| Cousinié, Frédéric: Images et méditation au XVIIe siècle, 17.5x25 cm, 240 pages, 22 euros, ISBN 978-2-7535-0514-8 (Presses Universitaires de Rennes 2008)
| Compte rendu par Véronique Castagnet, Université d’Artois Nombre de mots : 1334 mots Publié en ligne le 2009-04-10 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=319 Lien pour commander ce livre Frédéric Cousinié présente dans cet ouvrage,
abondamment et judicieusement illustré, le résultat de recherches
scientifiques menées durant plusieurs années et couronnées par
l’habilitation à diriger les recherches obtenue en 2006. Il se compose
de plusieurs chapitres (qui n’en portent pas le nom) assemblés
crescendo : « Vers une lecture spirituelle de l’image : la Descente du
Saint-Esprit de Charles le Brun (1657) », « L’image absente ? », «
L’image au cœur du livre », « L’image et le rituel », « L’image
intérieure » et « Au-delà des images ». Le tout est enrichi par une
bibliographie et assorti d’un index. Dans un premier temps, sous la forme d’une
introduction dissimulée, l’auteur revient sur la lecture d’un tableau,
daté de 1657, de Charles Le Brun (1619-1690), La Descente du
Saint-Esprit. Partant d’une démarche idiographique, Frédéric Cousinié
en profite pour développer l’importance de l’image aux yeux des
contemporains, ainsi que les théories de l’art formulées par Roland
Fréart de Chambray (1606-1676) ou Charles-Alphonse Dufresnoy
(1611-1665) et la littérature spirituelle (André Félibien)
d’inspiration pour les artistes du XVIIe siècle. Il insiste sur l’usage
cultuel des images que révèle ce tableau, à l’origine destiné à l’autel
de la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice à Paris (tableau
aujourd’hui conservé au Louvre), ainsi que le rapport du chrétien à
l’image. En ce cas, le tableau de Le Brun met en scène l’« élévation »
de l’esprit du fidèle grâce à des procédés artistiques picturaux : la «
beauté » et la place et le statut du dévot destinataire de l’œuvre
(insertion du portrait du donateur dans le tableau religieux) comme
celui de l’artiste, créateur du tableau. Ainsi le tableau est le
support d’une pratique contemplative voire « mystique ».
Les chapitres suivants permettent au lecteur de se
déplacer dans les différents lieux au sein desquels l’image à une place
importante : le livre (caractère fondamental de l’ancrage textuel - les
Écritures - de toute image), l’église (la pratique de l’oraison
mettant, selon les jésuites, en communication le fidèle avec la
divinité) et l’esprit du fidèle (« l’image mentale » comme dans le cas
des gravures du mystique Jean Aumont). Frédéric Cousinié montre ainsi
la double transformation affectant et l’image et l’usager : une «
conformation » ainsi que le caractère singulier de l’image support de
la contemplation au « siècle des Saints ».
Premièrement, l’oraison, la lecture ou la méditation
spirituelle nécessitent des supports conjoints ou alternatifs : le
livre et l’image. Parmi les artistes proposant aux fidèles des
représentations élaborées figure Jean de Troy (1638-1691), d’origine
toulousaine et frère du portraitiste François de Troy. Sa particularité
est de peindre des contemporains avec des modèles archétypaux de la
spiritualité chrétienne, voire de la sainteté. Par exemple, le Portrait
de Jeanne de Juliard, dévote (1629-1703), fondatrice de la congrégation
toulousaine des Filles de l’Enfance : son portrait suggère les
relations qu’elle entretenait avec le milieu de Port-Royal. L’auteur
souligne la spécialisation de certains artistes dans la peinture de
scènes recherchées par les dévots qui replacent les saints dans leur
cabinet, grottes ou oratoires (par exemple, Claude Vignon, Jacques
Blanchard, Champaigne, Le Sueur). L’épisode peint apparaît alors comme
un mystère intemporel, en particulier dans le cas des crucifixions,
propices à la conversion des fidèles. Parfois le dévot prend les traits
de la figure sainte, selon une « conformation » spirituelle (par
exemple, La Vallière ou Mme de Ludre sous les traits de Madeleine). Ces
pratiques ne sont cependant pas approuvées par tous les fidèles :
rigoristes et moralistes rejettent des peintures suspectées
d’exciter la sensualité humaine ; les plus conciliants sont les carmes,
les oratoriens et les jésuites. Elles contribuent toutefois à la
création d’un imaginaire mental spécifique en liaison avec la
méditation et les exercices spirituels requis.
L’image acquiert également une place essentielle
dans le livre, par exemple dans l’un des livres les plus souvent
publiés au XVIIe siècle, le De imitatio Christi de Thomas a Kempis
(1427). Les multiples traductions sont abondamment illustrées de
gravures explicites ; parfois, cet ouvrage est placé au centre de
tableaux représentant des natures mortes aux coquillages.
L’interprétation de ces derniers paraît aisée : le monde extérieur (les
coquillages), offert à la vaine jouissance et aux vanités, doit être
abandonné pour le monde intérieur. Toutefois, le livre spirituel ne
permet pas d’opposer de façon aussi caricaturale le monde extérieur et
le monde intérieur, dans la mesure où, placé au centre du tableau, il
suggère une méditation globale étendue à l’ensemble des objets
présents, à leur sens et aux raisons de leur présentation simultanée,
le but ultime étant de parvenir à la transformation du croyant, celle
du spectateur-dévot en un fidèle modelé à l’image du Christ.
L’intégration de la gravure dans un livre spirituel (« intégration
forte » lorsque l’ouvrage découpe le récit en scènes distinctes, «
faible » en cas de scène unique dans le livre) marque une évolution
majeure dans l’histoire de l’édition selon Frédéric Cousinié. Elle est
ménagée par quelques articles préparatoires, éventuellement une
citation latine des Écritures, et suivie de quelques lignes
explicatives qui légendent l’image pour les simples fidèles afin de
révéler les dimensions référentielles (dénotatives), sémantiques
(connotatives), expressives (émotives), phatiques (de contacts) et
pragmatiques de l’image. L’image revêt donc, dans ce contexte, des
fonctions rhétoriques, didactiques, ornementales et spirituelles, par
exemple Les Tableaux Sacrez de Louis Richeome : ce dernier parle d’«
image triple » (« de pinceau, de parole & de signification »),
expression à laquelle l’auteur préfère celle de « méta-image ».
Dans un chapitre plus court, Frédéric Cousinié
explicite les liens entre l’image et le rituel, en particulier l’image
reprise dans les grands tableaux de retable, par exemple la
Présentation au Temple de Simon Vouet (conservée au Louvre) ou Le
Christ ressuscité en gloire imploré par la Vierge et les saints en
faveur des âmes du Purgatoire de Champaigne (tableau conservé au musée
des Augustins de Toulouse). En réalité, le tableau prend alors place
dans une structure plus complexe, ménageant des niches, des cadres, des
piédestaux... articulés entre eux selon un langage savant de façon à
élaborer un discours méditatif. Une grande partie des traités d’oraison
permet d’associer démarche individuelle et action collective, ce qui
dénote de nouvelles pratiques spirituelles, comme dans l’ouvrage de F.
Mazot (Un recueil de Medidations devotes sur les Mystères de la Passion
applicquées au Saint Sacrifice de la Messe, ensemble des Oraisons
adressées aux Saints et aux Saintes que l’Eglise invoque dans ses
Litanies, publié en 1651) ou dans celui de Sébastien Le Clerc (Tableaux
ou sont representees la passion de NS Jesus Christ et les actions du
Prestre a la S. Messe, Avec des prieres correspondantes aux Tableaux en
1657, 1661 et 1680).
Ensuite, l’image intérieure, au centre de la
pratique méditative, est importante et dans le cadre public de l’église
et dans celui plus personnel de l’oratoire. Elle relève d’une
construction psychique et constitue un objet d’étude pour les
historiens de l’art, en raison de sa matérialité. Elle s’avère
intéressante aussi pour la connaissance de l’élaboration intellectuelle
de ces représentations par les artistes (les travaux de Panofsky ont
été fondamentaux en ce domaine), les philosophes et les théologiens. Le
premier élément constitutif reste l’évocation du lieu résonant avec la
« scène mentale » et l’espace imaginaire créé par le croyant : en ce
cas, la méditation repose sur le choix du cœur comme lieu de l’âme
(voir le tableau d’Amboise Frédeau Saint Augustin présentant son cœur à
la Vierge conservé au musée des Augustins de Toulouse). Les
contemporains (comme le jésuite Jacques Noüet) fondent également leur
réflexion sur la conception augustinienne des images, tout en la
complexifiant considérablement. Ce docteur de l’Église distinguait, en
effet, les images corporelles (objets extérieurs perceptibles par la
vision matérielle des choses), les images spirituelles (alimentant la
puissance imaginative du croyant) et les images intellectuelles (ou
mystiques, liées à l’entendement). Les nouvelles conceptions donnèrent
lieu à de nombreuses représentations graphiques, permettant de
localiser les « lieux mentaux » d’où viennent les images imaginaires :
les artistes choisissent le mode allégorique ; les philosophes et les
médecins le modèle anatomique ; les théologiens, les dévots ou certains
artistes (comme Champaigne) optent pour le modèle cardiocentriste.
Enfin, Frédéric Cousinié note que les œuvres
préalablement citées proposent une « sémiotique du surnaturel » dont la
nécessaire analyse doit mettre en évidence gestes et regards, relations
entre bénéficiaires et « témoins » de l’apparition, les modes
d’inscription dans l’espace, les objets médiateurs, les circonstances
temporelles de l’apparition. Malgré tout, l’auteur souligne que les
contemplatifs restent en France hostiles aux images, tant matérielles
que spirituelles. Il dresse une typologie : les images suscitant une
expérience mystique (tolérées dans la première phase de la méditation)
; les images littéraires (abondantes dans le discours mystique avec des
aspects pédagogique, ornementatif, exhortatif) ; les images retraçant «
l’itinéraire contemplatif » à savoir apothéoses, assomptions, visions,
extases, songes et gloire.
En somme, Frédéric Cousinié démontre tout l’intérêt
d’une lecture attentive des images, dans le cadre d’une analyse des
rapports entre l’homme et la divinité. Il montre la diversité du
recours aux images et la polysémie qu’elles véhiculent. Il insiste sur
la finalité de ces références iconographiques : la transformation de
l’homme, sur le modèle christique.
|