Pollitt, J. J. (ed.): The Cambridge History of Painting in the Classical World. 500 pages, 288 x 225 x 33 mm, 237 b/w illus. 140 colour illus. 6 maps, ISBN : 9780521865913, 150 £
(Cambridge University Press, Cambridge (UK) 2015)
 
Compte rendu par Yves Perrin, Université de Saint-Etienne
 
Nombre de mots : 2351 mots
Publié en ligne le 2015-12-15
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2587
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          La peinture a peut-être été « l’art guide » de l’Antiquité, mais les lacunes des sources en limitent de manière rédhibitoire la connaissance. D’un côté, non seulement aucun chef-d’œuvre, mais aucun original même mineur de la peinture figurée n’a été conservé jusqu’à nous et la connaissance que nous pouvons en avoir dépend des informations souvent partielles livrées par les sources textuelles ou des reflets de fiabilité douteuse qu’en donnent les vases et les peintures pariétales. D’un autre, la peinture pariétale - funéraire, domestique, publique - a laissé un très riche corpus archéologique et des ensembles de qualité parfois remarquable, mais les sources écrites n’en disent quasiment rien. Ambitionner de brosser une histoire de la peinture antique suppose donc une connaissance très érudite des textes et une information très complète sur les vestiges picturaux dont beaucoup se réduisent à des fragments dont la collation peut sembler relever de la gageure tant ils sont dispersés. De fait, la dernière grande tentative d’une histoire de la peinture ancienne date de 1929 (Mary Swindler, Ancient Painting). Depuis cette date, les découvertes archéologiques – mineures ou sensationnelles - se sont multipliées et le nombre des publications a cru de manière quasi exponentielle. L’immensité et la variété du corpus aujourd’hui disponible et le renouvellement des problématiques ont contraint les auteurs de synthèses à limiter leurs ambitions à la peinture de telle ou telle époque, de telle ou telle aire. En traitant la question dans toute son ampleur chronologique et géographique, technique et thématique, The Cambridge History of Painting in the Classical World est donc un événement éditorial.

 

         Ce fort beau volume de 477 pages préfacé par J.J. Pollitt associe dans un ordre chronologique neuf chapitres qui couvrent plus de 2000 ans d’histoire de la peinture, de l’époque minoenne à l’empire romain tardif. Rédigés par quelques-uns des meilleurs chercheurs anglo-saxons, français, allemands et italiens qui présentent les productions picturales dont ils sont spécialistes, l’information scientifique de ces chapitres est impeccable. Bien présenté et richement illustré (belles et nombreuses photographies en couleur, quelques-unes en noir et blanc dans le texte et sur un CD complémentaire), clairement structuré et bien écrit, pourvu de cartes régionales, d’un glossaire et d’un index général, l’ouvrage est à la fois plaisant à lire et commode à consulter.

 

         Dans sa préface, J.J. Pollitt précise les desseins et les choix inévitables qui ont dicté la structure et le contenu de l’ouvrage qu’il édite. Pour des raisons de mise en page, le titre retenu – History of Painting in the classical World  - est une version abrégée du titre qui aurait eu lieu d’être s’il n’était trop long : « Mural and Panel Painting in Ancient Greece and Italy and in others Areas where Greek and/or Roman Cultural Influence was, at one time or another, dominant » (p. X). Spatialement, le livre entend donc couvrir l‘oikoumène gréco-romain… Quant à l’immense séquence chronologique retenue, elle repose sur le présupposé que les productions picturales des deux mille ans qui vont de l’âge du bronze à l’empire romain tardif forment une phase historiquement et artistiquement unique et cohérente de l’histoire de la peinture et qu’il est donc pertinent de parler de « peinture du monde classique » comme on parle de « peinture européenne » ou de « peinture chinoise ».

 

         Les trois premiers chapitres sont consacrés à la peinture des origines et de l’époque archaïque dont la connaissance repose sur les seules données archéologiques. Anne Chapin fait le point des connaissances sur la peinture à l’âge du bronze : en associant considérations chronologiques et thématiques, elle examine la peinture murale et vaséale de la Crète minoenne (Cnossos, Aghia Triada), des Cyclades (Théra), des palais mycéniens (Mycènes, Pylos Gla etc.) (65 pages). Jeffrey Hurwit aborde la difficile question de la peinture grecque entre 760 et 480 av. J.-C., qui a disparu dans un naufrage général et n’est qu’embryonnairement connue par quelques fresques  (Argos, Isthme, Kalydon, Athènes etc.), les vases (grecs et étrusques) et les textes (Pline). Tout en soulignant que la pauvreté du corpus est dangereusement propice aux spéculations, l’a. estime que certaines conclusions sont néanmoins possibles :  selon lui - d’après le témoignage des vases plus que d’après la peinture pariétale -, on assiste à une renaissance de la peinture après ce qu’il est convenu d’appeler le « dark age » et il est légitime de voir dans l’époque archaïque la naissance d’un art défini par la polychromie, des balbutiements sur la représentation de la profondeur et l’émergence d’un statut spécifique du peintre, toutes mutations dont Polygnote est en quelque sorte le sceau (28 p.). Franchissant l’Adriatique, Stephan Steingraber brosse un état des connaissances sur la peinture funéraire étrusque et grecque de l’Italie de 700 à 400 av. J.-C. Après un rappel sur l’histoire des découvertes et l’historiographie récente, il traite en deux parties successives des tombes étrusques (p. 98-136) et des tombes grecques (p. 136-141). En présentant les ensembles picturaux majeurs dans l’ordre chronologique, il aborde méthodiquement les thèmes iconographiques et ornementaux, les rapports de la décoration peinte à l’architecture, les ateliers, les techniques picturales et les évolutions qui marquent les trois siècles (50 p.).

 

         Les trois chapitres qui suivent traitent de la peinture grecque et étrusque aux âges classique et hellénistique. Si elle ne permet pas d’en écrire une histoire aussi approfondie qu’on le souhaiterait, la confrontation désormais possible entre sources textuelles, archéologiques et vaséales fonde une connaissance un peu meilleure de ces périodes essentielles. Mark Stansbury-O'Donnell cherche à tirer les informations que fournissent les vases attiques, apuliens et de Kertch sur la grande peinture des Ve et IVe siècles et essaie d’y trouver, à l’aide des informations textuelles (Vitruve, Pline), un reflet des chefs-d’œuvre des grands maîtres - de Polygnote qualifié de révolutionnaire à Zeuxis et Parrhasios -, de leurs conceptions picturales et des modalités de leur représentation spatiale (la fameuse question de la skiagraphia et de la scaenographia – (27 p.). Stella G. Miller présente la peinture hellénistique de la Méditerranée orientale du milieu du IVe s jusqu’au milieu du Ier s. av. J.-C., une séquence et une aire dont les productions sont particulièrement riches et variées. La majeure partie du chapitre est naturellement consacrée aux peintures funéraires (en premier lieu les grandes tombes macédoniennes, secondairement les tombes alexandrines et les stèles), quelques pages abordent la peinture moins documentée des palais et les enseignements des compositions musicales et des motifs textiles. L’a. met l’accent sur le répertoire figuré et traite dans deux appendices des questions d’attribution et de circulation des cartons et des techniques picturales (68 p). Agnès Rouveret prend la suite de la contribution de Stephan Steingraber pour traiter de la peinture funéraire étrusco-italique de 400 à 200 av. J.-C. Après avoir rappelé que la peinture funéraire est liée à la peinture domestique – et donc éclaire l’histoire de la peinture pariétale jusqu’à l’époque romaine – et évoqué les progrès récents enregistrés dans la datation des tombes, elle analyse avec précision les ensembles picturaux les mieux conservés du monde étrusque, puis de la Campanie et de l’Italie du Sud en faisant un bref bilan des connaissances sur le « creuset italiote » et ses relations avec la Macédoine. Centré sur le répertoire figuré et soucieux de recontextualiser les tombes dans les sociétés qui les ont commanditées, le chapitre s’achève sur le legs de la période à l’art romain (50 p.)

 

         Les trois derniers chapitres sont consacrés à la peinture romaine. J. J. Pollitt reprend le dossier essentiel des informations que fournissent, après Platon et Aristote, les auteurs de l’Empire romain, Pline, Quintilien et Philostrate sur la peinture et sur les peintres – notamment les évolutions de leur statut et de leur outillage conceptuel et technique (14 p). Irène Bragantini  réussit le pari de présenter en 68 pages une synthèse sur la peinture romaine de la République à l’époque flavienne et réaffirme la nécessité d’abandonner la référence aux fameux styles définis par Mau pour recontextualiser historiquement les productions picturales (p. 359-362). Après avoir dit ce qu’on sait de la peinture du IIIe s. av. J.-C. (tombes des Fabii et d’Arieti sur l’Esquilin), elle présente dans l’ordre chronologique quelques-uns des ensembles picturaux les mieux conservés de Rome - Maison d’Auguste, Farnésine, Domus Aurea etc. -  de la Campanie - Boscoreale, Pompéi (villa des Mystères, « villa impériale » etc.), Herculanum etc. -  d’Italie (Brescia) mais aussi des provinces (Norique). Pour elle, il est vain de voir dans les magnifiques architectures peintes de la fin de la République – et a fortiori de l’époque néronienne - une volonté d’imiter une quelconque réalité architecturale : elles doivent être décryptées à la lumière des fonctions des salles qu’elles ornent et du statut social et culturel des commanditaires. Roger Ling clôt le volume par un exposé sur la peinture de l’empire du IIe au IVe siècles en distinguant deux phases – de la fin du Ier siècle au milieu du IIIe, du milieu du IIIe s. à la fin de l’empire. Il aborde toutes les régions de l’empire - Rome, l’Italie, les provinces – et fait leur part à tous les types de production picturale dont il souligne la variété – peintures domestiques et publiques, religieuses et funéraires (avec une mention spéciale pour les momies) ; portraits, paysages et réseaux géométriques, mosaïques et dessins ornant les codices qui remplacent les volumina. Selon l’a., d’un côté, on peut parler d’un déclin de la peinture - l’inventivité des peintres se tarit (elle devient le fait des mosaïstes), les techniques sont souvent primaires, les peintres moins spécialisés – mais d’un autre, la clientèle se fait plus nombreuse que jamais, les catégories sociales des commanditaires se diversifient et cela dans l’oikoumène entier. Les évolutions techniques et les mutations des conventions esthétiques préparent les évolutions alto-médiévales en inscrivant la peinture chrétienne dans la filiation de la peinture antérieure.

 

         On soulignera la belle homogénéité du livre qui tient au choix de donner tous les textes en langue anglaise et à l’approche archéologique de tous les auteurs (à l’exception de J.J. Pollitt qui exploite les sources écrites). Bien que leurs aires chronologiques, géographiques et thématiques et la richesse de leur corpus archéologique présentent de sensibles différences – certains permettent une présentation relativement fine, d’autres imposent des synthèses qui excluent d’entrer dans les détails -, les neuf chapitres sont heureusement complémentaires et efficacement coordonnés. Les auteurs respectent les cadres chronologiques, géographiques et/ou thématiques qui leur ont été proposés, ce qui réduit les répétitions. En fondant leurs exégèses sur des exemples précis - parfois très connus, parfois connus des seuls spécialistes, quelquefois nouveaux - et illustrés par de nombreuses photographies (et un CD qui aurait sans doute permis de plus nombreuses planches), tous les auteurs suivent un ordre chronologique présentant le corpus des documents iconographiques dont ils ont la charge, brossent un état de la question en rappelant les débats passés et actuels, renvoient aux sources vaséales et aux sources textuelles lorsqu’elles existent, et privilégient l’analyse des thèmes figurés et du répertoire décoratif tout en s’étendant plus ou moins longuement sur les techniques picturales et le contexte historique et culturel.

 

         La structuration de l’ouvrage et de chacun de ses chapitres leur confère une grande clarté . Elle présente cependant quelques inconvénients qu’une conclusion générale eût permis de limiter. Les filiations d’une période à l’autre et les échanges d’une aire à l’autre sont abordés au sein de chaque chapitre sans faire l’objet d’une approche spécifique. Or les questions de filiation, de citation, de transmission des modèles de générations en générations et celles de la circulation des cartons d’une région à l’autre – du monde grec à l’Italie notamment - sont essentielles pour fonder le présupposé qu’il existe une peinture antique. À l’instar des historiens de l’économie qui posent de façon récurrente la question de savoir s’il convient de parler de « l’économie antique » ou des économies de l’Antiquité, on peut se demander si la notion de « peinture antique » ne s’inscrit pas seulement dans un champ chronologique. Il conviendrait à tout le moins de nuancer ce concept : les séquences chronologiques choisies pour structurer le livre sont dictées par les données archéologiques – et sont donc parfaitement légitimes - mais ne correspondent sans doute pas aux grandes phases successives de l’histoire de la création picturale ainsi que des mutations et des ruptures des sociétés historiques de l’âge du bronze à l’empire chrétien. De ce point de vue, l’histoire de la représentation (ou de la non-représentation) de la troisième dimension sur une surface plane – la question en soulève beaucoup d’autres - pourrait constituer un fil conducteur. Mais, reconnaissons-le, une telle histoire de la peinture imposerait un autre livre et l’on ne saurait faire grief à l’éditeur des choix qu’il a faits.

 

         Au total, par son érudition et sa cohérence, le livre traite pleinement de l’histoire de la peinture dans le monde gréco-romain. Il démontre son omniprésence dans des sociétés réputées être de culture écrite – ce qui pose la question du statut qu’elles assignent à l’image - et condamne, si besoin en est encore aujourd’hui, la conception réductionniste des œuvres d’art qui se borne à chercher dans l’iconographie un reflet de son époque. Les spécialistes de chaque période et de chaque aire y trouveront du grain à moudre et le chercheur, mais aussi le lecteur curieux et informé, trouveront une information scientifique de premier plan sur la peinture antique et matière à réfléchir sur sa connaissance et celle du « monde classique ».

 

 

Sommaire

 

Preface J. J. Pollitt


1. Aegean painting in the Bronze Age, Anne Chapin,


2. The lost art: early Greek wall and panel-painting, 760–480 BC, Jeffrey Hurwit, 66


3. Etruscan and Greek tomb painting in Italy, c.700–400 BC, Stephan Steingräber, 94


4. Reflections of monumental painting in Greek vase painting in the fifth and fourth centuries BC, Mark Stansbury-O'Donnell, 143


5. Hellenistic painting in the eastern Mediterranean: mid-fourth to mid-first century BC, Stella G. Miller, 170


6. Etruscan and Italic tomb painting: c.400–200 BC, Agnès Rouveret, 238


7. Painting in Greek and Graeco-Roman art criticism, J. J. Pollitt, 288


8. Roman painting in the Republic and early Empire, Irene Bragantini, 302


9. Roman painting of the middle and late Empire, Roger Ling, 370