Fiori, Ruth: Paris déplacé. Du XVIIIe siècle à nos jours. Architecture, fontaines, statues, décors. 280 p., 19,5X22,5cm, ISBN 978-2-84096-665-4, 29 €
(Parigramme, Paris 2011)
 
Compte rendu par Olivier Berger
 
Nombre de mots : 1220 mots
Publié en ligne le 2011-10-21
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1495
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          Dans Paris déplacé, Ruth Fiori, historienne de l’art, docteur de l’Université Paris I, plonge les lecteurs au cœur d’une problématique actuelle qu’est la conscience de l’intérêt patrimonial pour le mobilier urbain de Paris, voire des bâtiments entiers. Avec la Commission du Vieux Paris au XIXe siècle, l’État décide de la sauvegarde de tel ou tel monument, remonté ailleurs si ce n’est sur un lieu proche de celui d’origine, par des techniques variées : démontage pierre par pierre, assemblages, conservation d’un élément remanié. Mais il existe aussi des mobilisations plus originales : celles des riverains, de la presse, ou d’amateurs qui décident spontanément une action de sauvegarde, à l’occasion de travaux… Le classement en Monument Historique est une possibilité de sauver ce qui peut l’être. Une façade de lavoir industriel du XIIe arrondissement a survécu ainsi, glissée sur un rail, laissant place à du logement neuf.

 

          Ruth Fiori a fait un travail très approfondi, avec une enquête de terrain que révèle l’iconographie, invitant le curieux à retourner sur des lieux qu’il croyait déjà connaître. Elle s’appuie sur une documentation solide constituée entre autres par les œuvres du pionnier en la matière, Jacques Hillairet, sans oublier Dany Sandron et Philippe Lorentz, Alexandre Gady, spécialiste de l’architecture du quartier du Marais et Georges Poisson, ex-conservateur du Musée de l’Île-de-France (antenne du Musée Carnavalet en 1937). À Charenton, la Médiathèque du Patrimoine a fourni une part essentielle de la matière première en sus des livres utilisés. On arrêtera la bibliographie sur le titre de Sylvain Ageorges, qui s’est intéressé aux restes des expositions universelles en Île-de-France recoupant certains monuments cités ici. De même, on retrouve des photos d’Eugène Atget (mis à l’honneur récemment à la BnF) et de Charles Marville comme des éléments traités dans l’Atlas du Paris haussmannien de Pierre Pinon chez le même éditeur, autour des aménagements urbains qui délogèrent des fontaines, ainsi celle du Châtelet. En revanche, on peut s’étonner de l’absence dans ses sources du livre de Marie de Thézy sur Marville, paru en 1998 chez Hazan.

 

          Ce livre, organisé sous forme de catalogue, en trois grandes parties, est à mettre entre toutes les mains. Ses index permettent aux gens pressés d’aller directement à des recherches précises. Il traite successivement des édifices et des éléments détachés, des boiseries et décorations intérieures, puis des fontaines et des mobiliers urbains en général. Il détaille chaque cas de monument démonté/remonté et répond parfaitement à la curiosité des amateurs d’art. On est surpris par les images des statues du pont de l’Alma dont le destin était lié à la rénovation de 1973, sauf celle du zouave ; les autres sont dispersées à Vincennes, Dijon et La Fère. Ruth Fiori apporte donc une contribution nouvelle dans la continuité des travaux de Poisson ou Hillairet, opérant une synthèse de travaux antérieurs tout en enrichissant le propos par la pertinence de sa réflexion.

 

          Elle démontre qu’il n’y a pas une politique patrimoniale unique, mais que les intérêts sur les objets changent au cours du temps, par exemple la statuaire de la IIIe République, après avoir été boudée, revient dans les années 1980 sur le devant de la scène, même si Malraux avait préféré remplacer des statues « anciennes » par celles de sculpteurs contemporains, notamment dans les Jardins des Tuileries. Les destructions de la période haussmannienne ne firent que peu de cas d’un patrimoine médiéval tout juste bon à jeter, et qui n’était pas considéré comme un véritable patrimoine. L’auteur ne passe pas sous silence le devenir du bâti déplacé : le résultat est parfois malheureux quand le contexte urbain n’est pas respecté. Même si le pavillon de Hanovre a été remonté dans le Parc de Sceaux, il apparaît comme un non-sens, une coquille vide non valorisée dans un environnement sans rapport avec son origine, loin du Boulevard des Italiens.

 

          En effet, le sort des monuments ou éléments du patrimoine urbain est aléatoire. Tel particulier rachète des boiseries pour les remonter dans son hôtel de New York. Rappelons que l’Occupation, avec ses réquisitions de bronze, amena des statues à la fonderie tandis que d’autres étaient cachées, sauvées par le hasard d’une intervention. Quand l’État déplace un monument, c’est souvent en raison de travaux de réaménagement : la chapelle Saint-Ferdinand bouge entre le Palais des Congrès de la Porte Maillot et le Périphérique, dans un milieu dénaturé. Des collectionneurs récupèrent des éléments des palais de Saint-Cloud et des Tuileries incendiés en 1871 pour agrémenter leur château en Corse. Le goût pour la belle ruine, la fausse ruine (les fabriques) explique la conservation de certains morceaux du bâti, comme le rappelle l’auteur. La ville de Paris, quant à elle, redistribue des statues aux villes d’Île-de-France qui en font la demande quand la cohérence historique existe entre le lieu et l’objet ; une statue de Meissonier se retrouve à la place d’honneur au parc urbain de Poissy, ville dont il fut maire et résident. Des squares parisiens reçoivent en dépôt des restes des Tuileries ou de couvents démolis au XIXe siècle, quand d’autres statues restent des années dans les réserves. Ruth Fiori donne les exemples des squares du Marais, du square Paul Langevin dont le mur de soutènement qui le sépare de Polytechnique reçoit de nombreux morceaux d’édifices parisiens. Elle nous incite à changer de regard sur un patrimoine revalorisé de nos jours.

 

          Mais les guerres franco-allemandes ne sont pas les seules causes de destruction : les percements de nouveaux axes de circulation, ainsi que la rénovation urbaine imposent des transformations – et nous pensons évidemment au quartier des Halles traité par l’auteur – qui impliquent une redistribution des éléments déplacés. À Nogent-sur-Marne, le pavillon Baltard est sans doute le mieux connu, mais qui savait que le maire de l’époque avait récupéré d’autres pièces du mobilier urbain, jusqu’à un morceau de l’escalier de la Tour Eiffel, en passant par des arches de la première passerelle des Arts ? Le cas des Halles est significatif de la mobilisation des citoyens autour d’une architecture dont l’intérêt est reconnu, même tardivement. Il en va de même pour l’art nouveau représenté par les édicules d’Hector Guimard sur les entrées du métro, préservées il y a quarante ans pour ceux restés en place. Quelques copies existent à l’étranger, « bricolages » d’éléments sortis des réserves de la RATP et refontes. Enfin, des raisons politico-diplomatiques président à des déplacements : quand les pays sud-américains préfèrent voir la statue de Simon Bolivar près du Grand Palais plutôt que sur les bords du Périphérique, question de prestige, les autorités françaises donnent satisfaction… Avec les changements de régimes du XIXe siècle, la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme part et revient, puis repart… Chaque régime définit son patrimoine.

 

          Il ne manque rien à cet ouvrage aussi clair que précis, qui complète la série consacrée à Paris chez l’éditeur Parigramme dont la qualité n’est plus à prouver. À compléter éventuellement par la lecture des albums de Georges Renoy, Paris en cartes postales anciennes, parus dans les années 1970, dans lesquels on retrouve de temps en temps des anecdotes sur les déplacements chers à Ruth Fiori. La lecture de Marville, Paris par Marie de Thézy est aussi recommandée si l’on veut connaître l’image de la ville avant la plupart des déplacements/remontages de la fin du XIXe siècle.