Baudin, Arnaud - Brunel, Ghislain - Dohrmann, Nicolas (dir.): Templiers. De Jérusalem aux commanderies de Champagne, 327 pages, 200 ill. couleur, ISBN 978-2757205297, 29 €.
(coédition Somogy-éditions d’Art et le Conseil général de l’Aube, en partenariat avec les Archives nationales 2012)
 
Rezension von Matthieu Rajohnson, Université Paris Ouest - Nanterre La Défense
 
Anzahl Wörter : 2413 Wörter
Online publiziert am 2014-01-29
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1848
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          Issu de l’exposition « Templiers. Une histoire, notre trésor » tenue en 2012, cet ouvrage en constitue un véritable complément plutôt qu’un simple catalogue. Il propose en effet, outre la présentation des œuvres exposées, un panorama global des connaissances actuelles concernant l’ordre du Temple, à travers une série d’articles qui constitue la première partie du volume. À l’heure où, hors des publications scientifiques les plus pointues, les templiers continuent de nourrir bien des fantasmes littéraires, ce livre offre ainsi une synthèse bienvenue des recherches les plus récentes sur le sujet, pour un public pensé comme le plus large possible.

 

           L’exercice de transition entre savoirs érudits et pédagogie est souvent réussi, et ce malgré la mauvaise image qu’en donne la couverture, où nous est proposée en guise d’illustration une représentation non pas d’un templier, mais de saint Georges, dont le nom, clairement indiqué dans le manuscrit 76 F 5 de la bibliothèque royale de La Haye dont il est extrait, a été ici effacé pour le transformer en simple chevalier de l’ordre du Temple. Ce type de détournement d’image étonne au seuil d’un tel ouvrage. On aurait tort néanmoins de s’arrêter à ce choix éditorial malheureux : ici comme souvent, la couverture ne rend guère compte de la qualité du contenu du livre lui-même.

           

           Ce sont en effet des contributions de très bonne tenue qui sont rassemblées dans ce volume, pour lequel ont été réunis des spécialistes dont certains parmi les plus reconnus sur les questions qui y sont présentées. En guise d’introduction, Alain Demurger rappelle ainsi ce qui fait la spécificité de l’ordre religieux et militaire, dégageant celui-ci des mythes qui l’ont voilé sous une série de constructions légendaires. Il en rappelle les racines idéologiques, qu’il rattache, au-delà de la seule croisade, à l’ensemble de la réforme grégorienne, mais également les particularités organisationnelles et pratiques, en présentant l’édifice hiérarchique de l’ordre ainsi que les personnes qui lui sont extérieures mais gravitent autour de lui en le servant ou en l’accompagnant. 

 

          Une fois ce cadre remis en place s’ouvrent cinq grandes parties couvrant tant l’activité des templiers, de leur apparition à leur procès, que les représentations qu’ils ont nourries jusqu’à nos jours. L’ensemble joue d’allers-retours entre présentations générales et études régionales centrées sur les commanderies et les affaires templières de l’espace champenois, choisi comme exemple commun pour illustrer plus en détail l’histoire des « pauvres chevaliers du Christ ».

 

          La première partie suit exactement ce schéma, en proposant un parcours passant des fondements idéologiques ayant permis l’émergence de l’ordre du Temple à son implantation plus concrète en Occident, notamment en Champagne même. Jean Flori replace d’abord son apparition dans la pensée occidentale sur le temps long, depuis les premiers âges chrétiens, en retraçant les étapes qui ont permis la conciliation longtemps impensable entre monachisme et chevalerie. Rappelant l’archéologie de l’idée de guerre sainte, il met en avant le contexte favorable que représente la croisade pour une réunion inattendue des activités guerrières et spirituelles que vient entériner la création des ordres religieux-militaires au XIIe siècle, également perçue comme un symbole de la tentative des papes de mettre le monachisme comme la croisade à leur service. Deux articles se penchent ensuite plus précisément sur les principaux acteurs de la fondation de l’Ordre : Godefroid de Saint-Omer et Hugues de Payns, dont les biographies sont présentées par Thierry Leroy, et Bernard de Clairvaux, dont Pierre Aubé rappelle le rôle essentiel dans la naissance et surtout la promotion des templiers, tout en notant l’attitude ambivalente à leur égard de l’abbé cistercien, pour lequel le combat pour la Jérusalem terrestre ne saurait supplanter celui voué à son pendant céleste. Valérie Alanièce, François Gilet et Arnaud Bodin proposent enfin d’entrevoir le rôle de la Champagne dans cette fondation : les deux premiers à travers le concile de Troyes, occasion d’une première reconnaissance de la règle de l’Ordre et premier jalon de son installation en Occident, le dernier en montrant les liens étroits unissant dans un premier temps les comtes de Champagne et les templiers que révèle, en plus de donations et de privilèges, l’intégration précoce de Hugues Ier à l’ordre du Temple – avant que les comtes champenois ne limitent leurs aides dès la fin du XIIe siècle par crainte de l’importance que prennent alors les templiers en Champagne, importance qui témoigne néanmoins tout autant de leur bonne implantation.

           

          C’est ensuite la croisade elle-même et la manière dont s’y insère l’ordre du Temple qui concentre l’attention de la deuxième partie. Patrick Demouy y étudie d’abord le rapport de la papauté avec les templiers, depuis leur reconnaissance et leur protection, notamment face aux séculiers, jusqu’à leur abandon final, analysé ici en terme de faiblesse plutôt que de choix volontaire du pouvoir papal. Pierre-Vincent Claverie propose quant à lui un retour sur les actions des templiers en Orient, occasion de présenter leurs places fortes, leur organisation interne dans ses diverses composantes et leur rôle dans les différentes batailles croisées, où est relevée l’implication plus particulière des templiers venus de Champagne. Marie-Adélaïde Nielen approfondit cette place des Champenois dans la croisade cette fois-ci hors de l’ordre du Temple, en évoquant leur contribution aux expéditions et leur association au sort des États latins d’Orient, qu’illustrent le cas du comte Henri II puis celui de Jean de Brienne, tous deux devenus rois de Jérusalem. Philippe Josserand propose enfin un panorama de l’ensemble des ordres militaires, comme pour mieux recontextualiser celui du Temple au sein des autres organisations du même type qui ont suivi sa fondation et montrer ainsi l’ampleur du mouvement que cette création a entraîné.

           

          Quittant la guerre pour mieux en observer la préparation, la troisième partie s’intéresse cette fois à l’organisation des templiers et à leurs activités, de leurs aspects les plus théoriques jusqu’aux plus concrets. Une étude de la règle de l’Ordre ouvre cette section : Simonetta Cerrini y note l’influence combinée des bénédictins et des chanoines, qui a pour résultat de faire du statut des templiers un constant entre-deux, qu’accentue encore tout naturellement leur conciliation des exigences monastique et militaire. Celles-ci se limitant mutuellement, il en résulte un modèle à la fois « antiascétique » et « antihéroïque », qui distingue les templiers des parfaites représentations des moines comme des guerriers, ce qui contribue à faire la spécificité de l’Ordre. Une spécificité que renforce la hiérarchie templière, où à côté des tensions entre éléments laïcs et religieux le principe d’égalité et de solidarité contribue à rendre plus diffuses ces barrières théoriques. L’importance de l’argent au sein de ce modèle est une autre spécificité qu’analyse ensuite Ghislain Brunel en rappelant l’organisation financière de l’ordre du Temple, sa gestion des dépôts et son rôle de convoyeur de fonds. Hors de ces cadres théoriques, les articles suivants montrent la manière dont fonctionne plus concrètement ce modèle à travers la présentation du cadre de vie que représentent les commanderies et leur réseau. Michel Miguet propose d’abord de voir les choix qui président à leur implantation et la manière dont elles s’organisent. Une organisation qu’illustrent Valérie Alanièce et François Gilet par une présentation de la commanderie rurale d’Avalleur, exemple parmi les mieux connus du réseau des commanderies champenoises dont Thierry Leroy montre, quant à lui, la densité, confirmée plus loin par le catalogue qu’en fournit ce volume.

           

          Abordé encore une fois tant dans son aspect général qu’à travers ses répercussions champenoises, le procès des templiers occupe toute la quatrième partie. Malcolm Barber revient ainsi d’abord sur ses causes et son organisation globale, avant que Ghislain Brunel n’évoque son déroulement en Champagne même, notamment à travers les interrogatoires qu’y ont subi les templiers. Dans le même contexte régional, Alain Provost propose un détour par le procès de Guichard, évêque de Troyes, en marge de celui des templiers mais dont les ressorts et l’instrumentalisation à des fins de renforcement du pouvoir royal suivent une trame en certains points commune. Alain Demurger offre enfin un regard sur l’application réelle de ces procès, en se penchant sur la dévolution des biens des templiers aux hospitaliers après le concile de Vienne, les difficultés de leur récupération, puis sur le sort des templiers eux-mêmes, tant les condamnés que les innocentés, finalement bien plus nombreux et dont les situations furent diverses, du passage à un autre ordre religieux jusqu’au retour dans le siècle – qui ne manqua pas alors de lever quelques critiques.

           

           Dans la perspective d’une histoire plus nettement culturelle, la dernière partie s’intéresse à la question de la représentation des templiers, et d’abord par eux-mêmes, à travers l’étude de leurs sceaux que propose Arnaud Baudin. Celui-ci en analyse les usages, les motifs et leur symbolique – voire leur part revendicative, comme quand le sceau du grand maître continue de porter la coupole du Templum Domini après la perte de Jérusalem de 1187. Étrangement relégué en fin d’ouvrage, c’est pourtant l’article de Ghislain Brunel sur les « Mythes et légendes » de l’ordre du Temple qui fait le trait d’union entre ces représentations médiévales et la perception contemporaine des templiers, en cherchant dans quelle mesure les premières tenaient déjà en germe les images qui fondent la seconde, de la critique de la richesse des templiers à la fameuse malédiction attribuée à Jacques de Molay juste avant sa mort. Les deux articles qui le précèdent abordent, eux, un regard strictement contemporain : celui de Christian Amalvi cherche dans l’historiographie scolaire de 1848 jusqu’à nos jours le regard porté sur le procès des templiers, en tentant de dissocier une pédagogie « laïque » d’une conception plus proprement « catholique » dans ces discours, notamment en ce qui concerne le rôle attribué au pape, naturellement bien plus défendu dans l’historiographie cléricale. Nicolas Dohrmann offre enfin un aperçu de la place de l’Ordre dans la fiction contemporaine, où passions pour le complot, rêves de trésors enfouis et fantasmes autour des sociétés secrètes semblent avoir largement nourri un retour en force des templiers, dont, significativement, l’histoire elle-même semble moins intéresser que les mythes qui s’y sont agrégés.

           

           Un catalogue des commanderies de Champagne et de Brie vient compléter l’ensemble, dont les critères de sélection sont présentés d’emblée comme relativement subjectifs : plutôt que de se restreindre au seul comté de Champagne, les auteurs ont ici inclus des commanderies de Bourgogne ou d’enclaves ecclésiastiques, donc indépendantes du comté, ce qui fait montre d’un choix sensiblement arbitraire, au risque que le lecteur n’en saisisse pas tout à fait les ressorts. La même opacité se retrouve dans la sélection des établissements présentés : les premiers, les « maisons principales mentionnées dans le procès », semblent tout à fait attendus, mais les seconds posent plus question, qui sont définis sommairement comme « quelques maisons secondaires d’une certaine importance », importance jamais mieux définie et qui laisse dès lors une certaine impression d’imprécision dans ce choix des lieux recensés. 

            

          La dernière partie de l’ouvrage, consacrée au catalogue de l’exposition « Templiers. Une histoire, notre trésor », présente des œuvres de support variés, reproduites avec une qualité qu’on ne manquera pas de relever, ce qui rend les lettres, chartes, règle du Temple et interrogatoire des templiers tout à fait lisibles pour le paléographe. À côté des textes, des images et des objets permettent d’entrevoir une partie de la vie des templiers et de leurs représentations, du Moyen Âge à nos jours, et parfois de les réinsérer dans le contexte de leur époque, à l’instar des objets d’art islamique qui donnent brièvement à voir la civilisation contre laquelle ont pu lutter les ordres militaires. On regrettera peut-être qu’en dehors de ce catalogue final, les images du reste de l’ouvrage n’aient pas reçu les mêmes faveurs en termes de présentation et d’analyse : rarement utilisées ou commentées dans les articles dont elles semblent souvent indépendantes, elles se réduisent alors à une fonction illustrative, sans visée didactique. Cette dernière critique formelle mise à part, le volume convoque d’un article à l’autre des spécialistes reconnus qui vulgarisent pour un large public leurs recherches sur le sujet et offrent une synthèse qui ne manquera pas d’intéresser tous les curieux de l’ordre du Temple.

 

 

Table des Matières :

 

- Préfaces, de Philippe Adnot, p. 13, Agnès Magnien, p. 15, et Nicolas Dohrmann, p. 17.

 

Introduction

- Alain Demurger, « Qu’est-ce que l’ordre du Temple ? », p. 19-26.

 

Les origines de l’Ordre

- Jean Flori, « Les racines lointaines de l’ordre du Temple. L’Église et la guerre, du pacifisme à la croisade », p. 29-34.

- Thierry Leroy, « Les fondateurs de l’ordre du Temple », p. 35-39.

- Pierre Aubé, « Bernard de Clairvaux et la naissance de l’ordre du Temple », p. 40-45.

- Valérie Alanièce et François Gilet, « Le concile de Troyes : implanter l’ordre du Temple en Occident », p. 46-51.

- Arnaud Baudin, « Entre Orient et Occident : les relations entre les comtes de Champagne et l’ordre du Temple », p. 52-59.

 

En Orient. Les templiers et la croisade

- Patrick Demouy, « Les templiers et la papauté », p. 63-67.

- Pierre-Vincent Claverie, « L’ordre du Temple dans l’Orient des croisades (XIIe-XIIIe siècle) », p. 68-79.

- Marie-Adélaïde Nielen, « Les Champenois à la croisade », p. 80-87.

- Philippe Josserand, « Prier et combattre hors du Temple », p. 88-93.

 

En Occident. Organisation, activités, vie quotidienne

- Simonetta Cerrini, « La Règle de l’Ordre et la hiérarchie templière », p. 96-103.

- Ghislain Brunel, « Les templiers et l’argent », p. 104-109.

- Michel Miguet, « La commanderie, cadre de vie et architecture », p. 110-116.

- Thierry Leroy, « 1127-1143. L’organisation du réseau templier en Champagne », p. 117-122.

- Valérie Alanièce et François Gilet, « La vie quotidienne dans une commanderie rurale : l’exemple d’Avalleur en Champagne », p. 123-127.

 

La fin de l’Ordre et le procès

- Malcolm Barber, « Le procès », p. 130-138.

- Ghislain Brunel, « Le procès des templiers champenois », p. 139-146.

- Alain Provost, « Le procès de Guichard, évêque de Troyes (1308-1314) », p. 147-153.

- Alain Demurger, « Le concile de Vienne, la dévolution des biens du Temple et le sort des templiers », p. 154-159.

 

La symbolique et l’imaginaire templiers

- Arnaud Baudin, « Les sceaux de l’ordre du Temple », p. 162-166.

- Christian Amalvi, « L’histoire des templiers à l’école et au foyer familial en France de 1848 à nos jours », p. 167-173.

- Nicolas Dohrmann, « Un Temple fantasmé ? Le Temple dans la fiction contemporaine »

- Ghislain Brunel, « Mythes et légendes », p. 174-179.

 

Les historiens du Temple en Champagne, p. 186-187.

Les commanderies de Champagne et de Brie, p. 188-203.

Catalogue des œuvres, p. 204-311.

Chronologie, p. 312-317.

Bibliographie, p. 318-321.

Index, p. 322-327.