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Rezension von Claire Maingon, Université de Normandie (Rouen) Anzahl Wörter : 1541 Wörter Online publiziert am 2018-08-28 Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3113 Bestellen Sie dieses Buch
Qui connait un peu Thérèse Burollet, ne serait-ce que de réputation, se doutait bien qu’elle ne jouerait pas indéfiniment l’Arlésienne. Que cette grande dame du monde des musées et de la sculpture du XIXe siècle publierait son livre, cette somme définitive, sur « son » sculpteur, Albert Bartholomé (1848-1928). L’ouvrage imposant, magnifiquement illustré, est le fruit d’une vie de recherches sur l’œuvre d’une vie, celle d’un artiste trop souvent rejeté dans l’ombre de Rodin, son contemporain, et de Degas, son meilleur ami. Il comprend deux parties. La première est une monographie (une « biographie reconstituée », écrit l’auteure) découpant habilement la vie de Bartholomé au gré de ses moments forts, ses tournants et ses grandes commandes. Elle nous conduit de sa naissance à l’éclosion de son désir d’artiste, de sa grande notoriété jusqu’à son oubli. La seconde partie est un véritable catalogue raisonné qui, œuvre par œuvre, détaille leur historique et leur bibliographie. De la rencontre entre l’auteure et son sujet, de ce lien de proximité voire d’intimité qui s’est construit sur des décennies, nous n’en saurons presque rien si ce n’est que Thérèse Burollet livre le fruit d’une réflexion entreprise en 1963, avec l’aval du grand André Chastel. Tout en replaçant Bartholomé au cœur de son époque, elle met en évidence les singularités de ce peintre devenu sculpteur, comme le fit sur le tard Jean-Léon Gérôme, l’un de ses premiers professeurs à l’École des Beaux-arts.
Loin de toute tentation d’hagiographie, Thérèse Burollet encourage la redécouverte d’un artiste passablement oublié, certes, mais dont la notoriété fut immense en son temps. L’historienne replace sa démarche dans ce grand mouvement de réévaluation de l’art du XIXe siècle symbolisé par l’ouverture du musée d’Orsay en 1986. L’ouvrage est d’une probité intellectuelle exemplaire, fourmillant de précisions et d’actualisations qui montrent l’importance des recherches en archives, tout aussi bien nationales que départementales ou locales. La pugnacité fait ses preuves. Des zones d’ombres sont éclaircies, d’autres résistent à la connaissance mais ont été patiemment explorées. C’est un travail définitif mais qui a l’intelligence de ne pas le dire, dans l’espoir, sans doute, qu’il continuera d’être mené par les nouvelles générations d’historiens de l’art. Les erreurs longtemps commises à l’égard de l’œuvre Bartholomé (comme la confusion entre les toiles Dans la serre et Portrait de Prospérie de Fleury, première épouse du peintre, encore relayée dans des catalogues récents) ne sont pas grossièrement appuyées mais simplement corrigées. Ainsi de l’amitié qui a uni Bartholomé et Degas. Contrairement à ce qui a pu être écrit par le passé, l’étude des correspondances et des œuvres montre bien qu’elle fut véritable, entière, et non pas manipulée par un Degas hypocrite. Thérèse Burollet y consacre un chapitre qui met face-à-face deux tempéraments solitaires : l’un par choix (Degas), l’autre par nécessité (le veuvage de Bartholomé). Ensemble, ils se sont échappés à plusieurs reprises loin de Paris, travaillant de concert, mais ont aussi couru le Louvre, les adresses parisiennes et les soirées entre artistes. Cette amitié d’une vie, enrichie par la fréquentation d’écrivains et de critiques de la trempe d’un Mirbeau, ne fut assombrie que par le remariage de Bartholomé en 1901 et son installation dans le quartier de Chaillot. Bartholomé apparait aussi comme un maillon central dans l’histoire du Salon de la Nationale des Beaux-arts, créée en 1890 par Meissonnier, Puvis de Chavannes, Rodin, Gervex. Membre de la première heure, Bartholomé en assura la présidence de 1919 à 1925. Cela nous rappelle combien les Salons demeurent des rendez-vous incontournables pour les artistes du XIXe siècle. Bartholomé, comme la plupart des statuaires de son temps, a su y mener sa carrière en stratège intelligent, présentant les modèles de ses grandes commandes mises en scène dans le cadre du Palais d’Antin.
La mort est le fil rouge qui a tracé la voie de Bartholomé. La disparition de sa première femme, Prospérie, est à l’origine de son engagement dans la sculpture en 1887. Bartholomé, jusqu’ici peintre dans la veine naturaliste d’un Bastien-Lepage, voulait lui dédier un dernier portrait. Il prend la forme d’un gisant qui combine le portrait de la morte et l’autoportrait de l’artiste, au pied d’un Christ de douleur (cimetière de Crépy-en-Valois). Travailleur acharné, poussé par le désespoir jusqu’à la rencontre de sa seconde épouse, Bartholomé construit une carrière de sculpteur marquée par les commandes funéraires de grande ampleur, qui culmine par l’avalanche de monuments aux morts née de l’hécatombe de la Grande Guerre (l’auteure consacre un long chapitre à cette période douloureuse et féconde). La monographie porte l’accent sur l’étude approfondie de plusieurs monuments, dont celui, célèbre, du Père-Lachaise, commandé à l’artiste par le conseil municipal de Paris et inauguré en 1889. Thérèse Burollet réserve un chapitre à son étude. L’artiste, très éprouvé par la perte de sa première épouse, veut à la fois « réaliser une œuvre générale dédiée à tous les morts » et développer une réflexion mystique sur la marche de l’homme vers l’au-delà, l’éternité. L’œuvre, élaborée sur une dizaine d’années, est singulière. Le processus créatif de Bartholomé l’est tout autant. Plutôt que de s’enfermer dans un projet d’ensemble, l’artiste travaille par grands fragments qui forment autant de figures autonomes. On songe ici bien sûr à la comparaison qui pourrait être faite avec La Porte de l’enfer de Rodin, conçue à la même époque. Deux frises de personnages, dans des postures pathétiques, encadrent l’entrée d’un mastaba. Bartholomé combine réalisme et allégorie, sur fond de grandeur classique. L’artiste fait preuve d’une grande conscience architecturale, évoquant les préceptes de son contemporain Antoine Bourdelle en la matière. Il ne s’agit pas à proprement parler de l’œuvre d’un artiste religieux, à la manière d’un Maurice Denis, mais plutôt d’un « symboliste chrétien », comme le surnommait Le Sar Péladan. Bartholomé, cet ami d’Hodler, était plus mystique que religieux, de tempérament plus romantique que réaliste. Il connaissait, du reste, l’apport de François Rude au réalisme funéraire, cette spécialisation mal-aimée de la sculpture du XIXe siècle jusqu’aux travaux d’Antoinette Le Normand Romain. Le Monument aux morts du Père-Lachaise, comme tant d’autres, pose la question de la modernité de Bartholomé. La modernité n’est pas une aspiration réservée aux avant-gardes, contrairement à la lecture que les historiens modernistes ont voulu en faire et qui demeure toujours vivace. Il est évident que Bartholomé n’est pas un sculpteur académique versant dans l’art pompier. Sa quête esthétique est œcuménique, universelle, et, sur le plan du style, il emprunte tout autant aux antiques qu’aux artistes de la Renaissance italienne. Moderne, il l’est peut-être dans le recours pluriel à ces emprunts à la tradition mais aussi par la recherche d’un certain dépouillement formel. En ce sens, il apparait comme un héritier de Puvis de Chavannes mais aussi le précurseur d’un certain courant de la sculpture incarné par Paul Landowski dans les années trente.
Bartholomé sut adapter son style au génie des lieux dans lesquels ses œuvres ont pris place. Le deuxième monument important de sa carrière fut celui à Jean-Jacques Rousseau, commande de l’État pour le Panthéon passée à l’artiste en 1907 et inaugurée en 1912. Tout comme, par exemple, l’Église Saint-Louis de Invalides (où ont travaillé Pradier, Etex et Landowski), le Panthéon offre un cadre riche en symboles, à la dominante néoclassique. Tout artiste invité à y concevoir une œuvre ne peut s’abstraire des contraintes imposées par le lieu. Bartholomé y réalise un monument où le symbolisme domine, refusant l’historicisme classique qui aurait dû lui imposer de représenter formellement le philosophe. L’artiste préfère le recours à l’allégorie à l’antique. Mais loin de la froideur néoclassique, ses femmes présentent la sensuelle modernité d’une Isadora Duncan, inspiratrice de Rodin comme de Bourdelle.
Un chapitre particulièrement intéressant de l’ouvrage de Thérèse Burollet concerne la diffusion des œuvres de Bartholomé, dans le feu de sa notoriété grandissante après l’inauguration du monument du Père-Lachaise et l’obtention du Grand prix de Sculpture à l’exposition universelle de 1900. D’une part, Bartholomé a consenti à faire réaliser des bronzes d’éditions destinés à être vendus à des collectionneurs. D’autre part, et c’est surtout ce point qui mérite l’attention, il accepta la réalisation d’estampages de parties de son monument aux morts pour des musées de province ou étrangers. C’est ainsi que Georg Treu, directeur de la collection de sculpture au musée de Dresde, commanda un moulage complet du centre du cénotaphe, présenté dans le musée de l’Albertinum. Malheureusement, par la force des modes, il n’a pas été réinstallé dans la scénographie actuelle du musée, rouvert en 2010. Ne restent que des photographies, ces témoignages précieux sur l’histoire de la présentation des collections.
31 ans après l’exposition La sculpture française au XIXe siècle, organisée par le musée d’Orsay comme le manifeste d’un nouveau regard, l’ouvrage de Thérèse Burollet témoigne que le travail de réévaluation des grands maîtres n’est pas achevé. Elle souligne aussi, et c’est un élément important, que la postérité d’un artiste tient beaucoup à la manière dont ses descendants ont su porter sa mémoire. Bartholomé est mort sans descendance. Que serait devenu Aristide Maillol si Dina Verny n’avait pas convaincu André Malraux de l’aider dans son entreprise de mémoire ? L’histoire est parfois un tombeau. Et Bartholomé, par cet ouvrage de référence, nous revient de la cité des morts dont il fut l’un des beaux exégètes.
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Herausgeber: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |