| Long, Luc - Picard, Pascale (dir.): César, le Rhône pour mémoire : vingt ans de fouilles dans le fleuve à Arles, 22 x 28 cm, 344 p., ISBN 978-2-7427-8610-7, 39 euros (Edition Acte Sud 2009)
| Rezension von Claire Leger, Université Montpellier III Anzahl Wörter : 1275 Wörter Online publiziert am 2010-12-20 Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1248
Arles
a toujours su garder ses secrets, et ce n’est qu’avec la très attendue
exposition « César, le Rhône pour mémoire » que les éditions Actes
Sud et le Musée Départemental Arles Antique nous proposent un nouveau regard
sur le port et les installations fluviales, révélées par les fouilles de ces
dernières années.
Ce
catalogue, édité en 2009 grâce à la collaboration d’un archéologue de terrain
et d’une conservatrice du musée, Luc Long et Pascale Picard, dévoile le contenu
de l’exposition qui se tient au Musée départemental de l’Arles antique du 24
oct. 2009 au 19 sept. 2010 et fournit ainsi un bilan à jour de nos
connaissances sur la ville antique, et notamment son activité portuaire. Cette
exposition est organisée par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône avec le
concours du Département des recherches archéologiques subaquatiques et
sous-marines (DRASSM) ; elle fait suite aux dernières découvertes
effectuées lors des fouilles de 2007 et 2008 dans le lit du Rhône au niveau de
la ville d’Arles.
Effectivement,
l’archéologie subaquatique a connu ces dernières années un essor considérable,
tant au niveau des techniques de fouille que des découvertes. Elle a permis aux
chercheurs d’aborder différemment des questions qui jusqu’alors restaient en
suspens, comme le commerce maritime et le transport des marchandises par
d’autres voies que terrestres. L’archéologie subaquatique a également permis de
dégager de nouvelles données sur la géographie antique à travers l’utilisation
des lacs, rivières, fleuves et bord de mer, chaque environnement étant analysé
comme espace à part entière d’un milieu habité et utilisé par l’homme. Les
techniques de fouille en milieu humide ont apporté des découvertes impossibles
à faire en milieu sec. Ainsi, la présence d’épaves et surtout de leur contenu
affine les connaissances sur la construction et l’utilisation du bois,
notamment dans les chantiers navals. Les épaves découvertes dans le Rhône
permettent de comprendre comment on naviguait sur le fleuve dans l’Antiquité,
et sur quel type d’embarcation. De plus, les épaves retrouvées nous permettent
d’analyser leur contenu avec notamment des amphores qui, ayant bénéficié d’un
milieu très humide, peuvent avoir conservé leur contenu. Ces découvertes nous
permettent de relier le commerce rhodanien à un type de marchandise précise,
mettant ainsi au jour les échanges entre les régions septentrionales et les
zones méditerranéennes, qui s’effectuaient le long du Rhône.
Divisé
en six parties, l’ouvrage se présente sous la forme de chapitres thématiques
complétés par des études de synthèse. Le premier chapitre propose le catalogue
de la statuaire issue des fouilles, à partir d’un inventaire exhaustif des
portraits et sculptures en marbre dont il faut souligner la grande qualité.
L’accent est mis sur les pièces qui ont fait la renommée des fouilles et de
l’exposition. En tout, ce sont vingt-cinq pièces qui sont présentées,
embrassant un vaste champ iconographique : le domaine religieux avec les
représentations mythologiques comme la tête de Vénus en marbre et le Neptune,
le domaine public et les statues de propagande avec le portrait de César ou
la tête monumentale d’Auguste et le domaine privé grâce aux effigies
personnelles comme la tête féminine en marbre blanc. La seconde partie présente
les deux statues en bronze découvertes en 2007 dans la rive droite du
Rhône ; le Gaulois captif dont la difficulté est de savoir à quel contexte
cette statue est liée et la
Victoire recouverte de feuille d’or. Pour cette dernière, il
s’agit d’un bas-relief d’applique constituant la partie d’un décor rapporté sur
un édifice. Un fragment de bras d’une statue en bronze a également été
découvert ainsi qu’une épaule drapée d’un manteau. Ces statues diverses et
variées nous montrent une image riche de la ville antique d’Arles. On imagine
assez bien des monuments ostentatoires à la gloire de tel dieu ou de tel
empereur. Cette richesse se retrouve jusque dans la sphère privée avec des
bustes et des têtes impressionnant d’un point de vue stylistique. Il semble que
les artistes aient rivalisé dans leur art afin de fournir aux riches Arlésiens
des sculptures dignes des plus belles oeuvres de Rome.
Le
second chapitre exploite les découvertes précédentes offrant ainsi un nouveau
regard sur l’Arles antique. Cette partie est particulièrement bienvenue auprès
du lecteur car elle propose une synthèse des recherches archéologiques sur
l’habitat urbain et plus généralement sur les villes fluviales. Jusqu’alors, il
semblait que les fleuves constituaient des frontières naturelles au même titre
que les montagnes : Marc Heijmans nous propose au contraire la vision
d’Arles comme une ville double, augmentée d’une rive sud révélant des richesses
aussi importantes que la rive principale, où se trouvaient le forum et
l’amphithéâtre. En effet, cet ouvrage met l’accent sur le fait que même si la
fouille terrestre a toujours livré des éléments indiquant qu’un quartier s’est
développé sur la rive droite, ce sont les fouilles subaquatiques qui apportent
à la zone de Trinquetaille une dimension insoupçonnée.
L’exposition
et les nouvelles données archéologiques proposent donc une relecture des
données terrestres déjà connues, telles que le pont de bateaux ou la cour à
portique avec son lapidaire architectural.
La comparaison avec
d’autres villes fluviales, comme Lyon ou Vienne, est un peu rapide ; on
aurait souhaité plus de détails sur les rôles joués par ces villes, ce qui
illustre le caractère novateur des découvertes arlésiennes. Le regard renouvelé
qui est développé ici pourra sans doute servir de base à de futurs travaux sur
des villes liées à un contexte fluvial ou marin, comme c’est le cas de Narbonne
ou de Lyon. Il n’est donc pas exclu que cet ouvrage soit complété dans les
prochaines années par de nouvelles données comblant un peu les lacunes encore
bien présentes dans le domaine de l’archéologie subaquatique.
Luc
Long donne ensuite une synthèse solide sur les épaves, les équipements de
navires et les chargements de matières premières. Son exposé bénéficie des
nouvelles méthodes de l’archéologie qui constituent un apport considérable dans
les connaissances des épaves et notamment dans la restauration des bois gorgés
d’eau (avec une excellente interview d’Henri Bernard-Maugiron). Il vient ainsi
ajouter un exemple à l’excellent article qu’avaient fait Denis Ramseyer et
Denise Vonlanthen, « Archéologie et bois gorgés d’eau » en janv-déc.
1987, publié dans Museum international, (UNESCO,
vol. 39, n° 1, p. 18-25, éd. française). Ces découvertes sur les épaves du
Rhône sont à rapprocher de celles du musée de l’Ephèbe à Agde et des
connaissances acquises durant ces vingt-cinq dernières années sur les épaves
découvertes dans cette région par la
DRASM (Direction des recherches en Archéologie Sous-marine)
Le thème suivant est consacré à
l’étude des objets du commerce et du quotidien. La diversité du mobilier
archéologique de cette partie se traduit principalement par des lots d’amphores
et de céramiques. Vu l’abondance des amphores espagnoles, il était normal d’y
consacrer une étude, réalisée ici par Francia Cibeccini. Une seconde étude est
également donnée par Jean Piton et David Djaoui sur les céramiques communes et
culinaires ainsi que les amphores du Rhône, d’origines multiples. L’étude des
monnaies est faite par Philippe Ferrando. Elles ont été restaurées par l’équipe
du Musée Départemental d’Arles antique. Marc Heijmans ajoute enfin une analyse
des inscriptions lapidaires et diverses. Un dernier chapitre présente les
objets rares comme les quelques militaria,
inventoriées par Eric Teyssier. En conclusion, Jean-Maurice Rouquette,
conservateur en chef honoraire des musées d’Arles, consacre un excellent texte
à la réhabilitation du quartier de Trinquetaille qui, au vu de cette
exposition, revêt une importance nouvelle dans la vie commerciale et urbaine de
la ville antique d’Arles.
On ne peut que féliciter les
auteurs d’avoir réuni dans ce catalogue une grande quantité d’informations et
de conclusions nouvelles, éclairant nos connaissances sur les villes fluviales.
Effectivement, tous les aspects de la vie quotidienne, telle qu’elle pouvait se
dérouler à proximité d’un fleuve, sont ici abordés, de façon plus ou moins
poussée mais toujours bien décrits. De plus, il faut souligner que cet ouvrage,
illustré de photographies et dessins d’excellente qualité, est un exemple de
l’interdisciplinarité mise en œuvre dans la recherche archéologique, grâce à
des développements sur des sujets connexes comme la géomorphologie,
l’archéologie subaquatique, les techniques de fabrication des statues en bronze
ou encore les méthodes de restauration employées pour les objets de la fouille.
Souhaitons que ce catalogue devienne un modèle dans ce domaine, tant pour sa
présentation à la fois simple et son contenu extrêmement pointu sur un sujet
encore neuf.
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