Garsson, Muriel (dir.): Le Trésor des Marseillais. 500 av. J.-C., l’éclat de Marseille à Delphes. 248 pages, 300 illustrations, 22 x 28 cm, ISBN-9782757206010, 30 €
(Somogy, Paris 2013)
 
Compte rendu par Jacques des Courtils, Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3
 
Nombre de mots : 1803 mots
Publié en ligne le 2013-07-26
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1882
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          Cet ouvrage collectif, dû à une pléiade de spécialistes (archéologie, sculpture, architecture…), est le catalogue de la très belle exposition qui s’est tenue récemment à Marseille et avait pour sujet le trésor des Marseillais. Les auteurs ont saisi cette occasion pour donner un état actualisé des connaissances sur cet édifice qui est un des bijoux du site de Delphes et pour fournir une image archéologique, sociale et historique aussi précise et documentée que possible sur la cité marseillaise, commanditaire de ce bâtiment. L’ouvrage comporte aussi des restitutions en images de synthèse qui, accompagnées de textes explicatifs, constituent un plaidoyer convaincant en faveur de cette technologie.

 

          Le livre est divisé en quatre sections : le premier chapitre, visant à la contextualisation historique du trésor des Marseillais, est consacré à la ville de Marseille depuis sa fondation jusqu’à l’époque qui suit celle de la construction du trésor. Les deux chapitres suivants portent sur l’édifice lui-même, de sa fouille à son étude et à sa restitution tri-dimensionnelle. Le dernier chapitre constitue le catalogue proprement dit des objets exposés.

 

          Après avoir passé en revue rapidement — en raison de leur faiblesse documentaire —les sources antiques concernant la fondation de Marseille, le premier chapitre présente les principaux résultats des fouilles anciennes et surtout récentes menées à Marseille. Les indices topographiques accumulés au cours du temps sont malheureusement bien maigres : en dehors du port du Lacydon (dont les recherches géomorphologiques ont précisé les limites antiques) et de quelques tronçons du rempart, la disposition générale de la ville antique sur ses trois collines n’est pas connue dans le détail. Des sondages ont montré que la trame urbaine offrait cinq orientations différentes, sans doute en raison des contraintes du relief. On dispose ainsi d’une synthèse à jour et commode, même si le repérage des zones de fouille sur les plans s’avère un peu difficile.

 

          Le matériel issu de ces fouilles permet d’obtenir une image de quelques-uns des cultes religieux, de la richesse de la population, de la prospérité de son commerce. Athéna, Apollon et Artémis sont, sans surprise, bien présents, ainsi qu’une divinité féminine, attestée par les fameux naïskoi miniatures des fouilles de la rue Négrel que, par prudence, A. Hermary préfère ne pas attribuer définitivement au culte de Cybèle. Les trouvailles d’amphores importées de divers horizons permettent de décrire à grands traits le commerce du vin et de l’huile, celles de céramiques fines (importées et imitées sur place) dénotent la variété des contacts extérieurs des Marseillais, restés en relation étroite avec l’Asie Mineure, et démontrent la richesse des habitants. Celle-ci est confirmée par le trésor d’Auriol, dont J. Bouvry fournit ici une étude assez détaillée pour donner une image très parlante de la variété des monnaies qui le composaient (le trésor de plus de deux mille pièces a été dispersé dès sa découverte au XIXe siècle) et en montrer l’importance.

 

          Le premier chapitre se clôt par une présentation du sanctuaire de Delphes, du fonctionnement de l’oracle et de la topographie du site qui dessine le cadre dans lequel s’inscrivit la construction du trésor des Marseillais et rapporte les conditions de sa découverte.

 

          Le second chapitre s’ouvre par une discussion sur le problème complexe de l’identification du trésor des Marseillais : seul trésor de Delphes à être mentionné par les sources historiques (dès le Ier s. a.C.), il est victime de l’imprécision de la description de Pausanias qui énumère pour le sanctuaire d’Athéna moins de bâtiments que la fouille n’en a trouvé. On remarque que la question du fragment de bloc portant quelques lettres (SSAL), de son lieu de trouvaille et de son attribution au monument étudié n’est pas abordée. La fouille proprement dite du monument est décrite, puis son architecture. L’auteur de cette dernière étude, A. Hermary, opte à juste titre, pour la restitution, pourtant d’apparence étrange (chapiteau à deux « étages ») dudit monument, qui a été proposée initialement par G. Daux et reprise récemment par J.-F. Bommelaer et D. Laroche, et rappelle que le décor de ce chapiteau est analogue à celui d’un chapiteau découvert à Phocée, métropole de Marseille.

 

          A. Hermary passe ensuite à l’étude du décor sculpté. Ce dernier se présente, comme chacun sait, dans un état épouvantable : réduit à une centaine de fragments, il ne comporte plus une seule figure entière (la frise mesurait pourtant 29 m de long et pouvait contenir plus de cent personnages). L’analyse des marbres n’a pas donné jusqu’à présent de conclusions sûres (l’hypothèse de l’origine parienne reste la plus probable) ; quant aux thèmes traités, ils se dérobent eux aussi à l’analyse (amazonomachie et gigantomachie sont des hypothèses vraisemblables sur lesquelles l’auteur se penche à la fin du chapitre). Les auteurs s’attachent donc à scruter (analyser ?) tous les détails reconnaissables (casques, cuirasses…) et mentionnent les rapprochements que certains d’entre eux autorisent avec des objets réels (jambières de cuirasse) découverts dans les fouilles et dont la région de production est parfois connue.

 

          Le style de ces sculptures étant difficile à apprécier, mais aussi assez original par certains traits, le même savant se livre à une très intéressante étude des conditions mêmes de réalisation de ces œuvres. Rappelant que Marseille ne pouvait avoir à l’époque de tradition sculpturale propre, il développe l’hypothèse, déjà soutenue par certains, d’au moins deux sculpteurs, et regroupe en conséquence une partie des fragments en attribuant les uns à un sculpteur épris du détail et travaillant dans un style nerveux, les autres à un artiste au style plus linéaire, proche ou inspiré du « maître des Leucippides » (auteur de la frise ouest du trésor de Siphnos). L’étude de la sculpture amène à des conclusions nuancées : si l’on ne peut pas attribuer ces créations à une ville précise, le style et la réalisation de ces œuvres nous orientent vers la Grèce de l’Est et plus précisément vers l’Ionie du Nord ou l’Éolide. Une datation entre le trésor de Siphnos et celui des Athéniens est proposée.

 

          Enfin, Ph. Jockey et M. Mulliez abordent la question de la peinture du monument mais, faute d’indice matériel conservé, ils se limitent à un exposé sur la peinture grecque de l’époque appliquée à l’architecture et à la sculpture, dont ils décrivent les principales caractéristiques.

 

          Le 3e chapitre est entièrement consacré à la restitution en images de synthèse de l’architecture et de la sculpture du monument (avec la restitution des couleurs). Il est pour ses auteurs (Ph. Jockey et M. Mulliez) l’occasion de prononcer un plaidoyer convainquant en faveur de l’utilisation de la 3D en archéologie, qui expose très clairement pour le grand public les principes qui gouvernent les restitutions de monuments antiques et la place qu’occupe la 3D parmi elles. La présentation générale est illustrée par de très belles images des principaux résultats : façade du monument avec passage progressif de la restitution extérieure à celle des parties invisibles (charpente), frise sculptée où les fragments des personnages sont intégrés dans une restitution hypothétique de l’ensemble. Sur ce dernier point, les observations méticuleuses qui ont permis la restitution d’une scène d’Amazonomachie sont décrites en détail, ce qui permet de réaliser la difficulté de l’opération et aussi l’apport des technologies mises en œuvre. Ce chapitre constitue donc, pour le lecteur peu averti des processus et des nouvelles possibilités de l’image numérique, une excellente initiation. De même, les pages relatives aux couleurs appliquées sur les membres architecturaux constituent un exposé clair et bien documenté sur les hypothèses proposées ainsi que sur les expérimentations auxquelles il a été procédé pour approcher le plus possible la réalité antique.

 

          Le dernier chapitre est dévolu au catalogue de l’exposition et comprend plusieurs ensembles : objets grecs trouvés à Marseille (dont un remarquable petit kouros en bois), photos d’archives de la fouille du trésor de Marseille à Delphes, enfin 27 fragments de marbre du monument lui-même, généreusement prêtés par le musée de Delphes, dont une partie du fameux chapiteau et le précieux fragment d’architrave portant les 4 lettres « SSAL ». L’attribution de ce dernier au monument est présentée comme sûre.

 

          Au total, cet ouvrage se recommande d’abord par sa qualité éditoriale et tout particulièrement par son illustration (N.B. : la fig. 3 de la p. 104 montre la restitution de la façade du trésor des Athéniens quand le texte parle du trésor de Siphnos). Les images de synthèse sont particulièrement belles, tous les objets du catalogue sont photographiés avec grand soin. Les textes sont très riches mais, sauf dans le cas du catalogue des objets, ils ne constituent pas à proprement parler une publication archéologique : bien plutôt, c’est une présentation très complète du dossier du trésor des Marseillais et de sa restitution (architecture et sculpture), dans laquelle tous les problèmes sont évoqués, y compris ceux qui ont amené à l’utilisation judicieuse et féconde des images de synthèse. L’exposition ayant eu lieu à Marseille, la thématique de l’exposition s’est trouvée naturellement partagée entre le trésor construit à Delphes et la cité coloniale qui l’avait fait élever. Il en résulte un caractère un peu disparate, mais qui n’empêche pas ce livre de constituer une étape marquante dans la compréhension encore incomplète du trésor des Marseillais. Le livre est complété par un DVD qui présente au moyen de plans assez brefs le processus de restitution 3D de la sculpture et des couleurs, mais aussi l’élaboration muséographique de l’exposition marseillaise.

 

 

Sommaire

 

M. Garsson, Ph. Jockey, INTRODUCTION, p. 15-16

LE TRESOR DES MARSEILLAIS DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE

J. Bouvry, L.-Fr. Gantès, A. Hermary, Ph. Mellinand, Chr. Walter, Marseille / Massalia, cité grecque d’Occident, p. 20-47

H. Aurigny, Ph. Jockey, Les Massaliètes à Delphes, p. 48-59

LE TRESOR DES MARSEILLAIS : UNE OFFRANDE EXCEPTIONNELLE

H. Aurigny, Les témoignages antiques sur le trésor des Marseillais, p. 62-65

Ph. Jockey, Redécouverte moderne du trésor des Marseillais, p. 66-69

A. Hermary, Le monument, p. 70-73

H. Aurigny, A. Hermary, Le décor sculpté, p. 74-85

Ph. Jockey, M. Mulliez, Les couleurs et l’éclat du trésor des Marseillais, p. 86-95

LE TRESOR DES MARSEILLAIS : LES CLEFS D’UNE RENAISSANCE VIRTUELLE

M. Florenzano, Pourquoi une telle aventure ?, p. 98-101

Ph. Jockey, Les enjeux d’une restitution virtuelle, p. 102-107

Figures et polychromie : essai de restitution, démarche et méthode, p. 108-125

M. Mulliez, Restitution de la frise figurée, p. 108-116

Ph. Jockey, M. Mulliez, Restitution de la polychromie du monument, p. 116-121

G. Nuzzo, H.-L. Poirier, Notes sur la scénographie, p. 122-125

CATALOGUE

J. Bouvry, L.-Fr. Gantès, A. Hermary, Chr. Walter, Vivre à Marseille aux VIe et Ve siècles avant J.-C., p. 128-185

M. Garsson, A. Hermary, Ph. Jockey, Dépôts et offrandes dans un trésor, p. 186-191

O. Bérard-Azzouz, J. Bouvry, M. Garsson, A. Hermary, Apollon et Athéna à Delphes, p. 192-197

Ph. Jockey, La redécouverte du trésor des Marseillais par l’École française d’Athènes, p. 198-219

H. Aurigny, Éléments sculptés du trésor des Marseillais, p. 220-241.

BIBLIOGRAPHIE, p. 242-247

DVD