Loughton, Matthew : The Arverni and Roman Wine. Roman Amphorae from Late Iron Age sites in the Auvergne (Central France): Chronology, fabrics and stamps. (Archaeopress Roman Archaeology, 2). ix+626 pages; ISBN : 9781784910426,
77 £
(Archaeopress, Oxford 2014 )
 
Compte rendu par Daniel Bonneterre, Université du Québec à Trois-Rivières
 
Nombre de mots : 1549 mots
Publié en ligne le 2016-01-31
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2503
Lien pour commander ce livre
 
 

 

          Depuis une trentaine d’années, les études sur les amphores se multiplient et viennent documenter dans le détail de nombreux aspects de l’économie du monde romain. L’intensité des échanges commerciaux se mesure par les importations d’amphores vinaires dont le nombre apparaît astronomique. Ce champ d’études, déjà bien renseigné pour la Gaule (Tchernia 1986, Laubenheimer 1998, Martin-Kilcher 1987, Olmer 2003, Poux 2004, Bigot 2014), se trouve enrichi à présent par l’ouvrage de M. Loughton sur le matériel amphorique d’époque républicaine issu des grandes fouilles d’Auvergne. C’est donc une étude qui complète avantageusement la carte de France en intégrant des données inédites de Clermont-Ferrand, de Gergovie et de Corent.

 

          L’auteur décrit en quelques pages la situation stratégique, et paradoxale, du territoire des Arvernes, son relatif isolement géographique, en retrait de la mer Méditerranée et des grands axes de communications (Garonne, Rhône-Saône), ses marges, ainsi que ses relations marchandes (produits agricoles et miniers) avec la puissance romaine. Car le territoire arverne est parmi les plus importants et les plus riches de la Gaule. Pour montrer le ressort des échanges avec le monde méditerranéen, l’auteur évoque les sources gréco-latines qui les documentent. Comment expliquer le commerce considérable du vin entre les côtes tyrrhéniennes de l’Italie et le Massif central. Et pourquoi cette préférence pour les saveurs venues d’ailleurs ?

 

          Remontons quelques siècles : à la fin du VIe siècle avant J.-C., le vin de Marseille parvient au centre de la Gaule. Produits luxueux, vaisselle métallique, vases à onction et à parfum et services à vin d’Étrurie, de Grèce et du monde oriental, sont à la disposition des chefs celtes, comme le montrent les découvertes des sépultures princières de Hochdorf, de Vix et, tout récemment, de Lavau, près de Troyes. Cette consommation du vin va, jusqu’au milieu du IIe siècle avant J.-C., rester certainement occasionnelle. Elle sera le fait des élites et de leur richesse grandissante. Les spécialistes sont d’accord sur un point : la consommation du vin se déroule dans un contexte aristocratique, guerrier et, ajoutons, compétitif (Dietler 1992, Poux 2004). À partir de la seconde moitié du second siècle, on assiste à l’essor du grand commerce des vins italiens, celui qui coïncide avec l’âge d’or des oppida, qui sont des forteresses, des pôles de sécurité et de développement économique. La richesse en produits agricoles est attestée par les nombreux silos à grain mis au jour, récemment, à Corent. L’essor exceptionnel est naturellement associé aux regroupements humains, tout spécialement celui de troupes, voire même de mercenaires. Il coïncide aussi avec l’exploitation minière du fer, l’extraction de l’or et de l’argent, et avec la frappe de monnaies facilitant les opérations d’achat et de vente. Loin du simple troc de marchandises, les transactions se déroulent dans un contexte économique élaboré, monétarisé, lié autant à la production de statères d’or que de potins de faible valeur. Et, en pays arverne, les frappes de statères d’or de Vercingétorix, dont le revers présente un cheval et une amphore à vin, illustrent avec éloquence ces trafics multiples qui font la richesse du pays arverne.

 

          Si, d’une façon plus générale, la consommation abondante de vin par les Gaulois compte parmi les poncifs de société de la Gaule césarienne, on peut dire qu’elle n’est en aucun cas une affaire subjective. Elle peut se calculer en volumes, s’étalonner d’une région à une autre et même s’évaluer dans le temps. Les fouilles régulières menées sur les sites en question livrent des quantités invraisemblables de fragments d’amphores servant au transport du vin. Sous la République et au début de l’Empire, ce sont des dizaines, voire des centaines, de millions d’amphores qui furent ainsi importés en Gaule (Tchernia 1986, Olmer 2003, 2012). Comme les amphores ne nous renseignent qu’indirectement sur la production et la consommation, c’est la typologie, l’analyse des contenants, celle des timbres apposés sur les anses, qui permettent de dégager des données précises quant à l’origine des vins, la répartition des exportations, et par conséquent des marchés. Des trois grandes régions de production de vin que sont la Campanie, le Latium et l’Étrurie, les deux premières approvisionnent le Sud-Ouest tandis que la dernière fournit le Centre et le Nord. Le vin provient secondairement d’Espagne et de Narbonnaise, voire des îles grecques (Olmer 2003).

 

          Cependant, pour Loughton, il y a lieu de repenser ce modèle de distribution ; même si, à Gergovie, la majorité des amphores (79%) viennent d’Italie, et que le reste vient d’Espagne (Bétique et Tarraconaise). Les grandes quantités d’amphores, d’origines variées, que l’on trouve dans le Puy-de-Dôme attestent que les importations massives de vin sont non seulement antérieures à la romanisation, mais surtout qu’elles concernent une clientèle de consommateurs ruraux, et pas seulement les élites urbaines locales. Sur le plan de la méthode, force est de convenir que les amphores ne livrent à l’historien qu’un aspect relatif d’une consommation massive, mais encore mal définie. Et, comme le rappelle l’auteur, les amphores qualifiées de vinaires ont pu avoir des usages variés et transporter autre chose que du vin, par exemple du defructum, de l’huile d’olive ou du garum. Ce n’est pas tout. Un large éventail de contenants, plus légers (tonneaux de bois, cruches et outres en cuir), venait relayer assurément le trafic du vin (et des denrées vinaigrées), afin de les transborder plus aisément vers les territoires du Nord.

 

          Reste une question majeure. Comment ces cargaisons pondéreuses à l’extrême atteignaient-elles les régions du Massif central, qui sont parmi les plus accidentées de la Gaule ? La question méritait d’être posée, car nos connaissances dans ce domaine sont insuffisantes. Dans ce pays montueux à l’extrême, la navigation intérieure était forcément aléatoire. Les cargos pouvaient relever le défi en suivant les routes fluviales du Rhône, de la Saône, de la Loire et même de l’Allier. Tandis que les chariots empruntaient des voies terrestres complémentaires (et peut-être même des « routes de transhumance », p. 421). Sur ce dernier point des voies empruntées pour le transport, les itinéraires proposés n’emportent pas l’adhésion du lecteur. Il eut pourtant été pratique d’employer (et de critiquer ?) une carte des grands marchés gaulois (Cunliffe 1988, 86). Convenons qu’il n’est guère aisé de synthétiser ce champ connexe. Mais les problèmes de chargement d’amphores sur les navires et sur les chariots sont essentiels, car ils mettent en jeu, constamment, l’environnement et son évolution, ainsi que l’audace des entrepreneurs sur des routes truffées d’obstacles (comment ralentir un cargo ou freiner un char à bœuf et son lourd fardeau dans sa descente ?) ; à moins d’avoir recouru à des trains de mules ; et d’évoquer simultanément le rôle des compagnies de marchands cisalpins et transalpins (splendidissimum corpus negotiatorum Cisalpinorum).

 

          Pour récapituler, l’ouvrage se veut être un outil d’analyse, de description et de datation du matériel amphorique mis au jour sur les sites d’Auvergne. Il est question de la provenance des amphores, documentée pour une part par les timbres, de la répartition par sites, du contexte des découvertes, en procédant à l’aide de comparaisons avec des régions voisines, mais aussi avec la Grande Bretagne de l’Âge du fer. Grâce à des tableaux clairs, des schémas et des graphiques, des cartes, des plans et des planches de dessin des profils, des timbres, des inscriptions et des graffiti, l’auteur exprime site par site l’origine des vins. Il exploite avec succès les études réalisées dans le domaine de l’amphorologie (avec 18 pages de bibliographie). L’un des mérites est d’incorporer ces résultats et de proposer de nouvelles répartitions pour la Dressel 1. Loughton rectifie également des points de chronologie, comme à Corent et surtout à Toulouse (Vieille-Toulouse). Un autre trait original de cette étude est qu’elle traite du réemploi des contenants (éléments de canalisation, solage, recyclage). Elle aborde aussi les méthodes d’obturation au mortier de chaux, ou encore des questions de consommation et des usages spécifiques de l’alcool dans les sociétés du passé. Le travail précis et soigneux de Loughton est nourri non seulement de la documentation amphorique, mais aussi des réflexions d’un archéologue qui connaît bien le matériel qu’il présente.

 

 

 

Références bibliographiques

 

BIGOT, F. « Les amphores des agglomérations de Rodez (Segodunum) et Millau (Condatomagus) entre la fin du Ier s. et le IVe s. Réflexions sur le commerce des denrées méditerranéennes dans la cité des Ruthènes ». Cahiers d'archéologie aveyronnaise, 27-130, 2014, p. 87-130.

CUNLIFFE, B.W. Greeks, Romans and Barbarians: Spheres of Interaction. Oxford & Methuen, New York, 1988.

DIETLER, M. « Commerce du vin et contacts culturels en Gaule au premier Âge du fer ». Études massaliètes 3, 1992, p. 401-410.

LAUBENHEIMER, F. Les amphores en Gaule-II : production et circulation. Presses universitaires franc-comtoises, 1998.

MARTIN-KILCHER, S. Die römischen Amphoren aus Augst und Kaiseraugst: Archäologische und naturwissenschaftliche Tonbestimmungen. 3. Römermuseum Augst, 1987.

OLMER, F. « Les amphores de Bibracte, 2. Le commerce du vin chez les Éduens d’après les timbres d’amphores ». Bibracte, 7, 2003

POUX, M. L'âge du vin : rites de boisson, festins et libations en Gaule indépendante. M. Mergoil, 2004.

TCHERNIA, A. Le Vin de l'Italie romaine : essai d'histoire économique d'après les amphores. École Française de Rome, Rome 1986.

 

 

Sommaire

 

Chapter 1: Introduction;

Chapter 2: The Auvergne and the Arverni;

Chapter 3: Greco-Italic Amphorae;

Chapter 4: Dressel 1 Amphorae;

Chapter 5: Other Types of Republican Amphorae;

Chapter 6: Methodologies;

Chapter 7: The Republican Amphora Assemblages from the Auvergne;

Chapter 8: Assemblage Comparisons;

Chapter 9: Provenance;

Chapter 10: Stamps;

Chapter 11: Distribution;

Chapter 12: Modification, Reuse, and Deposition;

Chapter 13: Associated Material Culture;

Chapter 14: Conclusion;

Appendix 1: Catalogue of Stamps, Painted Inscriptions, and Graffiti;

Appendix 2: Gazetteer of Republican Amphora Findspots in France;

Bibliography