Fumagalli, Elena - Morselli, Raffaella : The Court Artist in Seventeenth-Century Italy (eds). 248 p., 43 ill. b/n, 15x21 cm. (Collana: Kent State University European Studies, 1). ISBN: 9788867282760, 24,65 €
(Edizioni Viella, Roma 2014)
 
Compte rendu par Guillaume Comparato, Université Grenoble-Alpes
 
Nombre de mots : 3662 mots
Publié en ligne le 2016-05-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2428
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          La question de la relation entre le prince et les arts a acquis, voici quelques années, une visibilité toute particulière en France grâce au sujet de concours de l’enseignement secondaire en histoire moderne. Toutefois la formulation de cette question suggérait une relation déséquilibrée avec, en premier lieu, le prince, puis les arts : le prince en tant qu’acteur, promoteur et objet d’art. Ainsi l’art et les artistes étaient-ils considérés comme des « stratégies figuratives de la monarchie… » [Gérard Sabatier, Le prince et les arts : Stratégies figuratives de la monarchie française de la Renaissance à l'âge baroque, 2010].

               

         Cet ouvrage semble nous proposer un retournement sémantique en prenant comme point de départ l’artiste dans sa relation avec la cour et par conséquent le prince. En cela, l’espace italien de la Renaissance et de l’âge baroque offre un cadre d’étude très large grâce à la multiplicité des cours et donc à l’éventail des situations à travers les XVe, XVIe et XVIIe siècles (la période étudiée s’avère, après lecture, plus étendue que celle annoncée dans le titre).

 

         Sans entrer dans le détail de l’argumentaire, l’introduction rédigée par Elena Fumagalli et Elena Morselli définit la notion de « l’artiste de cour » qui sert de fil d’Ariane aux articles de cet ouvrage. Il existait selon les deux auteures (en reprenant également les idées développées par Martin Warnke) deux groupes d’artistes de cour : ceux travaillant « à la cour » et ceux travaillant « pour la cour ». La différence est de taille car selon le contexte, l’artiste pouvait être un membre du cercle des princes ou un simple employé. Quoi qu’il en soit, les deux types d’artistes (ou d’artisans) de cour touchaient un salaire (salario ou bolletta dans les livres de compte des princes italiens) en argent et en nature. Ensuite il faut, nous dit-on, prendre en compte le degré d’implication du personnage dans l’entourage du prince. Concernant les métiers représentés, les deux auteures ont constaté que les cours étaient particulièrement attentives aux artisans de haut niveau comme les horlogers ou les joailliers. La création d’objets somptueux servait alors d’instrument politique, que ce soit à des fins d’exposition ou en tant que cadeaux diplomatiques. Mais dans chaque cour, les règles changeaient. C’est ce point qui constitue, d’après les auteures, le problème principal abordé dans cet ouvrage.

       

         Comment, avec une multiplicité de sources, de lieux et de personnes, installer une terminologie pertinente sur l’artiste de cour ? Patrizia Cavazzini ouvre le bal en s’intéressant aux peintres et architectes de la cour des Papes entre 1550 et 1672. Elle débute avec quelques précisions méthodologiques sur l’utilisation de ses fonds et nous prévient que, malgré son abondance, la documentation reste « incomplète » et parfois même « chaotique ». L’article commence par définir les termes comptables qui caractérisent le corpus utilisé. Outre le salaire de base, plusieurs sommes additionnelles s’ajoutaient au salario, selon les cas : d’abord le companatico était une somme d’argent allouée à l’achat de denrées diverses mais n’était pas systématique ; ensuite la parte comblait les dépenses de la maisonnée comme le pain, le vin ou les chandelles et elle était distribuée en fonction du statut de l’artiste. Il arrivait qu’un personnage bénéficie des deux sommes exemptées d’impôts. Puis l’auteure se concentre sur les statistiques de longévité des personnages présents dans les cours papales. Elle constate que les sculpteurs avaient tendance à changer de poste. Les architectes, quant à eux, avaient plus de chance de rester en place même en cas de changement de Pape. Certains artistes plus ou moins importants pouvaient être employés à la tâche sans faire partie des familiers et étaient alors considérés comme des artistes « pour la cour » et non pas « de cour ». Notons tout de même que malgré la richesse des exemples proposés, le maître Michelangelo se détache du commun. Il est cité dans les sources par un titre que lui seul possédait : « Architecte, sculpteur et peintre suprême du Palais apostolique ». Cet article se fonde essentiellement sur des données comptables, parfois sur les signatures d’artistes, pour démonter les disparités de situations entre les différents corps de métiers et personnages au cours d’un siècle de travail dans l’entourage des Papes.

 

         Raffaella Morselli narre ensuite le parcours du duc d’Urbino Francesco Maria II della Rovere et son ambition de rénover ainsi que de moderniser son duché pour le hisser au niveau des grandes cours du siècle. Le duc, à son accession au trône en 1574, était marqué par ses nombreux voyages dans toute l’Europe et décida de reconstruire son domaine et la représentation de son pouvoir en s’appuyant sur une modernisation artistique. L’auteure étaye ses recherches grâce aux manuscrits de Francesco Maria II, avec tout d’abord des mémoires intitulées « authentiques et simples vérités », un « journal » et enfin une « Nota di spesa ». Ce document représente la base de l’étude de Raffaella Morselli qu’elle couple avec des lettres du duché publiées par Georg Gronau en 1936. Ce plan comptable révèle notamment que le duc payait lui-même son équipe pour ne pas trop entamer le budget du duché, qui avait été en proie aux révoltes contre l’impôt à la fin du règne de son prédécesseur. Tout ceci permet à Raffaella Morselli d’apprécier le degré d’implication des artistes dans la cour de Francesco Maria II. À partir des années 1580, le duc recrute une équipe de plus en plus élargie avec des peintres, des sculpteurs et des architectes ainsi que des horlogers, des menuisiers, des tanneurs etc., tous ces corps travaillant au renouveau de la cour du duc, principalement dans sa Mirafiore et dans la résidence ducale de Peraso. Outre son équipe élargie, le duc travaillait parfois de façon plus rapprochée avec certains artistes, dont Federico Zuccari et Federico Barocci. Ce dernier retient l’attention car l’auteure le définit comme plus important qu’un « artiste de cour » : selon elle, Barocci aurait été considéré par le duc comme « un homme d’État ». Il en était très estimé et possédait son propre domaine par exemple. D’autres artistes reviennent également souvent comme Niccolò Frangipane et Filippo Bellini, qui tenaient une place particulière dans la « Nota di spesa ». Enfin le reste de l’article s’attelle à décrire l’organisation matérielle de la refondation du duché, en indiquant qui a travaillé sur telle œuvre et combien cela a coûté au duché. L’étude est précise et se fonde sur des notes concrètes écrites de la main du principal commanditaire et gestionnaire de toute cette entreprise.

 

         Elena Fumagalli nous emmène quant à elle à la cour des Médicis à Florence pendant une longue période allant de 1540 (Cosimo I de Toscane) à 1670 (Ferdinando II de Médicis). De la même manière que pour les précédentes recherches, l’auteure utilise un livre de comptabilité, le « Libri dei salari », ainsi qu’un corpus de correspondances. Cosimo I engagea rapidement une équipe de peintres chargés de promouvoir la grandeur de sa famille. Elena Fumagali nous montre aussi, grâce aux recoupements d’informations, que l’on voit apparaître des hiérarchies entre les artistes d’un même corps et entre les corps de métier. Certains artistes étaient simplement beaucoup mieux payés que d’autres. Ils figuraient dans les livres de comptes à leur nom propre et non pas comme simples employés d’un maître, payés à la tâche et pour de courtes durées. Cosimo sut s’entourer de grands maîtres comme Francesco Bachiacca, seul à avoir obtenu le titre de pittore di palazzo. Sans oublier Giorgio Vasari qui travailla notamment au Palazzo Vecchio et sur les rénovations d’églises médiévales, ainsi que le célèbre Bronzino. Outre les peintres, Cosimo eut à cœur de contrôler chaque corps de métier et semblait veiller scrupuleusement au travail de ses artistes et artisans. À partir de 1564, son fils Francesco I de Médicis prit en main les opérations en tant que régent jusqu’à la mort de Cosimo dix ans plus tard. Après le décès de Bronzino et de Vasari, Francesco enrôla Jacopo Ligozzi comme maître avec de très bonnes conditions. De plus, Francesco fit exploser le nombre d’artisans présents à la cour, son père et lui ayant deux visions plutôt opposées : Cosimo aimait les peintres et les architectes tandis que Francesco leur préférait orfèvres et horlogers. En 1588, c’est au tour de Ferdinando I de Médicis de prendre les rênes du duché et de récupérer notamment les artisans de son frère qui étaient alors aussi bien payés que les peintres. Ferdinando créa son propre cercle avec des ingénieurs, des sculpteurs, des peintres et même des stucateurs (artisans spécialisés dans le travail du stuc). De tous les artistes de la cour de Ferdinando, c’est l’ingénieur militaire Francesco Paciotto qui obtint la meilleure paie avec 40 scudi au mois, somme considérable. Pendant le règne de Ferdinando, la population d’artistes ne fit qu’augmenter car un artiste n’était normalement pas défait de ses charges en cas de changement de duc. Quoi qu’il en soit, Ferdinando I modifia peu à peu toute l’organisation des artistes de cour, il décida avec son frère Francesco d’organiser ses équipes de façon verticale et tous deux placèrent en tête de pont l’aristocrate romain Emilio de Cavalieri fraîchement engagé pour diriger les équipes d’artistes et d’artisans. Sous Cosimo II, le nombre d’artistes de cour resta très élevé, nous apprend l’auteure. Le duc dirigeait une équipe de sept ingénieurs/architectes et cinq orfèvres pour seulement un sculpteur. Concernant les peintres, il introduisit une nouvelle pratique : il recruta des artistes non payés mais entretenus et facilement congédiables si bien que seuls deux peintres étaient véritablement salariés de la cour. À la mort de Cosimo en février 1621, une grande réforme fut entreprise. Dans l’optique de réaliser des économies, le duché décida de réduire de moitié les fonds alloués aux artistes. Il coupa considérablement dans sa masse salariale et ferma plusieurs ateliers. La relation aux artistes changea également. Au cours du XVIIe siècle, bien que la cour ait gardé quelques privilégiés à son service, ils ne faisaient plus partie de l’entourage du duc. Ferdinando II semblait en général plus enclin à engager des artistes payés à la tâche. Elena Fumagalli conclut sur le fait qu’être artiste à la cour de Médicis n’était pas une partie de plaisir. En échange d’un salaire et de conditions de vie qui pouvaient parfois sembler fastes, c’était un travail à plein temps qui attendait ces artistes, pris dans une bureaucratie les traitant parfois assez mal. Certains, comme Ludovico Cigoli, refusèrent même de travailler pour le Grand-Duché par amour pour leur liberté de créer.

 

        À l’arrivée de Cesare d’Este à Modène, chassé de Ferrare par les troupes du Pape, le duché commença son renouvellement artistique, une « refondation forcée » nous explique Barbara Ghelfi. Les artistes à la solde de Cesare étaient répertoriés dans un plan comptable bien organisé appelé Bolletta dei Salariati. À l’instar des autres cours, travailler pour celle de Modène ne faisait pas d’un artiste un artiste de cour. Dans les faits, seuls les artistes bien référencés dans ce document pouvaient prétendre au titre d’artiste de cour. Selon l’auteure qui reprend les thèses de Guido Guerzoni, Modène eut peu d’artistes de cour entre 1471 et 1628. Parmi ces derniers, on dénombre 7 architectes, 5 peintres et un sculpteur. Comparés aux 200 musiciens et 180 chanteurs, ces chiffres soulignent les priorités de cette cour. De nombreux corps de métiers étaient certes employés, mais à la tâche. Bien entendu, les ducs de Modène eurent des artistes de cour rémunérés régulièrement, comme Lucilio Gentiloni sous Cesare, à qui fut même attribué le titre de gentiluomo ; ensuite, sous Francesco I, on retrouve des architectes comme Gaspare Vigarani, qui fut en 1659 recruté par Mazarin pour le compte de Louis XIV. Par-delà cette énième liste d’artistes, Barbara Ghelfi s’intéresse dans un court paragraphe, à la politique monétaire du Duché et à ses répercussions sur le domaine des arts. En effet, la perte de Ferrare avait amené la maison d’Este à alléger ses monnaies et il s’ensuivit une crise monétaire qui handicapa les cours de Cesare et de Francesco. Les taux de changes désavantageux devinrent problématiques, surtout avec les artistes extérieurs et même des artistes proches de la cour étaient parfois mal payés, voire pas du tout.

 

         L’étude de Roberta Piccinelli est consacrée au renouvellement du duché de Mantoue amorcé par le règne de Guglielmo Gongaza. Le duché de Mantoue, nous dit-elle, représentait une zone tampon entre les deux puissances régionales qu’étaient Milan et Venise et il eut à cœur de gagner son indépendance politique, idéologique et artistique. Le travail était alors global, la longue réforme du duché devait être entreprise sur tous les fronts. Guglielmo engagea alors une rationalisation administrative et créa le Magistrato Camerale en charge de la gestion des équipes, des revenus de la cour et des budgets. Cette institution, divisée en plusieurs pôles, produisit un certain nombre de documents et notamment sur les artistes employés à la cour des Gonzaga. La cour de Guglielmo était relativement restreinte et ses membres étaient généralement admis à sa table. Du reste, les courtisans étaient payés régulièrement ou en extra, en argent ou en nature. De plus, par souci de proximité, le duc décida de relier les quartiers d’habitations et de réception en une seule cour compacte, ce changement s’accompagnant d’un rapprochement entre le Sénat et la Magistrato Camerale. On voit que le duc comptait procéder à une centralisation de toutes les parties de son pouvoir au sein d’un même bâtiment. Les premiers travaux furent donc consacrés au palais ducal construit, nous dit l’auteure, comme un ouvrage « hétérogène […] pensé comme un monolithe au centre de la cité ». Un artiste en particulier semblait avoir une importance spéciale à Mantoue : le prefetto placé au plus proche du duc. Vincenzo Gonzaga entreprit de créer, grâce à ses capacités financières, une cour digne d’un roi. Ainsi, au début de son règne, près de 530 personnes constituaient son personnel. Sous l’égide du maggiordomo, tous les corps de métiers étaient présents. En plus du personnel de maison, la cour détenait aussi des chasseurs, des fauconniers, des chevaliers en armes, des bûcherons, etc. Concernant les arts, Vincenzo avait l’avantage de disposer d’un palais dont le corps était déjà terminé et il put se concentrer sur la décoration et sur les résidences en dehors de Mantoue. Comme dans les autres cours, il garda sous son aile les artistes à la solde de son prédécesseur et les provisioni étaient prises sur le budget du duché. Fait plus intéressant, Vincenzo, dans les livres de comptes, avait un poste nommé « dépenses personnelles » qui était en partie alloué aux joyaux et joailliers (22%), à des retraits en numéraire pour des paiements personnels (20%) et à des cadeaux en argent ou en nature pour d’autres souverains, des artistes, des alchimistes, etc. Vincenzo alla jusqu’à s’entourer d’artistes très prestigieux comme Federico Zuccari (familier de Francesco Maria II della Rovere) et même Pierre Paul Rubens, bien connu en France pour avoir servi à la cour de Marie de Médicis. Vincenzo laissa donc à son fils Ferdinando une cour somptueuse et prestigieuse, mais il avait tellement dépensé que les caisses s’étaient retrouvées presque vides. Le nouveau duc dut rationaliser son personnel pour réduire ses coûts. Sous son règne, un nouveau type de personnel apparut, le duc introduisant dans son entourage Zenobio Bocci comme jardinier. Ce fait montre l’attrait du nouveau duc pour la nature et en particulier pour les sciences naturelles qui, bien que balbutiantes au XVIe siècle, n’en restaient pas moins intéressantes [concernant les sciences des XVIe et XVIIe siècles, voir l’ouvrage de Paolo Rossi, La naissance de la Science Moderne en Europe, 1999]. Bocci, qui portait le titre de soprintendente generale dei giardini ducali, fut en réalité bien plus qu’un simple jardinier car il était en charge de toutes les collections d’histoire naturelle du duc (herbier, pierrier, jardin botanique, etc.), ainsi que du laboratoire. À la fin de son règne, Ferdinando, dont les fonds étaient devenus plus que maigres, dut se résoudre à économiser et par conséquent à congédier ses artistes. En 1626, la situation fut telle que le duché dut vendre sa collection de peintures à Charles Ier d’Angleterre. Pendant la régence de Maria Gonzaga, les règles financières devinrent encore plus strictes dans le but évident d’éviter un autre désastre. Les pensions des artistes furent donc réduites et parfois même partagées entre plusieurs artistes. La pratique du paiement à la livraison fut également davantage utilisée afin de motiver les artistes et artisans à terminer plus rapidement. Roberta Piccinelli constate que, durant les règnes de Maria, Carlo II et Ferdinando Carlo, les salaires de peintres étaient du même acabit que ceux des secrétaires et des musiciens les moins payés. Même si sa politique visait à garder les anciens artistes de ses prédécesseurs, certains se plaignirent de leur précarité. D’autres occupèrent plusieurs postes pour compenser le manque de recrutement. Sur ce thème, il est étonnant de voir que Roberta Piccinelli utilise l’exemple de Carlo Galvani, embauché en 1673 comme soprintendente generale dei guardini et comme custode de la galerie d’histoire naturelle. En effet, jusqu’au XIXe siècle, les sciences et particulièrement les sciences naturelles n’étaient pas fragmentées en différentes disciplines. Un savant pouvait facilement travailler sur plusieurs objets en même temps. Enfin, Ferdinando Carlo quitta Mantoue pour Venise et son Palazzo Michiel dalle Colonne après la perte du duché en 1707 [Cesare Mozzatelli, Mantova e i Gonzaga, 1987]. Il emmena avec lui le personnel et toute l’organisation financière, salariale et hiérarchique de son palais ducal de Mantoue.

 

         Enfin, Anna Maria Bava et Clara Goria nous ouvrent les portes de la cour de la maison de Savoie. Les auteures utilisent plusieurs sources majeures tirées des archives de Turin qui détaillent les dépenses du duché de Savoie : Conti della Tesoreria Generale della Casa Reale e Piemonte, Bilanci, Patenti Controllo Finanze e Contratti, ainsi que des fonds de correspondances ministérielles et particulières. Les deux auteures fixent deux périodes distinctes (numérotées 1. et 2. dans l’article) : la première avec le règne de Carlo Emanuele I et la seconde couvrant le reste de la période. Cette histoire des artistes de Savoie commence avec la signature du traité de Cateau-Cambrésis en 1559. Emanuele Filiberto profita alors de la situation pour faire passer son duché des deux côtés des Alpes et s’installa à Turin. C’était la dernière famille à entrer dans le panthéon ducal d’Italie et la nouvelle capitale devait avoir le lustre des autres grandes cours de la péninsule. De plus, cette maison, à cheval entre deux traditions, forma son propre style pictural. Objet de grande attention au début de l’article, l’artiste de cour Jan Kraeck semble avoir joué un rôle majeur dans la formation du programme iconographique de la cour turinoise. Son parcours, décrit sur près de deux pages, montre son engagement à la cour. Il resta en place sous le règne de Carlo Emanuele I en tant que « bien amé [aimé] et feal peintre et vallet de chambre ordinaire ». Payé au mois et à la tâche, cet artiste jouissait d’une maison et du remboursement de ses frais de voyage. Il jouait également le rôle de marchand d’art et d’intermédiaire entre le duché et des artistes extérieurs, soit pour des ventes d’œuvres, soit pour des recrutements d’artistes. Carlo Emanuele I, nous expliquent les auteures, accordait une grande importance aux programmes iconographiques qu’il gérait de près, surtout concernant le chantier de la Grande Galleria. En bon gestionnaire, il encadrait les réunions, gérait les équipes et les salaires et était toujours au fait des choix artistiques, les dirigeant dans son sens. La mort de Carlo Emanuele n’eut pas de réelles répercussions sur l’organisation courtisane de Turin. Ses successeurs continuèrent la politique de rénovation artistique du duché. C’était, nous dit-on, une cour cosmopolite et bien hiérarchisée, où quelques artistes élus avaient même eu le privilège d’atteindre un rang noble : « chevalier de Savoie membre de l’ordre de Saint Maurice et Lazare ». Il s’agissait d’Isidoro Bianchi, de Francesco Cairo, de Jan Miel et de Daniel Seiter, dont les parcours sont décrits sur plusieurs pages (œuvres, paies, etc.). Peu à peu, la cour de Savoie se rapprocha du modèle français avec la création de l’Académie de Saint-Luc par Marie Jeanne Baptiste de Savoie en 1678. Cette académie était pensée comme un lieu d’excellence où les artistes de la cour de Savoie pouvaient travailler à la gloire du Duché et du jeune duc Vittorio Amedeo II, préparant sans le savoir le chemin vers un modèle d’organisation artistique royale qui préfigure en quelque sorte le changement de statut du duché en royaume à partir du Traité d’Utrecht (1713).

 

         En guise de conclusion, nous pouvons aisément affirmer que cet ouvrage regorge de nombreuses informations qui pourront être d’une utilité capitale pour tous ceux qui s’intéressent aux programmes iconographiques des états italiens. À chaque source citée, une note renvoie aux cotes des fonds utilisés ou aux recueils imprimés. Toutefois, pris d’un bout à l’autre, l’ouvrage donne parfois l’impression de trop s'apesantir sur des listes d’artistes, de salaires et d’œuvres. Il reste que montrer qui travaillait pour qui, sur quoi et pour combien, faisait partie du but fixé par les auteures. Cet objectif est parfaitement rempli et l’on retire de cette lecture une foule d’informations. Quant au questionnement sur le prince et les arts, on constate que bien que la focale ait été placée sur l’artiste, le rapport de domination est toujours le même et oblige les différentes études à mettre le prince sur le devant de la scène, suivi de près par l’artiste, souvent vecteur des idées de son mécène.

 

 

Sommaire

 

Preface by Marcello Fantoni (p. 7)

Elena Fumagalli and Raffaella Morselli, Introduction (p. 11)

Patrizia Cavazzini, Painters vs. Architects at the Papal Court (1550-1672) (p. 21)

Raffaella Morselli, In the Service of Francesco Maria II della Rovere
in Pesaro and Urbino (1549-1631) (p. 49)

Elena Fumagalli, On the Medici Payroll: at Court
from Cosimo I to Ferdinando II (1540-1670) (p. 95)

Barbara Ghelfi, A bolletta and fuori bolletta at the Este Court
in Modena (1598-1709) (p. 137)

Roberta Piccinelli, The Position of Artists at the Gonzaga Court (1587-1707) (p. 167)

Anna Maria Bava and Clara Goria, Artists Working for the House of Savoy
in the Seventeenth Century (p. 199)

Index of names (p. 237)

 

N.B. : Guillaume Comparato réalise actuellement une thèse de doctorat sur la vie du géologue français Barthélemy Faujas de Saint-Fond (1741-1819), sous la direction de Gilles Bertrand (Université Pierre Mendès France Grenoble 2).