Doré, Stéphane - Herbin, Frédéric (dir.): L’objet de l’exposition : l’architecture exposée, 168 p., 16,5 x 22 x 1,3 cm, ISBN: 978-2-910164-62-1, 18 €
(École Nationale Supérieure d’Art de Bourges, Bourges 2015)
 
Compte rendu par Elpida Chairi, École Française d’Athènes
 
Nombre de mots : 1873 mots
Publié en ligne le 2018-01-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2950
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          À l’exception de la préface et de l’introduction, le texte se présente en deux colonnes par page, avec les notes en dessous, ce qui rend la lecture plus agréable. L’ouvrage est caractérisé par une esthétique sobre en noir et blanc ; les illustrations ne sont pas nombreuses mais elles restent significatives. Quelques fautes de frappe ont tout de même échappé. Dans la préface, Stéphane Doré présente le cadre de la réflexion sur le mode d’exposer l’architecture. L’auteur pose le problème de la recherche en art face  à sa production et explique la relation entre l’art et la recherche ainsi que celle de la reproduction du réel. Dans l’introduction, Frédéric Herbin analyse, de manière à la fois extrêmement claire et détaillée, l’historique, la fonction et la signification de l’architecture exposée, aussi bien pour son intérêt théorique, notamment à travers des séminaires, que pour la recherche des pratiques artistiques développées à cet effet. L’auteur présente les contributions de l’ouvrage en menant le lecteur dans une réflexion profonde sur l’architecture et ses outils, les procédures d’élaboration et de représentation, souvent avec le concours d’autres disciplines, s’appuyant sur des cas concrets de lieux d’exposition importants. Reconnaissant le caractère éventuellement fragmentaire et lacunaire de cette publication, l’auteur  explique que la volonté des participants était de présenter les différentes manières de penser le sujet.

 

          Pierre Chabard reconstitue l’histoire des expositions consacrées à l’architecture en tenant compte de l’évolution des différents contextes qu’il essaie de décrire et d’analyser. La concurrence des institutions concernées, la description des expositions emblématiques de Jean Dethier, le succès commercial même, menant à la vente des documents, la distanciation entre l’architecte et ses dessins constituent les points principaux autour desquels est retracé cet historique. L’auteur met surtout l’accent sur la transformation de la culture architecturale par la médiation et sur l’idée de la création d’une galerie permanente pour accueillir les nouveautés architecturales, annonçant la Cité de l’architecture.

 

          Marie Civil remonte dans le temps pour esquisser les expositions les plus importantes au niveau international. Elle en distingue deux types : le premier est tourné vers le projet muséal dans lequel s’insère l’exposition, le second attire l’attention sur les réalisations portant les directions formelles et fonctionnelles de la génération productrice. L’auteur analyse de manière intéressante la liaison créée entre  exposition et musée, ce qui impose l’étude typologique, stylistique et historiographique de ce dernier ; les traces diachroniques de cette évolution sont cristallisées dans les catalogues édités à l’occasion des expositions.  

 

          Stéphanie Dadour et Léa-Catherine Szacka s’appuient sur deux cas bien différents pour démontrer comment une exposition peut devenir un « vecteur du changement de paradigme ». Moyen d’expression des auteurs des œuvres architecturales et en même temps porteuses des malheurs du postmodernisme, les façades de la Strada Novissima exposées lors de la Presenza del Passato de la Biennale de Venise, reflètent la culture qui les fit naître. L’exposition House Rules incite à la réflexion sur l’identité de l’architecture, telle qu’elle résulte à travers les débats des années 80. Le mérite des auteurs est sans doute d’avoir pu faire dialoguer deux événements nés de conceptions bien différentes et d’arriver à en faire ressortir la fonction commune, celle d’un véhicule annonçant des changements.

 

          Louise Pelletier choisit le cas du Centre Canadien d’Architecture pour mettre en évidence comment les nouveaux modes de représentation de l’architecture, lors d’une exposition, peuvent transformer l’expérience du visiteur et modifier sa relation traditionnelle avec l’objet exposé. L’auteur, par une analyse fine et profonde, relie les notions et les concepts de l’espace et de l’architecture, de la pérennité et de l’éphémère, avec ceux de la réalité et de la représentation et distingue les fonctions d’une exposition, considérée successivement comme un laboratoire, une vitrine, une plateforme de discussion.

 

          Emmanuelle Chiappone-Piriou invite le lecteur à considérer l’exposition comme un espace d’expérimentation en mettant l’accent surtout sur les différents caractères que l’espace peut traduire : interprétatif et représentationnel, par la juxtaposition d’œuvres selon des scénographies diverses, autonome pour la production et apportant l’innovation. L’auteur développe une réflexion de recherche à travers la réinvention, la conception et l’expérimentation des processus qui redéfinissent la production architecturale exposée.

 

          Marie-Ange Brayer choisit d’étudier l’architecture exposée comme un artefact critique à travers le temps. Se fondant sur quelques expositions importantes, elle mène une recherche intéressante sur la signification et le rôle de la maquette, « idée conceptuelle » à la base du projet. Même si les outils évoluent pendant l’ère digitale, l’auteur développe une réflexion riche et profonde sur la notion du modèle, du prototype et de l’expérimentation des idées architecturales.

 

          Philippe Chiambaretta, qui en qualité d’architecte a une grande expérience en matière d’expositions, présente dans des termes bien choisis la réalité des processus sans cacher ce qui se trouve derrière l’objet exposé. Sa longue collaboration avec des plasticiens ainsi que sa capacité à bien distinguer les bornes entre les arts plastiques, l’architecture et la photographie le mènent à fixer les limites entre une œuvre d’art et une œuvre d’architecture.

 

          Roberto Gigliotti et Giaime Meloni explorent le domaine de l’image photographique et son insertion dans l’exposition architecturale. Ils analysent la photographie en tant qu’« outil capable de représenter/reproduire/restituer l’expérience architecturale », mais aussi comme facteur principal de transformation et de recréation d’un espace. Ils vont plus loin, considérant que les photographies s’intègrent dans l’exposition en offrant au spectateur « une sensation de mise en abyme de sa propre expérience directe de l’exposition ». Ils distinguent enfin le double pouvoir de la photographie utilisée à cette fin : constructif, car il informe l’espace, mais aussi fixant pour l’objet exposé un contenu à la fois illustratif et critique.

 

          Florent Perrier examine le cas de l’utopie architecturale, entre fiction et imaginaire, prenant comme point de départ le phalanstère en tant qu’« objet de spéculation devenu objet d’exposition », en étudiant la manière dont il se traduit à travers l’œuvre Utopia bianca de Chr. Berdaguer et Marie Pejus. Des notions significatives pour le phalanstère, comme la précarité, la pauvreté des matériaux, la possibilité de composer avec des éléments légers et transportables, sont d’autant plus valables pour comprendre Utopia bianca ; l’auteur développe une réflexion solide et profonde pour expliquer comment on peut passer de l’extérieur d’une architecture (phalanstère) a l’intérieur de celle-ci, par le mobilier utilisé.  

 

          Manuel Royo choisit un objet, le plan-relief de Rome réalisé par Paul Bigot, pour traiter le sujet de la représentation. Il étudie la notion de simulacre à travers les textes de Jean Baudrillard et développe sa réflexion autour de la création de Bigot et des modifications perpétuelles que celle-ci a subies. Le rôle de l’architecte face à la réalité, la non-pérennité de cette réalité qui évolue, les liens entre l’espace et le temps, la signification de la distance juste pour le rendu du réel, l’effort de maîtriser l’espace qui finit par le contrôle du temps, constituent les points-repères de la discussion enrichissante que nous propose l’auteur.

 

          Caroline Bougourd étudie le cas de la maison préfabriquée comme « objet » ou « sujet » idéal d’exposition. En admettant que le caractère même de la préfabrication, le contexte historique de sa naissance ainsi que son rôle social méritent l’exposition, l’auteur met en valeur la qualité de démonstration de l’opération. Elle développe une réflexion intéressante sur l’architecture médiatisée à l’aide de modèles à vraie échelle et de sa réception par le public, notamment dans des sociétés en difficulté économique. L’opération ne peut pas être séparée de la fonction commerciale, mettant l’accent sur les qualités d’une maison préfabriquée. L’auteur remarque, laissant sous-entendre le risque caché, que certaines pièces exposées, comme celles de Prouvé, finissent par être considérées comme des unités indépendantes, issues du démontage d’un prototype et répondant à une spéculation revêtue d’un caractère patrimonial.

 

          Éric Monin présente le rôle de l’éclairage artificiel dans l’exposition de l’architecture. Il retrace l’historique des expositions reliant arts et techniques depuis le début du XXe siècle, où interviennent tous les acteurs qui en définissent l’évolution : conservateurs de musées, architectes, spécialistes de l’art de l’éclairage. Cette recherche, fondée aussi sur des articles tirés de revues et ouvrages spécialisés, plonge le lecteur dans   l’esprit de chaque époque évoquée, où vitrines de commerces et salles de musées semblent être considérées de la même manière. La mise en lumière monumentale pour marquer à la fois des événements et des monuments finit, selon l’auteur, par devenir un spectacle en soi ; le Tour de France de la Lumière en est un cas exemplaire. L’auteur nous laisse penser que cet effort de mise en valeur des monuments dépasse son but initial, mettant trop l’accent sur l’effet lumineux au détriment de l’œuvre architecturale.

 

          Sun Jung Yeo étudie la manière dont Peter Greenway tente d’exposer l’architecture à travers des maquettes, des dessins et des cartes géographiques avec le concours de l’image (post)cinématique, dans le film Le ventre de l’architecte et l’installation urbaine The Stairs : Genève, le cadrage. Associant la théorie de l’architecte visionnaire Étienne-Louis Boullée, enrichie de celle de l’historien et esthéticien de l’art Heinrich Wölfflin - sans oublier le rapport avec l’œuvre de l’architecte Claude Parent - à la question du cadrage cinématique de l’architecture, Greenway s’interroge sur la présentabilité des œuvres architecturales. L’auteur analyse cette problématique intimement liée à la notion temporelle et à la figuration topologique, expliquant la recherche menée par l’artiste à travers les signes et les éléments caractéristiques du cinéma, qu’il transpose dans les installations qu’il propose. Sun Jung Yeo réussit à traduire avec une extraordinaire connaissance et sensibilité la symbolique et la présentation des éléments d’architecture ainsi que le rôle qui leur est réservé pendant le parcours du visiteur de l’installation urbaine.

 

          L’ouvrage ne s’adresse pas uniquement aux lecteurs attirés par l’architecture et son univers ; l’avantage de susciter l’intérêt de tous ceux qui choisissent le chemin de la réflexion devant un événement artistique devient de plus en plus évident au fil de ses pages. Son plus grand mérite consiste certainement dans le fait qu’il a été rédigé par une pléiade d’auteurs qui connaissent à fond les questions présentées.

 

 

Table des matières

 

Préface, par Stéphane Doré, p. 3

Introduction : L’architecture exposée dans son champ élargi, par Frédéric Herbin, p. 6.

L’architecture exposée dans son périmètre dédié

Ce que l’exposition fait à l’architecture : le cas du CCI dans les années 1980, par Pierre Chabard, p. 22.

Le musée exposé : mise en espace de l’histoire muséale, par Marie Civil, p. 30.

L’exposition comme vecteur de changement de paradigme : le cas de la Biennale d’architecture de Venise (1980) et de l’exposition « House Rules » (1994), par Stéphanie Dadour et Léa-Catherine Szacka, p. 38.

L’architecture exposée dans son processus

L’exposition de l’architecture en mutation : le cas du Centre Canadien d’Architecture, par Louise Pelletier, p. 48.

L’architecture in vivo. L’exposition comme espace d’expérimentation, par Emmanuelle Chiappone-Piriou, p. 58.

L’exposition d’architecture comme artefact critique, par Marie-Ange Brayer, p. 67.

Exposer l’architecture, par Philippe Chiambaretta, p. 72.

L’architecture exposée aux autres disciplines

Usages de l’image photographique dans l’acte d’exposer l’architecture, par Roberto Gigliotti et Giaime Meloni, p. 78.

Utopia Bianca de Berdaguer & Péjus ou le phalanstère membre fantôme, par Florent Perrier, p. 85.

La « précession des simulacres» ou Rome « comme si vous étiez » : le plan-relief de Paul Bigot substitut d’un discours historique sur l’espace urbain, par Manuel Royo, p. 93.

L’architecture exposée en/hors contexte

La maison préfabriquée : un objet idéal à exposer ?  par Caroline Bougourd, p. 102.

L’architecture surexposée, par Eric Monin, p. 111.

Maquettes, dessins, cartes : exposition de l’architecture chez Peter Greenaway, par Sun Jung Yeo, p. 120.

L’objet de l’exposition : L’architecture exposée (archives)

Séminaire 2012/2013, p. 130.

Séminaire 2013/2014, p. 142.

Biographies des auteurs, p. 157.