hui, pouvaient être friands …

 

       Le 7e chapitre énumère et explore les maladies qui pouvaient toucher les chiens, ou du moins celles qui avaient été reconnues comme telles dans l’Antiquité. Dès l’Odyssée, les parasites, qui envahissent le chien Argos, sont évoqués. De nombreux auteurs évoquent aussi les tiques, les puces et autres parasites et proposent divers remèdes. Pour Aristote et nombre d’auteurs à sa suite, les chiens souffrent, outre de ces attaques de parasites ou autres maladies de peau, de trois maladies principales : la rage, l’angine et la goutte. Les Anciens étaient persuadés que les chiens étaient capables de se purger et de se guérir en absorbant certaines herbes. Ils connaissaient bien les dangers de la rage et essayaient de trouver des moyens d’échapper à ses conséquences, en vain : on croyait par exemple qu’il fallait arracher la queue du chien, dans laquelle se serait trouvée la cause de cette maladie ! Les chiens, spécialement les chiens de chasse, étaient également sujets à un certain nombre de blessures : les Anciens avaient bien remarqué que le chien pouvait se guérir d’une blessure bénigne grâce au pouvoir antiseptique de sa salive, mais l’archéologie montre que dans des cas plus sévères, des fractures ont pu guérir. Les textes, surtout les textes funéraires, évoquent des chiens qui atteignent des âges respectables, et montrent que, même âgés et affaiblis, ils pouvaient être soignés et même encore utilisés à la chasse. Au-delà des 20 ans atteints d’après Homère par le chien d’Ulysse, la littérature cite des chiens vieux de 15 ou 18 ans, même si les auteurs fixent comme limite raisonnable l’âge de 14 ou 15 ans.

 

       Le 8e chapitre est un catalogue d’épigrammes funéraires pour chiens transmises soit par la littérature, soit par des inscriptions : l’A. donne le texte, une traduction, le plus souvent reprise à des recueils plus anciens et plus généraux (Versinschriften de Peek, par ex.) et un commentaire rapide. Un petit tableau résume les indications qu’on peut tirer de ces 30 textes.

 

       Le 9e chapitre s’intéresse aux sépultures de chiens et à l’élimination de leurs cadavres. De rares sources donnent des indications sur ce thème. En revanche, l’archéologie a fourni des exemples assez nombreux de sépultures soigneusement préparées pour des chiens, souvent avec des « offrandes », comme un os ou un vase. Les cadavres des chiens errants, sans doute nombreux dans les villes, devaient être éliminés au fur et à mesure pour éviter les maladies. Cela pourrait expliquer les découvertes groupées de plusieurs cadavres canins. Dans certains cas, les chiens sont enterrés auprès de leur maître : on suppose alors que les chiens pouvaient être sacrifiés, et certaines sources littéraires suggèrent que certains suivaient d’eux-mêmes leur maître dans la tombe.

 

       Le 10e chapitre approfondit les divers usages du chien dans la société romaine, toujours en confrontant les sources littéraires, iconographiques et archéologiques. Le chien était d’abord utilisé pour garder la maison : il trouve ainsi sa place sur divers objets précieux, comme des coffres ou des clefs, mais aussi sur des tuiles, où il protège la maison des voleurs éventuels, et sur des plaques funéraires, où il témoigne de son attachement à son maître et le garde au-delà de son décès. On n’oublie évidemment pas les mosaïques du type Cave canem, où le chien virtuel assume la fonction de son semblable réel. Un prolongement de la fonction de chien de garde est celle de chien de berger : il s’agit ici de protéger non plus la maison, mais le troupeau, et les auteurs anciens avaient bien perçu qu’il fallait là des qualités spécifiques. Quelques images montrent ce type de chien en situation. L’autre grande fonction du chien était d’accompagner son maître à la chasse. Là aussi, il faut développer des qualités particulières que les auteurs rappellent et que les chasseurs savaient encourager chez leurs chiens. Comme de nos jours, les chiens de chasse avaient de longues oreilles tombantes, même si les représentations figurées leur donnent plutôt, du moins dans les époques anciennes, des oreilles courtes et dressées. Il fallait à la fois que les chiens sachent « forcer » le gibier, mais qu’ils le laissent à leurs maîtres, et cette double attitude, un peu contradictoire, donnait lieu à des entraînements spécifiques, parfois représentés dans l’art. Enfin, l’art évoque aussi les dangers courus par les chiens au cours de la chasse, de la part d’animaux redoutables comme les sangliers par exemple. Enfin, le chien, surtout quand il avait un petit gabarit, était utilisé simplement comme animal de compagnie, souvent pour des enfants, mais aussi pour des adultes.

 

       Dans le 11e chapitre, l’A. s’intéresse aux autres utilités du chien, tout en laissant de côté volontairement la place du chien dans la magie. On peut ainsi trouver des chiens dans les sanctuaires, d’abord à titre de gardiens, car les richesses conservées dans ces lieux pouvaient attirer des malfaiteurs. Dans les sanctuaires d’Esculape, ils pouvaient aussi aider à la guérison des malades. Mais il devait y avoir aussi de nombreux chiens errants, attirés par les offrandes alimentaires déposées sur les autels. Certaines sources littéraires évoquent l’utilisation des chiens pour la guerre : à part quelques cas très particuliers, ils devaient être utilisés plutôt pour garder les camps ou les murailles pendant la nuit. Les chiens pouvaient être utilisés aussi dans l’amphithéâtre pour participer à des « chasses », où on les faisait s’affronter à des fauves. Il devait alors s’agir de chiens de chasse, de grande taille, et ils pouvaient être encadrés par un ἀρχικυνηγός, mentionné par quelques inscriptions. Le chien pouvait aussi servir, rarement, d’animal de trait, comme le montrent quelques objets figurés (peintures de vases, reliefs, terres cuites) et comme l’usage en est resté jusqu’au début du xxe siècle. Les chiens, surtout les chiens errants, avaient aussi une utilité comme « éboueurs » : on sait que les chiens sont omnivores (et souvent gloutons) et ils devaient débarrasser les rues de tous les détritus qu’on y jetait sans précaution, à une époque où la collecte des ordures n’était pas organisée. Ils devaient aussi participer à la disparition des bébés « exposés » par leurs parents. En revanche, rien n’indique que le chien ait été utilisé dans l’Antiquité pour guider les aveugles.

 

       Le 12e chapitre montre comment le chien pouvait encore participer à l’économie générale en fournissant diverses matières premières : la fourrure du chien pouvait servir par exemple à fabriquer des chapeaux, comme celui que possédait Hadès, ou encore des bourses. Les poils de  chien pouvaient aussi servir à garnir des coussins. En tout cas, les observations faites sur les os de chiens trouvés en fouille montrent qu’on récupérait parfois la peau de ces animaux. Un texte mentionne l’utilisation du lait de chienne, mais il ne semble pas que cette pratique soit avérée, en dehors peut-être de la magie, où toutes les parties du corps ou tous les organes pouvaient trouver leur usage. Le chien pouvait être une victime sacrificielle, soit lors de funérailles, soit pour des divinités particulières, comme le mentionnent certains textes. Le chien pouvait aussi servir à l’exécution de certains criminels, avec lesquels ils étaient enfermés dans un sac qu’on jetait ensuite dans un fleuve ou à la mer. Il ne semble pas que le chien ait servi de nourriture dans l’Antiquité, sinon peut-être dans des circonstances particulièrement difficiles. L’A. fait ensuite un assez long excursus sur le phénomène des empreintes de chiens sur les tuiles : contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas là (en règle générale du moins) d’accidents, dus à l’errance des chiens, mais d’une pratique volontaire, sans doute d’origine magique. En effet, quand il y a plusieurs empreintes, elles ne correspondent pas à ce qui pourrait être le cheminement spontané d’un animal, et on constate qu’elles sont souvent associées à d’autres éléments comme des timbres ou autres signes.

 

       Le 13e chapitre relève les qualités particulières que les Anciens reconnaissaient au chien : intelligence et aptitude à apprendre, mais aussi fidélité et attachement à leur maître. Ce qui mène naturellement le 14e chapitre à approfondir les sentiments des humains envers les chiens, sentiments largement documentés par la littérature et les représentations figurées. Enfin le 15e chapitre montre comment les chiens pouvaient être considérés comme un objet de luxe et comme le symbole d’un certain statut social.

 

       Comme on le voit, l’ouvrage de Mme Autengruber-Thüry allie la quantité des informations à leur qualité et donne à la communauté scientifique l’ouvrage de référence qui manquait jusqu’alors en ce domaine. On insistera particulièrement sur l’étendue des domaines abordés, étendue qui rend compréhensible la présence de quelques erreurs malgré le soin visiblement apporté par l’autrice à son travail : il est difficile de maîtriser parfaitement toutes les disciplines abordées dans cet ouvrage. La lecture de ce livre a été un véritable plaisir, qui m’a apporté énormément de connaissances, à commencer par l’initiation à un vocabulaire spécialisé rarement abordé dans les études ordinaires.