Hebert, Oriane - Pechoux, Ludivine (dir.): Gaulois. Images, usages & stéréotypes. Actes du colloque de Clermont-Ferrand "Quand l’usage fait l’image : les Gaulois, de la manipulation historique à l’archéotype. Nouvelle enquête historiographie", 18-19 septembre 2014, 415 p., ISBN : 978-2-35518-066-8, 36 €
(Editions Mergoil, Autun 2017)
 
Compte rendu par Stéphane Bourdin, Université de Picardie-Jules Verne
 
Nombre de mots : 2063 mots
Publié en ligne le 2018-01-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3224
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          Ce volume, qui s’ouvre par un hommage à Serge Lewuillon, disparu le 8 janvier 2017, et qui reprend les actes d’un colloque organisé en 2014 à Clermont-Ferrand, propose une série d’éclairages sur les différents usages (politique, pédagogique, littéraire etc.) de la notion de « Gaulois », et sur les thèmes et figures qui leur sont associés (Vercingétorix, Ossian, le carnyx, le sacrifice humain etc.). La question n’est pas nouvelle, mais comme le rappelle O. Hébert dans l’introduction, a déjà été bien abordée par des expositions (Nos ancêtres les Gaulois en 1980, Qui étaient les Gaulois ? en 2011, Tumultes gaulois, représentations et réalités en 2014) et par différents travaux sur la constitution de la mythologie nationale (S. Venayre, J.-P. Demoule, C. Goudineau etc.). Le présent volume entend, tout en se plaçant dans cette filiation, mettre en lumière encore davantage la question de l’image : comment évoluent les représentations figurées des Gaulois ? Quels stéréotypes véhiculent-elles ? Quelles idéologies ont-elles servi ? Si toutes les contributions ne sont pas toujours très abouties et si l’ensemble demeure un peu disparate – avec des auteurs qui s’attachent uniquement à la contextualisation d’œuvres modernes et contemporaines, d’autres qui démontent encore – s’il en était besoin – des stéréotypes antiques ou des concepts historiographiques actuels –, l’ouvrage recèle aussi des données importantes et des idées intéressantes.

 

         Dans la première partie, on revient sur la manière dont ont été construites les images des Gaulois, de leur religion et de leur culture. S. Rey (p. 29-39) estime que la religion druidique a pu être envisagée de façon relativement positive par les protestants, plus sensibles au reflet de la divinité dans la nature. Les érudits protestants, rompus à l’exégèse biblique, ont largement contribué au XVIe siècle, à la redécouverte de l’Antiquité et semblent manifester une indulgence particulière vis-à-vis de la religion gauloise. Cette fascination pour le druidisme, renforcée par le mouvement romantique, se retrouve jusque chez Camille Jullian, huguenot cévenol, qui estimait que la religion gauloise avait quelque chose de « protestant ». S. Hanselaar (p. 41-51) revient sur une figure particulière, le personnage de Malvina, « bardesse » inventée par James Macpherson dans ses poèmes d’Ossian, qui a connu un succès discret dans la peinture du premier tiers du XIXe siècle.

           

         L’utilisation de la documentation archéologique dans l’iconographie est envisagée dans trois contributions. C. Vendries (p. 53-73) analyse les différents stéréotypes associés à la musique des Celtes : les instruments anachroniques (tambours) ont longtemps dominé l’imagerie, avant que les poèmes ossianiques n’imposent l’image du barde à la harpe, symbole de l’inspiration lyrique. L’étude des monnaies, des reliefs de l’arc d’Orange, puis du chaudron de Gundestrup, donne en revanche naissance, dans la 2e moitié du XIXe siècle, au mythe du carnyx, qui connaît une certaine célébrité, d’abord sur un mannequin du Musée de l’Artillerie, puis dans la peinture à sujet historique, dans les illustrations, dans la bande-dessinée… Un peu plus loin, S. Lewuillon (p. 223-243) propose une étude très complète de la question du « carnyx », en rappelant que le mot, qui n’apparaît que dans les Scholies à Homère d’Eustathe de Thessalonique (au XIIe siècle), désigne chez cet auteur une petite trompette au pavillon en forme d’animal. Rien ne permet de qualifier cet instrument de trompette de guerre – l’usage de trompe de guerre était connu des Celtes, mais elles étaient appelées salpinx ou bukanê par les Grecs, et en rien distinguées des autres instruments à vent. Les trompes à pavillon théoriomorphes, dont on connaît à peu près 230 représentations et quelques exemplaires réels (Tintignac), apparaissent le plus souvent sur des motifs de trophées (trésor des Étoliens à Delphes, arc d’Orange ; cet instrument, que l’on ne peut pas appeler avec certitude « carnyx » (cette identification a été proposée par le marquis de Lagoy en 1849), et que S. Lewuillon préfère qualifier de « trompe galate », semble se diffuser dans le monde celtique à partir de la fin du IVe-début IIIe siècle, depuis la région balkanique.

           

         L. Olivier et L. Pernet (p. 75-95), avec la collaboration de C. Bastien, se penchent sur la statue du Chef gaulois d’Emmanuel Frémiet, commandée par Napoléon III en 1862 et coulée en 1864. La statue est actuellement conservée au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye. Ils démontrent, avec une grande acribie, comment la réalisation des armes de la statue s’inspire des découvertes archéologiques de l’époque (notamment le matériel du Bronze final IIIb de la Plaine des Laumes à Alise-Sainte-Reine ou celui des tumuli du IXe siècle av. J.-C. de La Chaume à Ivry-en-Montagne), au risque de graves anachronismes. Frémiet a copié diverses pièces conservées dans les musées parisiens pour orner son « chef gaulois » : la cuirasse reproduit un exemplaire du Louvre, provenant probablement d’Italie du Nord et datant des IXe-VIIIe s. av. J. C. ; le casque à crête reprend un modèle de la collection Campana de Tarquinia ou de Véies du VIIIe s. ; l’épée est inspirée d’exemplaires de type Fermo et a des parallèles en Vénétie à la fin VIIIe-VIIe s. etc. Au final, ce chef gaulois, dont l’armement reflète plutôt celui de l’Italie de la fin de l’Âge du Bronze et du début de l’Âge du Fer, a eu une grande postérité, puisqu’il inspire le Vercingétorix d’A. Millet, le célèbre tableau de Royer ou le Vercingétorix de Bartholdi.

 

         Dans la 2e partie, plusieurs contributions reviennent sur les différents usages que l’on a pu faire de cette image des « Gaulois » ou des « Celtes ». A. Binsfeld (p. 99-108) met en lumière la mobilisation de l’identité des Trévires dans le cadre de la construction nationale du Grand-Duché de Luxembourg. Si le récit national luxembourgeois s’est surtout construit autour de figures dynastiques médiévales, le jésuite Alexandre Wiltheim évoque dès le XVIIe siècle la continuité de peuplement entre les Trévires, indépendants puis sous domination romaine, l’Austrasie et le Grand-Duché ; son ouvrage, désormais considéré comme patriotique, n’est publié qu’au XIXe siècle. E. Warmembol (p. 109-131) montre comment, à l’instar d’un Vercingétorix en France, d’un Arminius en Allemagne ou d’une Boudicca au Royaume-Uni, la Belgique indépendante a cherché à mettre en avant des héros fondateurs, en ressuscitant dans la peinture ou la sculpture (par exemple sur les portes de l’enceinte d’Anvers ou avec la statue trônant devant la cathédrale de Tongres) plusieurs chefs belges mentionnés dans la Guerre des Gaule de César, comme le Nervien Boduognat et l’Éburon Ambiorix.

 

         En France, c’est notamment dans les Salons, sous le Second Empire et sous la IIIe République, que fleurit cette mode des Gaulois. H. Jagot (p. 133-152) montre comment la figure de Vercingétorix émerge à partir de 1855 (T. Chassériau), avant de dominer dans les années 1860 (avec le Vercingétorix d’Aimé Millet en 1865). La domination romaine est évoquée essentiellement par le biais des bienfaits apportés par la Ville, visibles dans les scènes de genre par les reproductions d’architecture antique. Après la défaite de 1870, les Gaulois incarnent la revanche et la défense de la patrie, dans des œuvres dont la grandiloquence finit par lasser les salonniers des années 1880. J. Bouchet (p. 153-164) prolonge cette étude en revenant sur le contexte de l’inauguration de la statue de Vercingétorix de Bartholdi. En présence du président du Conseil Émile Combes et de deux ministres de son gouvernement, les 10-11 octobre 1903, l’inauguration à Clermont-Ferrand est l’occasion d’une commémoration patriotique et surtout républicaine. Dans les différents discours prononcés, Vercingétorix apparaît comme le défenseur de la patrie unie, notamment contre Rome, incarnation de la réaction cléricale.

           

         Dans l’enseignement en France, la place des Gaulois est demeurée longtemps ambivalente. C. Amalvi (p. 165-174) rappelle que le mythe de « nos ancêtres les Gaulois », largement diffusé par la IIIe République, dans les manuels de l’école primaire (Petit Lavisse) ou dans les livres de prix (Tour de la France par deux enfants. Devoir et patrie), s’est avant tout imposé dans l’enseignement public, laïc et républicain. L’enseignement confessionnel insistait davantage sur le baptême de Clovis, comme acte fondateur de la nation catholique française et de la monarchie légitime. La glorification des Gaulois, héroïques défenseurs de la patrie, allait de pair dans les manuels avec l’acceptation de la domination romaine, permettant aux Gaulois d’entrer dans la « civilisation ». Cette idéologie transparaît dans les manuels et dans les supports pédagogiques, comme les films fixes, ancêtres des diapositives, abondamment utilisés des années 1920 aux années 1960, qu’évoque G. Collombet (p. 175-189) ; on y retrouve les habituels poncifs : la Gaule primitive, ses huttes et ses menhirs, peuplée de rudes agriculteurs et d’habiles ouvriers, vaincue par César après une farouche résistance « nationale » et civilisée par la domination romaine.

           

         La 3e partie revient sur ces stéréotypes. Outre la question du carnyx, trois contributions mettent en lumière l’acceptation plus ou moins consciente de certains stéréotypes par l’historiographie. L. Lamoine (p. 193-206) revient sur l’indiscipline prêtée aux Gaulois par les sources, à travers notamment deux motifs : la présence d’hommes en armes dans les assemblées politiques et les rixes qui se produisaient à l’occasion des banquets. Il montre que le fonctionnement des assemblées gauloises, avec une prise de parole et des interruptions en réalité parfaitement codifiées, ou les comportements lors des banquets n’étaient pas sans rappeler les scènes des temps homériques et évoquaient donc pour les Grecs et les Romains des pratiques obsolètes, héritées d’une époque primitive. A. Page (p. 207-222) analyse la façon dont les auteurs du XIXe s., en fonction de leurs propres orientations politiques ou de leurs convictions religieuses, ont considéré la question de la place du sacrifice humain dans la religion gauloise : certains y voyaient une pratique universelle que la domination romaine avait abolie et une lointaine justification de la mission de « civilisation » du colonialisme européen. S. Nieto-Pelletier (p. 245-258) démonte enfin un lieu commun historiographique, apparu chez C. Jullian, l’idée d’un « Empire arverne », d’une domination par les Arvernes de l’ensemble de la Gaule unifiée. Elle montre que ce concept n’a aucune réalité, pas plus que l’idée d’une « hégémonie arverne », sous la forme d’une vaste domination monétaire, théorisée par J.-B. Colbert de Beaulieu.

           

         L’ouvrage se termine par un plaidoyer d’O. Buchsenschutz (p. 259-269) en faveur de la rédaction d’une véritable histoire des Gaulois, désormais possible grâce à l’abondance de la documentation archéologique et par des conclusions de L. Péchoux (p. 273-287). Plus que de simples conclusions, ce dernier texte propose un rappel de la place prise par les Gaulois dans l’imaginaire collectif, depuis les travaux d’Amédée Thierry jusqu’aux plus récentes expositions. Cette analyse dense n’aurait pas déparé dans l’introduction au volume ; on attend en revanche vainement une conclusion véritable, qui ferait la synthèse des apports du volume lui-même.

 

 

 

Table des matières

 

 

O. Hébert, Introduction, p. 19-25.

 

Partie I. La construction des images

 

S. Rey, « La Tène est protestante. » Métamorphoses de la religion gauloise, p. 29-39.

 

S. Hanselaar, Malvina ou la première bardesse celtique, p. 41-51.

 

C. Vendries, Harpes druidiques et trompettes guerrières. La musique des Gaulois dans l’art et l’imagerie populaire du XVIIIe siècle à nos jours, p. 53-73.

 

L. Olivier, L. Pernet, avec la collaboration de C. Bastien, Les emprunts iconographiques du Chef gaulois d’Emmanuel Frémiet : une image de l’archéologie gauloise au début des années 1860, p. 75-95.

 

Partie II. L’usage des images

 

A. Binsfeld, Les Trévires vus par le jésuite luxembourgeois Alexandre Wiltheim, p. 99-108.

 

E. Warmembol, Les anciens Belges. Bob, Ambiorix, Bobette, Boduognat et les autres, p. 109-131.

 

H. Jagot, La réception critique des œuvres à sujet gaulois au Salon, du Second Empire à la IIIe Empire. Brève histoire d’un chassé-croisé idéologique, entre nécessité de la conquête romaine et défense de la patrie gauloise, p. 133-152.

 

J. Bouchet, Les noces gauloises de Marianne : l’inauguration du monument de Vercingétorix en 1903 à Clermont-Ferrand, p. 153-164.

 

C. Amalvi, L’imaginaire gaulois véhiculé par les manuels de l’école primaire et les ouvrages de vulgarisation de la IIIe à la Ve République, p. 165-174.

 

G. Collombet, Enseigner la Gaule : le film fixe et la pédagogie de l’instituteur après 1916, p. 175-189.

 

Partie III. Le poids des stéréotypes

 

L. Lamoine, L’indiscipline des Gaulois, p. 193-206.

 

A. Page, Le sacrifice humain chez les Gaulois : perception, réception et usages idéologiques au XIXe siècle, p. 207-222.

 

S. Lewuillon, Le roman du carnyx. I. Le nom de la trompe,

 

S. Nieto-Pelletier, Construction et déconstruction de l’« Empire arverne » : la numismatique face à un concept, p. 245-258.

 

O. Buchsenschutz, Les Gaulois, l’Hexagone et le kaléidoscope, p. 259-269

 

Conclusion

 

L. Péchoux, L’ancêtre gaulois ou la victoire politique d’un candidat parmi d’autres, p. 273-287.