Briois, François - Petit-Aupert, Catherine - Péchoux, Pierre-Yves: Histoire des campagnes d'Amathonte. I. L'occupation du sol au néolithique. Études Chypriotes XVI.
Format 21 x 29,7 cm, VIII + 156 p., 14 cartes in texte, 109 figures en N-B et couleurs in fine
ISBN 2-86958-194-7, 50 Euros
(Ecole française d'Athènes 2005)
 
Compte rendu par Matthieu Ghilardi, Université Paris 12 Val-de-Marne, Département de géographie
 
Nombre de mots : 1783 mots
Publié en ligne le 2008-02-15
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=131
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Dans cet ouvrage édité par l’École française d’Athènes, les auteurs François Briois, Catherine Petit-Aupert et Pierre-Yves Péchoux proposent une synthèse richement illustrée et élégamment écrite sur l’ « Histoire des campagnes d’Amathonte ». Ce travail s’appuie sur un total de cent figures qui présentent successivement la localisation des secteurs étudiés, la topographie, la diversité morphologique, les sites et le matériel étudié. La qualité de la présentation de cet ouvrage qui se compose de cinq parties principales et de nombreux chapitres permet de livrer au lecteur tous les éléments pour comprendre l’histoire des campagnes de fouilles d’Amathonte, site localisé sur la côte méridionale de Chypre. De 1988 à 1992, les plus importants travaux de fouilles du site ont été réalisés et le présent ouvrage propose une synthèse des résultats. En effet, ce travail se justifie dans la mesure où l’histoire des campagnes d’Amathonte, avant et après qu’elles sont devenues celles d’un royaume, restait inconnue. La rareté des sources littéraires, épigraphiques et archéologiques a fait de la prospection systématique la principale méthode de collecte d’un corpus aussi exhaustif que possible. Cette lacune est désormais comblée et les résultats présentés permettent d’apporter de nouveaux éléments sur l’occupation du sol par les sociétés néolithiques.

La problématique est exposée dès les premières lignes de cet ouvrage dans un avant-propos qui rappelle le cadre institutionnel et l’historique des différentes missions réalisées. Les méthodes adoptées pour tenter de répondre aux problématiques très simplement posées (« qu’y avait-il sur cette portion du littoral avant l’époque géométrique ? Dans quel contexte cette ville d’Amathonte est-elle apparue et quels rapports a-t-elle entretenus avec son arrière-pays ? ») sont très convaincantes. Le plan adopté pour répondre à ces questions essentielles est très judicieux et permet au lecteur de mieux faire connaissance avec cette portion du littoral de Chypre. L’emboîtement des échelles géographiques nous permet d’appréhender le milieu, dans son acception la plus large possible du territoire, pour se focaliser ensuite sur certains sites intensément étudiés. Comme nous le rappellent les auteurs, le territoire d’Amathonte occupe une superficie relativement importante et des choix dans la prospection ont été effectués et justifiés de manière explicite.

La première partie de l’ouvrage aborde la méthode et la façon dont les données ont été traitées lors de la prospection du site : pour mémoire, celui-ci occupe une superficie de 1 260 km2 environ, mais une bande restreinte de 2 700 ha autour du site d’Amathonte a cependant été privilégiée. L’analyse des premières lignes de cette première partie met en exergue un important travail préparatoire aux missions, qui s’appuie sur une documentation très riche où les informations topographiques, hydrographiques et pédologiques ont été au préalable compilées pour maximiser les chances de localiser des sites. À la fin de cette première partie, une auto-critique permet de préciser les limites de la méthode employée et insiste sur l’état de préservation des sites repérés puis étudiés. Les facteurs déterminants dans la sélection des sites sont ensuite énoncés : la position topographique, la nature des sols et la mise en culture ont généralement été privilégiées.

La deuxième partie est une mise en contexte topographique et géomorphologique ; ce travail a été remarquablement réalisé par Pierre-Yves Péchoux. Un nombre conséquent de cartes et de photographies vient appuyer une description méticuleuse des paysages actuels et une caractérisation morphologique du relief. Le lecteur se laisse guider par une argumentation, parfois empreinte de lyrisme, mais qui n’en demeure pas moins très didactique et qui porte le regard sur les paysages situés entre le trait de côte actuel et les pentes dénudées et escarpées de l’arrière pays collinaire du Troodos. Les formes structurales sont parfaitement décrites puis caractérisées : il s’agit de relief en structure monoclinale de type cuesta. Les binômes de résistance développés dans des roches carbonatées (de type craie) ont mis au jour des revers de cuesta qui supportent des plateaux, localement entaillés par le ruissellement, et des buttes-témoins, affleurements rocheux isolés au milieu de dépressions. La tectonique est également abordée et semble légitimer la présence de probables surfaces d’érosion marine au-dessus du niveau marin actuel. Quelques éléments de l’aménagement du territoire permettent ensuite de constater l’évolution de ces paysages anciennement ruraux, qui connaissent depuis quelques décennies un important étalement urbain, tendant à réduire les surfaces cultivées et à favoriser un mitage de l’espace. Des références bibliographiques bien sélectionnées permettent d’y trouver de précieuses pistes de lecture complémentaires. Le géographe et le spécialiste d’études paléoenvironnementales en lien avec l’occupation historique d’un site ou d’une région, restent cependant dans l’expectative. En effet, la littérature quaternaire a depuis longtemps révélé que les paysages actuels ne correspondent pas toujours à ceux observés pendant l’Antiquité et lors de périodes précédentes, du Néolithique en particulier. Un certain nombre d’études paléoenvironnementales, capables de révéler les paysages avant et pendant la période néolithique, auraient permis de mieux connaître les contextes climatique et géomorphologique des sites. La mise en valeur des versants au cours de l’histoire et les variations climatiques répétées au cours de l’Holocène, imposent la plus grande prudence au moment d’évoquer un quelconque déterminisme. De récents travaux géomorphologiques (Devillers, 2005) permettront d’aiguiller l’archéologue et le géographe sur la question de l’érosion des sols à Chypre pendant la période néolithique. À une échelle plus large, l’ouvrage édité par Éric Fouache (2003) reste une référence bibliographique incontournable à l’échelle du bassin méditerranéen.

Après les mises en contexte topographique et géomorphologique, qui font office d’introduction générale à la présentation des sites, un catalogue complet de ces derniers est fait sur une centaine de pages environ dans une troisième partie très dense en informations. Une cartographie à grande échelle (1/5 000e), des localisations administratives et géographiques précises accompagnent une notice très riche en renseignements. Les informations contenues dans les notices sont présentées de manière claire et précise, permettant de connaître l’essentiel. On peut notamment y trouver le contexte général de découverte du site, la description du gisement, une chronologie indicative d’occupation du site ainsi que les caractères essentiels des mobiliers (industrie en silex, macro-outillage, céramique…). Comme nous le rappellent habilement les auteurs au début de la troisième partie de l’ouvrage, l’inventaire des trouvailles fait pendant la prospection archéologique du territoire de la ville antique d’Amathonte renvoie, pour la plupart des sites inventoriés, à la description des gisements revisités et, le plus souvent, découverts à l’occasion de la prospection. Vingt-neuf sites ont ainsi été détaillés et l’essentiel des informations nous est livré sous forme de fiches synthétiques très explicites.

La quatrième partie, divisée en trois chapitres principaux, met l’accent sur l’utilisation des ressources naturelles et sur les formes de l’occupation du sol aux époques pré- et protohistoriques ; on y apprend notamment, dans le premier chapitre, que les sites préhistoriques sont très implantés sur le territoire et que les habitats agricoles pérennes correspondent aux gisements les plus imposants et les plus longuement occupés, à titre d'exemple Shillourokambos est cité. Les deuxième et troisième chapitres permettent de caractériser les formes de l’habitat rural, son implantation, ainsi que les ressources en silex de la région d’Amathonte et les ateliers de taille préhistoriques. La nature pétrographique des strates affleurantes a conditionné de manière importante l’implantation des gisements. Les roches sédimentaires, de type crayeux, se décomposent en trois unités bien différenciées et il apparaît clairement que l’unité Lefkara moyenne est la principale source pourvoyeuse de silex. Cette strate se décompose en deux unités lithologiques majeures : la première d’une puissance de 150 m est composée de craie massive, à la base de laquelle on retrouve des bancs de silex ; la seconde, d’une puissance de 200 m, est marquée par la présence d’un horizon de craie et de bancs de silex plus ou moins continus.

La cinquième partie distingue les grandes phases d’occupation et de mise en valeur du terroir. À partir de l’étude des outillages lithiques de Shillourokambos, une périodisation a pu être élaborée et trois phases majeures ont été décelées, grâce à la nature et la fréquence des matières premières ainsi que sur les caractères technologiques des productions et sur la nature typologique et fonctionnelle des outillages. Voici un bref rappel de ces phases :

  • la phase ancienne, subdivisée entre la phase ancienne A (8200-8000 av. J.-C.), la phase ancienne B (8000-7600 av. J.-C.) et la phase ancienne C (milieu du VIIIe millénaire),
  • la phase moyenne (deuxième moitié du VIIIe millénaire),
  • la phase récente (7200-7000 av. J.-C.).

À la fin de cette cinquième partie, une interprétation sur la dynamique du peuplement et une chronologie de l’occupation de l’espace sont proposées et permettent une transition très habile avec les conclusions de l’ouvrage.

Ces dernières dressent le bilan des recherches sur l’étude de l’occupation du sol aux temps préhistoriques dans le secteur d’Amathonte, tout en révélant l’important potentiel archéologique. Un rappel est fait sur le complément d’information pour les périodes néolithiques, en particulier pour les périodes les plus anciennes que cet ouvrage apporte. Le site de Shillourokambos est cité à titre d’exemple pour les découvertes majeures qui y ont été réalisées et qui ont permis de dater cet établissement de plein air, entre la fin du IXe et le VIIIe millénaire av. J.-C.

Avis du géographe :

Cet ouvrage majeur pour la compréhension de l’occupation de ce secteur méridional du littoral de Chypre depuis la fin du IXe millénaire apporte de nombreux renseignements sur la mise en valeur des terroirs et sur les activités qui y ont été pratiquées. L’exploitation des richesses pétrographiques permet de constater qu’une forme de déterminisme naturel a logiquement conditionné l’installation des sociétés. Les différentes phases d’occupation dégagées par cet important travail d’étude des différents gisements permettront à terme de fournir, pour de prochaines études géoarchéologiques et paléoenvironnementales, de précieux indices sur d’éventuels rythmes d’érosion des versants et sur d’éventuelles modifications des transferts sédimentaires.

Les travaux menés à proximité d’autres sites fouillés ou en cours d’étude par l’École française d’Athènes (Lespez, 1999) pourront à terme être compilés, comparés puis synthétisés pour offrir un contexte évolutif des paysages que les sociétés humaines ont contribué à modifier au cours de l’Holocène.

Sommaire de l’ouvrage :

p.1 : Préface

p.5 : Avant-propos

p.7 : La prospection : méthode et traitement des données (1)

p.13 : Le milieu (2)

p.19 : Le catalogue des sites (3)

p. 127 : Ressources naturelles et formes d’occupation du sol aux époques pré et protohistoriques (4)

p. 135 : Les grandes phases d’occupation et de mise en valeur du terroir (5)

p. 151 : Conclusions

p. 153 : Abréviations bibliographiques

p. 157 : Figures

Références bibliographiques complémentaires (géographie) :

DEVILLERS, B., 2005. Morphogenèse et dynamiques anthropiques à Chypre durant l’Holocène Récent. Thèse de doctorat.

FOUACHE E., 2003. The Mediteranean World : Environment and History, Actes du Colloque « Environmental Dynamics and History in Mediterraneans Areas », Working Group on Geoarchaeology (IAG), Université de Paris IV, UMR 8505, EFA, EFR, Casa de Velazquez, ENS LSH/Lyon, Université de Paris IV, 24-25-26 avril 2002, Elsevier Paris, 485 pages.

LESPEZ, L., 1999. L’évolution des modelés et des paysages de la plaine de Drama et de ses bordures au cours de l’Holocène (Macédoine orientale, Grèce). Thèse de doctorat, Lille thèses, 539 pages.