Korunovski, Sacho - Dimitrova, Elizabeta: Macédoine Byzantine, Histoire de l’art macédonien du IXe au XIVe siècle, 24x30 cm, 230 pages 173 illustrations en couleurs, 142 illustrations noir et blanc, couverture reliée sous jaquette, ISBN 978-2-35278-008-4, Prix : 49 €
(Paris, Thalia Edition 2006)
 
Compte rendu par Gaëlle Dumont, Université libre de Bruxelles
 
Nombre de mots : 1175 mots
Publié en ligne le 2008-06-22
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=174
Lien pour commander ce livre
 
 

Les auteurs de cet ouvrage, tous deux spécialistes de l’architecture et de l’art byzantins dans les Balkans, nous proposent une synthèse richement illustrée du patrimoine macédonien du IXe au XIVe siècle. Trois grandes périodes sont envisagées : le premier développement culturel (IXe siècle-1018), la période médiobyzantine (XIe-XIIe siècles) et l’époque paléologue (XIIIe siècle), dans trois domaines de création particulièrement actifs : l’architecture religieuse, la peinture à fresque et la peinture d’icônes.

 

Dès le VIIe siècle, les provinces romaines de Macédoine Première et Seconde sont progressivement conquises par les armées slaves converties à l’orthodoxie, avant de devenir au milieu du IXe siècle une partie de l’Empire bulgare. En 1014, le tsar Samuel est vaincu par l’empereur Basile II, et son territoire est englobé dans l’Empire byzantin, jusqu’à la prise de Constantinople par les croisés en 1204. La Macédoine est alors partagée entre les états voisins, avant d’être réintégrée à l’Empire lors de sa restauration par les Paléologues en 1261. Le pouvoir byzantin ne s’y maintiendra pourtant que peu de temps, puisque des portions de territoire sont progressivement conquises par les rois serbes, jusqu’à l’annexion complète en 1345. Cinquante ans plus tard, l’Empire ottoman étend sa souveraineté sur les Balkans, où il régnera sans partage jusqu’au début du XXe siècle. La région connaîtra ensuite d’importants bouleversements qu’il serait trop long de détailler ici, et qui mèneront à l’indépendance de la Macédoine en septembre 1991.

 

La production artistique autour de l’an mil est peu connue : soit les bâtiments ont été détruits, soit leur aspect primitif a été occulté par les reconstructions et les remaniements successifs. Le peu de fresques qui nous sont parvenues témoignent d’une assimilation par les artistes locaux des canons en vigueur dans la capitale Constantinople.

 

La période médiobyzantine sera une époque riche sur les plans politique, religieux et artistique : le pouvoir se régénère et se consolide, le dogme est fixé et affirmé au cours de plusieurs conciles, et de nouveaux canons artistiques permettent la diffusion de celui-ci. La Macédoine fait désormais partie intégrante de l’Empire et entretient des contacts nourris et fructueux avec Constantinople, notamment sur le plan culturel.

L’évêché d’Ohrid est particulièrement actif à cette époque sur les plans artistique et littéraire. La conception de son église Sainte-Sophie est caractéristique des échanges qui ont lieu entre la capitale et les provinces : les canons élaborés à Constantinople sont réinterprétés par des artistes locaux, donnant lieu à une expression nouvelle tout à fait originale, qui s’observe surtout sur les édifices commandités par le pouvoir central, et qui coexistent avec des bâtiments de tradition purement locale. Le programme décoratif de Sainte-Sophie d’Ohrid témoigne également d’un esprit très novateur, et qui aura un grand retentissement sur la peinture byzantine en général : les qualités plastiques, la netteté des contours, la sobriété de la palette et l’expressivité des personnages induisent un effet dramatique tout à fait exceptionnel. Ailleurs, c’est l’originalité des thèmes abordés ou la grande maîtrise de la composition qui caractérisent ces cycles picturaux.

On retrouve dans les icônes cette finesse des figures et ce traitement minutieux des détails, qui auront une grande influence dans toute la sphère byzantine.

 

Au tout début du XIIIe siècle, la prise de Constantinople par les croisés induit un déplacement des lieux de création artistique et l’émergence de villes comme Nicée ou Arta. Cette situation n’est toutefois que temporaire, et la ville reprend son rôle central dès la restauration de l’Empire en 1261.

De nombreuses églises de l’époque paléologue adoptent des modèles épirotes, telles que les voûtes en berceau transversales ou les maçonneries ornementales très chargées. La rencontre avec les usages locaux formera un style original et cohérent qui sera pratiqué jusqu’au troisième quart du XIVe siècle. En effet, à partir de 1371, l’activité artistique est affaiblie sous les incursions des Ottomans, ces derniers ne faisant par la suite que reprendre les modèles anciens sans jamais parvenir à renouveler la création.

La peinture à fresque atteint son apogée à l’époque paléologue, où elle se conjugue avec les traditions comnènes pour former un nouveau courant extrêmement riche et varié. Aux caractéristiques antérieures – plasticité, expressivité des figures et monumentalité – s’ajoutent désormais des mouvements dynamiques, des scènes très élaborées et narratives contenant de nombreux personnages et une abondance de détails minutieusement traités, et une adaptation de la composition à l’espace architectural. Ses maîtres sont les peintres Michele Astrapias et Eutychios, originaires de Thessalonique, dont le talent s’est exprimé dans les églises de Saint-Clément à Ohrid, de Saint-Georges à Staro Nagoročino et de Saint-Nikita à Banjani. Un autre mouvement apparaît à la moitié du XIVe siècle, dont les commanditaires sont désormais les rois serbes : il se caractérise par des scènes riches en détails, une plasticité peu affirmée, des figures minces, des visages arrondis, un trait élégant et des couleurs claires.

Quant à la peinture d’icônes, elle traduit aussi dans son vocabulaire particulier les innovations de l’époque : à la plasticité et à la monumentalité des figures s’ajoutent désormais des mouvements énergiques, une grande vivacité d’expression, une composition équilibrée et des couleurs riches et variées.

 

Cet ouvrage donne un aperçu très complet de l’architecture et de la peinture religieuses byzantines en Macédoine, patrimoine exceptionnellement riche mais encore méconnu.

La présentation par époques permet de se faire une idée de l’évolution de la production artistique. Les descriptions et les analyses des bâtiments et des peintures murales sont très précises et d’une grande qualité : les caractéristiques de chaque œuvre sont mises en exergue avec pour chacune d’elles la recherche de comparaisons et d’influences, permettant ainsi leur mise en contexte. Les illustrations en couleurs, abondantes, sont également d’une grande qualité. Détail important, le plan de chaque église décrite est joint en annexe, éventuellement enrichi de coupes et de relevés, facilitant les études de plans et les comparaisons. Des vignettes en noir et blanc reprennent les peintures qui n’auraient pas été illustrées en couleurs : de petite taille et de qualité un peu moindre, elles donnent au moins une idée des compositions. Enfin, une carte du pays et une liste des souverains complètent utilement l’ouvrage.

Pointons toutefois quelques lacunes : pour une région à la destinée aussi complexe, l’introduction historique aurait mérité d’être un peu plus détaillée. Bien que l’architecture et la peinture soient les manifestations artistiques les plus impressionnantes, il aurait été intéressant de consacrer un chapitre aux autres domaines, ou au moins de les mentionner. Enfin, la bibliographie est classée suivant l’ordre des notes dans le texte, ce qui a pour résultat qu’elle ne porte que sur des points ponctuels ; une bibliographie classée par thèmes, reprenant les titres d’ouvrages plus généraux et dans des langues plus accessibles que le macédonien, aurait été préférable.

 

La conclusion qui ressort de la lecture est que la Macédoine ne fut pas – comme on pourrait le croire à première vue – une province périphérique de l’Empire, mais un centre de création artistique particulièrement fertile, qui a su synthétiser les canons de la capitale avec les traditions locales pour former une expression unique et de grande qualité, qui aura à son tour une influence importante sur la création byzantine en général.