Bohrer, Frederick N.: Photography and Archaeology. 220 x 190 mm, 184 pages, 91 illustrations, 50 in colour, Paperback, 978 1 86189 870 8, £17.95
(Reaktion Books, London 2011)
 
Reviewed by Frédéric Herbin
 
Number of words : 1861 words
Published online 2018-01-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1599
Link to order this book
 
 

 

          Cet ouvrage, édité dans la collection Exposures des éditions Reaktion Books à Londres en 2011, est élégamment présenté sous un format maniable, presque carré (21,7 x 19,2 cm), avec une couverture souple à rabats. Il compte 186 pages dont 165 de texte ornées de 91 figures en noir et blanc, sépia ou couleur. Les notes, la bibliographie, les crédits photographiques et un index sont rassemblés en fin d’ouvrage. La mise en page, sobre et aérée, et les reproductions d’excellente qualité rendent agréable la lecture de cette publication.

 

         La matière de l’ouvrage est organisée selon cinq parties : une longue introduction et quatre chapitres thématiques sur l’objectivité scientifique de la photographie archéologique, sa dimension ethnographique, l’utilisation de la photographie comme outil d’archivage par l’archéologie, et les rapports entre la photographie archéologique et l’art. Les figures insérées dans le texte servent d’exemples et nourrissent le texte.

 

         Dans une introduction fouillée, l’auteur explique et conceptualise les connexions qui existent indubitablement entre l’archéologie et la photographie, en invoquant les écrits de photographes – et leurs photographies –, d’historiens de l’art ou même de philosophes. Il rappelle que les deux disciplines sont nées au même moment, au milieu du XIXe s. Si l’objet de l’archéologie est l’étude du passé, la photographie produit des images qui fixent le passé à une date déterminée. Bohrer insiste sur le jeu de la présence et de l’absence dans les deux disciplines. L’archéologie a pour objet de reconstituer ce qui n’est plus et la photographie fixe ce qui est tout en mettant en évidence ce qui est absent. En ce sens la photographie a été utilisée par l’archéologie comme un outil scientifique mais aussi de médiation, parallèlement avec d’autres modes de (re)présentation (texte et dessin). L’auteur évoque également ici le problème de la manipulation des images, de la portée politique de celles-ci. Tous ces thèmes sont repris dans les quatre chapitres suivants.

 

         Dans son foisonnant premier chapitre (Science, or Truth), l’auteur relate, à travers l’œuvre de différents archéologues et/ou photographes, le développement parallèle des deux disciplines depuis le XIXe s. Il explique comment la photographie devient peu à peu un outil pour la nouvelle science archéologique, qui lui permet notamment de justifier son caractère d’objectivité. Elle permet de sauvegarder l’objet, ou tout du moins son image, capturé sur la pellicule, de surveiller l’évolution d’un site ou d’un artefact, de diminuer le temps passé à faire des relevés sur le terrain, et montre l’image du « vrai ». Ces aspects ne sont jamais totalement vérifiés mais justifient l’emploi de la photographie pour l’archéologie. La photographie s’impose progressivement comme un véritable outil de recherche scientifique. Ainsi, William Henry Fox Talbot – pionnier bien connu de la photographie mais également philologue – en usa pour déchiffrer l’écriture cunéiforme. Les archéologues, dès le XIXe s., utilisent ces images facilement transportables pour faire des comparaisons ou échanger avec leurs confrères. La photographie est ainsi utilisée pour la diffusion scientifique ; elle complète – et concurrence parfois –  les images produites jusqu’à présent (dessins, relevés). De plus, elle est rapidement utilisée par les pouvoirs publics, notamment en France – dès 1851, sous l’impulsion de Louis Daguerre et François Arago – et au Royaume-Uni, pour documenter le patrimoine national – voire colonial. Les progrès des procédés de reproduction permettent la diffusion de la photographie archéologique auprès d’un public de plus en plus large et avide de découvertes exotiques. Les travaux de Maxime Du Camp en Égypte illustrent cette tendance. Un long développement sur l’œuvre de Joseph-Philibert Girault de Prangey donne l’occasion à Bohrer d’expliquer la codification (points de vue, utilisation de l’échelle, photographies d’objets, de sites, de détails, etc.) progressive de l’imagerie archéologique jusqu’à leur théorisation par Mortimer Wheeler (et Maurice Cookson) dans les années 1950, en passant par les travaux d’Alexander Conze, George Andrew Reisner et John Henry Haynes. Bohrer revient ensuite sur l’utilisation politique de la photographie archéologique, et sur la censure, la falsification, le montage. Pour clore le chapitre, il évoque enfin les dernières évolutions de l’imagerie archéologique, à l’âge de Photoshop, permettant des restitutions en trois dimensions et la « démocratisation » de la photographie avec l’apparition des appareils numériques.

 

         Le second chapitre (Travel, or Presence) explore la dimension anthropologique de la photographie archéologique. L’invention occidentale de la photographie a été répandue dans le reste du monde par les « explorateurs » photographes-archéologues. Cette diffusion a été favorisée par la miniaturisation progressive des appareils de prise de vue. La photographie archéologique documente les sites mais permet aussi de voir les personnes présentes sur les sites de fouilles : archéologues, photographes (ou leurs ombres portées), ouvriers et autochtones. Au début du XXe s., les objets et les sites prévalent sur l’humain, qui disparaît bien souvent de l’imagerie archéologique. C’est ce qui ressort des travaux de William Matthew Flinders Petrie en Égypte, qui utilisait la photographie mais préférait le dessin. Pour ce dernier, la photographie garantissait la justesse scientifique, avait l’avantage d’être un moyen d’enregistrement rapide et d’avoir également un intérêt artistique. Il a établi, nous raconte Bohrer, les bases de la photographie archéologique scientifique. Sa procédure est d’ailleurs toujours appliquée aujourd’hui : nettoyage du site et des artefacts, mise en scène, etc. Cette méthode semble mener à la spécialisation du photographe dans l’équipe de fouille, qui devient un technicien parmi d’autres, sans plus apporter de valeur ajoutée artistique. L’humain est en tout cas effacé des images archéologiques scientifiques. C’est le cas également si l’on change d’échelle en prenant des clichés depuis les airs. Ainsi, l’auteur raconte dans un long excursus le développement de la photographie archéologique aérienne après la première guerre mondiale, notamment sous l’impulsion d’O. G. S. Crawford et jusqu’au développement de « l’archéologie aérienne en fauteuil » grâce au développement de Google Earth. Cette technique demande aux archéologues de savoir interpréter les images, en plus de disposer de technologies coûteuses ou avancées. Ce « savoir regarder » est également utile aux philologues qui travaillent sur les clichés d’inscriptions pour les déchiffrer. L’auteur revient ensuite au thème du voyage annoncé dans le titre du chapitre en examinant la valeur symbolique de certaines photographies archéologiques destinées au « grand public ». Il prend l’exemple des images de portes ou de passages qui invitent le public à entrer virtuellement dans le site photographié, à voyager. Bohrer conclut ce chapitre en rappelant que la personnalité de l’archéologue-photographe s’est peu à peu perdue avec les évolutions technologiques et la professionnalisation : les photos scientifiques sont devenues impersonnelles.

 

         Le troisième chapitre (Meaning, or the Archive) traite de la question du sens de la photographie archéologique, de l’accumulation des clichés et de la constitution d’archives photographiques. L’évolution technologique de la photographie induit une multiplication des clichés et de leurs reproductions, c’est pourquoi une organisation importante est nécessaire pour archiver ces documents. Selon Eugène Viollet le Duc, la photographie est irréfutable. L’objectivité photographique est cependant paradoxale. La photographie peut révéler des éléments que l’examen direct n’aura pas permis. L’archivage et la mise en série permettent de dégager de nouvelles informations. Il existe également des images produites d’après des photographies (gravures, lithographies) qui sont reçues comme telles alors qu’elles mélangent des informations réelles et la vision de l’artiste qui les produit. Le classement des photographies peut être alphabétique, spatial, chronologique, etc. John Henry Parker a utilisé la photographie pour montrer l’évolution des fouilles de Rome. Il a théorisé le fait qu’il était plus facile de faire des vérifications d’après photographies que de se rendre sur place, et aussi qu’elles rendaient possible la comparaison inter-site, soit les deux desseins de l’archive : classer et comparer. De même, selon Prosper Mérimée, l’imagination doit être bannie de l’archéologie, qui recherche des faits objectifs (réalisme positiviste). Il met en place la mission héliographique de 1851, c’est-à-dire l’établissement du premier inventaire photographique exhaustif du patrimoine français (par Gustave le Gray et Edouard Baldus). Viollet le Duc utilisait au contraire la photographie pour imaginer les parties manquantes des édifices. La photographie est paradoxalement une nouvelle création et un enregistrement de l’existant, qui permet de reproduire à l’infini des monuments uniques. Outre ces débats théoriques, Bohrer évoque dans ce chapitre le cas des stéréographes, ces images-cartes postales prises par ou pour les touristes, avec de la vie autour. Ce ne sont plus des images scientifiques. Les photographies archéologiques non scientifiques servent également d’images de présentation pour constituer des dossiers et rechercher des fonds pour la science, surtout dans l’aire anglo-saxonne. La dimension artistique des photographies archéologiques persiste tout de même avec certains archéologues (exemple de Erich Schmidt et de ses deux photographes, Boris Dubensky et Stanislaw Niedzwiecki). L’usage de la couleur – dont l’archéologie se méfie  comme des photos artistiques réputées non scientifiques – est toutefois utile pour montrer les éléments de décors peints et il est également prisé par les éditeurs de beaux livres. Dans ce type de publication grand public, le texte n’est qu’une note de bas de page pour accompagner les photographies selon Wheeler, c’est un outil pour atteindre un large public et aussi pour situer les monuments dans leurs contextes « actuels ». L’approche stylistique développée par l’école de Vienne et utilisée par André Malraux se sert également de la photo d’objet « artistique » ou non. Les photographies étant plus maniables que les objets eux-mêmes, elles sont le moyen d’échange le plus aisé entre archéologues. C’est la même chose pour les inscriptions, que les techniques d’éclairage permettent parfois de mieux déchiffrer sur papier qu’in situ, à condition qu’un épigraphiste participe au processus d’enregistrement.

 

         Le quatrième et dernier chapitre (Art, or Reframing) tient également lieu de conclusion à l’ouvrage. Bohrer y explore de manière détaillée les rapports, pas seulement dichotomiques, existant entre photographie archéologique artistique et scientifique, qu’il avait déjà évoqués dans les chapitres précédents. Les photographies archéologiques ne sont pas seulement des images documentaires. Les photographies de la publication des sculptures d’Olympie de 1882 sont les premières à être créditées. La signature de l’artiste-photographe, qui met en scène les sculptures pour la prise de vue mais aussi pour la mise en page, invite à regarder l’image pour elle-même et non plus seulement l’objet qu’elle représente. Le caractère politique que peut prendre la photographie archéologique est de nouveau soulevé par Bohrer avec l’exemple du travail de Martin Chambi sur le site de Machu Pichu ou celui d’Auguste Salzmann à Jérusalem. Alison Frantz se situe à mi-chemin entre l’artiste-photographe et l’archéologue-photographe. Archéologue de formation, elle prend des clichés en tant que telle, mais son travail est reconnu également pour ses qualités artistiques par ses pairs – et l’auteur. Dans les pages suivantes Bohrer passe en revue le travail et la démarche de quelques artistes-photographes utilisant des sujets archéologiques : Leandro Katz, Marilyn Bridges, Laura Gilpin, Lee Miller, Paul Strand, Duane Michals, Jeff Wall ou Victor Burgin, jusqu’aux créations archéologiques du plasticien Patrick Nagatani.

 

         Pour conclure, ce bel ouvrage intéressera autant l’archéologue que le photographe. Les idées qui y sont développées sont intéressantes et enrichissantes. Bohrer met en lumière avec brio l’histoire parallèle et les connexions existant entre ces deux disciplines nées à la même époque. Malgré l’absence de sous-parties ou d’un plan détaillé, le texte se lit facilement. L’auteur se sert des photographies et autres illustrations à la manière d’un conférencier déroulant son discours en même temps qu’il projette son diaporama. Il commente et analyse chaque document pour servir son propos et pas seulement pour présenter un album de  belles images anciennes de plus.