AA.VV.: (Hallof, Klaus - Kansteiner, Sascha - Lehmann, Lauri - Seidensticker, Bernd - Stemmer, Klaus) (Hrsg) Der Neue Overbeck. Die antiken Schriftquellen zu den bildenden Künsten der Griechen. Approx. 3000 pages, ISBN: 978-3-11-026672-6, 399 €
(De Gruyter, Berlin 2014)
 
Compte rendu par Bernard Holtzmann, Université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
 
Nombre de mots : 2011 mots
Publié en ligne le 2014-10-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Le recueil de testimonia littéraires concernant les arts plastiques de l’Antiquité gréco-romaine, publié par Johannes Overbeck à Leipzig en 1868 sous le titre Die antiken Schriftquellen zur Geschichte der bildenden Künste bei den Griechen, a constitué pendant plus d’un siècle (nouveau tirage en 1972) un instrument de travail indispensable, en dépit de sa chronologie surannée et de l’absence de plus en plus gênante des très nombreux documents épigraphiques, concernant presque exclusivement la sculpture, incessamment mis au jour par l’essor de l’archéologie. Si l’on ajoute que la connaissance approfondie du grec et du latin impliquée par l’absence de traduction est aujourd’hui bien révolue, le temps était venu de remettre l’ouvrage sur le métier. C’est ce qu’entreprit M. Muller-Dufeu, en solitaire, restreignant le recueil à la sculpture grecque mais l’étendant par un large choix d’inscriptions : son volume, paru à Paris en 2002, sous le titre La Sculpture grecque, Sources littéraires et épigraphiques, embrasse ainsi 3065 entrées, au lieu des 2400 d’Overbeck. L’avantage, mais aussi parfois la limite, de cette nouvelle compilation est la traduction en français qu’elle procure de tous les textes.

       

          La présente publication (abrégée DNO), longtemps préparée par une équipe d’une vingtaine de savants basée à Berlin, est beaucoup plus ambitieuse : bien qu’ici aussi le champ ait été quelque peu réduit (pas d’architecture ni d’arts mineurs, mais la peinture), le souci d’approcher autant que possible de l’exhaustivité en épigraphie a fait monter le nombre des entrées à 4280. Elles sont réparties chronologiquement en cinq volumes formant un ensemble d’un peu plus de quatre mille pages. Le volume I (n° 1-719) s’arrête au milieu du Ve siècle, dont le volume II (n° 720-1798) couvre la seconde moitié ; le volume III (n° 1799-2677) concerne les sculpteurs du IVe siècle et du début du IIIe siècle ; le volume IV (n° 2678-3582) les peintres du IVe siècle et les artistes de la haute période hellénistique (250-180) ; le volume V enfin (n° 3583-4280) les artistes de la basse période hellénistique et de l’époque impériale jusqu’au Ve siècle apr. J.-C.

       

          L’ouvrage est précédé d’une longue introduction en deux parties. La première est consacrée aux textes (p. XI-XXVIII), qui représentent environ trois mille entrées, dont deux tiers en grec et un tiers en latin. Les deux tiers de tous ces textes datent de l’époque impériale ; la plupart sont en prose (80% des textes grecs, 90 % des textes latins) ; tous les genres sont représentés, mais Pline l’Ancien et Pausanias, comme on pouvait s’y attendre, se taillent la part du lion avec pas moins de 686 et 600 entrées chacun. La place qui revient aux inscriptions (1382 entrées, soit 32 %) dans le nouveau recueil justifie qu’une seconde partie soit consacrée à l’épigraphie (p. XXIX-LIV). Hommage y est rendu aux précédents recueils de signatures inscrites de sculpteurs : celui d’E. Loewy, paru en 1885 et les deux fascicules d’un corpus inachevé livrés par Jean Marcadé en 1953 et 1957, que l’ouvrage reprend et prolonge, puisque les signatures sont de très loin le type de document le plus important en l’occurrence. Il n’est pas d’année où des bases de statue n’en révèlent de nouvelles. Curieusement, cette introduction prend l’allure d’une initiation cursive à l’épigraphie, avec une présentation des divers corpus et recueils, des critères de datation, des modes de numération et des systèmes chronologiques antiques.

       

          Plus encore que l’abondance du nouveau matériel épigraphique, c’est l’importance de la documentation secondaire qui explique l’ampleur du DNO : alors que chez Overbeck et Muller-Dufeu, les textes sont en quelque sorte nus, ils sont ici pourvus d’un appareil développé. Chaque volume est composé de grands chapitres chronologiques dont les parties sont soit géographiques (Athènes, Sicyone, etc.), soit individuelles (Phidias, Polyclète, etc.), soit encore typologiques  (peinture, bronze, etc.). A l’intérieur du cadre ainsi défini (p. XXI-XXII), les artistes apparaissent dans l’ordre chronologique approximatif qui peut leur être assigné. Chacun est nommé avec son lieu d’origine et la date approximative de son activité. Les testimonia concernant sa biographie précèdent ceux portant sur ses œuvres, classés dans l’ordre chronologique vraisemblable de leur création. Chaque pierre inscrite est décrite et pourvue d’un petit apparat critique, chaque extrait de texte remis dans son contexte ; la traduction en allemand est suivie d’un commentaire donnant la date de rédaction du texte ; une bibliographie choisie, remontant rarement en deçà des années 1960 et descendant parfois jusqu’à 2010, clôt chaque entrée. Nouveauté bien venue, celle-ci est souvent accompagnée d’une ou deux illustrations : détail d’une signature placé en tête de l’entrée ou bien œuvre conservée, dessin de la face supérieure d’une base inscrite, voire monnaie dans la large marge extérieure du texte. La liste en deux colonnes de l’origine de cette iconographie, généralement d’emprunt pour les oeuvres, mais très souvent originale pour les signatures (photographies d’estampages), occupe les pages LI à LXIX : c’est dire son abondance et le surcroît de travail qu’elle a pu procurer aux artisans de cette somme documentaire. C’est donc ici un travail d’équipe : il est assez rare qu’une notice, même succincte, soit l’œuvre d’un auteur unique. Les plus développées sont dues à un groupe (Phidias, DNO II p. 119-323 : n° 841-1075, trois auteurs ; Praxitèle, DNO III p. 49-209 : n° 1851-2031, quatre auteurs). L’ouvrage s’achève par plusieurs index qui en faciliteront beaucoup la consultation : des artistes, de leurs lieux de naissance, des lieux d’exposition des œuvres, des diverses sources : textes, papyrus et inscriptions, et par deux concordances, avec Overbeck et Muller-Dufeu.

                                               

          Il ne saurait être question de se livrer ici à une analyse critique suivie d’une telle masse de documents, susceptible d’être abordée sous de multiples points de vue. Je ne ferai donc que quelques remarques résultant de consultations exploratoires orientées par ma culture et mes curiosités.

 

          Il faut malheureusement constater que la bibliographie française est insuffisamment connue, ce qui est fréquent désormais chez nos collègues allemands. Les deux volumes de synthèse de Cl. Rolley, La sculpture grecque I-II (Paris, 1994, 1999) sont peu exploités : cité à propos de Praxitèle (DNO III, p. 209), il ne l’est pas à propos de Polyclète ou de Phidias. Il devrait l’être en tout cas (Rolley I, p. 198-200) à propos des frontons du temple archaïque de Delphes  (DNO I n° 390), de même, il me semble, qu’à propos de la statue funéraire de Phrasicleia (Rolley I, p. 282-283), où l’analyse de Fr. Croissant (Les protomés féminines archaïques, Paris 1983, p. 105-106) n’est pas mentionnée non plus (DNO I n° 348). A propos des couroi argiens de Delphes (« Cléobis et Biton » ; DNO I n° 195), l’étude importante de H. Aurigny, – quoique en anglais …– «  Argive Kouroi in Island marble in Delphi » in Scolpire il marmo (Pise 2010), p. 85-99, n’est pas connue, non plus que celle de Fr. Prost concernant, à Dèlos, la statue de culte de Tectaios et Angelion (DNO I n° 232-240) : « La statue cultuelle d’Apollon à Délos », REG 112 (1999), p. 37-60. A propos du fameux boxeur thasien Théogénès (DNO I n° 520), il vaudrait mieux citer le bilan établi par J. Pouilloux, après l’étude de Fr. Chamoux : «  Théogénès de Thasos … quarante ans après », BCH 118 (1994), p. 199-206. Probablement pourrait-on trouver, au-delà du premier volume, d’autres compléments de ce genre à apporter. Pour une œuvre destinée à un emploi universel, peut-être la participation d’un ou deux spécialistes non allemands aurait-elle pu pallier cette insuffisance, qui pourrait concerner aussi d’autres gisements utiles de bibliographie.

       

          Le terme « Steinmetz » utilisé dans l’ouvrage, aussi bien pour  le lapicide (DNO II n° 870, p. 152) qui a gravé la comptabilité récapitulative de la statue colossale d’Athèna Promachos de l’Acropole que pour les sculpteurs marbriers qui ont réalisé les figures de la frise de l’Erechtheion (DNO II n° 1202, p. 450-452), est-il approprié ? Certainement pas, si l’on s’en tient à la traduction française « tailleur de pierre » que donnent généralement les dictionnaires, qui correspond d’ailleurs à la définition donnée dans le dictionnaire allemand Duden, qui fait autorité : « ouvrier qui façonne et travaille les pierres ». Ni le lapicide capable de mettre en page et de graver impeccablement un texte fourmillant de nombres complexes, non plus que les sculpteurs produisant les figures en ronde-bosse appliquée de l’Erechtheion, dont les postures et les drapés complexes participent de la virtuosité maniériste attique ne méritent d’être appelés ainsi. En ce qui concerne ces derniers, le compte où certains d’entre eux apparaissent donne, pour l’unique fois dans la documentation conservée, un aperçu précis sur le salaire des sculpteurs : Phyromachos, du dème de Kiphissia, touche 180 drachmes pour la réalisation de trois figures à 60 dr. la pièce, et ce durant la même prytanie. En 36 jours, il aura donc gagné 5 dr. par jour, soit cinq fois plus que les simples ouvriers, qui sont payés 1 dr. la journée. Encore n’est-il pas certain qu’il aura travaillé durant tous les jours de la prytanie, auquel cas son salaire journalier aura été encore plus élevé : on peut supposer en effet que le salaire de 60 dr. par figure a été fixé sur la base moyenne de dix jours de travail, soit 6 dr. par jour. De plus, ces sculpteurs ne sont peut-être pas seulement des exécutants : l’un d’entre eux, le métèque Mynnion, domicilié à Agrylè, est payé 127 dr., pour deux figures et « pour la colonne ajoutée après coup » (60 x 2 + 7) – à son initiative ou à celle du concepteur inconnu de l’ensemble ? Il serait donc plus juste, me semble-t-il, de recourir ici aussi au terme de « Mitarbeiter », employé (DNO I, p. 302) pour les collaborateurs d’Anténor qui ont réalisé les métopes du temple archaïque d’Apollon à Delphes et de donner ainsi à ces artistes, dont on connaît à la fois le nom et l’œuvre, le même statut typographique qu’à leurs collègues, au lieu de les traiter en groupe sous le titre minimisant de « Diverse Steinmetzen ».

       

          Parmi les nouveautés encore « in progress », comme le recueil d’épigrammes de Poseidippos de Pella concernant des sculpteurs révélé récemment par un papyrus de Milan, on notera la comptabilité du temple d’Athèna à Argos, en cours d’étude par Ch. Kritsas (DNO II n° 1212) : les dépenses qui y sont consignées pour la statue de culte chryséléphantine d’Hèra (achats d’or notamment) datant sûrement du début du IVe siècle, il est désormais difficile d’attribuer cette œuvre à Polyclète I (le Grand), comme on le faisait jusqu’ici à la suite de Pausanias. C’est pourtant sous son nom qu’elle apparaît encore ici, grâce à l’hypothèse conciliante selon laquelle cette statue de culte aurait encore été conçue par Polyclète, mais réalisée après sa mort (DNO II, p. 512-513). Sans recourir à un Polyclète intermédiaire non attesté par ailleurs, il paraît aujourd’hui plus probable que cette statue est l’œuvre de son petit-fils, Polyclète le Jeune, élève de Naucydès signalé par Pausanias (VI, 6, 2), qui a pu naître vers 420. C’est donc sous ce nom (DNO II n° 1345-1359) qu’il conviendrait plutôt de placer l’Hèra d’Argos.

                                               

          Ces remarques de détail ne doivent en aucun cas oblitérer ce fait essentiel : avec le DNO, les études anciennes viennent de s’enrichir d’un instrument de travail aussi indispensable que le sont devenus le Pauly-Wissowa et le LIMC. En effet, même si d’autres approches – archéologique et sociologique notamment – se sont développées depuis la version initiale de ce recueil de textes, sa refonte modernisée fournit l’accès toujours nécessaire à cet aspect essentiel de l’art antique : les artistes qui l’ont produit et les écrivains qui en ont parlé. Tous ceux qu’intéressent l’esthétique antique et la réception romaine de l’art grec salueront donc avec gratitude l’exploit de l’équipe qui a réalisé cette somme documentaire en peu d’années.

       

Sommaire
tome 1 :
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tome 2 :
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tome 3 :
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tome 4 :
http://www.degruyter.com/view/supplement/9783110266726_Inhaltsverzeichnis_Band_4.pdf
tome 5 :
http://www.degruyter.com/view/supplement/9783110266726_Inhaltsverzeichnis_Band_5.pdf