Ghiotto, Andrea Raffaele: L’architettura romana nelle città della Sardegna, (Antenor Quaderni 4), pp. 268; figg. 92 b/n; cm 21x29,5; ISBN 88-7140-275-8; 72,00 €
(Edizioni Quasar, Roma 2004)
 
Compte rendu par Arianna Esposito, Université de Bourgogne
 
Nombre de mots : 1322 mots
Publié en ligne le 2010-01-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=424
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L’archéologie de la Sardaigne est un champ de recherche particulièrement fertile. Elle connaît un renouveau impressionnant, tous domaines et époques confondus, stimulé sans doute par les travaux et les recherches de jeunes chercheurs, notamment italiens, qui placent sa « stratigraphie culturelle » au sein de leur démarche, et par les activités de terrain que l’Université de Padoue, entre autres, mène depuis quinze ans sur l’île.

 

C’est dans cette perspective que s’insère l’ouvrage d’Andrea Raffaele Ghiotto, L’architettura romana nelle città della Sardegna, une monographie qui comble sans doute une lacune. Cette publication est en effet la bienvenue dans l’état actuel des recherches car, si plusieurs essais publiés dans les derniers quarante ans témoignent d’un intérêt constant pour ce sujet, ils se fondent néanmoins essentiellement sur des visions partielles en abordant des ensembles précis, sur les villae par exemple ou les thermes extra-urbaines, ou sur la décoration architecturale. En somme, nous manquions jusqu’à présent d’une synthèse générale et raisonnée se situant dans une perspective résolument critique, visant à appréhender les étapes et les modalités de la monumentalisation de cette province particulièrement intéressante dans la mesure où elle est à la fois “« minore » nell’ambito del mondo romano, ma particomarmente legata all’Urbe sia da una stretta vicinanza geografica e commerciale sia dall’antica data della sua istituzione” (p. 2).

 

L’auteur, membre depuis une dizaine d’années de l’équipe italienne interuniversitaire (Géne, Milan, Padoue, Pise et Viterbe) travaillant en Sardaigne, participe aux fouilles de Nora et de son territoire, sous la direction de Francesca Ghedini, auteur de la Préface. Il a de ce fait déjà publié quelques articles sur l’urbanisme et l’architecture de Nora, dont on trouvera les références en bibliographie de l’ouvrage (p. 217 s). Mais le travail proposé dans ce livre est bien évidemment de plus grande ampleur. Ghiotto publie ici sa thèse de doctorat. Présenté en février 2003, le travail est donc rapidement mis à disposition des lecteurs, après les corrections de rigueur, dans une collection – Antenor Quaderni – très prolifique notamment en ce qui concerne les problèmes d’architecture dans le monde romain.

 

Du point de vue chronologique, le champ de l’étude porte ici sur plusieurs siècles. La période envisagée comprend l’arc de temps qui va de l’institution de la province, en 227 av. J.-C., à l’invasion des Vandales, conventionnellement fixée en 456 ap. J.-C. Si le point de départ est l’étude des témoignages architecturaux connus, la documentation tient compte également – et en large mesure – des sources épigraphiques, les seuls témoignages prouvant l’existence de structures qui seraient autrement méconnues sur l’île (par ex. p. 106 s.).

 

C’est à l’issue des quelques 200 pages de texte que l’on trouvera : une liste des abréviations ; 45 pages de bibliographie, les auteurs étant classés par ordre alphabétique ; un index (lieux). Le dernier chapitre, incontestablement le plus concis de l’ouvrage, doit assurément être lu en guise de « synthèse propositive », les Osservazioni conclusive proprement dites étant distribuées à la fin de chaque chapitre. Il n’y a en effet pas de conclusions « classiques ». Les 92 planches auxquelles l’auteur renvoie très scrupuleusement sont intercalées avec 8 tableaux diachroniques fort utiles dans la mise en perspective des données recensées et en vue de la discussion finale.

 

Après un rapide prémisse (p. 1-2), Ghiotto s’attache au premier des douze chapitres qui composent l’ouvrage. L’omission du travail préalable d’historiographie et l’absence de justification quant à l’originalité de son étude constituent des choix surprenants, surtout dans le cadre de la publication d’une thèse. Malgré tout, le parti pris reste assez compréhensible : la Préface de Francesca Ghedini fournit – quoique brièvement – le contexte intellectuel en amont de l’étude. Cela étant, il aurait été souhaitable que l’Auteur trace personnellement un cadre de référence, même abrégé, rendant compte des différentes problématiques abordées. Ce premier chapitre (« Le tecniche edilizie »), en forme d’introduction méthodologique, présente d’emblée un panorama sur les matériaux de construction, “sulle modalità di fondazione più attestate per poi analizzare nel dettaglio le singole tecniche edilizie impiegate nella realizzazione degli alzati murari” (p. 5), avec une attention constante à leur diffusion géographique et à leur étendue chronologique. L’objectif de ce large aperçu est : I) de parcourir littéralement les principales phases du développement technique de l’architecture sarde afin de cerner la persistance des systèmes constructifs d’origine punique, et II) d’appréhender les rythmes et les modes de réception des principaux modèles constructifs en provenance de Rome.

 

Les neuf chapitres suivants qui composent l’ouvrage passent en revue les différents types de constructions, publiques et privées, attestées dans les cités de l’île. Pour chaque classe l’Auteur s’attache, selon une approche résolument diachronique, à la fois aux aspects techniques et typologiques et aux contextes historique et urbain.  L’analyse de la fullonica de Nora est tout à fait remarquable : l’Auteur adhère à une hypothèse récente sur cet ensemble en le rattachant au domaine privé. Il s’agirait d’une domus avec péristyle à jardin et, par conséquence, d’un témoignage rare en domaine sarde.

 

Les onzième et douzième chapitres considèrent le développement monumental des différentes cités sardes pendant la domination romaine selon une double approche. Tout d’abord on analyse, de manière brève et monographique, chaque cité (p. 179-196) et, dans un second temps, on considère ce même développement de manière globale, en fonction des différentes phases historiques (p. 197 s.). Le but est bien entendu d’appréhender la nature et les temps de la « romanisation » des habitats à travers la réception des nouveaux modèles édilitaires introduits depuis la Péninsule. L’époque sévérienne apparaît ainsi comme une étape essentielle. Elle constitue l’akmé de ce long processus. Cette période correspond en effet à la phase de monumentalisation des cités sardes que l’on peut sans doute qualifier comme étant à la fois la plus imposante et la plus systématique. Certes, l’approche diachronique pourrait laisser croire à la mise en évidence d’un processus linéaire. Or, A. R. Ghiotto parvient à esquiver cet écueil et souligne au contraire de façon convaincante le caractère au moins binaire de l’évolution de l’architecture sarde : si l’architecture publique est tout compte fait fortement influencée, dès le IIe s. av. J.-C., par le pouvoir central – la proximité géographique avec Rome a sans doute joué un rôle dans le caractère rapide et amplifié de ces influences –, l’architecture sacrée et les habitations ainsi que les techniques de construction dont elles relèvent pointent en revanche la permanence de modèles puniques sur l’île à la fin de l’époque républicaine ainsi que leur reprise flagrante en pleine époque impériale (p. 55 s. en particulier pour les contextes sacrés ; p. 211 s. pour l’étude des types d’habitations). C’est la prise en compte de cette optique protéiforme, à la fois globale et historique, urbaine et diachronique, locale et méditerranéenne, nourrie d’une forte érudition, qui lui permet en dernière instance de rattacher la reprise de ces caractères puniques à une tradition locale plutôt qu’à l’influence africaine, et à contester une “visione « panafricanista » che potrebbe indurre a considerare indistintamente tutte le manifestazioni artistiche della Sardegna romana come il riflesso di altrettanti modelli africani esportati nell’isola” (p. 213). Sans pour autant nier une influence consistante des provinces romaines, l’Auteur défend la vision de l’architecture sarde comme le résultat d’une fusion féconde entre traditions puniques et influences provenant aussi bien de Rome et de l’Italie que d’autres contrées méditerranéennes, telles que la péninsule ibérique ou la Gaule. Ainsi, par exemple, le temple de Via Malta à Cagliari est appréhendé comme une manifestation de la tradition architecturale italique bien que l’adhésion à une vision scénographique signale “una sensibilità architettonica già permeata da simili suggestioni  di ascendenza ellenistica” (p. 37). L’étude critique des habitations lui permet de dégager l’existence de modèles puniques pour la fin de l’époque républicaine ou pour l’époque impériale (par ex. pour les Case dell’Atrio tetrastilo de Nora) et d’écarter le modèle italique de la casa ad atrio dont “si ha una qualche suggestione solamente a Cagliari in età augustea” (p. 211). Mais si l’on considère l’époque impériale, c’est alors le modèle de la maison à péristyle largement répandu en Italie et dans les provinces occidentales qui s’impose, avec cependant certaines caractéristiques propres à l’architecture privée africaine (par ex. l’articulation par « noyaux »), et d’autres qui relèvent du milieu gaulois ou ibérique “come la vasca interrata  disposta attorno all’area scoperta della cosidetta fullonica di Nora”.

 

 

Cet ouvrage intéressant restitue un pan important de l’histoire de l’architecture de l’île à partir de l’analyse attentive de l’ensemble de la documentation disponible. La lecture de l’ouvrage est aisée, le style est soigné, le plan clair et détaillé. De cette lecture, on en tire l’impression d’un livre qui analyse de façon propositive les thèmes abordés. On ne peut que féliciter l’auteur pour avoir su réaliser une présentation aussi érudite, raisonnée et intelligente.