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Reseña de Bruno Varennes Número de palabras : 2397 palabras Publicado en línea el 2022-03-22 Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3942 Enlace para pedir este libro Codirigé par N. Deflou-Leca et Fr. Demotz, l’ouvrage regroupe les actes du colloque organisé au château de Ripaille en 2015. L’introduction, écrite à quatre mains par N. D.-L. et Fr. D., rappelle l’objectif : dresser un portrait synthétique de la recherche relative aux maisons régulières sous l’« angle large » du millénaire du Moyen Âge et souligner leur rôle structurant dans « le fonctionnement et l’organisation de la société médiévale » (p. 7). L’échelle régionale des Alpes du Nord permet d’être au plus près des interactions humaines.
Organisé en trois parties chronologiques à partir du haut Moyen Âge, l’ensemble est agencé autour d’un « fil rouge » : « la vie solitaire que les sources monastiques évoquent systématiquement comme le choix du plus haut degré de perfection » (G. Cantino Wataghin, p. 295).
La première partie, consacrée au « Temps des origines », celui de la « lente occupation monastique des Alpes », s’intéresse d’abord au rôle fondamental joué par Saint-Maurice d’Agaune avant de questionner « l’éclosion » de l’érémitisme alpin.
L’archéologue valaisanne A. Antonini offre un portrait chronologique du bâti monastique voué à saint Maurice. Celle qui a été l’une des principales protagonistes de ces recherches depuis 2000, livre ici un bilan très personnel. É. Chevalley poursuit avec un texte portant sur « les premiers pères du monastère d’Agaune », mettant en évidence le rayonnement de cette abbaye à l’échelle d’un large royaume de Bourgogne. Il interroge l’exemplarité de la vie des pères mais insiste surtout sur leur rôle de guides spirituels.
C. Santschi revient sur l’un de ses principaux axes d’étude : l’érémitisme alpin. Sa profonde connaissance des dynamiques oscillant entre « solitude et communauté » lui permet d’étirer sa réflexion sur la réclusion masculine et féminine depuis le haut Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne. En lien avec les dynamiques régulières de chaque période, elle brosse un panorama large du phénomène. La « conquête religieuse » au Moyen Âge central (Xe-XIIe siècle) a été questionnée par L. Ripart, qui offre là une mise au point nécessaire. Après avoir scellé définitivement le sort d’une historiographie dépassée qui liait la mise en œuvre des alpages à l’arrivée des moines, il met en exergue trois « moments charnières » : la mise en œuvre de prieurés dans une montagne « sans monastères » vers 980, le basculement vers les hautes altitudes symbolisé par la Grande Chartreuse dès 1083, et le nouvel intérêt porté pour les ressources des hauteurs de la part des « holy entrepreneurs » après 1200. Ce dernier acte questionne la relation entre la localisation des sites et les « frontières » diocésaines ou politiques. En réactualisant cette question, il insiste, pour chaque phase, sur le rôle des voies de circulation et des fondateurs, mais surtout sur celui des ressources nécessaires à la vie régulière. En clôture de cette première partie, J. Bujard offre une étude sur de l’Église romane de Bourg Saint-Pierre, mettant en lumière un des établissements méconnus de la route du Grand-Saint-Bernard. Liant connaissances archéologiques et éléments conservés du bâti, il cerne les contours de l’édifice relevé après les destructions de la fin du Xe ou du début du XIe siècle, mais fortement transformé à l’époque moderne.
La seconde partie est consacrée aux « moines dans la société alpine (Xe-XIIe siècle) ». Elle interroge tout d’abord les « partenaires des fondateurs » avant d’étudier la confrontation de ces clercs avec les « pouvoirs supérieurs ».
Fr. Demotz s’intéresse à « la figure de fondateurs ». Étudiant la « floraison d’établissements » apparus dans le royaume de Bourgogne entre 930 et 1030, il rappelle que les fondations sont d’abord royales. La fin de la monarchie rodolphienne génère une réorganisation lignagère et seigneuriale, les bénéficiaires d’une partie de l’autorité publique agissant dans l’imitation du prince. Dans la continuité, N. Deflou-Leca investit le diocèse de Grenoble. Après avoir dressé une image cartographique de la densification des implantations entre 1020 et 1200, l’auteure rappelle le rôle des comtes et seigneurs. Leurs fondations relèvent de stratégies familiales de recherche du salut, mais elles appuient surtout leur pouvoir social et économique. Si la part des réformes dans les donations initiales échappe, le rôle d’Hugues de Châteauneuf est souligné par sa « captation » de la dynamique réformatrice (p. 124). L’auteure constate la diversité des interlocuteurs extérieurs au diocèse (jusqu’à sept abbayes sollicitées), puis la structuration des réseaux autour de « points d’ancrages » (chaffriens et clunisiens, p. 130), qui ont accompagné la lente montée des fonds de vallée vers les altitudes entre 1030 et le XIIe siècle. La contribution d’A. Roger introduit les ordres mendiants à travers l’exemple des dominicains d’Annecy. Revenant sur l’origine de leur installation et sur le rôle du pape Martin V dans ce choix, elle interroge autant la localisation du couvent que sa pérennité, soulignant son succès par la mise en œuvre d’une « identité communautaire urbaine par l’entremise d’un cadre spirituel » (p. 145).
L’universitaire turinoise C. Ciccopiedi, ouvre le champ géographique au Piémont oriental des Xe et XIe siècles. Cette spécialiste du gouvernement des diocèses italiens s’intéresse aux Eigenklöster, églises et maisons religieuses fondées par des puissants et restant sous leur contrôle. Elle met en exergue un Eigenklöster épiscopal, dont le maintien dans le giron direct de l’autorité diocésaine n’est pas évident. Interrogeant l’image de diocèses alpins « fiefs cartusiens », affirmation encore répétée en son temps par Bernard Bligny, S. Excoffon, propose une large enquête sur les titulaires des diocèses du XIIe au début du XIIIe siècle, battant en brèche cette « tradition largement reçue » (p. 297). Si les liens sont étroits entre la hiérarchie ecclésiastique et le choix monastique de retrait du monde, et ce dès les origines cartusiennes, la présence de chartreux sur les sièges épiscopaux n’y est pas fréquente. H. Comte, traitant de « la mise en commende du prieuré de Talloires », met au jour la fragilité des congrégations religieuses dans leur dépendance au souverain pontife. Ch. Regat le rejoint dans cette thématique en interrogeant « comment les moines de Tamié perdirent le droit d’élire leur abbé ». Dans les deux cas, la charge prioriale appréhendée comme un bénéfice rentable devient objet de prédation par Rome et par le souverain de Savoie, engendrant une « disjonction » (p. 184) entre l’office et le bénéfice. Dans le cas de Tamié, ce sont les principes mêmes de l’ordre cistercien (ceux de la Charte de Charité d’Étienne Harding de 1119) qui sont ici niés par les politiques d’accaparement.
La question de la « gestion de l’implantation locale par les communautés » forme la troisième partie. « La puissance locale des moines : l’exemple du Chablais » sert d’entame, la seconde sous-partie étant consacrée aux « stratégies des ordres monastiques face aux massifs alpins (XIIe-XVe siècle) ».
S’intéressant depuis longtemps au servage, N. Carrier revient sur les hommes des moines entre Faucigny et Chablais (v. 1100-v. 1350). Il souligne la spécificité et « l’originalité de la seigneurie ecclésiastique » à partir du « triangle servile » défini dans ses recherches précédentes (« un homme, une tenure, un seigneur, sans interférence d’aucun autre pouvoir », p. 204). Il constate la faiblesse de la seigneurie banale des maisons régulières et leurs politiques actives afin de conserver ou mettre en œuvre un dominium monastique solide et pérenne. S. Bochaton confronte une maison régulière augustinienne avec un petit prieuré bénédictin. Centre administratif de la congrégation des chanoines réguliers du Grand-Saint-Bernard et surtout résidence des prévôts du Mont Joux dès la décennie 1220, le prieuré de Meillerie voit s’effacer son statut monastique au profit de l’image seigneuriale qu’en donne sa structure de maison forte. De la même manière, la fonction de nécropole de la famille de Blonay ramène au second plan le rôle premier du prieuré de Saint-Paul, conduisant l’auteur à questionner les rôles et places des « petits monastères de montagne » (p. 223). Enfin, A. Delerce interroge la question des sources à partir des chartriers disparus d’Abondance, Aulps, et Vallon. Il s’efforce d’interroger les dynamiques de conservation puis de dispersion des pièces, parcours qui l’amène à proposer un « guide à l’usage du chercheur en chartrier monastique savoyard disparu » (p. 233-234).
Avec son étude sur les Antonins dans les Alpes entre le XIIe et le XVe siècle, J. Dhondt précise la mise en œuvre du maillage des établissements de la congrégation, porté par les axes de communication. Si elle décèle une première étape pragmatique au XIIe siècle, l’érection du prieuré conservant les reliques du saint en Abbaye en 1297 donne une impulsion à l’encadrement par les préceptories. Réseau ancré dans les basses vallées, son rôle hospitalier apparaît secondaire dans son expansion, et sa réussite est d’avoir popularisé le culte du saint jusque dans les hautes vallées. En écho de son sujet de thèse en cours sur les chartreuses de femmes, M. Duriez questionne les « clôtures des maisons de moniales cartusiennes ». À partir du dossier des seize monastères alpins féminins français et italiens de l’ordre, qui ne reprennent pas tous l’idéal du désert fondateur, elle étudie la mise en œuvre matérielle progressive des obligations claustrales envers les moniales. La décrétale Periculoso de Boniface VIII (1289) impose une réclusion architecturale rapprochant de la vie des « ermites cartusiens » (p. 290) qui devait permettre des promenades quotidiennes et hebdomadaires. H.-J. Schmidt interroge lui « l’organisation territoriale de l’ordre clunisien aux confins septentrionaux des Alpes ». Il propose une analyse de « la formation » et du « fonctionnement (…) des entités territoriales » (p. 264) mises en œuvre par l’ecclesia cluniacensis. Afin d’être au plus proche du terrain, il centre son étude sur la province clunisienne d’Alémanie, comprenant le Jura et les Alpes du Nord. L’expansion à l’échelle de la chrétienté occidentale et les obligations de Latran IV (1215) relatives à la gestion territoriale des monastères, limitent les aptitudes de l’abbé de Cluny à faire respecter la Libertas ecclesiæ face à l’aristocratie et à une partie de l’Église. L’auteur conclut en une « inaptitude » de l’ordre à « garantir une efficacité institutionnelle sur l’ensemble des prieurés » sous sa dépendance (p. 279). Enfin, S. Delmas s’efforce de « souligner les spécificités » des implantations mendiantes franciscaines et dominicaines « dans un milieu montagnard, plus rural et moins accessible que (…) d’autres régions » (p. 282). Se révèle un « monachisme de route » (p. 290), parcouru par des prédicateurs connus au XVe siècle, mais qui a été, et ce dès leur implantation au XIIIe siècle, le lieu d’une activité intellectuelle modeste et méconnue.
La conclusion est de la main de G. Cantino Wataghin : elle y souligne avec acuité « l’élargissement des horizons » que le croisement des études sur le monachisme et sur la montagne médiévale offre ici. Sa reprise ordonnée des actes impose de conseiller à tout lecteur de s’y intéresser en priorité. Elle insiste avec justesse sur le rôle essentiel du « caractère très fragmentaire de l’évidence archéologique » (p. 296) confronté à des sources écrites qui ont d’importantes limites. Surtout, elle ouvre sur des questionnements autres, tel celui sur « les interlocuteurs des monastères » (p. 298). Sa réflexion sur « le milieu alpin en tant que contexte d’établissements religieux [qui] n’est pas une donnée a priori prédéterminée [car] il se modifie, il est modifié et il modifie à son tour » (p. 300), invite à élargir encore la réflexion.
Avec raison, les éditeurs présentent l’édition des actes comme un « état de la question » et « la première étape pour tracer des perspectives et des collaborations entre spécialités » décloisonnées (p. 12). L’alternance entre les visions globalisantes sur la longue échelle temporelle et les études plus étroites, sur un ordre ou sur un site, permet un dialogue structurant.
Les avancées historiques et archéologiques étant nombreuses et pluridirectionnelles, conséquence de l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs, cette mise au point relative au monachisme dans les Alpes du Nord est salutaire. L’archéologue comme l’historien d’art y trouveront un état de la question historique, mais aussi et surtout de l’archéologie des élévations.
Quoi qu’il en soit, il nous faut rejoindre les remarques formulées dès l’introduction et évoquées encore en conclusion. C. Santschi comme M. Duriez s’intéressent à la vie religieuse des femmes, mais l’étude des congrégations féminines reste ténue, tout comme celle des ordres militaires, et, surtout, des maisons de chanoines réguliers. Enfin, leurs interactions avec la montagne comme milieu spécifique sont très en retrait.
Table des matières
Noëlle DEFLOU-LECA et François DEMOTZ Introduction 7
Première partie La lente occupation monastique des Alpes
LE PREMIER GRAND ÉTABLISSEMENT ALPIN : SAINT-MAURICE D’AGAUNE
Alessandra ANTONINI † Le monastère de Saint-Maurice d’Agaune (Suisse) au premier millénaire 17
Éric CHEVALLEY Les premiers pères du monastère d’Agaune entre exemple et enseignement 31
L’ÉCLOSION DU MONACHISME ALPIN
Catherine SANTSCHI L’érémitisme alpin entre solitude et communauté. 45
Laurent RIPART La conquête religieuse des Alpes (XIe-XIIe siècle) 61
Jacques BUJARD Essai de restitution architecturale de l’église romane de Bourg-Saint-Pierre 81
Deuxième partie Les moines dans la société alpine (Xe-XIIe siècle)
LES PARTENAIRES DES MOINES FONDATEURS : DES ÉLITES ARISTOCRATIQUES AU PHÉNOMÈNE URBAIN
François DEMOTZ Figures de fondateurs des Xe et XIe siècles La fondation des établissements réguliers et leur mémoire 99
Noëlle DEFLOU-LECA Les fondations régulières du diocèse de Grenoble Stratégies aristocratiques et espaces d’expansion monastique (Xe-XIIe siècle) 115
Amélie ROGER L’implantation d’un couvent mendiant dans la ville L’exemple des dominicains d’Annecy 133
LES MOINES FACE AUX POUVOIRS SUPÉRIEURS
Caterina CICCOPIEDI Évêques et monastères dans le Piémont médiéval des Xe et XIe siècles 151
Sylvain EXCOFFON Les chartreuses et les évêques dans les Alpes du Nord (XIIe et début du XIIIe siècle) 163
Henri COMTE La mise en commende du prieuré de Talloires 183
Christian REGAT Comment les moines de Tamié perdirent le droit d’élire leur abbé ? 191
Troisième partie Espaces et contrôle des territoires de montagne
LA PUISSANCE LOCALE DES MOINES : L’EXEMPLE DU CHABLAIS
Nicolas CARRIER Les moines et leurs hommes Construction et défense des seigneuries monastiques dans les Alpes nord-occidentales (Faucigny et Chablais, v. 1100-v. 1350) 201
Sidonie BOCHATON Deux exemples de fondation prieurale en Chablais Meillerie et Saint-Paul (XIIe-XIIIe siècle) 213
Arnaud DELERCE Trois monastères sans mémoire ? Enquête sur les chartriers disparus d’Abondance, Aulps et Vallon au diocèse de Genève 225
LES STRATÉGIES DES ORDRES MONASTIQUES FACE AUX MASSIFS ALPINS (XIIE-XVE SIÈCLE)
Julie DHONDT Les Antonins dans les Alpes Stratégies d’implantation et structuration d’une famille de dépendances (XIIe-XVe siècle) 239
Mathilde DURIEZ Isolement, limites et clôture des maisons de moniales cartusiennes 251
Hans-Joachim SCHMIDT Monastères sous contrôle L’organisation territoriale de l’ordre clunisien aux confins septentrionaux des Alpes 263
Sophie DELMAS Les franciscains et les dominicains Des ordres urbains à la conquête des Alpes ? 281
Gisella CANTINO WATAGHIN Conclusions 293
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Editores: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |