Van Haeperen, Françoise: Dieux et hommes à Ostie. Port de Rome. 300 p., 20,5 x 14 cm, ISBN 978-2-271-13127-0, 25 €
(CNRS Editions, Paris 2020)
 
Rezension von Robert Duthoy, Université de Gand
 
Anzahl Wörter : 3738 Wörter
Online publiziert am 2021-02-24
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3873
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          Avec les cités vésuviennes, Ostie constitue sans aucun doute le lieu par excellence pour l’étude des cultes et des divinités honorées dans une cité antique particulière. On ne peut donc que se féliciter qu’après l’étude érudite imposante que Van Andringa a consacrée en 2009 à la vie religieuse dans les cités du Vésuve, la vie religieuse à Ostie fasse à son tour l’objet de cette monographie et que ce soit Françoise Van Haeperen qui s’en soit chargée. L’A. s’est en effet déjà illustrée par toute une série de publications consacrées à la religion romaine et à la cité d’Ostie. Mais, afin d’éviter tout malentendu, signalons d’emblée une différence essentielle entre les livres de Van Andringa et de Van Haeperen. Alors que dans le cas de la monographie de Van Andringa il s’agit d’un livre érudit destiné aux spécialistes et accompagné d’un apparat scientifique détaillé de notes, Mme Van Haeperen a écrit son livre pour un public plus large que celui des spécialistes et a limité dans cette intention l’apparat scientifique. Cela n’empêche d’ailleurs pas que, comme nous allons voir, les spécialistes y trouveront aussi leur compte. Le livre est donc avant tout conçu comme un livre de (haute !) vulgarisation. Le spécialiste aura recours au livre (414 pages) que Van Haeperen a publié en 2019 sous le titre Regio I, Ostia et Portus, sixième tome de la série Fana, templa, delubra. Corpus dei luoghi di culto dell’Italia. Ajoutons que ce dernier livre est à consulter online sur Internet (Open Edition).

 

         Le livre comporte quatre chapitres précédés d’une introduction. Le cœur de l’ouvrage (les trois quarts de l’exposé ; p. 19-185) est formé par les deux premiers chapitres, intitulés respectivement Honorer les dieux à titre public à Ostie et à Portus (p. 19-101) et Honorer les dieux à titre privé (p. 103-185). Comme l’A. l’affirme et l’explique dans l’introduction, pour une enquête sur les cultes pratiqués au sein d’une cité, la tripartition habituelle entre cultes romains traditionnels, culte impérial et religions orientales que l’on retrouve encore dans beaucoup d’études modernes et même récentes, ne peut plus servir de cadre. Pour une telle enquête, il faut en revanche établir une distinction entre cultes publics et cultes privés. Par culte public, l’A. entend un culte  « célébré au nom de la cité et à ses frais, dans un espace sacré, c’est-à-dire dans un lieu considéré comme appartenant à la divinité, lieu qui lui a été dédié par un magistrat oupar un représentant de la cité ». En revanche, un culte privé « est célébré par un individu ou une communauté privée, qu’ils’agisse d’une association ou d’une famille. Les lieux de culte privé ne font pas l’objet d’une consécration publique et ne sont donc pas, selon le droit romain, sacrés. Ils sont généralement implantés sur des terrains privés mais peuvent éventuellement prendre place sur un terrain public, voire au sein d’un sanctuaire public pour peu que l’autorité ait accordé son autorisation ».

 

         Le premier chapitre (p. 19-101) est donc consacré aux cultes rendus à titre public, c’est-à-dire aux échelles civique et supra-civique. L’A. dresse d’abord la liste chronologique des sanctuaires identifiés et donne pour chacun, dans la mesure du possible, les conditions de la découverte, les problèmes liés à l’identification et la datation, ainsi qu’à la description des traces qu’il a laissées. Pour la plupart les lieux de culte public connus par l’archéologie se situent sur les grands axes de la ville et certains d’entre eux marquent de manière très nette le paysage urbain – seul le temple le plus ancien de Bona Dea faisant exception à cette règle. Ils sont pour la plupart bien visibles, se dressant sur une place publique ou étant entouré d’une enceinte ouverte sur la voie publique. Seuls certains, en raison de la nature réservée du culte (Bona Dea, Attidium), se dérobent aux regards des passants.

 

         En ce qui concerne les commanditaires de ces temples, l’A. constate que plusieurs temples ont été réalisés ou restaurés par un magistrat local agissant soit à ses frais soit sur les deniers publics. Mais d’autres ont été financés par un évergète qui ne semble pas avoir revêtu de charge publique ou par un collège, tandis que les caractéristiques de la construction font supposer que le commanditaire était une autorité qui dépasse le cadre strict de la colonie. Quant aux divinités honorées, on y retrouve aussi bien des divinités fonctionnant au service de Rome, ou plutôt au rôle particulier que revêt Ostie comme port fondamental pour la flotte militaire sous la République et pour l’approvisionnement en blé dès les derniers siècles avant J.-C. et sous l’Empire : Jupiter Optimus Maximus, Hercules invictus, Venus, Cérès, Fortuna et Spes, les Dioscures, Isis et Serapis, Liber Pater, Maïa et Mercurius. Mais la divinité principale est toutefois Vulcain, invoqué comme dieu ancestral, et c’est son prêtre, le pontifex Volkani et aedium sacrarum, qui est le prêtre le plus important de la cité. Mme Van Haeperen explique cette position éminente par la fonction de Vulcain comme protecteur de réserves alimentaires contre les incendies, car à Ostie se trouvaient les horrea où étaient emmagasinées les céréales destinées à l’approvisionnement de Rome. Parmi les autres divinités honorées à titre public, l’A. mentionne encore la triade capitoline, le Génie de la colonie, la Mère des dieux, Bona Dea et Esculape et explique pour chacune d’elles les raisons de leur présence à Ostie. Last but not least, il y a les divinités qui sont à mettre en rapport avec le culte impérial, étiquette qui regroupe toutefois des pratiques fort différentes que l’A. s’efforce de distinguer : culte du Genius et du Numen de l’empereur vivant et culte des Divi. Puis l’attention de l’ A. se porte vers les acteurs de la vie religieuse publique et met d’abord en lumière la place éminente occupée par le pontifex Volkani et aedium sacrarum, nommé à vie et choisi parmi les membres les plus distingués de la cité, assisté par des édiles et préteurs de Vulcain, choisis eux parfois très jeunes parmi les familles de notables ou les riches affranchis et dont la fonction est annuelle. L’ A. énumère ensuite les autres prêtres desservant les autres divinités recevant un culte public et accorde une attention particulière au personnel cultuel diversifié, attaché au culte de la Mater Deum, dont l’archigalle qui, contrairement à ce qu’on pense souvent, n’est pas un eunuque. Elle observe qu’à la différence des cultes publics de la colonie, les agents cultuels de la Mater Deum ne se recrutent pas parmi l’élite de la population. Cette énumération et description se termine par quelques pages consacrées aux augustales dans lesquelles Mme Van Haeperen rappelle les conclusions auxquelles elle était arrivée à la suite d’un examen de toute la documentation issue de l’Italie, à savoir que l’augustalité ne correspond ni à un sacerdoce du culte impérial, ni à une fonction qui aurait été essentiellement honorifique, mais que leur charge consistait en l’organisation de jeux donnés lors de la fête commémorant chaque année le retour victorieux d’Auguste d’Orient en 19 av. J.-C., ou à défaut, de prestations à la place des jeux impliquant la dépense d’une somme équivalente. Mais de cette fonction, il ne reste pas de traces à Ostie, comme dans la plupart des cités, parce que la routine et les actes récurrents ne font que rarement l’objet d’une commémoration. Il n’y a toutefois pas que les prêtres qui jouent un rôle dans le culte. Des décurions et des magistrats municipaux prenaient des décisions concernant les structures liées au culte, les célébrations religieuses et la nomination ou le choix de certains agents cultuels, tandis que le rôle des citoyens consistait essentiellement en la participation aux spectacles et jeux qui accompagnaient certaines célébrations.

 

         Sous le titre Rythmes du calendrier, Mme Van Haeperen se penche ensuite sur le calendrier festif de la cité et s’interroge sur la fonction que les fastes pouvaient remplir. Après avoir énuméré les fêtes religieuses documentées pour Ostie dans les sources écrites ou figurées sur des panneaux peints, elle procède à une analyse des fastes d’Ostie, qui sont de loin les fastes municipaux les mieux connus de l’Italie, ainsi que les seuls à couvrir un arc chronologique d’environ trois siècles et à rappeler les faits locaux. Cette analyse permet à l’A. d’observer que les faits retenus présentent un point commun : il s’agit toujours d’événements extraordinaires : d’une part des faits inquiétants ou malheureux, d’autre part des événements heureux ou bénéfiques. Après avoir énuméré ces événements, elle se pose la question de la finalité de cette sélection. S’inspirant d’une observation faite par J. Scheid à propos de la chronique affichée sur le forum de Rome et tenue par les pontifes de Rome sous la République, elle conclut que la rédaction et l’affichage des fasti d’Ostie semble avoir fourni une sorte de rappel des événements ayant suscité ou justifiant l’accomplissement d’une série de cérémonies au sein de la colonie. Ces fastes étaient ainsi complémentaires au calendrier qui ne mentionnait que les fêtes régulières traditionnelles. Au terme du premier chapitre, l’A. résume en quelques pages (p. 98-101) les principaux constats de son examen, notamment concernant le culte impérial, la distinction entre le culte de dieux réputés étrangers et celui des divinités ancestrales, ainsi que la forte empreinte de Rome sur les cultes publics d’Ostie.

 

         Le deuxième chapitre (p. 103-185) se porte sur les cultes rendus à titre privé. Les trois quarts (p. 103-163) sont consacrés à ceux rendus dans la sphère associative, particulièrement bien documentée à Ostie. L’A. présente d’abord un panorama général des lieux de culte d’associations en établissant une typologie fondée sur l’insertion des sièges d’associations dans le tissu urbain, distinguant quatre catégories : 1. lieux de culte des sièges de collèges qui sont visibles de l’extérieur ; 2. lieux de culte insérés dans les lieux de réunion formant des édifices autonomes, non ouverts sur l’extérieur ; 3. lieux de réunion et de culte de collèges ou de cultores situés au sein de sanctuaires publics ; 4. lieux de culte insérés dans les espaces professionnels ou de voisinage. Pour chaque catégorie, elle en énumère et décrit les exemples. Quant au statut juridique des terrains occupés par les lieux de culte associatifs, on peut distinguer entre les collèges qui ont dû être propriétaires du terrain et ceux qui ont occupé un terrain public concédé par les autorités. De l’examen des divinités tutélaires des lieux de culte associatif, il ressort que Mithra est apparemment le dieu de prédilection d’associations diverses comme le démontre le nombre de mithraea pouvant être mis en rapport avec des associations. Cherchant à expliquer ce choix d’un dieu dont le culte implique initiation et mystères, Mme Van Haeperen se demande, à titre d’hypothèse qu’elle qualifie elle-même de provocatrice, et inspirée par l’étude qu’Anne-Françoise Jaccottet a consacrée aux associations dionysiaques (où les banquets occupent, comme dans le culte mithriaque, une place non négligeable), si toutes les communautés mithriaques d’Ostie supposaient nécessairement l’organisation d’initiations et de mystères et si celle-ci était nécessairement uniforme. L’étude du culte dans un cadre associatif se termine par celle de la vie cultuelle des associations à partir de cas concrets. Il est successivement question des charpentiers, du collège anonyme mentionné sur AE 1940, 62 ; des dendrophores et cannophores de la Mater Deum ; de la communauté professionnelle disposant d’une chapelle dédiée à Silvain dans la grande boulangerie ; des dévots du mithraeum des entrepôts du Sabazeo ; des travailleurs des salines romaines de Portus et enfin de l’association des Juifs d’Ostie. Pour chacun de ces cas l’A. tente de répondre, dans la mesure où la documentation le permet, aux questions suivantes : quels sont les dieux et empereurs honorés par l’association ? À quel moment de l’année? Quels sont les éventuels « panthéons » ou calendriers festifs qui se dégagent ? Quels sont les rites pratiqués ? Qui sont les acteurs des dédicaces – des individus ou des collectivités, éventuellement par l’intermédiaire d’un représentant?

 

         Dans la deuxième partie du chapitre, l’A. essaie d’appréhender les cultes pratiqués dans la sphère domestique. Elle n’y consacre que dix pages (p. 163-172) car les sources les concernant sont peu nombreuses. Il est d’abord question des dévotions au sein de l’habitat. Aucune structure ne peut être interprétée avec certitude comme reste d’un laraire et il n’y a que quelques graffiti gravés sur les parois des pièces d’habitation, se référant à une divinité, qui témoignent d’une dévotion domestique. En revanche, des individus agissant seuls ou avec des membres de leur famille ont laissé plusieurs dédicaces, inscriptions votives ou graffiti dans les sanctuaires publics de la cité et l’A. en donne un aperçu détaillé.

 

         Les dernières pages (p. 173-185) du chapitre, dans lesquelles l’A. envisage la question des cohabitations, perméabilités et interactions entre les cultes pratiqués à titre privé et ceux accomplis à titre public, sont à considérer comme la conclusion aux deux premiers chapitres qui, comme dit plus haut, constituent le cœur de l’ouvrage. Elle observe tout d’abord qu’il y a d’une part des divinités auxquelles il n’est rendu soit qu’un culte privé (Mithra et Silvanus), soit qu’un culte public (Junon, Pater Tiberinus et Maïa). Parmi les divinités qui sont honorées aussi bien à titre public qu’à titre privé, on peut distinguer d’une part celles qui ne sont que fort peu présentes dans les dédicaces privées (Vulcain, Apollon, Cérès, les Dioscures, Esculape, Minerve, Vénus) et d’autre part celles qui le sont davantage (Mater Magna, Isis et Serapis). Mais l’A. ajoute, à juste titre, qu’il faut toujours garder à l’esprit que les dédicaces gravées sur la pierre et les quelques graffitis conservés et repérés ne constituent qu’une portion infime des dons qui ont effectivement été adressés aux divinités. Après avoir observé que la qualification sanctus n’apparaît que dans les dédicaces faites à titre privé et que les dédicants qui l’emploient appartiennent pour la plupart au milieu des affranchis, l’A. indique que le titre officiel de la Mère des dieux, à savoir Mater deum magna Idaea, n’est attesté que dans les formulaires de taurobole tandis que dans d’autres cas les attributs se réfèrent au lieu d’action de ses agents ou renvoient à la contrée d’origine de la déesse Idaea. Par ailleurs, il y a certains attributs onomastiques accolés à tel ou tel dieu qui ne se rencontrent qu’à Ostie ou à Rome. C’est le cas pour Neptunus Pater, Pater Tiberinus et la formule de Numen praesens pour la Dea Caelestis et la Pietas de l’empereur Nerva. Enfin, Mme Van Haeperen observe que le choix des dates d’offrandes faites au sein de plusieurs collèges ainsi que leurs choix iconographiques peuvent être interprétés comme une manière de connecter le groupe au monde civique ou supra-civique et en donne des exemples concrets.

 

         Le troisième chapitre (p. 187-206) est consacré aux cultes pratiqués par les militaires stationnés ou de passage à Ostie. Dans l’état actuel de nos connaissances, il ne semble pas qu’ils aient fréquenté les sanctuaires publics de la cité ou plutôt y aient laissé des traces de leur éventuel passage. Le même constat vaut pour les quelques vétérans qui se sont établis à Ostie et y ont formé une association qui n’a toutefois pas laissé des témoignages de ses dévotions. Qu’il s’agisse de vigiles, de soldats de la flotte ou des frumentarii, ils ont honoré les dieux et l’empereur au sein de leur caserne ou d’édifices liés à leur fonction mais aussi en d’autres lieux qu’ils étaient amenés à fréquenter. Les choix des divinités invoquées sont largement conformes à ceux qu’on observe ailleurs dans les corps militaires, qu’il s’agisse de Fortuna, Jupiter Dolichenus, Hercules, Isis ou le Génie du corps. Comme la chapelle aménagée par les vigiles dans leur caserne et destinée au culte impérial représente dans le monde romain occidental un des rares exemples qui permet d’étudier l’aménagement, conservé in situ, des bases de statues dans un lieu de culte, l’A. nous fournit une description détaillée des traces archéologiques de cette chapelle et analyse minutieusement les dédicaces inscrites sur les bases des statues qui y avaient été posées. De même, la chapelle érigée par Hortensius, navarque de la flotte de Misène et l’inscription du pavement, font l’objet d’une analyse fouillée qui laisse cependant subsister des questions.

 

         Dans le quatrième et dernier chapitre (p. 207-248), Mme Van Haeperen examine l’évolution de la vie religieuse à Ostie et Portus à partir du milieu du IIIe s. jusqu’à la fin du Ve s. À partir du milieu du IIIe s., la ‘grande crise’ qui frappe l’Empire, se marque sur le terrain de la cité portuaire. Des entrepôts, des édifices industriels et commerciaux sont abandonnés, tout comme la caserne des vigiles. L’abandon de ces structures, également lié au déclin démographique qui touche la cité, signifie aussi la fin des communautés qui y œuvraient et des lieux de culte qu’elles abritaient. Les sanctuaires publics ne semblent en revanche pas affectés et perdurent au IVe s.. De nouveaux lieux de culte dédiés aux dieux sont même installés entre la seconde moitié du IIIe s. et la fin du IVe s.. La grande synagogue est agrandie au cours du IVe s. et divers indices donnent à penser qu’elle est toujours fréquentée et entretenue durant le Ve s., ce qui témoigne de la vitalité de la communauté juive d’Ostie à cette époque.

 

         Mais la grande nouveauté tient à l’apparition du christianisme dans le paysage de la cité et c’est aux modalités de ce phénomène que l’A. consacre la deuxième partie du quatrième chapitre. Quoique des évêques soient attestés pour Ostie et Portus au début du IVe s. et que Constantin y fît ériger une basilique, dédiée aux apôtres Pierre et Paul, dont l’A. étudie les traces archéologiques, il faut toutefois attendre le dernier quart du IVe s. pour voir se dresser de nouveaux lieux de culte chrétiens : à Ostie, la basilique Sant’Aurea au sud-est et la basilique dans la plaine de Pianabella à l’est, la basilique dédiée au martyr Asterius dont l’emplacement n’est pas connu et quelques petites chapelles intra muros. Pour Portus, l’implantation du christianisme dans le paysage ne devient perceptible que dans le dernier quart du IVe s. avec la basilique épiscopale et la première phase de la basilique Saint-Hippolyte, suivies d’autres basiliques et de martyria au cours du Ve s.

 

         Dans la dernière partie (p. 230-248) du chapitre, Mme Van Haeperen essaie d’appréhender, autant que faire se peut, les modalités de la coexistence entre Païens, Juifs et Chrétiens pour envisager ensuite la question de la fin des temples et la fin des cultes païens. En ce qui concerne la question de savoir dans quelle mesure Juifs et Chrétiens ont participé à la vie religieuse civique, l’A. observe que ceux-ci ne semblent pas avoir appartenu à la couche sociale de l’élite qui fournissait les décurions, mais qu’en tant que simples citoyens, ils pouvaient participer aux fêtes et sacrifices. L’A. suppose, avec un certain degré de vraisemblance, que des Juifs ou Chrétiens ont participé à la vie civique qui comprenait l’assistance aux banquets publics et aux spectacles. Pour ce qui est de la fin du paganisme à Ostie et Portus, elle observe qu’il est difficile d’évaluer à quel moment les lieux de culte païens ont été délaissés et ont cessé de fonctionner mais il semble qu’exception faite de quelques cas isolés et méticuleusement étudiés par l’A., les temples publics n’aient pas subi de dommages particuliers après l’interdiction par Théodose des sacrifices sanglants. La fin officielle des cultes publics ne semble pas avoir entraîné leur disparition. À l’exception des festivités en l’honneur des Dioscures qui continuent à être célébrées à Ostie, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure les autres dieux ont continué à être honorés d’une manière ou d’une autre, dans le port de Rome. L’A. termine en signalant que la date du 23 août, qui correspond au jour des Volcania, fête de Vulcain, est devenue le jour où on célébrait Aurea, devenue la sainte patronne d’Ostie. Mais elle ajoute aussitôt que des jours en l’honneur des autres martyrs de la cité, aucun ne peut faire l’objet d’une explication similaire. Au-delà du Ve s., les traces des cultes traditionnels ne sont désormais plus perceptibles ni à Ostie, ni à Portus.

 

         Un glossaire (p. 251-254), une liste des empereurs Romains intimement liés à l’histoire d’Ostie-Portus, mentionnant leur intervention à Ostie (p. 255), un index (p. 257-261), une bibliographie (p. 263-276) et les notes (p. 277-292) clôturent le livre.

 

         Voilà, résumé brièvement et dans la mesure du possible avec les mots de l’A. elle-même, le contenu de ce livre qui se recommande par la clarté de ses vues et la richesse de la documentation. Le plan bien charpenté et rationnel permet de faire le tour exhaustif des divers aspects du sujet. Tout au long du livre, Mme Van Haeperen, qui allie la largeur de l’information, l’acribie de l’analyse et la prudence dans les conclusions, fait preuve d’une maîtrise de la documentation dont elle avait d’ailleurs dressé l’inventaire raisonné dans le tome 6 de la série Fana, templa, delubra. Corpus dei luoghi di culto dell’Italia (2019). L’analyse des sources est menée avec une minutie exemplaire et en tenant compte de la moindre indication archéologique. Les interprétations proposées sont toujours cohérentes, vraisemblables, profondément réfléchies et, là où l’A. est amenée à formuler des conclusions hardies, elle n’en dissimule jamais le caractère hypothétique. Mme Van Haeperen est, en outre, bien au fait de la littérature scientifique, dont son ouvrage intègre les résultats des recherches les plus récentes. Au fil des pages, on relève nombre d’observations pertinentes et de mises au point judicieuses qui témoignent d’une compréhension profonde du phénomène religieux et ouvrent par ailleurs souvent des pistes nouvelles de recherche. Le livre est écrit dans une langue à la fois précise et rigoureuse qui en rend la lecture agréable et jamais ennuyeuse.

 

         Mme Van Haeperen a réussi la gageure d’écrire une synthèse de haute vulgarisation mais où les historiens de l’Antiquité en général et ceux de la religion dans l’Antiquité en particulier trouveront toutefois aussi beaucoup à glaner. Et pour les spécialistes, le livre constitue le complément indispensable de son inventaire de 2019. Ensemble, ces deux livres peuvent être considérés comme l’équivalent pour Ostie de l’ouvrage que Van Andringa a consacré en 2009 aux cités vésuviennes. À l’instar de ce dernier, cette monographie brosse un tableau de la vie religieuse telle qu’elle se déroulait au niveau local dans le monde romain, mais dans une cité qui, à cause de sa fonction de port de la ville la plus peuplée de l’Empire romain et de sa proximité de sa capitale, présentait toutefois quelques particularités que l’A. ne manque pas de mettre en avant.