Cannatà, Maurizio : La colonia latina di Vibo Valentia, pp. XXVI-236, Figg. 34, Tavv. 31, «Archaeologica» 171, ISBN 978-88-7689-281-3, Prezzo: Euro 145,00
(Giorgio Bretschneider Editore, Roma 2013)
 
Compte rendu par Clément Chillet, École française de Rome
 
Nombre de mots : 2553 mots
Publié en ligne le 2015-08-25
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2099
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          Ce volume se présente comme une étude de la colonie latine de Vibo Valentia, et propose de montrer l’apport de l’archéologie pour la connaissance de l’histoire de la cité en particulier, mais aussi, à travers elle, de la pratique de la colonisation latine en Grande Grèce et dans le reste du monde romain. Le fondement de l’étude est la reprise des anciennes fouilles menées dans les murs de la ville et l’étude systématique du matériel conservé au musée archéologique de Vibo Valentia qui en est issu. Ces chantiers sont présentés dans une première partie et sont au nombre de quatre.

 

          La nécropole hellénistique de Piercastello comprend 96 tombes, dont 45 (46,87%), datées par le matériel et la stratigraphie sont prises en compte dans le volume. L’établissement d’une chronologie relative, mise en relation avec d’autres sites de Grande Grèce, conduit l’auteur à présenter une chronologie absolue en six phases : A : fin IVe-début IIIes. ; B : deuxième quart- milieu du IIIe s. ; C : seconde moitié du IIIe-début du IIe s. ; D : deuxième et troisième quarts du IIe s. ; E : fin IIe s. - première moitié du Ier s. ; F : seconde moitié du Ier s. a.C.- Ier s. p.C. Selon les phases, on compte entre 75% et 90% d’inhumation, avec de remarquables caractéristiques communes à toutes les périodes qui témoignent de rites locaux d’inhumation : lampe à huile dans la main du défunt, unguentarium (remplacé à la phase F par des balsamaires à fond plat) et alabastrum au côté de la tête du défunt.

 

         Le dépôt votif de Scrimbia, détruit dans les années 1970, n’a été fouillé que sur une petite frange qui a mis au jour deux dépôts distincts comprenant chacun des éléments s’étalant de l’époque archaïque au plein Ve s. Les fouilleurs avaient conclu à un abandon de la zone au IVe s. L’auteur cependant isole dans le matériel des fouilles un petit groupe de 16 objets qu’il date des IIIe et IIe siècles, auxquels il donne une fonction cultuelle.

 

         L’aire sacrée de Cofino est en revanche plus riche car elle comprend plusieurs édifices et de très nombreuses caisses de matériel mais les fouilles ne comprennent pas de stratigraphie, ce qui empêche toute étude en contexte, autrement qu’en rattachant les vestiges à tel ou tel des chantiers. À nouveau, les fouilles qui avaient conclu à un abandon, dans le premier quart du IIIe siècle, de la fonction cultuelle de cette zone, réoccupée ensuite au IIe par des structures domestiques, sont interprétées différemment, après l’étude complète du matériel qui prouve, selon l’auteur, une continuité d’usage aux IIIe et IIe siècle. L’auteur accorde une attention toute particulière à un bâtiment retrouvé en 1975 qu’il propose d’attribuer à un culte de Koré/Déméter. L’endroit semble connaître un pic de fréquentation au IIe siècle, après la déduction de la colonie. L’auteur rapproche ce sacellum du temple de San Chirico Nuovo ou de Monte Adranone, en l’inscrivant dans la série des sanctuaires entouré d’un téménos (p. 39-40 et fig. 6). En réalité, quoique les vestiges conservés ne permettent pas de donner d’interprétation définitive, il semble difficile de considérer les murs qui longent les parois nord et ouest de ce sanctuaire comme ceux d’un téménos : ils en sont séparés d’un mètre au plus, ce qui représente un étroit corridor. Il est plus vraisemblable de voir dans ces structures des murs de soutènement destinés à protéger le sacellum de la pente, comme l’auteur le propose lui-même dans un premier temps (p. 38), et d’abandonner l’idée du plan à sacellum/téménos[1].

 

         La zone du viale della Pace, enfin, présente des éléments d’époque augustéenne et atteste une fréquentation jusqu’au IIe-IIIe s. p.C. Le matériel du Ve siècle n’est cependant pas interprétable car il provient de couches de remblais et de fondation.

 

         La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à l’examen exhaustif du matériel réétudié, réparti en dix classes. Chacune d’elle se présente selon le même schéma. L’auteur propose un panorama des études sur le type de matériel, qui se recentre sur la Grande Grèce, avant de proposer une synthèse sur Vibo Valentia en mettant en avant les points sur lesquels le cas de Vibo modifie la vue d’ensemble. L’auteur a effectué pour cela un dépouillement bibliographique des fouilles d’autres sites de la Grande Grèce et de Sicile (carte fig. 9), pour pouvoir fournir des points de comparaison à son étude locale et pour affiner les datations que les fouilles de Vibo, dépourvues de stratigraphie, permettent rarement de donner. La présentation du catalogue du matériel reprend, quand elle existe, la typologie habituellement retenue par la bibliographie (typologie Morel pour la céramique à vernis noir par exemple) et s’abstient de proposer une typologie propre quand elle n’existe pas et quand l’échantillonnage de Vibo n’est pas assez important pour que cela soit pertinent, afin de ne pas multiplier les typologies locales difficilement exportables hors du site qui les a vues naître. Dans le cas des alabastra en revanche, où le cas de Vibo se différencie des autres contextes étudiés, l’auteur propose un classement.

 

         Le premier type de matériel par ordre d’importance est la céramique à vernis noir, entre le IIIe et le Ier s. L’auteur analyse 507 éléments dont 94% sont de production locale : à partir de la fin du IVe s., la céramique de Vibo est quasi exclusivement de production locale ; à partir du début du IIe s., les importations de Campanienne A et de céramique à vernis noir de Calès commencent, tandis qu’à la moitié du Ier s. a.C., les importations deviennent prépondérantes, sans que l’auteur puisse préciser si cela tient aux contextes archéologiques analysés, ou bien à l’histoire propre de la cité. Cette absence d’importation de céramique campanienne et la prépondérance de la production locale sont une caractéristique de la zone large étudiée (de Blanda Julia à la Sicile) qui la différencie d’autres zones comme les côtes de Gaule ou d’Hispanie, ou l’Orient grec, en particulier Délos. En revanche, la présence résiduelle de ces importations montre que la zone n’était pas à l’écart des réseaux du commerce : la richesse locale doit cependant se trouver davantage dans l’exploitation agricole,  grâce au système de la grande villa, que dans la production de céramique.

 

         L’étude des lampes à huile confirme en grande partie les chronologies typologiques connues, avec quelques apports : le type « biconique de l’Esquilin » que la bibliographie ne donne pas en usage dans la Calabre méridionale et la Sicile est en fait bien présent, notamment grâce à une production locale spécifique, alors que le modèle était réputé être de fabrication latiale, voire romaine uniquement.

 

         Les unguentaria de la nécropole de Piercastello permettent d’affiner les chronologies habituellement retenue. Les alabastra de Vibo présentent en revanche des particularités qui les différencient des modèles issus des fabbriche dello Stretto et leur font mériter un classement et une typologie spécifiques : ils ne possèdent pas de pied, mais éventuellement un fond plat, ils ne sont pas modelés au tour, mais avec les mains, leur orifice est percé au trépan comme les modèles en albâtre égyptien. La chronologie de diffusion cependant reste parallèle à celle des autres sites de Grande Grèce et de Sicile, avec la simple particularité qu’ils sont remplacés, dans la période E de la nécropole, par les unguentarii, typologiquement proches.

 

         La céramique à paroi fine, mal connue, voit cependant sa chronologie affinée : les modèles de production locale, qui présentent des caractéristiques attribuées habituellement au début de l’Empire, se trouvent à Vibo dans des couches du début du Ier s. a.C., invitant à rester prudent sur la datation de ce type de matériel.

 

         Les amphores sont peu représentées dans le matériel pris en considération. La céramique dite commune n’est prise ici en compte que lorsqu’elle est en contexte stratigraphique. Malgré le faible échantillonnage, on attendrait ici un peu plus de détail (par ex., p. 146, l’étude des caccabai renvoie à une unité stratigraphique dont l’analyse remonte très haut dans le volume, et à une tombe de la période B, donc non analysée dans le volume, ce que précise la n. 303 qui ne donne cependant aucun autre détail…).

 

         La coroplastique de Vibo est marquée par une continuité de production locale (même argile pour les productions des IIIe-IIe s. et du VIe s.) ; les modèles d’inspiration étant à la fois la coroplastique « de Tanagra », mais aussi plus locaux (éventuellement des motifs qu’on trouve aussi sur les monnaies du koinon du Bruttium). Les objets de verre sont peu nombreux et déjà édités. Les objets en métal, en particulier les clous, donnent des indices sur la présence de cercueils de bois dans le rituel de l’inhumation ou de klinai.

 

         Les résultats des deux premières parties et les conclusions déjà tirées sont confrontées à une étude des sources littéraires, pour être intégrés, dans une troisième partie, à l’histoire institutionnelle et politique non seulement de la cité mais aussi de la colonisation latine. L’auteur reconstitue avec vraisemblance le passé d’Hipponium, avant la déduction de Vibo. S’appuyant sur un passage de Velleius Paterculus (I, 14, 8) qui mentionne une fondation coloniale en 237 et sur divers éléments qui montrent le grand intérêt que porte Rome à Vibo comme port stratégique, l’auteur émet l’hypothèse que Vibo ne participa pas à la défection des autres cités alliées de la région et resta, comme Reggio, fidèle à Rome. Il propose d’ailleurs de dater des monnaies, d’un module calé sur les dévaluations intervenues pendant la deuxième guerre punique, mais habituellement considérées comme coloniales, d’avant la déduction de 192, et de les interpréter comme des monnaies destinées à payer la garnison romaine implantée dans la ville dont témoignerait Velleius. C’est dans ce contexte que se place la déduction de la colonie latine en 192.

 

         Après un rappel du panorama des cités dans l’Italie du sud et de la politique de Rome en matière de fondations dans cette zone, l’auteur signale que le début du IIe siècle marque un infléchissement profond des pratiques romaines : les fondations de colonies latines et romaines se multiplient après 197 a.C., signe de la reprise en main après l’épisode douloureux de la Guerre d’Hannibal. Cependant, les conditions politiques particulières de ces fondations sont rappelées : les cinq colonies maritimes dont la déduction a été décidée en 197, l’ont été par plébiscite et comprennent dans leurs contingents des Italiens alliés, ce qui constitue une double entorse aux habitudes romaines (les colonies étant habituellement déduites ex SC). La colonie de Vibo (et celle, « jumelle », de Copia Thurii), ne répondent pas exactement au même schéma : c’est un plébiscite qui a ordonné leur déduction, mais issu d’un sénatus-consulte. En revanche, l’environnement politique de la fondation l’inscrit dans un cadre de politique populaire. Parmi les triumvirs chargés de la déduction de Vibo se trouve M. Minucius Rufus, dont la famille s’est illustrée par un fort soutien populaire pendant la seconde guerre punique, et par une forte présence dans le Bruttium. La fondation coloniale s’inscrit donc dans un contexte clientélaire lié à cette mouvance politique.

 

         L’étude du matériel archéologique permet ensuite à l’auteur de souligner la grande continuité entre les phases antérieures et postérieures à la déduction : continuité des pratiques funéraires, continuité des cultes, continuité d’occupation des établissements ruraux du territoire (pour lesquels l’auteur renvoie à une publication antérieure). L’auteur conclut en faisant de la fondation de la colonie non pas une mesure punitive, mais au contraire une « récompense » pour des alliés restés fidèles à Rome dans une place stratégique. L’absence de rupture dans le faciès archéologique de la cité prouverait par ailleurs l’intégration des locaux dans la nouvelle colonie formée autour de la garnison implantée en 237 a.C.

 

         Pour conclure, on a déjà noté l’extension du point de vue vers d’autres sites de Grande Grèce et de Sicile ; ceux-ci enrichissent considérablement la perspective qui, limitée à Vibo, aurait été un peu restreinte, du fait de l’échantillonnage parfois rachitique des témoignages archéologiques (voir notamment les nombreux liens établis avec la cité de Tarente où l’étude de la nécropole en particulier propose des grilles de datations précises sur lesquelles l’auteur s’appuie régulièrement, par exemple p. 149). Le volume est par ailleurs remarquablement bien illustré : le mobilier des tombes de la nécropole de Piercastello est entièrement reproduit photographiquement quand le matériel est conservé, le profil des types d’objets étudiés est illustré, tandis que quelques graphiques clairs illustrent les données chiffrées données par le texte. L’unique illustration en couleur du volume donne un échantillonnage des 8 types d’argiles utilisés dans la céramique à vernis noir, sur lequel repose la classification de l’auteur entre production locale et importation.

 

         Deux remarques générales, cependant, conditionnent la lecture d’ensemble de l’ouvrage. D’abord, comme le laissait entendre le titre, l’auteur ne prend en compte les sites qu’à partir de la seconde moitié du IIIe s., afin de pouvoir étudier l’impact de la déduction de la colonie en 192 a.C. Ainsi, alors que la présentation générale de la nécropole de Piercastello présente 6 phases, le catalogue des tombes et le relevé exhaustif du matériel trouvé dans chacune d’elles ne comprend que les tombes des périodes C à F. Certes, la limitation est méthodologiquement valable et l’auteur ne s’empêche pas de faire des incursions dans les vestiges des périodes précédentes pour servir son argumentation (cf. rappel des vestiges archaïques du dépôt de Scrimbia, des production de coroplastique du VIe s.…), mais il est dommage que la présentation des quatre sites choisis, ne soit pas, de ce fait, complète : la nécropole de Piercastello, par exemple, ne comporte que sept tombes des périodes A et B qui auraient pu être présentées sans alourdir trop le texte. Seconde remarque : malgré quelques incursions dans le territoire de la cité au sein de la dernière partie de l’ouvrage, qui sont en fait des renvois à une publication antérieure de l’auteur[2], c’est plutôt la ville de Vibo Valentia que la cité qui est l’objet de l’étude. On regrettera de même que l’ensemble des chantiers menés dans la ville n’aient pas été pris en considération : un des préfaciers remarque à juste titre que l’étude ne prend en compte ni les deux cas où l’on constate une défonctionnalisation puis un ré-usage des zones avant et après la déduction, ni les zones abandonnées lors de la phase romaine (p. XXI), ce qui modifie quelque peu le tableau de la continuité, dressé par l’auteur. De ce fait, le volume apparaît plutôt comme un examen du matériel issu des quatre zones prises en considération, et une publication du matériel conservé au musée de Vibo qu’une étude complète et organique de la cité.

 

         Le renvoi à la bibliographie archéologique des sites étudiés est abondant, mais les études globales sont parfois un peu réduites (renvoi presque systématique au seul volume de Torelli, Paestum Romana, de 1999 au sujet de Paestum ; absence d’une bibliographie actualisée sur la colonisation latine). Malgré ces limites, cet ouvrage présente un bon réexamen d’un matériel qui n’avait jamais été étudié exhaustivement. Les conclusions qui en sont tirées apportent un éclairage notable sur le cas particulier d’une colonie latine au début du IIe siècle.

 

 


[1] Nous remercions Olivier de Cazanove pour son expertise sur le sujet.

[2] M. Cannatà, « Per un contributo allo studio del processo di romanizzazione dei Bruttii : nuove considerazioni a propositio della colonia latina di Vibo Valentia e dell’ager Vibonensis », Quaderni di Archeologia dell’Università di Messina, IV, 2003, p. 183-226.