Ovadiah, Asher - Turnheim, Yehudit : Roman temples, shrines and temene in Israel. pp. XII-155 di testo - 128 tavole B/N, ISBN 88-7689-258-5; Prezzo: Euro 180,00 [Supplementi alla RDA, 30]
(G. Bretschneider Editore, Roma 2011)
 
Compte rendu par Julien Aliquot, CNRS
 
Nombre de mots : 2204 mots
Publié en ligne le 2011-11-14
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1382
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          Cet ouvrage est le fruit des efforts conjoints de deux historiens de l’art de l’Université de Tel Aviv. Le premier, Asher Ovadiah, a eu l’occasion de diriger et de publier les résultats de travaux effectués au sanctuaire romain de Kedesh dans les années 1980. La seconde, Yehudit Turnheim, est l’auteur d’études sur le décor architectural des édifices antiques de la Palestine romaine et protobyzantine. Tous deux ont voulu tirer parti de leur expérience de terrain pour proposer un inventaire à jour des sanctuaires païens d’époque romaine repérés à l’intérieur des frontières modernes de l’État d’Israël et des territoires palestiniens. Les progrès récents de l’archéologie dans cette région, la dispersion des sources et le renouvellement des études sur les sanctuaires du Proche-Orient hellénistique et romain pouvaient justifier leur projet. Le cloisonnement relatif de la recherche, en partie lié au contexte politique actuel et à la publication de nombreux travaux en hébreu, rendait également bienvenue l’idée de mettre à la disposition du public savant une synthèse qui serait venue compléter celle de Nicole Belayche, Iudaea-Palaestina. The Pagan Cults in Roman Palestine (Second to Fourth Century), parue à Tübingen en 2001.

 

          L’introduction (p. 1-2) présente brièvement les objectifs que les auteurs se sont fixés, à savoir réunir et classer par sites la documentation publiée sur les lieux de culte païens de la région étudiée, à l’exclusion des sanctuaires nabatéens (non listés, mais parmi lesquels il aurait fallu compter celui d’Élousa, dans le Néguev) et du temple d’Hérode à Jérusalem (qui n’est de toute façon pas un monument païen). Leur approche est avant tout architecturale et archéologique, même si les sources littéraires, épigraphiques et numismatiques sont prises en considération. Le choix de centrer le propos sur l’époque romaine résulte logiquement de l’abondance des données disponibles sur la période comprise entre le règne d’Auguste et celui des Sévères. Il n’exclut pas quelques aperçus sur les rares monuments hellénistiques connus et sur le devenir des lieux de culte dans l’Antiquité tardive.

 

          Onze chapitres forment le cœur de l’ouvrage (p. 3-89). Ils concernent, du nord au sud, d’après la carte peu lisible placée en tête de cette partie, les sites de Banias (Césarée de Philippe, Panéas), Omrit, Kedesh, Beth Shean (Scythopolis), le Carmel, Dor (Dôra), Césarée maritime, Samarie-Sébastè, le mont Gérizim, Jérusalem (Aelia Capitolina), Mambrè et Hébron. Un douzième chapitre de varia (p. 91-101) est consacré à treize sites pour lesquels la documentation est moins abondante ou d’interprétation plus délicate : Keren Nephtali ou Khirbet Harrawi, Bethsaïda, Sussita (Hippos), Tibériade, Beset (Bassa), Akko (Ptolémaïs de Phénicie), Shuni Maiumas ou Kefar Shuni, Aphek (Antipatris), Jaffa (Joppè), Beth Guvrin (Éleuthéropolis), Ashkelon (Ascalon), Gaza et Élousa. L’épilogue (p. 103-110) résume les observations des auteurs sur l’apport respectif des différents types de sources, la répartition géographique des sanctuaires, leurs caractéristiques architecturales, leurs cultes et leurs transformations à la fin de l’Antiquité.

 

          Au fil de la lecture, les attentes que l’on pouvait nourrir face à un tel programme sont rapidement déçues. Les auteurs auraient notamment pu faire preuve d’esprit critique à l’égard des hypothèses de leurs prédécesseurs, en préférant par exemple, à Panéas, l’identification d’une salle de banquet à celle d’un aberrant « tombeau-temple des chèvres sacrées » (p. 8-9, 108). On pourrait continuer de discuter en détail telle ou telle interprétation. Il paraît cependant plus intéressant de montrer en quoi tout l’ouvrage laisse vraiment à désirer, tant sur la forme que sur le fond. Une relecture attentive aurait d’abord permis d’éviter d’innombrables coquilles, bévues et erreurs dans l’anglais (par exemple, « Seleucian dynasty » au lieu de « Seleucid dynasty », p. 37), le latin (Ioui Olibraeo au lieu de Ioui Olybraeo, p. 8, ou encore numera au lieu de munera, p. 96) et le grec (dans la légende de la monnaie de Panéas, p. 3, dans la traduction pour le moins surprenante du grec Palaistinè par « Eretz Israel », p. 43, dans la confusion entre l’ethnique de Cyrène et la tribu Quirina, p. 36, ou encore dans l’identification du Zeus Arotèsios d’Hippos à un « Zeus of the Heights » plutôt qu’à un Zeus des labours, p. 92). L’illustration, quant à elle, n’a pas bénéficié d’un meilleur traitement que le texte. Les cent vingt-huit planches en noir et blanc qui sont censées étayer l’argumentation des auteurs sont rejetées à la fin du volume, ce qui n’en facilite pas la consultation. Elles rassemblent des photos parfois inédites, ainsi que des plans, des coupes, des restitutions plus ou moins fantaisistes en deux ou en trois dimensions et des images de monnaies empruntées çà et là, mais le tout est reproduit tel quel, sans souci d’uniformisation et avec un soin inversement proportionnel au prix exorbitant de l’ouvrage.

 

          En dehors de ces considérations formelles, on peut regretter que l’objet du livre lui-même n’ait pas été défini de manière précise. À aucun moment les auteurs n’indiquent ce qu’ils entendent par « temple », « shrine » et « temenos ». On comprend bien que l’usage de ces termes repose sur la distinction entre des édifices de grandes dimensions disposés à l’intérieur d’enceintes monumentales, des installations cultuelles plus modestes et des sanctuaires dépourvus de temple. Cependant, le passage de la première à la seconde catégorie n’est pas évident, sans doute parce que la taille critique des « temples » et des « shrines » n’est jamais définie. À propos de la troisième catégorie, il faut rappeler que tous les lieux de culte dont il est ici question sont des temene, dans la mesure où le substantif grec temenos ne désigne pas spécialement un sanctuaire sans temple, mais un espace coupé du monde des hommes et délimité afin d’être consacré aux dieux. Dans les faits, c’est le temenos ou plutôt le sanctuaire (hieron), avec ou sans temple, qui s’impose comme le plus petit dénominateur commun du catalogue.

 

          La définition de l’aire étudiée demeure elle aussi ambiguë. On peut accepter l’idée que l’État d’Israël et les territoires palestiniens constituent une région où l’on dispose d’une documentation assez riche pour aborder la question des sanctuaires. Cependant, il aurait fallu souligner le caractère disparate de cette région appartenant sous l’Empire romain à plusieurs provinces (dont la Palestine, mais aussi la Syrie-Phénicie et l’Arabie), où se sont épanouies diverses traditions (notamment phénicienne, philistine, araméenne, arabe, juive, grecque et romaine) et où la présence de sanctuaires païens était susceptible d’apporter des informations sur les changements ethniques et confessionnels qui ont affecté les communautés locales au temps des royaumes hellénistiques (lagide, séleucide, hasmonéen), puis à nouveau sous la domination romaine, après l’avènement des Hérodiens et à la suite des guerres de 66-70 et de 132-135. Une partie du problème vient de ce que les auteurs ont préféré s’en tenir à une description désincarnée des monuments et à une évocation superficielle des cultes. Une autre tient au fait qu’ils peinent à se repérer dans la géographie historique du Proche-Orient hellénistique et romain. Par exemple, en suivant un usage hérité de l’époque mandataire et trop souvent admis dans la littérature archéologique moderne, ils annexent à la Galilée le territoire des cités phéniciennes de Tyr, Ptolémaïs et Panéas. Leur méconnaissance de la hiérarchie des sites les conduit par ailleurs à négliger les différences de statut entre cités et villages, non sans contradiction : ainsi, l’antique Kasada (Kedesh) est identifiée à tort tantôt à une cité de Haute-Galilée (p. 25), tantôt à un lieu de culte indépendant (p. 103), alors que le sanctuaire local est en réalité lié à un village du territoire tyrien, d’après le témoignage de Flavius Josèphe (cité p. 25) ; plus généralement, il semble que la pseudo-catégorie des sanctuaires ruraux situés hors des frontières des cités, créée de toutes pièces (p. 103), n’est pas représentée dans le corpus.

 

          Aussi descriptive et peu problématisée qu’elle soit, la démarche des auteurs est encore biaisée par des postulats dont la pertinence reste au mieux à démontrer, quand elle n’est pas définitivement contestable. Le premier postulat, celui de l’appartenance présumée des sanctuaires étudiés à un groupe unitaire (p. 1), ne se vérifie pas à l’issue de l’ouvrage (p. 107), comme les auteurs le reconnaissent d’emblée à propos de Kedesh et comme le montre leur recherche désordonnée de parallèles au Proche-Orient et dans tout le monde méditerranéen.

 

          Le second postulat des auteurs est que toute apparition d’un dieu dans la documentation épigraphique et figurée permet d’attribuer un monument existant à ce dieu ou atteste l’existence d’un temple qui n’a pas été retrouvé ; d’où des hypothèses aussi nombreuses qu’inutiles sur l’improbable sanctuaire d’Asclépios à Panéas (p. 11-15), sur l’attribution à Isis du temple hellénistique qui aurait précédé le temple romain de Coré à Samarie (p. 68) ou encore sur l’aspect des Tycheia évidemment attendus dans chaque cité. Il aurait fallu distinguer les témoignages isolés (dédicaces, statues) des dossiers plus étoffés, au Panion, à Kedesh et à Scythopolis, par exemple. Il aurait fallu faire la différence entre une dédicace adressée à un dieu pour le salut d’un souverain et une dédicace à un souverain divinisé, pour éviter de créer un sanctuaire hellénistique consacré à Zeus et à Antiochos VII à Ptolémaïs (p. 1, 93-94). De manière générale, il aurait fallu tenir compte des éditions de référence pour établir le texte des inscriptions, en utilisant réellement les travaux cités (par exemple p. 37, où une lecture plus attentive d’H. Seyrig, pourtant cité p. 40 n. 25, aurait permis de corriger la date et d’éliminer la mention de Zeus Bacchus dans une dédicace de Scythopolis), en tenant compte des recueils publiés récemment (tel le tome onze des Inscriptions grecques et latines de la Syrie, qui a paru en 2008 et qui reprend les inscriptions de l’Hermon et de Panéas) et en actualisant la bibliographie grâce au Bulletin épigraphique de la Revue des études grecques, à l’Année épigraphique et au Supplementum epigraphicum graecum. En ce qui concerne la documentation numismatique, enfin, il aurait fallu méditer les observations trop tardivement énoncées à propos du caractère stéréotypé des représentations des sanctuaires sur les monnaies (p. 98-99).

 

          Les auteurs postulent encore que le Proche-Orient a vu les cultes locaux se mélanger de manière syncrétique avec ceux des Grecs et des Romains à l’époque impériale. « All these temples / shrines were dedicated to a wide gallery of gods and goddesses of the Greek, Roman and Oriental pantheons. Consequently, some Graeco-Roman and Oriental deities became syncretically merged as one entity, such as Zeus / Jupiter / Baalshamin / Sarapis / Hadad, Horus / Harpokrates, Aphrodite / Venus / Astarte / Atargatis / Derketo and others » (p. 103). Bien sûr, en Palestine comme dans les autres provinces, les traditions religieuses ont été hellénisées et romanisées. Cependant, ce constat n’autorise pas à considérer que tout est dans tout, comme le laisseraient croire la plupart des discussions relatives aux cultes locaux, ni que l’époque impériale n’a pas connu de réelles innovations (à commencer par le culte impérial, attesté à Panéas, Samarie, Césarée maritime, Tibériade et Jérusalem). L’étude des traditions locales, ici réduite au mieux à un exposé factuel, aurait aussi mérité d’être reprise en tenant compte du contexte politique et social dans lequel s’inscrivent la construction des sanctuaires et les actes de dévotion.

 

          Le quatrième et dernier postulat des auteurs est celui du maintien très tardif des cultes païens dans les sanctuaires de la région jusqu’à leur fermeture, leur destruction et leur conversion éventuelle en église au Ve et au VIe siècle de l’ère chrétienne (p. 2, 103-105). Les cas de Panéas, Dôra, Césarée maritime et Gaza sont cités pour illustrer ce scénario, sans convaincre. À Panéas, les auteurs supposent que le sanctuaire a été démoli par le tremblement de terre de 363 (p. 103), mais ils suivent aussi Zvi Ma‘oz, qui considère que le Panion aurait continué de fonctionner, à une échelle réduite, jusqu’au milieu du VIe siècle, époque à laquelle les chrétiens l’auraient incendié (p. 10-11). Rappelons que cette hypothèse ne se fonde que sur la présence sporadique de monnaies des Ve et VIe siècles et sur la découverte d’un unique tesson de céramique africaine des années 450-520 dans le prétendu « tombeau-temple des chèvres sacrées ». Les traces d’incendie relevées dans l’hypothétique Augusteum, quant à elles, peuvent être rapprochées des destructions attestées dans la ville même au milieu du Ve siècle. Il paraît vraisemblable que le Panion a été désaffecté au plus tard au début de ce siècle, comme l’indiquent les éléments les plus récents du matériel numismatique et céramique exhumés lors de la fouille. À Dôra (p. 50), la présence hypothétique d’un temple hellénistique ou romain sous la basilique chrétienne ne garantit pas que celle-ci ait immédiatement succédé à celui-là sans solution de continuité. À Césarée, les auteurs auraient pu noter qu’une telle phase d’abandon a été mise en évidence par les fouilleurs de l’église édifiée à la fin du Ve siècle à l’emplacement de l’ancien temple hérodien d’Auguste et de Rome. Ils n’évoquent pour leur part que l’inscription tardive qui mentionne l’Hadrianeum (p. 54) sans pourtant laisser croire que ce bâtiment a encore pu servir à la célébration du culte impérial au VIe siècle. En définitive, le cas de Gaza, où l’évêque Porphyre a réussi à faire démolir le Marneion en 402 et où le revêtement de marbre du temple a été remployé in situ pour paver la cour de l’église inaugurée en 407 (p. 97-98), apparaît comme une exception.

 

          Bien qu’il réunisse une documentation abondante et diversifiée, l’ouvrage d’Asher Ovadiah et de Yehudit Turnheim ne se recommande ni par sa qualité éditoriale, ni par l’intelligence de son propos ou par l’exactitude de ses informations. Tout le travail reste à faire pour réconcilier l’histoire et l’archéologie des sanctuaires païens de la Palestine romaine.