Van Andringa, William : Archéologie du geste. Rites et pratiques à Pompéi, p. 198, 21 x 27 cm, ISBN : 9791037008855, 42,00 €
(Hermann, Paris 2021)
 
Reseña de Béatrice Robert
 
Número de palabras : 2351 palabras
Publicado en línea el 2023-02-15
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4218
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       Pompéi, un nom que l’on ne peut ignorer et qui a fait couler beaucoup d’encre ! Pompéi, une ville exceptionnelle éteinte brutalement et laissant à l’archéologie un champ d’investigation étendu et passionnant pour des générations d’archéologues et de chercheurs en toutes disciplines. W. Van Andriga fait partie de ceux-ci, de ces férus de connaissances qui souhaitent livrer à ses lecteurs la vie des Pompéiens, dans ce qu’elle a de plus intime. Fort de huit chapitres et de 189 pages, l’ouvrage Archéologie du geste. Rites et pratiques à Pompéi, nous plonge au cœur des pensées de cette population définitivement effacée de la carte en 79 ap. J.-C..

 

       Toutes les traces observées sur le terrain sont autant de gestes, de séquences rituelles et de symboles attestant du quotidien et des pratiques des Pompéiens. Bien plus qu’une synthèse de travaux, cet ouvrage, comme le mentionne lui-même l’auteur en conclusion, est un manifeste « pour une archéologie du détail », seul moyen d’accéder à l’espace privé des populations qui nous ont précédées.

 

       Que retenir de l’ouvrage l’Archéologie du geste ? Tout d’abord, nous soulignerons que l’auteur s’est efforcé de nous intégrer à sa recherche en suivant une progression minutieuse allant de considérations générales sur l’archéologie au particulier, avec la fouille appliquée de sépultures. Ensuite, nous remarquerons qu’il part de sphères ouraniennes pour se diriger vers des sphères chtoniennes. En effet, en huit chapitres, il emmène le lecteur à l’intérieur de la ville de Pompéi et ouvre ses yeux sur les impacts de foudre visibles dans l’habitat, le bâti des lieux de cultes, les décors dans le cadre domestique, les aires funéraires, puis l’aspect mémoriel des gestes et pratiques rituelles.

 

       Plus précisément, le premier chapitre s’ouvre sur une définition de l’archéologie. W. Van Andriga insiste sur la portée d’une approche rigoureuse du terrain, la nécessité d’enregistrer précisément les observations in situ et l’étude minutieuse d’espaces délimités. Il compare la fouille archéologique à une enquête, une « dissection » pour reprendre les termes de Tim Ingold. Il souligne les progrès effectués dans les différentes approches archéologiques, notamment celles faites en anthropologie funéraire, et se fonde sur les études réalisées sur la Nécropole de Porta Nocera pour convaincre son lecteur de l’importance d’examiner les traces laissées par les humains pour accéder au quotidien des hommes et aux séquences gestuelles individuelles ou collectives. À ce titre, l’auteur parle « d’intimité gestuelle » pour souligner que les objets et matériaux induisent le geste de l’archéologue et favorisent l’accès aux chaînes opératoires. Il rappelle alors que la conservation du site de Pompéi est propice à la constitution de ces séquences gestuelles.

 

       Le deuxième chapitre est consacré aux traces laissées par la chute de la foudre sur les habitats pompéiens et à la cérémonie de bidental. L’auteur y détaille avec précision les gestes associés au fulgur conditum ou « enterrement rituel » et ouvre un accès aux différents savoirs religieux en confrontant ses conclusions archéologiques non seulement aux données textuelles à disposition, mais aussi aux investigations faites sur d’autres sites romains.

 

       W. Van Andriga s’appuie pour cela sur l’étude réalisée sur le Bidental de la Maison des Quatre Styles (fouilles menées entre 2008 et 2012). Après avoir noté que ce dernier, caractérisé par un tertre et une fosse situés dans le jardin, était connu dès 1938, il dresse une liste de ses observations et en reconstitue la séquence gestuelle. Il démontre que ce type d’enterrement est parfaitement réfléchi et organisé et s’inscrit dans les rituels connus par les textes anciens mais aussi la tradition orale. Grâce aux gestes identifiés entre le creusement de la fosse et la déposition, il met en évidence que cette pratique, bien que non obligatoire, n’était pas anodine mais attestait de la présence ou d’un lien avec un « haruspice ou d’un collège d’haruspices » capable de guider la population dans le cadre de ce type de rituel. L’auteur souligne toutefois l’absence d’autres exemples au sein de la ville alors que la foudre a certainement dû tomber à d’autres endroits.

 

       Le troisième chapitre de l’ouvrage s’attache plus amplement aux lieux de culte et aux liens existants entre architecture/espaces et rituels. L’auteur fait le choix de s’arrêter un moment sur les cérémonies isiaques en raison de l’originalité des espaces et du culte. S’interrogeant sur l’existence de règles rituelles dans le culte d’Isis, il s’appuie sur la fouille de l’Iseum de Pompéi et le compare à l’Iseum de Baelo Claudia situé en Espagne.

 

       Il tire de ses observations plusieurs éléments récurrents ; une association temple ; autel ; vestiges d’offrandes végétales et animales carbonisées. À cela s’ajoute la présence d’un espace de purification manifesté par un puits-réservoir ainsi qu’un espace de crémation se caractérisant pour une fosse quadrangulaire maçonnée contenant les restes sacrificiels incinérés (gallinacés ou autres oiseaux jetés entiers).

 

       Si l’auteur met en évidence deux séquences rituelles à partir des études de terrain : le sacrifice à proprement parlé et la mise en terre (où des objets [monnaie et lampe] accompagnent les cendres et os calcinés), il s’interroge sur deux aspects des lieux et des cultes, à savoir : 1/ si l’autel peut également avoir servi pour les sacrifices ; 2/ la possibilité d’une utilisation dissociée de l’autel et de la fosse dans le cadre de la cérémonie.

 

       Enfin, il conclut en soulignant l’existence d’une trame liturgique dans le déroulement des cérémonies isiaques. Ces dernières rappelleraient celles égyptiennes en raison des pratiques fondées sur l’holocauste d’espèces aviaires.

 

       Le chapitre quatre opère une transition entre espaces extérieurs et espaces intérieurs. En effet, l’auteur aborde la question des décors pompéiens et plus particulièrement les images en lien avec des pratiques rituelles. La ville propose à ce titre une iconographie assez conséquente dans le cadre de l’espace domestique et surtout répétitive. L’auteur choisit donc de se focaliser sur le cas de laraires (généralement situés dans la cuisine ou l’atrium) ou de sacrarium (lorsque des Dieux autres que les Lares sont ajoutés au décor) et d’en détailler les décors.

 

       De manière générale, il note que les Lares sont souvent par deux et surdimensionnés. Ils entourent l’image d’un Génie du père de famille situé dans une niche (associé à une corne d’abondance) et au-dessous se trouvent deux serpents symétriques autour d’un autel chargé d’offrandes (en général pomme de pin, œufs). Ces serpents sont des Gardiens ou Génies du lieu. Si des variantes sont attestées au sein des laraires, les personnages sont toujours représentés. L’auteur s’arrête également quelques minutes sur l’image de la praefatio.

 

       Les études réalisées sur les laraires et sacrarium tendent à montrer une certaine uniformité de la pensée religieuse ou de la symbolique. Cette uniformité tiendrait donc un rôle fondamental dans la transmission du rite et la finalité de l’action rituelle, dans la pratique religieuse et le sens de la religion familiale. La présence d’autres Dieux (cas des sacrarium) ne ferait que confirmer et accentuer l’activité rituelle au sein de l’espace domestique.

 

       Avec le chapitre cinq, l’auteur passe de l’image aux objets et procède à l’examen de ceux trouvés en contexte funéraire. Parmi les nombreuses occurrences, il s’arrête sur le cas des lampes à huile, balsamaires et offrandes végétales et animales retrouvés sur différentes aires funéraires : quartier de Vesonius Philéros, nécropole de Porta Nocera. Il met en avant des gestes rituels associés à différents moments : la crémation, la mise en terre ou encore la commémoration. Pour le cas des lampes, il restitue trois gestes spécifiques : la lampe accompagne l’urne cinéraire jusque sur le lieu de funérailles ; puis elle est déposée près du bûcher. À la fin de la crémation, elle est volontairement brisée avec le pied ou avec une pierre. Le balsamaire est utilisé pour enduire le corps du défunt avant crémation puis en fin de cérémonie. L’objet est ensuite déposé dans la sépulture avec les restes osseux. Enfin, les offrandes végétales et animales ne sont en aucun cas liées à un quelconque banquet ou partage lors des funérailles mais bien une offrande associée au défunt ; tous deux passant au feu. Les aliments ont une provenance domestique et sont très certainement prélevés dans la maison du défunt. Si certaines pratiques plus complexes comme le sacrifice d’animaux peuvent être suspectées, elles restent exceptionnelles. L’auteur évoque l’existence d’une culture funéraire commune dans l’aire romaine et cite des exemples comparables sur les sites de Voghenza et Saint-Paul-Trois Château.

       

       Le chapitre six change de perspective. Il est orienté autour des rituels et pratiques mémorielles à travers l’étude du quartier funéraire de P. Vesonium Phileros entre la période augustéenne et l’éruption du Vésuve. L’auteur s’intéresse à la « mémoire affichée » autour du monument funéraire, de la tombe elle-même (monumentum et du sepulcrum) et plus particulièrement aux différents marquages comme les stèles associées aux tombes. Il note que tous ne peuvent être considérés au même niveau. Qu’il s’agisse des placements, déplacements de sépultures, remaniements, marques nominatives, exhaussement de la stèle, d’épitaphes ou de stèles anthropomorphes, toutes ces traces sont autant de gestes révélateurs d’un entretien d’une « mémoire individuelle, d’une mémoire familiale/d’une solidarité familiale ou encore, d’une stratégie de l’oubli ». Aucune trace n’est anodine ; chacune correspond à la volonté d’un individu ou d’une collectivité de garder en mémoire une personne, une famille, un citoyen d’importance ou un individu à qui l’on est attaché. Cela peut également être le contraire et le souhait d’effacer un nom. Les raisons poussant à ces gestes sont multiples.

 

       Faisant suite aux pratiques mémorielles, le chapitre sept s’attache aux transformations des pratiques rituelles et des transitions funéraires ; à leur évolution au cours du temps. Sur le site de Pompéi, l’auteur remarque que les nécropoles situées le long de la route d’accès à la ville émergent après la fondation de la colonie, entre 80 et 30 av. J.-C. Des monuments et enclos sont identifiés ainsi que l’adoption de la crémation. Des familles sont présentes dans ces nécropoles ce qui témoigne d’une « installation planifiée dans le suburbium ». De 50 à 20 av. J.-C., en pleine période augustéenne, il note le développement de nécropoles à caractère monumental, de mausolées témoignant de la considération apportée aux citoyens. Les dimensions de certains tombeaux rendent compte non plus d’une richesse individuelle mais d’une pensée collective où le « citoyen méritant » trouve une place spécifique. En témoigne la construction de schola associée à l’ensemble funéraire. Les pratiques semblent stabilisées sous le règne d’Auguste et jusqu’à celui de Tibère. Un dérèglement est noté avant l’éruption qui met fin à la ville de Pompéi.

 

       L’ouvrage se termine avec le chapitre huit sur un bilan des gestes et pratiques funéraires identifiés à Pompéi. L’auteur évoque le fait que, d’après l’ensemble des données récoltées lors des différentes fouilles, la mort est bien traitée comme une fin par la population. Les séquences rituelles mises en évidence sont limpides et parfaitement décryptées. Elles reposent sur pas moins de 120 sépultures datées entre les époques médio-augustéenne et flavienne. Toutes ont permis de démontrer une certaine stabilité des « partitions gestuelles » ainsi que l’existence d’une tradition dans l’organisation des aires funéraires et dans la célébration des funérailles :

  • corps acheminé dans la nécropole ; le mort pouvant être sur un lit funéraire ;
  • corps brûlé sur un bûcher à l’intérieur d’un enclos avec une gestion familiale des aires de crémation ;
  • offrandes déposées sur le bûcher ;
  • dépôts caractéristiques parfois observés (instruments de tissage emblématiques de la matrone ou colliers, pendentifs…lors de funérailles d’enfants) ;
  • après la crémation : refroidissement du bûcher et collecte des restes osseux avant le curetage de l’aire ;
  • contenu d’un gobelet versé sur les restes osseux ainsi que du parfum puis objets brisés sur le tertre. Restes déposés dans l’urne avec parfois les flacons à parfum. Absence de lampe dans l’urne (la présence de flacons à parfum comme d’une monnaie dans l’urne relève d’un geste circonstanciel) ;
  • dépôt dans la fosse et mise en place d’une stèle ;
  • phase de recueillement de la famille qui peut alors déposer des objets, verser de l’huile, brûler des offrandes alimentaires…

 

       Toutefois, l’auteur achève son ouvrage en notant un changement d’habitus juste avant l’éruption du Vésuve sans pouvoir en définir le moment. Cette annonce s’offre comme une nouvelle perspective de recherche afin de comprendre comment les derniers instants de la ville de Pompéi ont été appréhendés par la population. W. Van Andriga s’interroge à ce propos sur la possibilité d’identifier des signes avant-coureurs de la catastrophe ayant induit de nouvelles pratiques rituelles ? Une réponse viendra certainement de l’auteur lui-même.

 

       Pourquoi est-il indispensable de s’intéresser à cet ouvrage ? Comme en témoigne l’avant-propos au travers de l’ensemble des remerciements formulés par l’auteur, cet ouvrage est un travail d’équipe, un projet de longue haleine qui n’a pu voir le jour que par la collaboration de différentes personnalités, le croisement de différentes disciplines, la minutie et la rigueur de l’approche de terrain et des interprétations proposées. C’est également le fruit de nombreux échanges et moult discussions ponctuées d’accords et/ou de désaccords, mais c’est surtout la foi en l’archéologie, la passion de la recherche, la précision des observations ; et cela se ressent tout au long de la lecture. L’ouvrage propose un texte ciselé, des exemples détaillés, des interprétations fines et réfléchies. À cela s’ajoute une documentation graphique de très belle qualité, qu’il s’agisse des dessins, des photographies ou encore des restitutions. À ce sujet d’ailleurs, notons que l’utilisation du format BD afin d’imaginer les gestes rituels des Pompéiens donne du dynamisme ainsi qu’une portée didactique et pédagogique à l’ensemble de la recherche. C’est un bel exemple à suivre pour tout étudiant en archéologie et un récit passionnant pour le lecteur qui s’intéresse au sens des actions et des gestes des populations qui nous ont précédés ou celles contemporaines. Cet ouvrage est un bel outil de réflexion sur l’humain et ses comportements individuels et collectifs, conscients ou inconscients.

 

 

SOMMAIRE 

 

Avant-propos (p. 5)

 

Chapitre premier. De la trace au geste : une nouvelle manière d’écrire l’histoire (p. 9)

 

Chapitre 2. Fulgur conditum : enterrement de la foudre et savoir religieux local (p. 33)

 

Chapitre 3. Rites et espaces : Isis d’un lieu à l’autre (p. 63)

 

Chapitre 4. Arrêt sur image : rites et pratiques domestiques (p. 79)

 

Chapitre 5. Pensées matérielles : les objets en action (p. 99)

 

Chapitre 6. Gestes de mémoire : rituels et pratiques mémorielles (p. 131)

 

Chapitre 7. Pratiques en transition : entre le perceptible et l’imperceptible (p. 151)

 

Chapitre 8. Au rythme des morts : habitus et vie quotidienne, ou le vécu d’une tradition (p. 173)

 

Conclusion (p. 187)

 

Bibliographie (p. 189)