Darcque, Pascal: L’ Habitat Mycénien. Formes et fonctions de l’espace bâti en Grèce continentale à la fin du IIe millénaire avant J.-C. Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome (BEFAR), fascicule 319. Format 21 x 29,7 cm, 450 p., 113 fig. in texte, 163 pl. in fine. ISBN 2-86958-189-0
90 Euros
(Ecole française d’Athènes - De Boccard Edition 2005)
 
Compte rendu par Ludovic Lefebvre, Docteur en histoire grecque
 
Nombre de mots : 1801 mots
Publié en ligne le 2008-04-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=127
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Il est important, immédiatement en guise d’introduction, de signaler que cet ouvrage constitue une somme indispensable pour quiconque souhaite se pencher sur l’histoire de l’Helladique récent. Étude de 442 pages, 163 plans, 113 figures, avec de nombreux tableaux de synthèse, celle-ci se veut « presque » exhaustive sur nos connaissances du monde mycénien puisque 180 édifices y sont recensés. Le travail mené par l’auteur est impressionnant, mais il est également critique sur la documentation existante, à savoir le caractère incomplet de la base documentaire qui se singularise par des fouilles archéologiques non abouties, des politiques urbanistiques dévastatrices, des revues dont les numéros sont suspendus depuis plusieurs années et, bien sûr, des articles brouillons ou lacunaires. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

La première partie de l’ouvrage (p. 3-32) est consacrée justement à ce problème des sources puis à une analyse thématique bibliographique pour aborder finalement le recensement des édifices avec les études les concernant.

En introduction (p. 33-60), l’auteur définit le propos de son livre. Il rappelle que l’habitat mycénien est souvent associé à la céramique du même nom, ce qui constitue selon lui une simplification trop étroite. Le type d’inhumation pratiqué est par exemple à prendre en considération. Il revient ensuite sur la chronologie consécutive à l’éruption de Théra et estime que la céramique mycénienne ne saurait constituer qu’un « indice chronologique » et que, pour définir le monde mycénien, les objets usuels doivent être couplés avec les tombes. Après avoir revu la répartition des inscriptions en linéaire B (qui transcrivaient du grec), P. Darcque met en garde contre une vision trop répandue d’une uniformité culturelle sur le continent grec entre le XVIe siècle et le XIIIe siècle. C’est ici, une première fois, qu’il aborde le problème de la méthode utilisée par nombre de ses prédécesseurs et contemporains : confiance trop grande dans les informations contenues dans l’Iliade, fouilles menées avec précipitation, lacune des publications, habitat ordinaire et mobilier délaissés par les chercheurs, absence de débats…

La première partie du développement est consacrée à la construction (p. 61-143). Le calcaire local était la pierre la plus couramment utilisée (il rappelle que la terre crue est difficilement identifiable), les matériaux de bois étaient les mêmes que ceux utilisés de nos jours dans la péninsule balkanique, les briques étaient assez minces et l’on constate une inégale répartition des tuiles sur les sites fouillés. Si la compartimentation des terrasses est une création mycénienne, on note une décoration qui s’inscrit résolument dans la tradition minoenne (mais les revêtements muraux adhérant encore sont peu nombreux, ce qui ne facilite pas une étude synthétique de grande ampleur), des thèmes iconographiques communs avec la Crète (acrobate au taureau, défilé de femmes…), mais le continent se singularise toutefois par des thèmes propres (chasse au sanglier, défilés de chars…). L’auteur pense que le fait que l’on relève des motifs décoratifs identiques d’un site à l’autre prouve qu’ils furent l’œuvre d’artistes itinérants. P. Darcque souligne la relative rareté des fenêtres en raison de la forte imbrication des édifices et de l’existence de portes larges. Il revient ensuite sur le grand débat concernant la forme des toits mycéniens (bâtière ou terrasse) et opte pour une variété des cas (les toits en bâtière conviennent mieux pour les édifices isolés de plan simple) et n’exclut pas la présence de toits en pente. Deux innovations majeures sont à mettre au crédit de la civilisation mycénienne sur le continent par rapport aux époques précédentes (HA et HM) : l’utilisation de supports dans un certain nombre d’édifices et les sols enduits décorés (imitation des sols peints crétois).

En conclusion sur cette partie, l’auteur relève deux types de construction :

 

  • un plan simple : les matériaux et techniques sont directement issus de l’âge du Bronze (voire plus loin dans le temps) et l’emplacement n’a fait l’objet d’aucune préparation particulière ;

     

     

  • un plan complexe : avec des surfaces souvent supérieures à 300 m2 où l’on perçoit l’influence de la Crète minoenne ; l’emplacement a fait l’objet d’une préparation (le soubassement peut être différent de la structure, il y a présence de pierres de taille, d’enduits à décor géométrique…).

 

Dans la deuxième partie (la plus importante de l’ouvrage), l’auteur s’intéresse aux pièces (p. 145-310). Il note au tout début que la structuration des pièces connaît trois types principaux : une structuration qui peut être forte autour d’une pièce centrale (essentiellement les maisons sans étage et les édifices de moindre importance), une autre qui est faible et une, enfin, qui a une compartimentation régulière. L’auteur, dans un souci de clarté et de typologie, s’attache à la précision du vocabulaire, à rejeter les anachronismes et notamment à éviter de trop projeter sur le monde mycénien la perception que nous avons du monde grec du premier millénaire. De la même manière, il recourt fréquemment aux classements, aux statistiques, aux tableaux (utilisation de bases de données) et aux diagrammes. Il note ainsi que 68% des pièces mesurées ont entre 5 et 25 m2. Les grandes pièces se trouvent essentiellement à Mycènes, Tirynthe, Pylos et Gla. Les bâtisseurs ont en général apprécié les formes où la longueur est de 1,5 fois la largeur. La question de l’importance du foyer est naturellement posée et surtout de sa fonction religieuse, réelle ou supposée, et de sa continuité à l’époque archaïque. Un travail dense et méticuleux a été effectué par P. Darcque sur les objets pour justement connaître la fonctionnalité des pièces, ce qui lui permet également de revenir sur certaines typologies élaborées par des prédécesseurs, telle celle de Furumark concernant les vases en terre cuite. P. Darcque note au sujet des vases que ceux-ci sont souvent sous-estimés dans leur dénombrement puisque beaucoup ont été écrasés lors de l’effondrement des superstructures (les vases en or, argent et bronze sont fréquemment retrouvés dans les tombes). Concernant les figurines, statuettes et fragments de statues, P. Darcque remarque que les figurines semblent relever du monde enfantin (un grand nombre a été retrouvé dans les tombes et accompagnait de fait les jeunes défunts) contrairement aux statuettes dont la valeur religieuse semble plus marquée. Au sujet des tablettes et nodules découverts sur les sites témoignant de la présence de l’administration, l’auteur consacre un long développement au linéaire B, à ses origines et à son insertion parmi les écritures du bassin oriental de la Méditerranée. Il écrit d’ailleurs (p. 260) : « On s’étonne de ne pas avoir conservé des textes de nature commerciale, juridique, diplomatique, littéraire et religieuse, parce que ce genre de documents existe au Proche-Orient. Mais on néglige le fait que les “bibliothèques” orientales de textes littéraires et religieux sont nettement séparées des archives palatiales. On oublie la force, démontrée par les textes homériques, de la transmission orale. » D’un point de vue socio-culturel, il est intéressant de constater que les sceaux retrouvés ont été découverts dans des tombes, ce qui prouve que les défunts accordaient une grande importance à cet objet symbole d’identité. L’identification des pièces pose évidemment problème, le mobilier a disparu, les textiles ne sont présents que dans les archives et on ne sait déterminer si les récipients ont été stockés pour eux-mêmes ou leur contenu. L’identification en question n’est donc possible que dans les cas où l’on dispose de vestiges de matériel et d’un aménagement de l’espace compréhensible. L’épigraphie et l’archéologie se rejoignent rarement pour fournir des informations dignes de confiance, comme à Pylos où la fabrication de l’huile parfumée a pu être identifiée. Enfin, P. Darcque reste sceptique sur la volonté de certains spécialistes de définir une influence religieuse minoenne quand les objets sont extraits de leur contexte. En conclusion, pour pouvoir connaître la destination d’une pièce, il faut souvent procéder par exclusion.

La troisième et dernière partie (p. 311-392) traite des édifices. Tout au long de celle-ci, l’auteur se montre particulièrement critique à l’égard de thèses en vogue. Ainsi il s’oppose à la thèse formulée par I. Mylonas Shear selon laquelle toutes les maisons mycéniennes auraient été construites autour d’un noyau invariable. P. Darcque prône de même l’abandon du terme megaron, notamment contre K. Werner qui généralise le terme à tout bâtiment rectangulaire. Il conteste également la définition de M. Kilian qui croit en une structure bipartite des palais (central et secondaire accessibles séparément) et il revient sur les définitions de Carlier (assimilant wa-na-ka et palais), Godart (dont la définition est trop vague à son sens) et Immerwahr (voyant dans les peintures murales un symbole palatial). Selon P. Darcque, d’un point de vue architectural, trois édifices se distinguent de tous les autres et méritent la terminologie de « palais » : Mycènes, Tirynthe et Pylos (il assimile édifice palatial à entité architecturale pouvant s’étendre jusqu’à un site tout entier et à entité territoriale administrée). Le spécialiste établit ensuite sa typologie des édifices qui se décline comme suit :

 

  • les maisons dont il faut distinguer celles bâties sur un plan curviligne et celles bâties sur un plan rectangulaire, ayant selon les cas un ou plusieurs axes (de complexité différente). Il est à noter que les maisons ovales ou absidiales sont considérées comme des survivances de l’époque précédente. Les maisons rectangulaires à pièce unique sont souvent inférieures à 40 m2 mais l’on constate qu’il n’y a pas eu d’évolution marquée pour l’habitat domestique par rapport à l’époque précédente ;

     

     

  • les édifices intermédiaires qui se situent justement entre la catégorie décrite précédemment et les palais. Vingt-cinq édifices sont concernés, dont huit ont livré des tablettes ;

     

     

  • et enfin les palais. L’auteur tente ici de déceler s’il y a existence de bâtiments antérieurs et analyse les traces d’influence minoenne (ainsi pour les outils administratifs utilisés et la différenciation sociale avec l’espace environnant), mais il souligne le facteur de la tradition helladique dans la construction de ces édifices. Il note que les palais tendaient à s’établir sur une position prééminente.

 

L’auteur a bien conscience que sa typologie est quelque peu artificielle mais il insiste dans la conclusion de cette partie sur la comparaison entre les édifices de l’Helladique, ancien, moyen et récent.

Dans ses « conclusions » (p. 393-404), P. Darcque revient sur l’étendue de notre méconnaissance concernant l’habitat rural, mais il ajoute : « Nous ne manquons pas de vestiges archéologiques, nous manquons de sites bien gérés sur le plan scientifique » (p. 395). L’auteur ne croit pas en l’idée d’une Grèce mycénienne unifiée et les traces de l’influence mycénienne en Macédoine, en Asie ou dans les îles sont minimes, mais il juge que la tradition helladique est plus forte que ce que l’on pensait jusqu’alors. En définitive, seules trois régions émergent par leur développement et leur prospérité : l’Argolide, la Messénie et la Béotie.

On le voit, l’ouvrage est riche et l’on ne peut que pousser le lecteur à se reporter aux plans et tableaux établis par l’auteur qu’il n’a pas été possible de détailler ici. P. Darcque ne fait pas seulement un bilan de nos connaissances actuelles sur ce monde dont l’écriture, à l’image de celui-ci, est un mystère recelant des richesses que l’on ne fait qu’entrevoir, il fait le point sur les faiblesses et lacunes de la recherche scientifique.