Roussel , Christiane - Sancey, Yves - Mongreville, Jérôme: Besançon & ses demeures, du Moyen Âge au XIXe siècle, 24,3 x 30 cm, 296 p., 400 images, ISBN : 9782362190759, 40 €
(Lieux Dits Editions, Lyon 2016)
 
Compte rendu par Julien Noblet, Service archéologique de la ville d’Orléans
 
Nombre de mots : 1656 mots
Publié en ligne le 2018-01-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2873
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          Consacré au patrimoine architectural de Besançon, l'ouvrage propose aux lecteurs un "panorama sur les manières d'habiter des bisontins du Moyen Âge au XIXe siècle" (p. 8). Richement illustré, il se décompose en deux parties : la première, intitulée La forme de la ville, retrace de manière concise l'histoire de la cité et dévoile tout le potentiel des sources iconographiques rassemblées, telles les nombreuses vues cavalières des XVIe-XVIIIe siècles si utiles à la compréhension globale de la ville ; la seconde appelée Habiter la ville entre le Moyen Âge et le XIXe siècle s'attarde à explorer, de manière chronologique, la richesse de l'architecture conservée dans Besançon intra muros.

 

         Les aménagements urbains, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, sont dans un premier temps analysés d'un point de vue historique : cité de Gaule romaine devenue archevêché, Besançon accède ensuite au statut particulier de ville libre d'Empire. L'importance municipale grandissante est d'ailleurs consacrée à la fin du XIVe siècle par la construction d'un hôtel de ville, puis en 1440 d'une horloge publique, destinés l'un et l'autre à affirmer le pouvoir des bourgeois et leur contrôle de la vie économique locale. La croissance de la cité à l'intérieur de la boucle du Doubs n'empêche pas, sous tout l'Ancien Régime, la culture de la vigne intra muros ; associées à la présence de nombreuses communautés religieuses, ces terres agricoles favorisent un bâti lâche propice à la densification de l'habitat à venir. Néanmoins, frappée par de nombreux incendies aux XIVe, XVe et surtout XVIe siècles, la ville va faire l'objet d'un constant renouvellement urbain, parallèlement à l'édiction d'ordonnances municipales - suivies d'effet - visant à régir l'urbanisme. Le XVIIe siècle est marqué par la Guerre de Dix Ans, épisode franc-comtois de la Guerre de Trente Ans qui désole la province, suivie par l'annexion en 1674 de la Franche-Comté par Louis XIV. En 1676, le Parlement est transféré de Dôle à Besançon, conférant à la cité le rôle de capitale. Cette promotion, qui va de pair avec l'arrivée d'une élite parisienne, va avoir des répercussions dans le domaine de l'architecture. Par ailleurs, la ville va être transformée en place-forte par Vauban, entraînant de lourdes servitudes militaires qui pèseront sur l'évolution de la ville jusqu'au milieu du XXe siècle, mais éviteront également que des projets d'aménagements urbains ne détruisent un riche patrimoine bâti durant l'Entre-deux-guerres. Au même titre que les fortifications classées depuis 2008 au Patrimoine Mondial de l'Unesco, les 268 ha du centre ancien de Besançon, qui forment deux secteurs sauvegardés créés en 1964 puis 1994, participent d'une grande richesse architecturale qu'explore ce livre.

 

         En proposant un premier état des lieux, qui s'appuie sur des rapports et autres études préliminaires menés dans le cadre de l'inventaire du patrimoine du secteur sauvegardé ou de fouilles préventives[1], le livre s'attache d'abord à retrouver les rares vestiges conservés de l'habitat médiéval. En effet, l'incendie du quartier du bourg de 1452 a probablement détruit une partie des habitats en pans de bois, dont l'usage a ensuite été proscrit, tout du moins pour les façades sur rue. Plusieurs tours aristocratiques des XIe-XIIe siècles subsistent dans le paysage urbain actuel, mais l'essentiel du bâti médiéval est conservé en sous-sol. Les caves, recensées dès 1977 par Bernard Goetz, puis récemment par Denis Clabaut, forment un beau corpus, qui témoigne de la richesse d'une classe marchande, ainsi que de la forte activité liée au commerce du vin. Plus abondantes sont les constructions de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, où dominent les maisons polyvalentes, lesquelles côtoient quelques demeures patriciennes. Particularité bisontine, ces dernières ne possèdent pas de tour d'escalier en vis, dispositif pourtant usité fréquemment pour souligner le rang du propriétaire. À Besançon est privilégié l'escalier extérieur sur cour, accessible depuis la rue par un couloir traversant le logis. Quant à la richesse du commanditaire, elle s'exprime plutôt dans l'ordonnance de la façade sur rue, sommée d'une puissante corniche moulurée d'où dépasse une lucarne marquant l'axe de la composition. À noter l'importance des trumeaux entre les baies et les nus ménagés entre chaque étage traduisant une influence germanique.

 

         La Renaissance, contrairement à ce que connaissent d'autres villes, ne se propage que dans le dernier tiers du XVIe siècle à l'ensemble de l'habitat, et sa première manifestation, magistrale, se déploie au palais Granvelle érigé dans les années 1535-1540. S'il a peu d'influence sur le développement de l'architecture bisontine, à l'exception notable de la diffusion de l'escalier rampe-sur-rampe, il témoigne de la présence d'un commanditaire au fait des nouveautés architecturales, à savoir Nicolas Perrenot de Granvelle, premier conseiller de Charles Quint. On doit d'ailleurs à son entourage familial la construction de beaux palais comme l'hôtel Bonvalot, par son beau-frère, qui introduit dans son jardin une loggia ; l'hôtel de Champagney par son beau-père ; l'hôtel de Montmartin par son fils, le cardinal Antoine de Granvelle, édifice dont le plan s'inspire des ouvrages publiés par Jacques Androuet du Cerceau.

 

         Chacune de ces constructions est précisément étudiée par l'auteur : après un historique rassemblant l'ensemble des connaissances sur le commanditaire et le chantier, le monument est analysé et replacé dans le contexte architectural local puis national. Grâce à ces monographies fort bien intégrées dans la lecture du chapitre, l'auteur peut ensuite, en synthèse, faire ressortir quelques particularismes constructifs locaux, comme l'usage des zapatas. Caractéristique de l'architecture plateresque espagnole, ce motif qui, intercalé entre le chapiteau et l'entablement, permet d'enrichir l'ordre, est un hispanisme importé vraisemblablement par Nicolas Perrenot et/ou son beau-frère Nicolas Bonvalot, lesquels connaissaient fort bien l'Espagne. Par ailleurs, la planche LXIII du traité d'architecture de Cesare Cesariano a également pu contribuer à la diffusion de ce motif.

 

         L'auteur s'attache ensuite à déterminer le rôle d'Hugues Sambin à Besançon. Principal propagateur du style de l'École de Fontainebleau, il est appelé en 1581 pour édifier le corps de bâtiment de l'hôtel de ville. Par l'analyse stylistique, C. Roussel lui attribue l'hôtel du Bouteiller, ainsi qu'un rôle dans le dessin de la façade de l'hôtel de Chevanney. Toutefois, son influence reste souvent limitée au décor et à la forme des baies.

 

         L'architecture du XVIIe siècle, en raison des conflits qui secouent alors la province, est quasi absente : la baisse démographique est compensée progressivement après 1674 par l'arrivée d'une importante main-d'œuvre employée à la construction de la citadelle. De même, les architectes locaux, qui ont quitté la ville, sont dans un premier temps remplacés par les ingénieurs du roi, comme Isaac Robelin, à l'origine de nombreux aménagements urbains. Avec l'afflux de population et les contraintes imposées par l'armée qui interdit de construction de vastes zones stratégiques, le bâti urbain, jusqu'alors lâche, va se densifier. À l'intérieur des îlots sont édifiés des logis secondaires, et des escaliers à cage ouverte vont ainsi permettre de desservir les deux unités d'habitation. Ce poncif de l'architecture bisontine témoigne à la fois de la volonté d'optimiser des parcelles souvent très étirées en profondeur et d'un effet de mode, ce type de distribution demeurant très fréquent jusqu'au XIXe siècle, à l'exception des hôtels particuliers. Ces derniers se développent au XVIIIe siècle, grâce à l'arrivée de parlementaires, qui se désolent d'habiter de vétustes palais du XVIe siècle. En croisant études de cas et biographies d'architectes locaux, tels Jean-Piere Gazelot (1686-1742) et Jean-Charles Colombot (1719-1782), l'auteur met en évidence les principales caractéristiques de l'habitat de l'élite bisontine au siècle des Lumières. À partir de 1730, de nombreuses constructions sont lancées : puisant d'abord aux mêmes sources locales que la demeure ordinaire, l'hôtel se différencie ensuite par sa position entre cour et jardin, des logis double en profondeur, la présence d'escaliers suspendus avec jour central ou de balcons en ferronnerie… Les années 1770-1790 voient ensuite l'apparition de motifs antiques dans l'animation des façades : Claude-Joseph-Alexandre Bertrand (1734-1797) et Claude-Antoine Colombot (1747-1821) sont les deux représentants de ce nouveau style dont la production est détaillée dans l'ouvrage. Naturellement, la distribution est abordée, avec la lente spécialisation des pièces, mais également l'apparition d'éléments de confort, comme le poêle, ou la cheminée « à la royale », appellation dénommant les cheminées au trumeau orné d'une glace. L'auteur souligne à juste titre l'influence des premiers serviteurs de l'État dans l'introduction de ces nouveautés.

 

         L'ouvrage se conclut par l'étude du patrimoine architectural du XIXe siècle, qui comprend de nombreux immeubles, de standing et de rapport. Contrairement à d'autres villes à la même époque, Besançon ne possède pas une riche bourgeoisie en mesure de commander la construction de nombreux hôtels particuliers. À l'inverse, l'importance de l'industrie horlogère - Besançon compte jusqu'à 400 ateliers indépendants intra muros - amène le développement d'immeubles horlogers. Le livre met ainsi l'accent sur la nécessité pour cette profession de disposer d'un bon éclairage naturel. Plusieurs solutions seront adoptées : augmenter la surface habitable des parties hautes des maisons en aménageant ou surélevant les combles, confectionner des ateliers dans les cours ou jardins, occuper les rez-de-chaussée ou les étages de nouveaux immeubles percés de « baies horlogères en triplet » à même de diffuser une lumière abondante. Enfin, le recensement de la production bisontine de trois architectes, à savoir Pierre Marnotte (1797-1882), Alphonse Delacroix (1807-1878) et Gustave Vieille (1842-1909) boucle le tour d'horizon architectural complet consacré à la ville de Besançon.

 

         Grâce à son approche transchronologique, cet ouvrage permet de comprendre les mutations urbaines de la ville de Besançon, l'évolution des styles et les transferts artistiques. Partant, cette monographie offre un utile point de comparaison pour toutes les études de l'habitat civil, tant à l'échelle locale de la Franche-Comté que de la France.

 

 


[1] On ajoutera à la bibliographie sélective relative à Besançon et à la Franche-Comté le rapport d'archéologie préventive suivant : MARTIN Pierre (dir.), Besançon - Hôtel de Rosières, n° 6 rue Pasteur, Fouilles archéologiques et Etude de bâti, Archeodunum, 3 vol., juin 2009.