Hamiaux, Marianne: La Victoire de Samothrace, Préface de H. Loyrette, président-directeur du Musée du Louvre. Collection Solo, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. ISBN : 978-2-7118-5385-4. 14x21,5 cm. 48 pages, 40 fig. dans le texte (dont certaines en couleur). 13.50 euros.
(Musée du Louvre Éditions, RMN, Paris 2007)
 
Compte rendu par Mary-Anne Zagdoun, CNRS
 
Nombre de mots : 1227 mots
Publié en ligne le 2008-05-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=221
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Écrit pour le curieux, amateur d’antiquités, mais aussi et surtout pour un public savant, ce beau livre rassemble avec élégance et concision tout ce qu’il est possible de savoir sur la Victoire de Samothrace.

Il faut être arrivé à un haut niveau de savoir et de compétence pour dominer aussi aisément un sujet aussi difficile, qui repose sur des reconstitutions techniques minutieuses et sur des données historiques  incertaines. Et personne d’autre que M. Hamiaux n’était plus apte à rassembler et dominer tout ce savoir et à présenter dans ce « Solo » une vue générale, intéressante par son ampleur et ses hypothèses, sur un chef-d’œuvre un peu méconnu. En effet, M. Hamiaux a consacré trois amples études savantes à ce monument. Dans le Journal des Savants, janvier-juin 2001, p. 153-223, l’auteur racontait la découverte et la restauration de la Victoire et nous dévoilait des anecdotes savoureuses, aussi intéressantes qu’utiles. Dans les Monuments Piot 83 (2004), p. 61-127, 111 fig., c’est à l’étude de la reconstitution de la statue que M. Hamiaux s’était attaqué, critiquant et complétant la reconstitution actuelle, à l’aide de photographies anciennes et de fragments encore dans les réserves. Enfin, dans les Monuments Piot 85 (2006), p. 5-60, 61 photographies et dessins, c’est le problème difficile de la base qu’elle avait étudié, montrant aussi le lien de cette base avec Rhodes.

 

Le livre, très structuré, étudie successivement la découverte et la restauration de la statue, la description du monument restauré, la base, l’ensemble, le contexte archéologique et les hypothèses historiques et stylistiques liées au monument. De ce livre très dense se dégagent des certitudes concernant aussi bien la base que la statue et ce sont celles-ci qu’il convient de mettre en évidence.

L’importance et l’originalité de la base sont soulignées dès la préface par H. Loyrette. La base en forme de proue de navire était plus grande à l’origine que la Victoire elle-même et relève d’une prouesse technique, cachée par la sculpture de la draperie : la Victoire, supportée par la base, faisait tenir celle-ci en équilibre. Aussi l’étude de la base occupe-t-elle une grande place dans la publication de M. Hamiaux. Si c’est aux archéologues autrichiens que l’on doit l’interprétation correcte, entre 1873 et 1875, des gros blocs en marbre de Lartos (Rhodes), qui, servant de base à la statue, formaient une proue de navire, c’est à Champoiseau qu’on doit de les avoir récupérés lors d’une seconde expédition archéologique et c’est au Musée du Louvre que le monument dans son ensemble fut remonté en 1879. L’interprétation de cette base est passionnante et la fig. 30 à la p. 26 en restitue bien les différentes parties. En forme de proue de navire de guerre d’époque hellénistique, la base en rend bien les différentes composantes et en particulier la caisse de rames, dont la représentation permet de dire que le navire était soit une tétrère (bateau à deux rangs de rames maniées chacune par deux rameurs) ou une pentère (bateau à deux rangs de rames maniées chacune par trois et deux rameurs) (p. 24). Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un navire de guerre de type courant à l’époque hellénistique.

Le rapport entre la statue et la base est examiné aux pages 28 à 30. Aujourd’hui maçonnés, les blocs étaient, dans l’Antiquité, assemblés à joints vifs et tenus par des crampons de scellement en métal. Avec beaucoup d’à propos, M. Hamiaux fait appel à un bloc de la base, formé de deux parties jointives, abandonné à Samothrace par Champoiseau parce que trop lourd, et qui, par ses dimensions, avait sa place tout indiquée dans l’assise supérieure. Ce bloc est particulièrement intéressant parce qu’il montre les restes d’une cuvette d’encastrement, avec deux grosses mortaises, ce qui prouve que la Victoire se posait directement sur le pont du navire (et non sur un bloc intermédiaire, mis en place en 1934).

La statue, identifiée à juste titre comme celle d’une Victoire par Champoiseau dès sa découverte, fit l’objet d’une restauration à l’époque de Félix Ravaisson-Mollien, alors conservateur des Antiquités grecques et romaines. L’ensemble du monument fut remonté et la statue fut complétée en plâtre. On retiendra surtout de la restauration de la statue la mise en place de la partie droite, en marbre, du buste, la reconstitution de l’aile gauche, maintenue par une armature métallique moderne, la création de l’aile droite en plâtre, d’après le modèle inversé de l’aile gauche. Tête, bras et pieds restèrent non restaurés. M. Hamiaux relève à la p. 12 tout ce qui, dans cette restauration, reste erroné : draperie incorrecte sur l’épaule gauche ; implantation trop en avant de l’aile droite en plâtre, notamment. La découverte de la main droite à Samothrace en 1950 par J. Charbonneaux, lors d’une campagne de fouilles, permet d’affirmer que la Victoire ne tenait rien, mais faisait de cette main un geste de salut, ce qui est confirmé par l’amorce du bras droit, qui devait être légèrement levé et écarté du corps. Bien que les pieds manquent, il est possible de reconstituer de façon certaine l’attitude de la Victoire, d’après la surface du marbre où ils venaient se poser. Et M. Hamiaux de nous montrer une Victoire se posant sur le bateau de son pied droit au talon légèrement surélevé, tandis que le pied gauche est encore en l’air (p. 22).

 

M. Hamiaux décrit de façon minutieuse et très claire à la fois l’agencement des vêtements. Le chiton était retenu par de fines bretelles. Par un jeu de couleurs, qui permet de distinguer l’intérieur et l’extérieur du manteau, l’auteur explique le mouvement compliqué du vêtement au plissé très riche, saisi au moment où le vêtement est en train de tomber. Avec l’agencement de la base, la représentation de la draperie contribue à faire de ce monument sculpté une pièce d’une très haute virtuosité. L’étude de la statue montre que c’est sous l’angle de trois quarts, du côté gauche, que la statue devait être regardée.

 

Le reste n’est qu’hypothèses que M. Hamiaux réfute avec érudition et bon sens. Le monument d’où provient la Victoire n’était pas une fontaine. Sa mise en relation avec le théâtre rappelle trop la présentation actuelle au Musée du Louvre pour être prise au sérieux. La dédicace du monument est perdue.

La Victoire est bien une offrande que l’on pourrait, d’après M. Hamiaux, mettre en rapport avec la Gigantomachie du Grand Autel de Pergame à laquelle elle serait antérieure. Elle pourrait être datée entre 220 et 190 avant J.-C., ce qui correspondrait bien à l’histoire politique de la même époque. La base vient bien de Rhodes (marbre de Lartos), mais le sculpteur pourrait être originaire de la Méditerranée orientale, et pas forcément de Rhodes. Il aurait par la suite participé à la Gigantomachie pergaménienne. L’hypothèse est séduisante, mais insuffisamment prouvée : on ne voit pas pourquoi un bas-relief reprendrait forcément un modèle en ronde bosse et pourquoi celui-ci ne pourrait pas être postérieur à la Gigantomachie.  On a beaucoup écrit sur l’origine rhodienne de la Gigantomachie, mais rien n’est prouvé en la matière. Dans tous les cas cette discussion ne pouvait pas être développée dans les limites matérielles de cette publication.

Des notes et une bibliographie viennent compléter cet ouvrage.

 

Saluons le très beau travail de Marianne Hamiaux, qui a apporté des éléments tout à fait nouveaux sur la technique de la statue. Et l’on ne peut que féliciter l’auteur pour son travail, si bien dominé, qui constitue l’étude de référence sur un chef-d’œuvre de la sculpture hellénistique.