Di Mateo, Colette : L’église et le couvent de La Trinité-des-Monts à Rome. Les décors restaurés. 21,5 x 28,5 cm, 240 p., 250 ill. couleur, ISBN : 978-2-87844-2-021, 45 €
(Editions Faton, Dijon 2015)
 
Compte rendu par Vincent Jolivet, CNRS
 
Nombre de mots : 1662 mots
Publié en ligne le 2018-01-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2738
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          Rares sont les monuments importants de la Rome moderne à avoir suscité par le passé moins d'études que l'église et le couvent de la Trinité-des-Monts, érigés à partir de 1494 sur la colline du Pincio. On ne peut donc que se réjouir de voir fleurir ces dernières années - en particulier depuis l'anniversaire, en forme d'adieu[1], du - presque - bicentenaire de présence sur le site de la congrégation des Sœurs du Sacré Cœur, en 2002 -, articles et monographies consacrés à son histoire depuis l'Antiquité[2], à son architecture, à ses décors, ou encore à la brillante vie intellectuelle qui s'y est déroulée, notamment au XVIIe siècle.

 

         Deux des volumes récemment consacrés à ce remarquable complexe et à son histoire - dont celui présenté ici - viennent d'être édités par l'une des protagonistes de sa restauration : Colette Di Matteo, conservateur général du Patrimoine et inspecteur général des Monuments historiques. Paru une année avant les actes d'une rencontre qui s'est déroulée à Rome en octobre 2014, qui regroupent eux-mêmes un ensemble de contributions en partie rédigées par les mêmes auteurs, et en partie liées aux mêmes problématiques[3], le présent volume se cantonne explicitement à l'étude des "décors" - on hésite évidemment à englober sous ce terme générique, et plutôt dévalorisant, entre autres exemples, l'admirable déposition de Daniele da Volterra, p. 173-177, les deux extraordinaires anamorphoses, ou encore la méridienne, p. 222-227 - du complexe monastique du Pincio restaurés au cours de ces dernières années, fresques et, plus marginalement, stucs, dont l'importance dans l'économie du décor est ici justement soulignée (p. 46-48). S'il faut donc encore attendre pour disposer d'une étude exhaustive de cet ensemble, par exemple pour ce qui concerne le cycle pictural du cloître, illustré ici sous forme de vignettes (p. 216-218), la partie iconographique, constituée par les très belles photos de Mauro Coen, a été particulièrement soignée, même si celles-ci ont parfois été dupliquées à l'excès : par exemple p. 6, 15, 17, 20, 21, pour le chœur de l'église, ou p. 97, 144 et 145, pour la Mater Admirabilis, importante figure de la fondatrice de l'ordre du Sacré Cœur, sainte Madeleine-Sophie Barat, peinte en 1844 par la religieuse Pauline Perdrau, mais qu'il est loisible de ne pas considérer comme un chef-d'œuvre.

 

         Bien qu'hésitant entre le "livre d'art" et la publication scientifique, et en dépit de l'absence de notes renvoyant à la bibliographie, l'ouvrage, de par son contenu, n'est pas nécessairement condamné à connaître le déprimant destin des coffee-table books. Il se compose de cinq chapitres, selon un découpage dont la cohérence pourrait échapper à son lecteur : à l'instar des Impressions d'Afrique de Raymond Roussel, on peut donc lui recommander de le commencer à la p. 100 - son deuxième chapitre -, avec la synthèse de S. Roberto qui plante efficacement le cadre historique de l'église et du couvent (p. 100-127)[4]. Ce cadre posé, on pourra ensuite aborder son premier chapitre, l'étude des décors, commodément présentée par ordre chronologique par C. Di Matteo (p. 14-99), qui distingue cinq phases chronologiques : XVIe  siècle, début du XVIIe siècle, règne de Louis XIV, XVIIIe siècle, Révolution et XIXe siècle. La suite du volume concerne la restauration des décors peints, traités dans trois chapitres distincts par Federica Giacomini, Emiliano Ricchi et Alberto Sucato (p. 128-181). Là aussi, indépendamment de l'intérêt de ces différentes contributions, évidemment plus techniques, la succession des chapitres peut déconcerter : le cinquième et dernier d'entre eux traite des décors du XVIe siècle, le quatrième de l'époque moderne et contemporaine, le troisième des campagnes de travaux au XIXe siècle - l'inversion des troisième et cinquième chapitres aurait permis de reconstruire un parcours plus cohérent. L'ouvrage comporte ensuite un "portfolio", sorte d'annexe qui propose une série d'images, organisées selon une logique topographique, des différentes chapelles de l'église à la chambre des ruines, chacun des lieux illustrés faisant l'objet d'une fiche de synthèse. Il se referme sur une brève bibliographie, et sur un utile index.

 

         Hormis les questions inhérentes à la construction même du volume, le portfolio, qui ne pouvait évidemment dans ce cadre fournir une publication exhaustive des différents espaces illustrés, apparaît ici un peu comme une pièce rapportée : il reprend de manière parfois plus développée, parfois moins développée, les textes proposés dans le premier chapitre, en suivant généralement le même itinéraire (mais pas toujours, comme dans le cas des chapelles Orsini-Pio da Carpi et della Rovere, p. 39-40 et 190-195, dont l'ordre est interverti, ou de la chapelle Pucci, placée dans un cas au début, dans l'autre à la fin de la partie, p. 36 et 214-215). Si certaines informations ne se trouvent que dans l'une des deux parties, les redites sont donc inévitablement nombreuses, et peuvent renfermer des contradictions (concession de la chapelle Bonfil en 1570, p. 43, ou en 1560, p. 202). Ces deux parties auraient donc manifestement gagné à être fondues entre elles, ou bien subdivisées en fonction de critères plus pertinents. Parmi les (rares) coquilles, on corrigera surtout, dans tout le volume, Pathmos en Patmos ; sur un plan plus anecdotique, à propos des collaborations au projet, Didier Besson, à ma connaissance, n'a jamais été « de l'École française de Rome » (p. 69) ; sur le plan topographique, on rectifiera une erreur sur le plan de D. Repellin (2006, sans échelle), qui indique l'escalier à double volée donnant accès à l'église comme un « escalier du XVIIIe siècle reliant le cloître aux galeries à l'étage », escalier qui se trouve en fait un peu plus au nord, évidemment accessible de l'intérieur du complexe monastique.

 

         En attendant une publication exhaustive de l'ensemble du complexe, cet ouvrage comporte déjà de multiples informations utiles, et de nombreuses illustrations inédites. Était-il pour autant nécessaire de saisir cette occasion pour agiter le chiffon rouge en réaffirmant à l'envi le caractère éminemment français du couvent (quatrième de couverture ; B. Ardura, p. 7-8 ; C. Di Matteo, p. 16, 22, 24, 28), en risquant ainsi de ranimer la guerre picrocholine qui a opposé, au siècle dernier, l'historien italien Pio Pecchiai à Mgr Fourier Bonnard, à propos des « droits français » sur la Trinité-des-Monts ? Tout indique, en effet, comme l'a démontré de manière extrêmement convaincante l'un des meilleurs historiens actuels de l'ordre, Rocco Benvenuto, que le couvent était en réalité, et tout à fait normalement pour un ordre qui n'en était encore qu'à ses débuts, destiné à l'ensemble des Minimes, indépendamment de leur nationalité : ce n'est qu'en 1553, à la faveur du deuxième chapitre général de l'ordre, que la production d'un faux allait permettre, grâce à l'intervention directe du roi de France Henri II, d'en réserver la jouissance aux moines français[5]. L'histoire du couvent, telle qu'elle est relatée dans ce livre, montre bien du reste l'importance des commanditaires appartenant à l'aristocratie romaine ou à son cercle dans les premières décennies d'existence de l'église et du couvent (voir en particulier p. 30-31), comme en témoignent les noms attachés à la plupart des chapelles de l'église, presque tous italiens - Guerrieri, Della Rovere, Orsini Pio, Altoviti, Borghese, Massimi, Cardelli, Turchi, Pucci....

 

         Pour conclure, s'il est sans doute passablement exagéré d'écrire, comme le fait en préface le président du Comité pontifical des Sciences historiques, que ce livre est « un hymne au génie de l'homme et à son créateur » (p. 7), son texte bien documenté, quoique souvent répétitif, permet cependant de prendre largement la mesure de l'extraordinaire patrimoine de la Trinité-des-Monts et du remarquable travail qui y a été réalisé par les différentes équipes de restauration des décors peints qui se sont succédé sur le site au cours de ces dernières décennies.

 

 

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[1] Cet ordre a en effet été remplacé, en 2006, par  les Fraternités Monastiques de Jérusalem, qui ont à leur tour cédé la place, en 2016, à la Communauté de l'Emmanuel.

[2] Je me permets à cet égard de renvoyer  au volume collectif publié sous la direction d'Henri Broise et de moi-même, Pincio 1. Réinvestir un site antique, Rome, 2009 (Roma Antiqua 7), qui n'est pas cité ici en bibliographie, bien qu'il constitue l'un des exemples de tentative de « confrontation des données des archives avec l'œuvre dans sa réalité matérielle », dont C. Di Matteo déplore la rareté (p. 21). On y trouvera un aperçu général de ce que nous connaissions, à cette date, des vestiges antiques de ce secteur du Pincio, de la manière dont les constructions modernes sont venues, ou non, se superposer aux structures antiques, de l'histoire des premières décennies d'occupation du site par les Minimes (avec une attention particulière portée à l'affectation des espaces du complexe monastique), ainsi que des travaux d'aménagement réalisés plus récemment sur le site, notamment à la faveur du Jubilé de l'an 2000.

[3] C. Di Matteo et S. Roberto (dir.), La chiesa e il convento della Trinità dei Monti: ricerche, nuove letture, restauri, Rome, 2016. Dans le cadre d'un projet de l'École française de Rome, J.-F. Chauvard et A. Romano ont entrepris voici quelques années la rédaction d'un ouvrage de synthèse consacré à la Trinité-des-Monts : http://www.efrome.it/la-recherche/programmes/detail-programme/detail/trinite-des-monts.html

[4] Sur un plan strictement archéologique, qui n'est pas fondamental dans le développement de l'auteur, l'hypothèse reprise à la p. 124, selon laquelle les chapiteaux elliptiques donnés par le chevalier Gualdo de Rimini, encore aujourd'hui placés de part et d'autre de la façade de l'église, proviendraient « du nymphée des Acilii, sur le tracé de l'aqueduc de l'Aqua Virgo », formulée voici plus d'un demi-siècle par M. Cagiano de Azevedo, ne repose sur aucun indice sérieux.

[5] R. Benvenuto, I Minimi nello Stato Pontificio. La fondazione dell’eremo della SS.ma Trinità in Roma, Bollettino Ufficiale dell'Ordine dei Minimi, 51, 2005, p. 365-410, qui cite en particulier, p. 373-374, un passage de la règle rédigée en 1502 : elle précise que les procureurs généraux du couvent devaient résider sur le Pincio, indépendamment de leur nation d'origine (sicut propter Nationum varietates).