Laubry, Nicolas : Tombeaux et épitaphes de Lyonnaise. Recherches sur le paysage funéraire d’une province de Gaule romaine (Ier-IIIe s. apr. J.-C.), pp. 400, 21 x 27 cm, ISBN : 9791037007094, 37,00 €
(Hermann, Paris 2021)
 
Reseña de André Buisson, Université Lyon 3
 
Número de palabras : 1478 palabras
Publicado en línea el 2023-03-03
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4217
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        L’ouvrage est issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université Lyon 3 en 2009 qui n’a été publiée que douze ans plus tard. Il « a pour objet le paysage funéraire d’une province gauloise de l’Empire romain, la Gaule Lyonnaise, au cours des trois premiers siècles de notre ère environ » (p. 7). Pour son travail, l’auteur justifie son choix d’une étude « provinciale », dans l’introduction (p. 12-13) : « ce cadre provincial peut apparaître comme un laboratoire dont la délimitation renvoie à un critère antique et non moderne, et qui propose des contextes et des situations disparates… » « ce sont donc 26 cités qui sont concernées par cette étude » (p. 14) « soit un total d’un peu plus de 1200 monuments inscrits et plus de 300 anépigraphes » (p. 14).

 

       L’auteur décompose son étude en trois « temps » : la matérialité des monuments funéraires, les dimensions religieuse et juridique de ce paysage et, enfin, la construction du souvenir des morts. L’ensemble est divisé en neuf chapitres (sommaire ci-dessous).

 

       Dans les quatre premiers chapitres, l’auteur énumère les principales formes de monuments qui font l’objet de son étude, monuments à édicule sur podium, piles et piliers, monuments circulaires et formes atypiques, autels, stèles, cippes et sarcophages. Dans chacun des cas, notamment en cas de fragments, il discute de la forme initiale du monument funéraire et cherche à lui proposer une place dans sa classification, avec notamment des planches de dessins explicites. Tout au long de son travail, chaque mot est pesé, justifié (par exemple Monumentum, p. 7), et c’est dans ce type d’inventaire qu’on note la diversité des termes employés par les auteurs et la difficulté à se saisir de la réalité.

 

       N. Laubry traite ensuite des aspects liés au formulaire funéraire et à son évolution (ce qui l’autorise à proposer en fin de volume un Appendice pour la datation des épitaphes de Lyonnaise [p. 335-356]). Il étudie notamment la diffusion du culte des dieux Mânes à partir de l’époque flavienne, puis de la Memoria, du Repos ou de la Sécurité éternels, et souligne que l’ensemble des épitaphes souffre d’un large déséquilibre au profit des inscriptions lyonnaises. Il aborde ensuite les aspects du culte des morts, du droit funéraire, qui protège ces ensembles comme des espaces réglementés et revient également sur le très fameux « Testament du Lingon » (CIL XIII 5708) (p. 216-222). Très naturellement, il aborde ensuite la connaissance que l’on peut avoir des dédicants, de leurs obligations morales (célébration du culte funéraire et des parentalia, p. 187-215), religieuses et juridiques. Il revient ensuite sur le dossier de l’ascia et sa portée symbolique (p. 248-262).

 

       On peut se poser de nombreuses questions sur la délimitation du « terrain » choisi par N. Laubry, du fait de la forme si particulière de cette province, étendue de Lyon à Brest, coincée entre Loire et Seine. Aucune limite orographique ne la sépare avec, par exemple, la Narbonnaise voisine (malgré de nombreuses références à des monuments de la Provincia), voire d’avec la Belgique (qui inclut le massif jurassien peut-être jusqu’au cours du haut Rhône). L’un des enseignements de ce livre est que, dans le découpage politique et administratif choisi pour l’étude, il est constamment nécessaire de faire référence aux découvertes effectuées « hors limites », dans un voisinage plus ou moins immédiat comme, par exemple, avec le monument funéraire de Chavéria (Jura, territoire des Séquanes, Gaule Belgique), dont la parenté avec le mausolée des Acceptii de Lyon (fig. 7 p. 29) semble évidente (p. 29).

 

       Plusieurs notions sont en effet particulièrement délicates à cerner, et notamment la notion d’atelier (ou de « territoire de compétence ou de rayonnement d’un atelier de sculpteur »). N. Laubry l’évoque à de nombreuses reprises dans son livre, par exemple dans le cas des sarcophages, pour lesquels il envisage également les « circuits de diffusion ». On peut se poser la question des « routes » empruntées par les modèles architecturaux ou stylistiques : s’agissait-il des mêmes que pour le commerce, pour les populations ? On se prend à rechercher les « modèles » de ces nombreux témoins : où les commanditaires les ont-ils repérés ? Comment ont-ils pu les faire exécuter pour eux-mêmes et/ou leur famille ? Des « catalogues » existaient-ils, que les artisans proposaient à leurs clients ? Beaucoup de questions restent sans réponse.

 

       Le paysage, que l’auteur veut reconstituer, est difficile à faire émerger. Comme N. Laubry l’indique lui-même, « Il nous faut souvent en reconstituer la physionomie à partir de bribes… » (p. 7). Ajoutons encore que, dans la majorité des cas, les monuments funéraires étudiés ont été, souvent de longue date, démantelés totalement ou partiellement, isolés de leur contexte archéologique, ce qui réduit de manière significative l’échantillonnage exploitable. Pour N. Mathieu (2011, p. 285), nous avons affaire à une « société en pierre » mettant en scène les morts dans des espaces consacrés, quelquefois portraiturés, regroupés en famille, en tout cas dans la volonté de « faire durer » la mémoire (memoria) des défunts. La tombe inclut le monument funéraire lui-même mais aussi un périmètre que protège le ius sepulchrum. Les épitaphes ne mentionnent que très rarement des détails sur ces espaces consacrés et l’archéologie ne nous renseigne que dans des cas exceptionnels. Comment cet espace était-il matérialisé ? Dans la Provincia, plusieurs enclos ont été identifiés par le formulaire connu (in agro/in fronte)… mais plus au nord, cette pratique semble ne pas avoir eu d’écho. Peu d’enclos funéraires ont été préservés jusqu’au moment de la fouille, excepté par exemple les tombeaux de Trion (fig. 3, p. 21) ou ceux de la rue Pierre Audry (fig. 18, p. 59), à Lyon, voire quelques fragments de bordures dans l’ensemble funéraire d’Anglefort (Ain). Hors de la région d’étude de l’auteur, on a pu étudier ces enclos autour de plusieurs piles funéraires d’Aquitaine (Clauss-Balty, 2016). Enfin, l’environnement de la tombe, hors des ensembles urbains, semble montrer l’indissociabilité du lien tombe-villa (ou établissement agricole), tout en gardant un lien avec les voies de communication, comme on l’a identifié, en Suisse, pour les mausolées d’Avenches (fouille et restitution D. Castella), à Anse ou à Gélignieux (Béal, 2006-2007). Dans le monde périurbain, elles ont toutes été (lorsqu’elles ont été retrouvées en place) localisées le long de voies de communication, et pour nombre d’entre elles préservées lors de l’évolution ou de la transformation du quartier (fouilles rue du chapeau Rouge, Lyon Vaise, 1999-2000). Leurs restitutions ont été popularisées par les aquarelles de Jean-Claude Golvin (https://jeanclaudegolvin.com/) sur la Gaule (https://jeanclaudegolvin.com/project/gaule/), et notamment, pour les monuments funéraires des Cars (https://jeanclaudegolvin.com/cars-les-cars/).

 

       Enfin, pour mener à bien son étude, l’auteur a pu disposer d’outils « rajeunis », comme la refonte du CIL (Corpus Inscriptionum Latinarum) dans les Inscriptions Latines d’Aquitaine, de Narbonnaise ou de Lyonnaise (en cours) qui proposent pour chaque monument des clichés de grande qualité et des mesures très précises, ou celle de la CAG (Carte archéologique de la Gaule). Dans la bibliographie, en lien direct avec le sujet du livre, on aurait aimé voir cité l’ouvrage d’A. Allmer et A. de Terrebasse, Inscriptions antiques et du Moyen Âge de Vienne en Dauphiné, Vienne, 5 volumes et atlas (dont l’atlas, composé essentiellement de dessins de monuments funéraires, est particulièrement précieux quant à la zone géographique traitée, notamment la pointe sud du Bugey et ses « affinités » avec le Dauphiné jusque dans la zone de Grenoble ou dans les Savoies).

 

       Comme nous l’avons déjà souligné, la démarche de l’auteur repose sur une parfaite connaissance des sources littéraires ainsi que de la bibliographie générale et locale. Les très nombreux tableaux récapitulatifs sont précieux, et l’auteur s’est « prêté au jeu » des planches de croquis qui fournissent au lecteur une vision globale des classifications typologiques, ainsi qu’à la multiplication des cartes de localisation des éléments étudiés. Tous ces « détails » amplifient largement la lecture de cet ouvrage de référence.

 

 

Ouvrages cités dans cette recension :

 

BEAL J.-C., 2006-2007, Transporteurs et propriétaires terriens en Gaule romaine : un bilan, Revue Archéologique du Centre de la France, T. 45-46. http://journals.openedition.org/racf/775

CLAUSS-BALTY P. (dir.), 2016, Les piles funéraires gallo-romaines du sud-ouest de la France, Pau, Presses Universitaires de Pau et des pays de l’Adour, 231 p.

MATHIEU N., 2011, L’épitaphe et la mémoire, Parenté et identité sociale dans les Gaules et les Germanies romaines, Rennes, PUR.

 

 

Sommaire

 

Avant-propos Page 5 à 6

Introduction Page 7 à 17

Chapitre 1. Les tombeaux monumentaux Page 19 à 53

Chapitre 2. Les autels funéraires Page 55 à 88

Chapitre 3. Les stèles Page 89 à 128

Chapitre 4. Les sarcophages Page 129 à 155

Chapitre 5. Aspects religieux et culturels du formulaire funéraire Page 157 à 185

Chapitre 6. Le culte des morts, entre épigraphie, iconographie et archéologie Page 187 à 222

Chapitre 7. Le droit et les tombes en Gaule romaine Page 223 à 262

Chapitre 8. La prise en charge des morts et les acteurs de la commémoration funéraire Page 263 à 293

Chapitre 9. Images des morts : les formes de représentations en contexte funéraire Page 295 à 328

Conclusion Page 329 à 333

Appendice. Éléments pour la datation des épitaphes de Lyonnaise Page 335 à 355

Bibliographie Page 357 à 384

Index des sources Page 385 à 404

Index des lieux Page 405 à 410

Index thématique Page 411 à 412

Pages de fin Page 413 à 420