Kaderka, Karolina – Scheding, Paul : Les sculptures antiques du Musée d’art et d’archéologie du Pays de Laon - Die antiken Skulpturen des Musée d’art et d’archéologie du Pays de Laon, (Monumenta Artis Romanae Band 42), 4°. 216 S., 220 s/w- Abb., Geb., ISBN : 978-3-95490-527-0, 98 €
(Dr. Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden 2021)
 
Reseña de Guillaume Biard, université d’Aix-Marseille
 
Número de palabras : 2077 palabras
Publicado en línea el 2023-07-21
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=4195
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       Reprenant un projet qu’Andreas Linfert n’avait pu mener à son terme en raison de son décès prématuré en 1996, Karolina Kaderka (KK) et Paul Scheding (PS) publient dans ce beau volume le premier catalogue raisonné de la collection de sculptures antiques en pierre du Musée de Laon, à l’exception des statuettes en calcaire chypriotes, déjà publiées par Antoinette Decaudin[1]. L’ensemble est issu pour l’essentiel du legs de Paul Marguerite de la Charlonerie (1844‑1921) – trois pièces seulement proviennent de la collection Campana (nos 51, 52 et 83). La plupart des cent trois œuvres du catalogue – dont six sont des créations modernes et contemporaines d’après l’antique (nos 98-103) – est inédite ou pratiquement inédite, certaines pièces ayant été mentionnées cursivement, souvent sans illustration, dans des publications parfois peu accessibles. On ne connaissait avec quelque détail qu’un nombre restreint de pièces, sur lesquelles nous ne reviendrons pas, renvoyant aux notices très claires du catalogue : en ronde bosse, une statue masculine drapée chypriote de la fin de l’archaïsme[2] (no 28) et une statue de jeune homme en manteau de la haute époque hellénistique[3] (no 31) ; en relief, la stèle funéraire attique Athènes-Laon recomposée par Giorgos Despinis[4] (no 62), une stèle funéraire hellénistique de Smyrne[5] (no 67), un en‑tête de décret attique des années 340-330[6] (no 76) et, dans une moindre mesure, un relief classique de Cybèle[7] (no 75), auxquels il faut ajouter les reliefs que Christoph W. Clairmont a intégrés à son répertoire[8]. C’est donc peu dire que l’apport de l’ouvrage est considérable, tant pour l’histoire des collections privées françaises, que pour la connaissance de la sculpture antique.

 

       Dans un chapitre liminaire, KK retrace avec minutie l’histoire de la constitution au début du xxe siècle de la collection privée de Paul Marguerite de la Charlonerie, qui se distingue de celles de son époque par sa taille et son homogénéité (p. 33). Cet ingénieur et industriel parisien, qui possédait à Urcel dans le Laonnois une usine de sulfate de fer et d’alun, commence à acquérir des antiques dans les vingt dernières années de sa vie – précisément à partir de la mort de son père en 1898. Il entame à la même époque une série de voyages en Méditerranée et, à partir de 1900, suit des cours de l’art antique à l’École du Louvre et aux Beaux-Arts, notamment ceux d’Edmond Pottier, qui devient un interlocuteur important du collectionneur. Il acquiert les pièces de sa collection moins lors de ses voyages que dans les maisons de vente et chez les marchands d’art parisiens. À partir de 1915, P. Marguerite nourrit le projet, qui ne vit jamais le jour, de créer un musée privé de l’Hellénisme antique et moderne à Paris, où seraient réunies des pièces mises à disposition par plusieurs collectionneurs, et parvient, grâce à l’appui d’Edmond Pottier, à donner un peu de publicité à l’entreprise dans une note publiée dans la Revue archéologique. Conçu au début de la guerre, ce projet se nourrit d’une forme de patriotisme raciste – la lutte des Français contre les « idées allemandes » correspondrait à celle des Grecs contre l’« asiatisme » pendant les Guerres Médiques ; la promotion de l’art hellène vise à contrarier l’engouement qu’il déplore pour les œuvres chinoises, japonaises ou hindoues, qui « emplissent à Paris trois musées, sans parler de nos habitations » (RA 2, 1915, p. 233) –, mais aussi d’une défiance, nourrie par son antisémitisme, vis-à-vis des institutions publiques, notamment du Louvre : un codicille que porte Paul Marguerite à son testament en décembre 1913 retire au musée du Louvre son statut de légataire universel, car, se désole-t-il, « l’entrée de nombreux juifs ou judaïsants dans l’administration » du musée a dégradé la politique d’achats (document cité p. 25). Karolina Kaderka lie finement l’antisémitisme de Paul Marguerite non seulement à l’affaire Dreyfus, mais aussi au scandale que souleva l’achat par le Louvre en 1896 de la tiare de Saïtaphernès, qui s’avéra être un faux.

 

       Paul Marguerite ne parvint jamais à faire connaître sa collection, ce qui explique sans doute en partie les difficultés que souleva l’exécution de son testament. Plusieurs bénéficiaires institutionnels de legs renoncèrent en effet à la succession, avant que la ville de Laon n’accepte l’essentiel de la collection pour son musée en 1936. L’inventaire après décès permet de connaître en partie la disposition des sculptures dans l’appartement qu’il occupa jusqu’à sa mort au 21, rue Bonaparte : l’essentiel des œuvres était exposé dans son bureau donnant sur la rue Visconti. Le catalogue pour lequel P. Marguerite avait légué une somme ne vit jamais le jour.

 

       Il fallut donc attendre un siècle la publication de ces pièces qui, sans être de tout premier ordre, présentent un grand intérêt scientifique, bien mis en valeur par les notices précises, complètes et agréables à lire que leur consacrent les auteurs et par les photographies de grande qualité que Gisela Geng réalisa en 1994. Sans prétendre à l’exhaustivité, soulignons quelques points forts de l’analyse, en suivant l’ordre du catalogue.

 

       Dans la sculpture idéale, une tête d’Apollon archaïsante en calcaire (no 1) retient tout d’abord l’attention. Elle provient certainement, comme le montre PS, d’un hermès double, retaillé à l’époque moderne. Elle trouve un parallèle, pour la coiffure, dans une tête conservée à Rome (musée des Thermes, inv. 56442), tandis que les boucles en coquilles percées d’un trou de foret au-dessus du front orientent vers une datation à l’époque flavienne. S’il est bien en calcaire, il faut souligner la rareté de l’utilisation de ce matériau pour les hermès doubles : on ne trouve guère à invoquer comme parallèle qu’un exemple beaucoup plus tardif qui proviendrait de Chypre (JDAI 19, 1904, p. 137-143, pl. 8). PS étudie un peu plus loin d’une façon détaillée une statue de petite taille d’Asclèpios (no 6), peut-être en marbre de Paros, dont on connaît la provenance : elle a été découverte en 1879 à Locres Épizéphyrienne. Les aspects techniques de la statue – tête et bras rapportés, arrière à peine dégrossi – sont judicieusement rapprochés d’une statue de Silène du Latium (Rome, Musée national romain, inv. 125837). Typologiquement, l’œuvre de la basse époque hellénistique n’a pas de parallèle exact, même si elle s’insère dans une série de représentation d’Asclèpios appuyé sur la jambe gauche. Dans une notice détaillée, KK élucide, grâce aux archives photographiques de l’Institut archéologique allemand, la provenance d’une tête de Dioscure d’époque impériale (no 10), à laquelle P. Marguerite a consacré un besogneux sonnet (fig. 7) : elle est issue de la collection d’A. Milchhöfer, qui l’a acquise à Argos en 1878. De même, un Hérakleiskos fragmentaire (no 15), peut-être du début de l’époque impériale, proviendrait de l’Acropole d’Athènes. KK consacre à juste titre une notice développée à une tête masculine idéale de taille naturelle d’époque impériale (no 22), qui reprend, en les atténuant, les effets du « baroque hellénistique ». Le sérieux des traits du visage associé à l’exubérance de la chevelure et de la barbe l’amène à proposer prudemment une identification à Oceanus, ce qui paraît tout à fait possible.

 

       La collection de P. Marguerite de la Charlonerie comporte peu d’œuvres archaïques, c’est pourquoi il vaut la peine de mentionner, à côté de la statue masculine déjà évoquée (no 28), une main en calcaire, qui pourrait pour cette raison provenir de Chypre (no 27). PS l’interprète comme un fragment de kouros drapé qui tiendrait un oiseau, à l’image d’une œuvre de la collection Cesnola au Metropolitan Museum (inv. 74.51.2461), et date l’œuvre de la seconde moitié du vie s. Le modelé de la main, notamment des muscles fléchisseurs des doigts, étonne cependant pour une œuvre chypriote de cette date. On est surpris par ailleurs de voir cette hypothèse de datation étayée par une comparaison avec une œuvre de la fin du ve ou du début du ive s. (Musée du Louvre, AM 3063). Parmi les reprises de bonne venue d’œuvres classiques, signalons également un torse du type de l’Idolino (no 29), auquel KK consacre une belle notice.

 

       Dans le domaine du portrait, la collection du musée de Laon recèle également des pièces dignes d’intérêt. Une tête probable d’Alexandre le Grand, qui provient sans doute de Bitola, c’est-à-dire d’Héraclée Lyncestis, fondée par Philippe II, et à laquelle François Queyrel n’avait pu consacrer qu’une courte notice (RA 1, 1990, p. 129, no 213, fig. 3), est ici traitée en détail (no 45). L’analyse de KK, qui propose d’y voir une œuvre de la basse époque hellénistique, convainc dans l’ensemble, même si le rapprochement avec une tête de Budapest (inv. 4740) n’est sans doute pas le plus pertinent. La présence d’un diadème rapporté, dont témoignerait la petite mortaise rebouchée dans la chevelure, pourrait renforcer l’hypothèse. Le problème d’identification reste en revanche entier pour une tête de grande taille (no 48), peut-être en marbre parien, qui porte un diadème et doit représenter un roi. Le traitement suggère une datation à la basse époque hellénistique. PS semble tenté par une identification à Ptolémée VIII Physcon, en raison des formes pleines du visage, mais y renonce en raison de notre connaissance très limitée de l’iconographie de ce souverain. Pour l’époque impériale, deux portraits de l’ancienne collection Campana, provenant donc très vraisemblablement de Rome, constituent les pièces les plus remarquables : un buste privé masculin de l’époque d’Hadrien où sont repris sciemment des traits de l’empereur (no 51) et une tête féminine qui porte une coiffure inspirée de celle de Faustine l’Ancienne (no 52) et qu’il faut donc placer vers 150.

 

       La publication de l’ensemble des reliefs permet de découvrir de nouveaux fragments de stèles funéraires principalement attiques de la fin du ve et du ive s. (nos 55-66) analysés par PS. Notons que pour la stèle de Sôphanès du dème de Képhalè (no 60), dont l’inscription s’est dégradée depuis le début du xxe s. – il faut supprimer un crochet dans la reproduction du texte présentée –, PS reste très prudent sur le raccord matériel proposé, sur la base de photographies, par Reinhard Stupperich (Thetis 1, 1994, p. 55) avec un relief funéraire du musée national d’Athènes (inv. 9020), qui paraît pourtant assez pertinent et semble conforté par l’analyse typologique développée ici. Un moulage de la cassure résoudrait rapidement l’énigme et permettrait peut-être de compléter cette œuvre de qualité du troisième quart du ive s. Parmi les reliefs votifs, notons la présence de deux reliefs à banquet de la haute époque hellénistique (nos 77-78), où les symboles héroïques et les adorants sont plus ou moins nombreux. Un problème de renvois interne, vite surmonté, perturbe à cet endroit la lecture. Le catalogue se clôt sur la sculpture décorative – où se distingue principalement un pied de table en forme de satyre portant sur les épaules une outre de vin (no 83), issu de la collection Campana et daté du ier s. apr. J.‑C. – et sur les œuvres modernes et contemporaines d’après l’antique.

 

       Écrit avec intelligence, ce catalogue, dans la tradition de la série des Monumenta Artis Romanae, établit la documentation avec rigueur et précision et ouvre des pistes d’interprétation pertinentes de ces pièces jusqu’alors inconnues ou peu connues. Il constitue un précieux instrument de travail pour de nombreux aspects de la sculpture antique, mais aussi pour l’étude des collections et du collectionnisme.

 


[1] A. Decaudin, Les antiquités chypriotes dans les collections publiques françaises, Nicosie, fondation A. G. Leventis, p. 66-72, nos 43-58, pl. XXVIII-XXX.

[2] A. Decaudin, op. cit., p. 69, no 69, pl. XXIX ; A. Hermary, « Musée de Laon VI. Les sculptures en calcaire », CCEC 40, 2010, p. 87-88, fig. 49.

[3] Christiane Vorster, Griechische Kinderstatuen, Cologne, 1983, p. 183-184, no 118, pl. 8,3 (dessin) ; J. Marcadé, « L’image sculptée d’Harpocrate à Délos », dans J. Marcadé, Études de sculpture et d’iconographie antiques. Scripta Varia, 1941-1991, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993, p. 530-532, fig. 11 (article publié pour la première fois en 1989).

[4] G. Despinis, « Une nouvelle stèle funéraire attique, dédiée à la mémoire de Jean Marcadé », RA 2014, p. 347‑353.

[5] Ernst Pfuhl, Hans Möbius, Die ostgriechischen Grabreliefs I, Mayence, von Zabern, 1977, p. 109, no 259, pl. 49 et p. 170-171, no 568, fig. 45 (doublon) ; Stefan Schmidt, Hellenistische Grabreliefs. Typoligische und chronologische Beobachtungen, Cologne, Vienne, Böhlau, 1991, p. 91.

[6] Jean-Yves Marc, « Un en-tête de décret attique conservé au Musée de Laon », REA 95, 1993, p. 143-146.

[7] Maarten Jozef Vermaseren, Corpus cultus Cybelae Attidisque VII. Musea et collectiones privatae (Études préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain 50), Leyde, Brill, 1977, p. 19, no 61, pl. XLIV (titre erroné indiqué en bibliographie).

[8] Christoph W. Clairmont, Classical Attic Tombstones, Kilchberg, Akanthus, 1993.