Barbet, Alix: La peinture murale en Gaule Romaine, 400 p., 568 ill. dont 427 en couleurs, 24 x 28 cm, 99 euros, ISBN 978-2-7084-0757-2
(Picard, Paris 2008)
 
Compte rendu par Stéphanie Wyler, Université de Provence-Aix-Marseille 1
 
Nombre de mots : 2182 mots
Publié en ligne le 2008-09-03
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=244
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L’ouvrage d’Alix Barbet comble sans conteste une lacune dans les études sur la peinture antique et sur l’archéologie de la Gaule romaine. Il se présente comme le bilan d’une jeune discipline qui a le mérite majeur d’avoir sensibilisé les archéologues, en France mais aussi dans toute l’Europe, aux fragments d’enduits peints, parfois ingrats, trouvés souvent hors contexte stratigraphique, dans des remblais antiques ou modernes. Cette attention renouvelée pour cette abondante documentation s’est appuyée sur l’élaboration d’une méthodologie rigoureuse, sur le terrain, dans les réserves des musées, les dépôts de fouilles, mais aussi en laboratoire d’analyses physico-chimiques et de restauration, notamment grâce au Centre d’Etudes des Peintures Murales Romaines (CEPMR) de Soissons dont l’A. est responsable. À l’heure de l’archéologie préventive et des fouilles d’urgence, une méthode de documentation rapide et précise, attentive à la nature spécifiquement fragile des enduits peints, est bien évidemment fondamentale pour la sauvegarde de ces précieux témoins de la culture gallo-romaine.

 

L’ouvrage est organisé en deux parties quantitativement inégales : la première compte sept chapitres consacrés à l’étude chronologique des peintures – parmi lesquels les deux premiers constituent une introduction méthodologique définissant le cadre d’étude et les principes techniques de réalisation des peintures : sont envisagés les documents provenant des quatre provinces de Gaule romaine, la Narbonnaise, l’Aquitaine, la Lyonnaise et la Belgique. Les chapitres 3 à 7 couvrent théoriquement dix siècles, du Ve avant J.-C. au IVe après : en pratique, outre l’évocation de quelques vestiges gaulois antérieurs à la conquête, la peinture proprement romaine de Gaule n’apparaît bien évidemment qu’au milieu du Ier siècle avant J.-C, avec le IIe style pompéien (chapitre 3) et surtout le IIIe style à l’époque augustéenne (chapitre 4) ; elle acquiert une autonomie croissante par rapport au centre de l’Empire dans la seconde moitié du Ier siècle après J.-C. (chapitre 5), se développe au IIe siècle (chapitre 6) et perdure aux IIIe et IVe siècles (chapitre 7). Le Ve siècle après J.-C. n’est pas considéré systématiquement, faute de matériel suffisant. La seconde partie, quant à elle, prend la forme d’une synthèse thématique intitulée « La peinture de genre » et couvre les trois derniers chapitres, consacrés aux décors en plein air, aux peintures de plafonds et de voûtes et à l’évolution des thèmes sur la période considérée.

Le texte est enrichi d’une bibliographie très à jour, d’un glossaire et d’index, ainsi que d’un dépliant hors-texte représentant la répartition des peintures murales des provinces romaines de Narbonnaise, de Gaule et de Germanie. Malgré quelques coquilles (dont la regrettable référence au livre XXXVI de Pline, au lieu du livre XXXV, p. 25 n. 2), la qualité matérielle de l’ouvrage est remarquable. L’ensemble bénéficie de nombreuses images (565 figures), généralement de bonne qualité, souvent en couleur – ce qui, pour la peinture, s’avère indispensable. Parmi ces figures, les schémas et reconstitutions de différentes périodes, écoles et à destinations variées offrent de surcroît, comme le revendique l’A. (p. 21), un panorama intéressant pour l’histoire de la documentation archéologique du XXe siècle : bien entendu des photographies en couleur de détails ou d’ensembles (parfois en lumière rasante qui révèlent coups de pinceaux et tracés préparatoires), des relevés et des dessins archéologiques de parois et de voûtes, avec des reconstitutions plus ou moins idéales, mais aussi des restitutions de décors à partir du plan d’une domus (fig. 157, 216), des coupes axonométriques (fig. 120), des maquettes à la gouache (fig. 26-27), des aquarelles anciennes (fig. 375). Enfin, la qualité de l’illustration est particulièrement appréciable dans la présentation de l’ample documentation inédite, ou éditée dans des publications relativement confidentielles. De fait, l’A. réunit une documentation très dispersée, en milieu urbain comme dans les villas rustiques, relative à des espaces publics et privés, religieux, domestiques et funéraires qui détermine le caractère extrêmement complet du catalogue : à partir de près de 1200 sites recensés, 370 peintures sont étudiées, qui représentent à peu près le tiers de l’ensemble des fragments répertoriés.

 

La question qui sous-tend l’analyse stylistique est celle de savoir s’il existe, dès la création des quatre provinces considérées, une peinture proprement gallo-romaine. De fait, les ensembles sont en général trop hétéroclites, les contextes trop incertains pour tirer des conclusions nettes, sans compter l’absence d’ouvrages de synthèses pour la plupart des autres provinces qui permettraient des comparaisons assez systématiques pour révéler toutes les spécificités locales. Certaines tendances caractéristiques se dessinent néanmoins. Il apparaît notamment, grâce aux cartes de répartition des peintures proposées pour chaque période (fig. 42, 133, 280, 409, 452), que l’introduction des traditions romaines suit – logiquement – le processus de romanisation de la Gaule.

On trouve ainsi des décors de Ier et surtout de IIe style pompéiens dès le milieu du Ier siècle avant J.-C. dans l’Est de la Transalpine, en particulier à Nîmes et à Glanum, où les schémas architecturaux restent simples, qu’il s’agisse de l’importation de modèles faciles à reproduire ou de l’exécution locale de systèmes décoratifs courants, peut-être par des ateliers itinérants de l’Italie à l’Espagne. L’apparition du IIIe style semble presque concomitante en Italie et dans la Gaule la mieux romanisée, principalement la Narbonnaise et le Sud de la Lyonnaise, avant de se diffuser rapidement vers le Nord. On observe ainsi une première génération de IIIe style sévère, entre 15 avant et 15 après J.-C., caractérisé par une grande sobriété et une grande finesse dans les imitations de marbre des zones inférieures et la diversification des candélabres des zones médianes – tandis que les registres supérieurs sont très peu développés, voire absents. Il est même possible d’identifier un atelier lyonnais caractérisé par le traitement particulier de candélabres à pieds à roulettes qui connaîtront un succès important et durable, en se diffusant progressivement le long de la vallée du Rhône.

Ce IIIe style sévère évolue ensuite en une mode plus riche qui s’épanouit entre 30 et 50 après J.-C. dans toute la Gaule romaine : il est caractérisé par un retour aux architectures fictives, mais bien plus graciles que dans le IIe style, son répertoire s’enrichit considérablement, les candélabres se chargent de motifs nombreux et variés, des figures volantes et des vignettes apparaissent dans les panneaux centraux. Or l’autonomisation de la peinture gallo-romaine vis-à-vis de ses modèles se lit clairement dans la permanence, et même le développement de cette mode au moment où l’Italie adopte le IVe style, dont la révolution illusionniste n’aura pas de succès en Gaule : les ateliers locaux sont suffisamment aguerris pour s’affranchir des modes venues de Rome. On n’observe donc plus d’imitation directe, mais des éléments empruntés au IVe style qui s’agrègent au IIIe style tardif, avec notamment le développement d’un « style mixte à candélabres peuplés », le succès de frises animées à fond noir, la généralisation des galons brodés et des bordures ajourées pour séparer les panneaux de la zone médiane. Les candélabres sont de plus en plus déstructurés, des engouements locaux pour des motifs particuliers se confirment, notamment un riche répertoire animalier. Une évolution de la facture se lit enfin par des coups de pinceaux plus épais, un agrandissement de l’échelle et une diminution du nombre des détails.

Face à cette mixité décorative de l’époque flavienne, la Narbonnaise reste plus fidèle à l’Italie que les autres provinces : ce phénomène est bien lisible grâce à son développement urbain à l’époque flavienne (Vaison-la-Romaine, Fréjus, Aix) et révèle des compositions plus savantes, des thèmes plus diversifiés dans les tableaux mythologiques que dans les autres provinces – ces compositions restent néanmoins simplifiées et agrandies par rapport aux productions campaniennes. Parallèlement, la Lyonnaise continue d’imposer son style à candélabres peuplés, surchargés d’accessoires, et son aire d’influence s’élargit à la Belgique et aux futures Germanies : comme dans le Nord de l’Aquitaine, les ateliers locaux sont actifs, mais peu innovants. Le Sud de l’Aquitaine, au contraire, offre très peu de documents, du fait vraisemblablement de son exploitation des marbres des Pyrénées qui fait préférer les placages réels sur les parois aux enduits peints.

Au IIe siècle, les compositions associant des modèles anciens et nouveaux se confirment : face à la persistance des candélabres qui ne cessent de s’enrichir d’accessoires et de se déstructurer – mais tendent malgré tout à se raréfier dans la seconde moitié du siècle –, s’impose progressivement le retour à des architectures fictives, aux frises d’animaux de plus en plus grands, aux imitations d’opus sectile dans les galeries et les pièces de prestige. Cette tendance, particulièrement concentrée en Belgique, en Lyonnaise, mais aussi en Germanies Supérieure et Inférieure, correspond à un changement de technique dans l’application des palettes, en particulier par des empâtements de couleurs qui contrastent avec les enduits lissés en miroir de la phase antérieure.

Cette évolution se poursuit aux époques tardives. Les ensembles les plus parlants, provenant pour la plupart des provinces du Nord au IIIe siècle, consistent en de grandes architectures luxueuses, abritant des mégalographies qui révèlent un goût rétrospectif, voire archaïsant, pour le trompe-l’œil – souvent moins cohérent que les périodes précédentes. Ce goût s’associe à un regain d’intérêt pour les imitations de marbre qui décorent les zones inférieures monumentalisées à l’échelle des zones médianes, dont les panneaux ont disparu. Les thèmes de ces décors grandioses, adaptés à la nature des pièces sur lesquelles ils se déploient, font écho à l’exaltation des images impériales qui se développent dans tout l’Empire, tandis que les peintures funéraires confirment une généralisation des motifs chrétiens au IVe siècle.

 

Dans les chapitres de synthèse, l’A. rassemble enfin quelques réflexions conclusives sur trois thèmes hétérogènes. Elle met ainsi en évidence l’évolution du goût pour les peintures de jardin et les motifs aquatiques qui, comme dans le reste de l’Empire, sont souvent – mais pas systématiquement – associés aux péristyles et aux structures thermales. Elle montre également la spécificité des décorations de voûtes que l’analyse minutieuse des enduits tombés permet de reconstituer, et notamment la popularité des trames à réseaux à partir du IIe siècle ; d’une manière générale, les caractéristiques des décors des parois correspondent bien à celles des plafonds, proportionnelles à la destination des pièces étudiées. On notera particulièrement la restitution spectaculaire du couvrement conique du laconicum de l’île Sainte-Marguerite (fig. 9, p. 68-71). Enfin, l’A. propose une synthèse sur l’évolution des palettes et des genres picturaux, qui reprend logiquement les observations faites au fur et à mesure de la présentation du catalogue.

Conséquence nécessaire du choix du plan adopté, on regrette parfois l’éclatement des données lorsque l’ensemble est aussi important, par exemple, que la maison à Portiques du Clos-de-la-Lombarde à Narbonne, mentionnée à 22 reprises (p. 26-28 : dessins préparatoires lisibles sur le mortier ; p. 73 : fragment de IIIe style mûr ; p. 117-120 : décors de la seconde moitié du Ier siècle ; p. 263-266 : décors du début du IIIe siècle ; p. 301 : peinture de jardin ; p. 326-327 : composition centrée et p. 335-337 : compositions centrées à cases écartées et symétriques du plafond ; p. 351 : vase agonistique etc). Une reconstitution d’ensemble est proposée avec la figure 157, mais une synthèse aurait été la bienvenue qui supplée aux renvois internes trop larges pour être efficaces (« cf. infra / supra »).

 

Malgré l’état provisoire de la documentation qui ne cesse de s’enrichir (de nombreuses peintures inédites sont signalées par l’A.), il est ainsi possible de dessiner à grands traits, et parfois à petites touches fort précieuses, l’histoire stylistique de la peinture de la Gaule romaine. L’analyse iconographique est plus délicate à établir du fait de l’état souvent très parcellaire des décors conservés, et d’une littérature encore étique sur bien des ensembles que l’ouvrage ne manquera pas de susciter. Certaines interprétations mériteraient ainsi d’être reprises, comme celle de la procession de la place des Epars à Chartres (p. 273), dont le caractère cultuel nous semble devoir être définitivement rejeté ; le rapprochement est par exemple peu pertinent avec l’enfant de la Villa des Mystères, non pas « interprété comme Achille », mais comme Dionysos par G. Sauron (n. 42, la référence bibliographique, imprécise et abrégée, ne renvoie pas à la bibliographie finale, comme quelques autres références en note). Même si les différentes interprétations avancées sont généralement proposées dans les cas difficiles, une prise de position plus nette aiderait souvent à une meilleure intelligence des scènes présentées. De même, les considérations sur l’art topiaire, au chapitre 8, ou les paysages idyllico-sacrés, au chapitre 10, s’avèrent un peu datées : on mentionnera par exemple I. Baldassarre et al., La peinture romaine, Paris, 2003, p. 96-100, 146-148, 191-206. Enfin, face à l’ampleur de la palette des références extérieures à la Gaule (Jordanie, Russie méridionale…), on s’étonne de ne jamais trouver mentionnés les travaux récents sur la peinture macédonienne, initiatrice s’il en est, et notamment les analyses techniques des pigments désormais publiées (par exemple Ch. Brécoulaki, La Peinture funéraire de Macédoine, Paris, 2006).

 

Malgré ces quelques compléments, l’ouvrage d’Alix Barbet était nécessaire et s’avère remarquablement précieux par sa richesse, sa rigueur et sa nouveauté. Comme elle le déclare elle-même, il s’agit de la synthèse d’une discipline jeune et en pleine évolution, qui ne manquera pas de susciter d’autres études sur la peinture gallo-romaine, au fur et à mesure de l’enrichissement du corpus des peintures des quatre provinces, mais aussi, plus généralement, sur la peinture antique et l’histoire culturelle de la Gaule romaine.