Sennequier, Geneviève : La verrerie romaine en Haute-Normandie. 374 p., 744 fig. in-t., 32 pl. coul. h.-t, ISBN: 978-2-35518-034-7, 63 €
(Éditions Monique Mergoil, Montagnac 2013)
 
Compte rendu par Aurore Louis, Université Lyon 2
 
Nombre de mots : 2494 mots
Publié en ligne le 2016-07-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1931
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          En 1985, G. Sennequier publie un catalogue exhaustif des verres antiques du musée de Rouen (Seine-Maritime), catalogue riche de données qu'elle a développées dans un travail de doctorat, soutenu en 1993 et publié dans ce présent ouvrage. Cette étude constitue l'aboutissement de plusieurs décennies d'études du mobilier en verre, sans cesse remises à jour sous l'éclairage des découvertes récentes. G. Sennequier nous offre ainsi une synthèse de référence sur la vaisselle en verre gallo-romaine de Haute-Normandie et plus largement du quart nord-ouest de la France.

 

         Cet important travail est fondé sur un corpus de 744 pièces, datées du Ier s. à la fin du IVe s. ap. J.-C., découvertes essentiellement en contexte de nécropoles et dans une moindre mesure en contexte d’habitat, sur une aire géographique large, couvrant l'actuel département de Haute-Normandie, soit le territoire des antiques cités des Calètes, des Véliocasses et des Eburovices. Ce corpus d'objets, provenant essentiellement de fouilles anciennes, est amendé et actualisé par l'ajout de découvertes récentes issues notamment des fouilles préventives.

 

         Les problématiques de cette recherche sont d'ordres typologique, chronologique et économique. L'auteur dresse une typologie fine, qui fera dorénavant référence dans l'étude du verre antique ; elle propose en outre une synthèse permettant d'apprécier la composition et l'évolution du faciès de la vaisselle en verre aux différentes périodes et d'appréhender les axes de diffusion et de commerce entre la Normandie et le reste de l'Empire. L'ouvrage de 374 pages + 32 planches couleurs, est organisé en quatre parties, comprenant respectivement 43 pages, 138 pages, 146 pages, 17 pages et en annexes comprenant 7 pages.

 

 

         La première partie sur « les approches thématiques » traite de la méthode employée par l’auteur.

          Le premier chapitre, intitulé « La recherche sur le verre antique : acquis récents et perspectives », établit le bilan des thématiques de recherches en cours dans les différents domaines du verre (artisanat, diffusion des produits, usages du verre dans le domaine domestique et dans le domaine funéraire) et des travaux publiés. L'auteur recense les publications faites sur le verre de Haute-Normandie qui viennent compléter son travail : les catalogues de musée ou d’exposition les plus importants qui font dorénavant référence, notamment Verre et Merveille pour les découvertes de Normandie et Mémoire de verre pour les découvertes de l’ouest de l’Ile-de-France ; elle rend compte également des bilans scientifiques régionaux ainsi que des rapports de fouilles archéologiques préventives mentionnant notamment les découvertes faites en contexte d’habitat lors de récents chantiers comme les fouilles des autoroutes A28 et A 29 ou les fouilles urbaines de Rouen et les découvertes en contexte funéraire, lors de la fouille des nécropoles de Guichainville, Isneauville-Saint-Martin-du-Vivier, Val de Reuil, Pîtres, Caudebecque-les-Elbeuf, Vatteville-la-Rue, Lillebonne. Les découvertes récentes viennent ainsi compléter les anciennes opérées sur ces mêmes sites au XIXe siècle et conservées au musée de Rouen.

 

         L’auteur étend le dépouillement bibliographique pour comparaison, aux régions limitrophes (Picardie, Bretagne, Poitou, Centre) et aux publications générales et synthétiques des connaissances sur le verre. G. Sennequier résume le processus de production et de diffusion du verre pendant l'Antiquité. Elle évoque les ateliers primaires égyptiens et syro-palestiniens, les compositions chimiques des verres, les ateliers secondaires en Gaule et les découvertes de déchets de verrier en Haute-Normandie, ainsi que les modes de diffusion des produits, connus grâce aux fouilles de cargaisons d’épaves découvertes le long des côtes méditerranéennes (France et Italie). L'auteur reconnaît que le verre en contexte d'habitat est mieux appréhendé depuis ces dernières années, non seulement par la multiplication des découvertes grâce à l'archéologie préventive, mais aussi par l'utilisation de nouvelles méthodes de traitement du mobilier, notamment le tri des fragments par catégories techniques, le comptage des éléments remarquables qui donnent un meilleur aperçu des groupes de vaisselle et de leur quantification. Les vases de toilette en verre sont également mieux cernés, notamment en ce qui concerne le contenu des fioles à parfums grâce aux analyses organiques faites sur les résidus. Le développement de la recherche sur la place du verre dans les rites funéraires, fondée sur des méthodes nouvelles, permet enfin de mettre en relation l’objet et le statut social de la population inhumée.

 

         Dans le second chapitre, intitulé « Méthodologie dans la description des verres et typochronologie », l'auteur liste les outils techniques et méthodologiques utilisés pour le traitement des objets du corpus. G. Sennequier émet l’hypothèse que l’évolution des techniques de façonnage des récipients est révélatrice de périodes chronologiques. Dans ce chapitre, l’auteur reprend en détail la terminologie à employer pour décrire les formes, les critères morphologiques et les couleurs. Elle détaille notamment les fonds et les lèvres, qu’elle classe en groupes auxquels elle attribue une datation. La démarche de classer les critères techniques est très bonne ; elle s’inspire de la méthodologie de classement utilisée par les céramologues. L'auteur a ensuite attribué une datation à ces groupes pour établir les périodes chronologiques d'utilisation des verres. Cependant, l'auteur omet de préciser sur quels critères ces datations sont basées, sur les dates des contextes ou sur les dates des typologies de référence qui ne sont pas toujours justes et surtout qui ne tiennent pas compte des particularités régionales ou des moments de diffusion.

 

         Le troisième chapitre, intitulé « Techniques de l’art du verre représentées en Haute-Normandie », est une synthèse des différentes techniques utilisées pour façonner les récipients présents dans le corpus. L’auteur évoque les procédés de moulage et détaille en profondeur les techniques de soufflage car cette technique est la mieux représentée dans le corpus. Elle insiste surtout sur les modes de manufacture des décors, variés et nombreux. On peut s’interroger ici sur la raison pour laquelle cette partie décrivant les procédés de façonnage est séparée de la partie précédente sur les critères morphologiques directement liés à la maîtrise de la technique.

 

         Enfin, dans le quatrième chapitre est présenté le cadre géographique et historique de l'étude. En introduction, l’auteur distingue les provenance des verres : 455 objets sont conservés dans douze musées (Rouen, Elbeuf, Évreux, Harfleur, Lillebonne, Dieppe, Fécamp et Eu ainsi que quelques pièces conservées au Musée des Antiquités nationales, au Musée du Louvre et au musée de Moulins), 110 verres sont conservés dans des collections particulières et 179 verres proviennent de fouilles récentes. Les circonstances de découvertes sont mentionnées à la suite ; cette partie est traitée rapidement et peu d’informations sont communiquées sur les contextes de découvertes, empêchant d’estimer la fiabilité des données et surtout des datations des contextes : 69 verres proviennent de contextes inconnus, 76 verres ont été découverts fortuitement au XIXe siècle, 368 verres viennent de prospections menées au XIXe siècle, 229 pièces viennent de fouilles mieux documentées. On suppose que 179 de ces pièces correspondent à celles découvertes lors de fouilles récentes, mais on ne sait pas d’où proviennent les 50 restantes. La qualité de la documentation de fouille en lien avec ces découvertes est inégale ; les contextes de provenance ont pu être reconstitués pour 279 objets seulement.

 

         Les verres provenant de contextes funéraires dominent le lot avec 589 pièces contre 78 provenant de contexte d’habitat. Il est intéressant de noter que la majorité des pièces funéraires est issue de nécropoles à incinération (202 exemplaires) ou de nécropoles mixtes où l’incinération est prédominante (310 exemplaires) ; les mobiliers des nécropoles à inhumation sont presque anecdotiques (26 exemplaires). À la suite, l’auteur présente les sites sous forme de courtes notices résumant le contexte de découverte et la numérotation des objets.

 

         Enfin, le dernier chapitre intitulé : « Caractéristiques principales, importations et productions régionales » concerne les résultats de l'étude. L'auteur propose une synthèse des importations et des productions à partir des formes, des décors et des types, par grandes périodes chronologiques : première moitié du Ier s. ap. J.-C., milieu du Ier s. ap. J.-C., seconde moitié du Ier s. ap. J.-C., fin du Ier s. -IIe s. ap. J.-C., fin du IIe s.-IIIe s. ap. J.-C., IVe s. ap. J.-C. Nous regrettons un manque de clarté sur la manière dont ce découpage chronologique est établi. Les datations des contextes mentionnées dans la documentation de fouille semblent parfois obsolètes et auraient du être révisées à partir des objets présents dans les sépultures.

 

         Le verre est peu représenté dans les contextes de la première moitié du Ier s. ap. J.-C. Seuls quelques coupes à côtes moulées de couleurs vives, un flacon en forme d'oiseau, des flacons boules et des bouteilles à panse piriformes caractérisent cette période. Vers le milieu du Ier s. ap. J.-C., les formes moulées tendent à diminuer, remplacées par des formes soufflées comme les fioles, les flacons oiseaux, les flacons boules ou le canthare bleu foncé. Toutes ces formes perdurent jusque dans le dernier tiers du Ier s. ap. J.-C. Au cours de la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C., les formes sont plus diversifiées, aussi bien d'un point de vue morphologique avec le développement des gobelets, des cruches à panse conique, que d'un point de vue décoratif avec l'arrivée des décors soufflés dans un moule (gobelets à scènes de spectacle ou les gobelets à décors de résilles), des verres mouchetés ou des médaillons appliqués. L'auteur indique que ces verres proviennent d'Italie du Nord (Aquilée), de Gaule du Nord (Lyonnaise, Belgique, nord de l'Aquitaine) et de Rhénanie (p. 52).

 

         Dès la fin du Ier s. ap. J.-C., certaines formes deviennent systématiques comme les cruches à panse carrée, les barillets ou les pots à panse "pomiforme". La fréquence des découvertes de ces types conduit l'auteur à en déduire une production locale et le développement d'une industrie verrière régionale spécialisée dans la fabrication des récipients de transport et de stockage des denrées alimentaires (p. 53).

 

         Cette tendance se poursuit durant le IIIe s. ap. J.-C. avec le développement de nouveaux types comme les bouteilles rectangulaires ou les bouteilles cylindriques. L'auteur met en évidence certaines particularités morphologiques propres à ces productions (l'usage de pinces au lieu du pontil, l'utilisation de pâtes de couleur vert-bleu, l'anse large, coudée et finement striée) qui semblent caractéristiques d'une origine locale. La vaisselle de table comprend des cruches, des coupes, des plats, mais les bols sont les plus nombreux. Bien que les bols à panse cylindrique et pied annulaire soient les mieux représentés, ils sont concurrencés par des variantes de ce type (bols à pied épaissi, bols à panse ovoïde, etc.). Selon l'auteur, ces nouveaux types trouvent des comparaisons en Angleterre et dans le nord de l'Aquitaine, nouvelles voies commerciales ouvertes avec la Normandie au cours du IIIe s. ap. J.-C.

 

         G. Sennequier attribue la baisse quantitatitve des verres dans les contextes de la fin du IIIe s. ap. J.-C. à l’instabilité politique forte, notamment en Pays de Caux, entraînant un déplacement des populations vers l'est (p. 55).

 

         Au IVe s. ap. J.-C., le nombre de verres augmente à nouveau, surtout dans les nécropoles de Basse-Normandie, mais les formes sont moins variées. Le flaconnage de toilette (flacons à embouchure en collerette, pots cylindriques) est rare. La vaisselle de table est composée de bols ovoïdes, de cruches à anse en chaînette, de bouteille cylindriques à anses delphiniformes et de bouteilles ovoïdes. La vaisselle de stockage est composée essentiellement de barillets ; les bouteilles prismatiques tendent à disparaître à la transition entre le IIIe et le IVe s. ap. J.-C. L'auteur évoque pour le IVe s. ap. J.-C. un appauvrissement de la production verrière à l'exception de quelques pièces hautement décorées comme les coupes à décor taillé qui proviendraient d'Italie et non de Rhénanie comme souvent proposé(p. 55).

 

         La seconde partie de l'ouvrage est le résultat du classement des objets en une typologie. Elle constitue le corps de l'ouvrage avec 136 pages. Il s'agit d'une typologie et non d'une chrono-typologie. Les récipients sont classés d'après leurs caractéristiques morphologiques et non chronologiques. La typologie est organisée d'abord par formes (coupes et coupelles, canthares, bols, gobelets apodes, gobelets à pied rapporté, pots, oiseaux et sphères, aryballes, fioles et flacons, bouteilles, cruches à panse bulbeuse, bouteilles à panse sphérique et anses, cruches à panse prismatique, cruches à panse cylindrique, cruches à panse cannelée, formes rares), puis par types, élaborés à partir d'un même critère morphologique discriminant (forme de la panse, forme du bord, forme du col ou forme de l'anse). Chaque type est décrit sous forme de notice incluant la comparaison avec les types de référence, les numéros des objets correspondant dans le corpus, la description du type, la couleur et la technique de fabrication, les dimensions, les contextes régionaux de découvertes, les références et lieux de diffusion du type dans le reste de l'Empire et la période de production. Chaque type est illustré par un dessin. Ici encore, la datation des types est un point d'achoppement.

 

         La troisième partie, plus factuelle, correspond au catalogue des objets du corpus (103 pages). Les dessins des objets (à l'échelle 1/2) sont organisés par type et numérotés de 1 à l'infini. Les descriptions des objets sont placées à la suite, sous forme de notices comprenant le numéro d'ordre de l'objet, son numéro d'inventaire muséal, sa provenance (nom du site et le cas échéant, description de la structure ou de la tombe), ses dimensions et sa bibliographie.

 

         Enfin, la quatrième partie correspond à la bibliographie de l’ouvrage. Elle est introduite par la liste des abréviations utilisées, puis les références sont distinguées en deux groupes avec d’un côté les catalogues d’exposition et de l’autre les articles et ouvrages.

 

         En annexes sont regroupées les planches typologiques et les planches photographiques des objets décorés. Les planches typologiques sont présentées par groupes de types (une planche par groupe).

 

         Malgré quelques biais méthodologiques, notamment sur la manière dont ont été élaborées les périodes d'utilisation des types et les phases chronologiques d'évolution du verre (qu'on aurait aimé illustrées par des planches synthétiques), l'ouvrage de G. Sennequier sur la verrerie romaine en Haute-Normandie fait état d'un travail complet et minutieux sur un artisanat qui, bien que standardisé, présente des particularités locales dont seule une infime partie est jusqu'à présent mise en évidence. La typologie de l'auteur est tout à fait originale, non seulement grâce à une présentation par forme, mais aussi grâce à l'utilisation comme critères discriminants, de particularités morphologiques souvent ignorées par les typologies de référence, comme la forme d'une lèvre ou l'épaisseur d'un pied, qui sont pourtant révélateurs d'une production ; l'auteur ayant orienté sa réflexion et la synthèse de son travail sur la définition des groupes de productions régionales et/ou locales. Le point de vue de G. Sennequier s'avère tout à fait essentiel à la recherche sur le verre romain et fait d'ores et déjà référence.

 

 

Sommaire

 

Préface de Sophie Lagabrielle (p. 7)

Avant-propos (p. 9)

Première partie - approches thématiques

I - La recherche sur le verre antique : acquis récents et perspectives (p. 13)

II - Méthodologie dans la description des verres et typochronologie (p. 17)

III - Techniques de l'art du verre représentées en Haute-Normandie (p. 23)

IV - Provenance des verres (p. 31)

Deuxième partie - Typologie (p. 59)

Troisième partie - Inventaires des verres (p. 199)

Quatrième partie - Bibliographie (p. 347)

Annexes (p. 367)            

 

 


N.B. : Aurore Louis prépare un doctorat sous la direction de M.-D. Nenna (Université Lyon 2) sur la place du mobilier en verre dans les tombes gallo-romaines et mérovingiennes du nord de la France (Nord Picardie et Champagne-Ardenne).