Germer, Renate : Mumien, Sphingen und Uschebti. Altägyptische Spurensuche im deutschen Ostseeraum. Mummies, sphinxes and ushabtis. Searching for the traces of Ancient Egypt in the German Baltic region, (Ta-Mehu 1), 65 S., 54 Abb., 9,95 €
(Verlag Marie Leidorf, Rahden 2017)
 
Rezension von Renaud Pietri, Ecole du Louvre
 
Anzahl Wörter : 2198 Wörter
Online publiziert am 2018-12-19
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3363
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          L’histoire des collections est un domaine qui fut longtemps négligé en égyptologie, mais qui depuis quelques années maintenant connaît un renouveau bienvenu et donne lieu à des recherches aussi variées que fructueuses. Tout comme l’histoire de l’égyptologie dont elle fait d’ailleurs partie intégrante, elle est essentielle pour la discipline, bien que celle-ci soit encore bien jeune en comparaison de certaines spécialités-sœurs telles que l’histoire ou l’histoire de l’art de l’Antiquité classique.

 

         Fruit d’une collaboration entre trois institutions égyptologiques du Land de Basse-Saxe en Allemagne, à savoir la Georg-August Universität de Göttingen, le Römer-und Pelizaeus-Museum d’Hildesheim et le Musée Auguste Kestner de Hanovre, le petit ouvrage qui nous est proposé ici par Renate Germer s’inscrit à la fois dans le domaine de l’histoire des collections et dans celui de l’égyptologie en général : il place en effet en son centre l’étude de l’histoire de plusieurs collections égyptiennes de la Baltique, tout en proposant au passage des commentaires plus ou moins détaillés sur certains des objets leur appartenant.

 

         Comprenant un peu plus d’une soixantaine de pages, le livre de Renate Germer est richement illustré puisqu’il ne comporte pas moins de 54 figures en noir et blanc ou en couleur, bien évidemment agrémentées chacune d’une légende, allant de la reproduction de gravures anciennes à la radiographie de certaines momies, en passant par des vues d’artistes et des photographies anciennes ou récentes.

 

         Dans le détail, après les remerciements habituels et une page d’introduction, l’ouvrage se décompose en sept chapitres, courts mais denses, augmentés d’un bref épilogue lui-même suivi d’une bibliographie et des crédits photographiques correspondant aux figures disséminées dans le texte. On remarquera d’emblée un parti-pris de l’éditeur ou de l’auteur, consistant à ne pas utiliser de notes de bas de page, ce qui allège bien sûr celles-ci visuellement, mais peut dérouter au premier abord le chercheur, habitué à y trouver les précieuses références susceptibles d’assouvir sa curiosité et d’approfondir tel ou tel point soulevé par l’auteur. Cette absence de notes de bas de page est d’ailleurs contrebalancée par le recours très fréquent à la citation directe des sources utilisées par l’auteur : lettres, inventaires et autres documents d’archives sont retranscrits et convoqués au gré des démonstrations, faisant parler les collectionneurs d’antan, dont la langue est bien souvent teintée de particularismes propres au XIXe siècle. 

 

         L’ouvrage s’ouvre sur un premier chapitre évoquant les Ægyptiaca du cabinet de curiosité du château de Gottorf, qui abrite de nos jours le musée du Land du Schleswig-Holstein, dans le nord de l’Allemagne. Quelques artefacts égyptiens figuraient en effet parmi les objets ethnographiques et autres naturalia réunis au XVIIe siècle par Adam Olearius pour le compte du Duc Friedrich III de Schleswig-Holstein-Gottorf : à côté des poissons naturalisés, d’une icône russe et d’une effigie de Bouddha, l’auteur note ainsi, sur une gravure ancienne donnant une vue d’ensemble du cabinet de curiosités, issue du catalogue rédigé par Olearius, la présence d’une statuette représentant le dieu Osiris, ainsi que celle d’un serviteur funéraire, aujourd’hui connu en égyptologie sous le nom d’ouchebti. D’après une autre gravure figurant les deux objets en gros plan et incluant une vue arrière de la statuette d’Osiris, Renate Germer, s’appuyant également sur les annotations d’Olearius, précise que l’ouchebti mesure 11 cm de hauteur, et correspond à une production en faïence égyptienne typique des VIIe-VIe siècles av. J.-C. Le dessin d’Olearius est suffisamment précis pour qu'on lise le début du texte inscrit sur la figurine et surtout du nom de sa propriétaire. D’après des inventaires postérieurs, quatre autres ouchebtis étaient conservés dans la même collection, ainsi que deux objets en ivoire difficiles à identifier. Ces objets supplémentaires auraient été ramenés par Bernardus Paludanus, médecin et collectionneur néerlandais qui fit le voyage en Égypte et dont les collections personnelles furent acquises par Friedrich III en 1651. La statuette d’Osiris, pour sa part, présente des caractéristiques atypiques qui trahissent sa nature : il s’agit d’un faux de la fin du XVIe ou du début du XVIIe siècle. Le serviteur funéraire comme la statuette d’Osiris rejoignirent en 1751 les collections du cabinet de curiosités du roi du Danemark et sont aujourd’hui conservées au musée national de Copenhague. En revanche, la momie dessinée par Olearius dans son catalogue eut un destin différent, de même que ses camarades d’Amérique du Sud ramenées elles aussi par Paludanus : mentionnées une dernière fois dans un inventaire daté de 1710, elles n’ont semble-t-il pas survécu au passage du temps.

 

         La transition est parfaite puisque le deuxième chapitre se concentre également sur le devenir d’une momie, conservée à la Völkerkundesammlung de Lübeck. Étudiée, radiographiée et soumise à une endoscopie en 1992, la momie de Lübeck donna lieu à des recherches spécifiques en 1994 afin de retrouver sa trace dans les archives locales, ce qui permit d’en retrouver une mention remontant à 1651. Celle-ci appartenait déjà alors à la ville, et plus précisément à la pharmacie municipale (Ratsapotheke) ; elle est également mentionnée au début du XIXe siècle dans un inventaire des biens de Lübeck dressé alors que Napoléon occupait la cité allemande. Le maire de Lübeck de l’époque décida alors de la nettoyer et de lui faire confectionner un linceul et un cercueil. Comme le démontre Renate Germer, l’artiste chargé de cette « restauration » s’inspira de modèles publiés dans des ouvrages antérieurs, notamment le Bilderbuch de Friedrich Justin Bertuch – lui-même inspiré par les dessins de l’anglais Richard Pocock – et l’Oedipus Aegyptiacus d’Athanasius Kircher. La momie devint ensuite une « momie de bibliothèque », une pratique curieuse que l’auteur décrit comme courante dans l’espace germanophone. Après cette présentation, Renate Germer propose quelques remarques sur la provenance et la datation de la momie de Lübeck, aboutissant aux résultats suivants : celle-ci provient sans doute de Saqqara, « mine » réputée de momies pour les voyageurs européens, et, d’après des caractéristiques connues par un document mal daté mais antérieur à sa restauration, remonterait à la Basse Époque. La datation est confirmée par les amulettes révélées à la radiographie, ce qui conclut l’enquête de Renate Germer.

 

         Le troisième chapitre s’intéresse pour sa part au destin de deux sphinx ramenés d’Égypte par le comte Wilhelm Ernest von Schlieffen, aujourd’hui conservés à l’Ägyptisches Museum de Berlin. Le comte von Schlieffen est bien connu en égyptologie pour avoir découvert et ramené du Soudan la stèle du roi Nastasen, d’époque méroïtique, elle aussi conservée à Berlin. Le comte voyagea avec sa mère d’abord en Europe, puis en Égypte et au Soudan au milieu du XIXe siècle, et Renate Germer propose dans ce chapitre une notice biographique détaillée de cet amateur d’antiques qui s’appuie notamment sur ses propres récits : on y apprend qu’il rencontra en Égypte Auguste Mariette, célèbre égyptologue français alors occupé aux fouilles du Sérapéum de Saqqara. Mariette lui offrit deux sphinx issus de ses fouilles, organisant leur départ d’Égypte, dans des conditions apparemment rocambolesques puisque ceux-ci sortirent du territoire dans des caisses supposées contenir des instruments de musique. Souhaitant en offrir deux de plus au musée de Berlin, le comte finit par céder ses deux exemplaires. Ce fut au cours d’un second voyage sur le Nil, remontant jusqu’au Soudan, qu’il trouva ensuite la stèle de Nastasen qu’il fit parvenir à Richard Lepsius, l’un des fondateurs de l’égyptologie allemande. Celle-ci rejoignit les collections de Berlin en 1860. Von Schlieffen ramena également d’Égypte et du Soudan des momies animales ; amateur de zoologie, il donna même son nom à une chauve-souris encore inconnue, Nycticeinops Schlieffeni. Il essaya aussi de faire transporter des girafes jusqu’au zoo de Berlin, mais les pauvres bêtes moururent en route. Après la mort du comte, ses collections furent vendues en 1930. Au Museum für Völkerkunde à Hambourg se trouve une stèle provenant du Sérapéum de Saqqara acquise également par von Schlieffen. Le chapitre se conclut ensuite sur l’évocation d’un commerçant du nom de Carl Becker, qui souhaita lui aussi orner sa demeure de deux sphinx égyptiens à Stralsund : les objets ne sortant plus que difficilement d’Égypte, le commerçant dut se contenter, comme le prouve une ancienne photographie de l’entrée de sa maison contredisant certaines archives, d’une paire de sphinges égyptisantes tout à fait modernes.

 

         Poursuivant sur le thème des voyageurs allemands en Égypte au XIXe siècle, le quatrième chapitre s’intéresse aux souvenirs pharaoniques ramenés dans leur pays par certains d’entre eux. Le cas d’un certain Ulrich von Behr-Negendank est d’abord évoqué : celui-ci offrit en 1873 une momie de crocodile de 2 m de long à la ville de Lübeck ; le corps du saurien fut plus tard déposé à la Völkerkunde Sammlung. L’inventaire de la collection indique comme lieu de provenance le site de Maadbeh, en Moyenne Egypte, connu pour abriter dans ses environs un temple d’époque romaine où l’on adorait des crocodiles sacrés. L’auteur profite de cette mention pour revenir sur l’histoire de la découverte du site par plusieurs voyageurs allemands, avant de rappeler les principales conclusions d’une étude radiographique de 1998 portant sur la momie de crocodile ramenée par von Behr-Negendank. La suite du chapitre est consacrée aux objets ramenés d’Égypte par le docteur Robert Avé-Lallement, incluant par exemple des parures anciennes et modernes, un serviteur funéraire, une main de momie achetée dans la Vallée des Reines. Avé-Lallement voyagea sur le Nil jusqu’à Assouan en compagnie notamment de Richard Lepsius, avant de revenir au Caire. Enfin, le cas d’une voyageuse nommée Adele Schultz, elle aussi revenue d’Égypte avec son trésor personnel, conclut ce développement sur les « souvenirs » égyptiens.

 

         Le chapitre suivant évoque pour sa part les « souvenirs » ramenés par les chefs d’États de leurs visites diplomatiques, auxquels le vice-roi d’Égypte offrait parfois des dizaines d’objets pour alimenter leurs collections privées ou leurs musées nationaux. L’occasion pour l’auteur de mentionner le cas particulier du Grand-Duc Friedrich-Franz II de Mecklenbourg, qui voyagea à partir de décembre 1871 en Égypte. Il y rencontra notamment Heinrich Brugsch, égyptologue allemand de renom alors au service du vice-roi d’Égypte Ismaïl Pacha. Contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, les objets collectés en Égypte par le Grand Duc à cette occasion sont peu nombreux : on compte toutefois en leur sein une stèle inscrite au nom d’un soldat romain, à laquelle l’auteur consacre quelques paragraphes. D’autres objets de la collection sont mentionnés ensuite, de même que les projets d’aménagement des sources thermales d’Hélouan auxquels est mêlé le Grand Duc et qui permettront notamment de mettre au jour des silex taillés alimentant le débat sur l’existence d’une préhistoire égyptienne. Ces silex rejoignirent également les collections du Grand Duc. Les dernières pages de ce chapitre sont dédiées à la description et à l’histoire de deux pièces : un fragment de partie interne d’un cercueil de la XXIe dynastie représentant le dieu Anubis, aujourd’hui conservé au Museum für Völkerkunde de Leipzig, et la momie d’une femme d’époque gréco-romaine, radiographiée en 1991 et provenant sans doute du Fayoum, conservée pour sa part à l’Ägyptisches Museum-Georg Steindorff de l’Université de Leipzig.

 

         Le sixième chapitre porte essentiellement sur une momie conservée aujourd’hui au Provinzialmuseum de Stralsund, ainsi que sur d’autres Ægyptiaca du même musée ramenés par des voyageurs, en particulier une résille de perles funéraires. La momie elle-même aurait été ramenée d’Égypte par Wilhelm Malte II von Pultus, qui fit deux fois le voyage en Égypte. Si elle est rapidement décrite à la fin du XIXe siècle, il faut cependant attendre 1989 pour que la momie sorte de l’ombre, puis soit étudiée et restaurée au début des années 2000. Il s’agirait d’une momie provenant du site d’Akhmîm, accompagné de ses bandelettes, d’un cartonnage et d’un cercueil.

 

         Enfin, le dernier chapitre s’intéresse aux apports de la Deutsche Orient-Gesellschaft (DOG), fondée à Berlin en 1898. Si les objets issus des partages de fouilles de la DOG rejoignirent la plupart du temps les collections de l’Ägyptisches Museum de la capitale allemande, certains furent répartis dans divers musées du pays aux collections plus modestes, parmi lesquels ceux de Rostock et Greifswald, Lübeck, Stralsund et Hadersleben. C’est à l’histoire de ces dépôts que sont consacrées les dernières pages du livre : des vestiges – provenant notamment du site d’Abousir – allant de la statuette royale aux cercueils peints en passant par des amulettes et de la céramique sont ainsi rapidement évoqués, parfois avec des commentaires de détail sur leur devenir récent.

 

         L’ouvrage que propose Renate Germer fait voyager le lecteur à travers le temps et l’espace. Si l’on suit le destin des collectionneurs, d’Allemagne jusqu’au Soudan en passant par toute l’Égypte, ces quelques pages sont aussi l’occasion de redécouvrir les musées d’Allemagne du Nord. Du XIXe siècle à la fin du XXe, cet aperçu de l’histoire des collections égyptiennes allemandes de la Baltique expose, à travers quelques études de cas, les principaux enjeux d’une meilleure connaissance des pratiques de collecte et de l’histoire récente d’objets souvent oubliés ou relégués au second plan par la recherche. Accessible à différents types de publics tant par la forme que par le fond, cette première contribution à une histoire des collections égyptiennes des musées d’Allemagne du Nord est une initiative bienvenue pour la discipline qui mériterait d’être élargie, car ce type de synthèse est encore trop rare, et de nombreuses petites collections restent mal connues, y compris des spécialistes. Nul doute que la suite de la collection initiée ici (Ta-Mehu) ouvrira de nouvelles perspectives aux chercheurs, tant en matière d’histoire de la discipline que par le signalement d’objets oubliés.