Fernandez-Gotz, Manuel : Identity and Power. The Transformation of Iron Age Societies in Northeast Gaul. 306 pages, 48 color plates, 95 halftones, ISBN: 9789089645975, $119.50
(Amsterdam University Press, Amsterdam 2014)
 
Rezension von Jennifer Douétil
 
Anzahl Wörter : 1569 Wörter
Online publiziert am 2021-10-26
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2203
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          Le territoire qui comprend le Rhin moyen et la Moselle, dans la partie occidentale de l’Allemagne actuelle, ainsi qu’au Luxembourg, a une grande importance dans l’étude de l’Europe à l’âge du Fer. Les données écrites dont on dispose sur la période ne réfèrent pas suffisamment à la culture de l’Hunsrück-Eifel et son riche mobilier funéraire daté du Ve siècle av. J.-C., ni même à l’oppidum du Tittelberg qui remonte à la Tène finale. Et tandis que l’on en sait un peu plus, grâce aux résultats de fouilles archéologiques plus récentes, il a manqué, jusqu’à il y a peu, une vue d’ensemble à partir de toutes les données collectées sur la Gaule du Second âge du Fer.

 

          Manuel Fernández-Götz a contribué à pallier ce manque avec la parution, en mai 2014, du condensé de sa thèse de doctorat Identity and Power: The Transformations of Iron Age Societies in Northeast Gaul (Identité et pouvoir : La transformation des sociétés du nord-est de la Gaule à l’âge du Fer) – thèse préparée sous la direction conjointe de Dirk Krausse, Université Christian Albrechts de Kiel, et Gonzalo Ruiz Zapatero, Université Complutense de Madrid (avec un contrat de co-tutelle internationale), et soutenue en 2012. Son livre est composé de trois grandes parties, réparties entre les chapitres 2 et 9 ; sur les dix chapitres, le premier sert d’introduction et le dixième de bilan et de conclusion.

 

          Dans la première partie (chapitre 2), l’auteur aborde les théories actuelles qui concernent le thème de l’identité, tant du point de vue archéologique que sociologique. Il insiste sur le fait que l’identité n’est pas une qualité intrinsèque mais plutôt une donnée qui change, sans doute par le regard de ceux qui se penchent sur le sujet. On peut s’en tenir juste au genre, à l’âge, au statut social et à l’origine ethnique des individus ou bien aux influences mutuelles qui existent entre ces derniers. Manuel Fernández-Götz met au même rang la notion d’identité et celle de pouvoir, chose qui a vraisemblablement été oubliée, voire négligée si l’on se réfère à ses observations.

 

          Dans la deuxième partie (chapitre 3), une présentation est faite de l’organisation socio-politique et de « l’ethnicité » en Gaule tempérée aux IIe-Ier siècles av. J.-C. Essentiellement concentrée sur les sources littéraires et les données épigraphiques, et en tenant compte des travaux de spécialistes comme Nico Roymans[1], l’auteur en a tiré quatre « niveaux » ou strates socio-politiques : l’entité la plus simple est le foyer, auquel on ajoute la famille étendue ; un regroupement des familles étendues formait un pagus ; plusieurs pagi regroupés formaient une civitas et, par là même, une unité politique. Les relations de clientèle entre les civitates et entre les individus étaient importantes pour la vie de ces communautés.

 

          Dans ce chapitre, il est aussi question du débat sur les catégories dites « macro-ethniques », celles de grands ensembles de populations ou associations de peuples rattachés culturellement, comme les Armoricains[2] ou les Belges, même si une grande hétérogénéité a été constatée parmi les populations de Gaule Belgique ; celles de regroupements géographiques plus vastes, comme la Gaule ; puis celles de groupes plus grands encore, comme les Celtes[3] et les Germains.

 

          Dans la troisième partie (chapitres 4 à 9), il est question des évolutions sociales dans la Gaule du Nord-Est, entre le VIe siècle av. J.-C. et les décennies suivant la conquête romaine, en se fondant sur les données archéologiques. Cette fois, en plus des territoires initialement évoqués, l’auteur a abordé le cas de zones voisines et les interactions entre les premiers et les secondes dans les échanges politiques (cycles de centralisation ou de décentralisation, réorganisation des identités dans le temps…).

 

          Dans le chapitre 4 sont présentées les tombes de l’Hunsrück-Eifel (VIe-Ve siècles av. J.-C.), dans lesquelles les ossements ont rarement résisté à la nature chimique des sols, ce qui rend difficile une évaluation identitaire quand il n’y a pas de mobilier qui permette d’évaluer au moins le sexe des dépouilles qui s’y sont désagrégées[4]. À ce propos, bien que de nombreuses tombes fastueuses aient été reconnues comme celles d’hommes (grâce aux différents mobiliers trouvés), il en existe des féminines, ce qui démontre a priori le fait que le pouvoir politique et/ou sacerdotal était exercé conjointement ou concomitamment par les deux sexes[5]. Les riches nécropoles, liées à la centralisation politique – en tant qu’espaces de mémoire et de rites –, furent remplacées par des places fortes. Les premières petites places fortes significatives dans la zone sont apparues vers la fin du VIe-début du Ve siècle av. J.-C. et sont contemporaines des tombes aristocratiques, tandis que de plus grandes collectivités se développaient de façon notable au cours du Ve siècle av. J.-C., quand les tombes aristocratiques étaient les plus nombreuses. La croissance démographique menant à une plus grande densité sociale aurait joué un rôle important dans ces changements.

 

          Le chapitre 5 est consacré aux IVe-IIIe siècles av. J.-C., habituellement considérés comme une période d’affaiblissement de la hiérarchie sociale, visible par un déclin affirmé dans les tombes aristocratiques et les tumuli en général. On a également enregistré moins de sites. Manuel Fernández-Götz pense que le recours à la paléopalynologie a permis de démontrer une baisse de la démographie et suggère qu’une partie de la population a migré vers d’autres régions, partiellement à cause des conditions climatiques qui s’aggravaient, mais aussi peut-être pour apaiser des tensions en son sein et freiner les inégalités sociales.

 

          C’est dans les chapitres 6 et 7 que l’on aborde enfin la réémergence d’une hiérarchie sociale aux IIe-Ier siècles av. J.-C., avec une nouvelle hausse de la population et l’apparition des oppida, lesquels, sur les territoires qui nous intéressent, étaient bâtis sur les hauteurs. Une grande activité religieuse et politique y est attestée par les résultats des fouilles archéologiques ; d’après l’auteur, celle-ci aurait eu plus d’importance encore pour ces populations que l’activité économique elle-même. Manuel Fernández-Götz évoque la formation très vraisemblable du peuple trévire à partir du regroupement en réseau de six à sept oppida, eux-mêmes servant de place centrale à des pagi (un chacun). La richesse des tombes et leur distanciation d’avec les oppida laissent penser que l’élite vivait dans des habitats ruraux séparés. Le climat plus clément et l’amélioration des techniques agricoles ont pu favoriser l’accroissement de la population et l’amélioration générale du niveau de vie[6], ainsi qu’une centralisation et une hiérarchisation plus grandes.

 

          Dans le chapitre 8, il est question d’une comparaison entre les sociétés de la zone géographique qui intéresse cette étude avec celle des territoires voisins à la Tène finale – en particulier, la différence avec le Rhin inférieur, où la centralisation et une hiérarchie sociale forte sont moins marquées. De même, plusieurs façons d’envisager les modes d’expression des identités ethniques dans le nord-est de la Gaule sont énoncées. Bien qu’admettant la complexité du problème, Manuel Fernández-Götz émet l’hypothèse que des éléments de la culture matérielle (certains types monétaires en particulier) peuvent être envisagés comme les marqueurs ethniques de certaines civitates[7].

 

          Dans le chapitre 9 enfin, l’auteur passe en revue les influences de la romanisation sur l’identité, du point de vue culturel, en se fondant sur l’exemple des Bataves et de leur révolte de 69-70 apr. J.-C.

 

 


[1] ROYMANS Nico, Tribal Societies in Northern Gaul. An Anthropological Perspective, Universiteit van Amsterdam Albert Egges van Giffen instituut voor praeen protohistorie, Amsterdam, 1990.

[2] Pour ces derniers, il suffit de penser aux similitudes et aux évolutions plus individuelles dans l’iconographie monétaire.

[3] La présence des Celtes est attestée dans vingt-deux pays d’Europe actuels. KRUTA Venceslas, Les Celtes, Histoire et Dictionnaire, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2000.

[4] LE GROS Jean-Paul, « Sols, milieux naturels et conservation archéologique », Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, Séance du 30 mai 2011, conférence 4150, bull. 42, 2011, p. 249-265.

[5] D’après la tripartition dumézilienne, le pouvoir spirituel, sacerdotal (fonction magico-religieuse), représente la première fonction, et le pouvoir temporel, politique (fonction guerrière), la deuxième ; la population contribuant à la production de richesses (et à l’économie en général) remplit la troisième fonction. DUMÉZIL Georges, Mythe et Épopée I. L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Gallimard, 1968 (1986 pour l’édition corrigée). Du contexte celtique des sociétés gauloises, l’on connaît le nom d’un druide, Diviciacos, contemporain de Cicéron et de Jules César, et l’on sait, grâce à cette information, que les druides étaient recrutés parmi les membres de l’aristocratie – chez les Éduens, dans ce contexte précis. JULLIAN Camille, « Le druide Diviciac », Revue des Études Anciennes, 3-3, 1901, p. 205-210.

[6] Il semble bien qu’une partie de la population de Gaule Belgique appartenant à la classe des producteurs et éleveurs (troisième fonction) s’était enrichie au point de montrer des signes de richesses et d’opulence dans les tombes à partir du IIe siècle av. J.-C. (notamment, dans d’anciens territoires rèmes). GINOUX Nathalie-Cécile, « Éléments d’iconographie celtique : le thème du taureau à cornes bouletées dans le répertoire du Nord de la Gaule », Archéologie de la Picardie et du Nord de la France, Revue du Nord, t. 88, no 368, 2006, p. 129-150, 2006

[7] Cette idée est, bien sûr, évoquée dans différents articles de spécialistes en numismatique et archéologie. Par exemple : DELESTRÉE Louis-Pol et MEZIANE Karim, « COIIOS-TONKANIIAKA : une double légende restée bien longtemps méconnue », Cahiers numismatiques, no 210, décembre 2016.