Marroni, Elisa: I Culti dell’Esquilino, 24cm, 338 p., 30 p. plates. (Archaeologica, 158. Archaeologia Perusina, 17), ISBN: 9788876892455, price: $275.00
(G. Bretschneider Editore, Roma 2010)
 
Compte rendu par Maire Lise Tosi
 
Nombre de mots : 1821 mots
Publié en ligne le 2010-11-29
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1157
Lien pour commander ce livre
 
 


          I culti dell’ Esquilino est le dernier paru des ouvrages publiés sous les auspices de l’Université de Pérouse. La collection Perusiana, qui comptait déjà 16 titres, vient en effet de s’enrichir d’une étude qu’on pourrait dire panoramique de quelque 350 pages consacrée à un sujet rendu complexe par l’abondance et la diversité des vestiges des cultes retrouvés sur l’Esquilin, étude exhaustive qui n’avait pas jusqu’alors d’équivalent et dont la grande originalité tient à la prise en compte à la fois des données de la littérature et de la tradition, de l’archéologie et de l’épigraphie.

 

          L’auteur nous plonge d’emblée dans l’ambiance de ce quartier de l’Esquilin, retraçant avec précision les profondes transformations qui ont façonné la colline au cours des siècles. Après avoir évoqué à la fois le flou des limites de ce quartier élevé de la Ville et la complexité du réseau de voies qui le parcouraient, elle nous entraîne dans les profondeurs du temps d’où elle fait resurgir la nécropole contemporaine des origines de Rome, mise au jour au fil des travaux d’urbanisation commencés à la fin du 19e siècle. L’auteur se transporte ensuite à l’âge impérial qui vit la colline se couvrir de jardins et de riches demeures sous l’impulsion du célèbre Mécène. La situation élevée du quartier liée à l’abondance d’eau plaisait aux grandes familles de l’époque et bientôt l’ancienne nécropole disparut, ensevelie sous les nouvelles constructions. Avec Mécène, ce sont aussi ses protégés, artistes et écrivains, qui vinrent habiter la colline et ne manquèrent pas d’en célébrer l’agrément dans leurs œuvres. Les magnifiques jardins dont s’entouraient les plus riches demeures faisaient de l’Esquilin un quartier plein de charme qui le faisait préférer des plus grands : horti Lamiani, Lolliani, Tauriani, Torquatiani, Variani, Liciniani, Spei Veteris. C’est l’époque de la plus grande extension du quartier. La basse-romanité a vu s’amoindrir considérablement l’importance de l’Esquilin et la réduction notable de son territoire. Les églises et les monastères remplaçaient les temples d’autrefois et il fallut attendre la fin du 19e siècle pour que, à la faveur de la toute nouvelle promotion de Rome au rang de capitale de l’Italie unifiée (1871), on se lance dans de grands travaux d’urbanisation qui remirent au jour les anciennes structures et posèrent avec acuité le problème délicat de la sauvegarde des vestiges.

 

          Sur cette brève, mais dense rétrospective de l’histoire de la colline, Elisa Marroni aborde le sujet qui fait l’objet de ce travail. Après une rapide chronologie des cultes attestés dans ce quartier de Rome, elle dresse un catalogue des divinités qui en furent l’objet. Ce catalogue de plus de 150 pages constitue le chapitre 3 des « Cultes de l’Esquilin » et le cœur de l’ouvrage. Il comporte 54 notices de longueurs diverses. Chacune d’entre elles fait état des sources épigraphiques et littéraires qui la concernent, des données archéologiques et des notes bibliographiques en bas de page.

 

          La grande qualité de cet ouvrage réside dans le fait que les sources littéraires sont non seulement référencées, mais données in extenso. De plus, l’auteur ajoute, quand le besoin s’en fait sentir, un commentaire qui peut être très fouillé. Viennent ensuite les sources épigraphiques, dûment référencées, mais présentées avec clarté et accompagnées de précisions sur la date, le lieu et les circonstances de l’invention. La plus large place est laissée aux données de l’archéologie. Pour une même divinité, les différents lieux de découverte des témoignages cultuels sont méthodiquement passés en revue et traités avec soin. L’auteur présente enfin une synthèse aussi complète que possible qui conclut la notice. On observe naturellement une grande disparité entre ces présentations, en fonction des données dont l’auteur dispose, liées en général au caractère plus ou moins confidentiel de tel ou tel culte.

 

          Les notices sont cataloguées par ordre alphabétique selon la divinité qu’elles concernent. À chaque aspect de la divinité correspond une notice particulière. Ainsi d’Apollon qui donne lieu à 3 notices : Apollo, Apollo Sandaliarius et Apollo Tortor. Un rapide calcul permet de mieux apprécier l’importance des divinités honorées sur l’Esquilin. Jupiter donne lieu à 6 notices, seul ou en association avec d’autres dieux comme Silvain. Hercule en fournit 5, lui aussi associé à d’autres divinités dont la déesse gauloise Epona. Les cultes d’Hercule et de Jupiter sont de loin les plus représentés dans ce quartier de Rome. Viennent ensuite Apollon Diane et les Lares (3 notices), puis Isis, Liber, Fortuna, Vulcain et Mercure (2 notices). Les 24 autres notices passent en revue des cultes aussi différents que celui de Mithra, d’Asclépios, de Febris, de Bellona, sans parler de ce Deus incertus honoré par un préteur nommé Longin.

 

          Le catalogue commence par l’examen d’un culte archaïque et peu connu en rapport avec la tradition qui attribue à Numa sa fondation. À l’origine, un mythe corroboré par différentes sources littéraires (Varron, Ovide, Tite-Live et Festus), selon lequel deux princes argiens (dans d’autres versions 27 ou même 30) arrivés à Rome et bientôt capturés, réduits en esclavage, tués et enfin jetés dans le Tibre, pieds et poings liés, en hommage à Saturne. Ce rituel macabre se serait perpétué jusqu’à ce qu’Hercule y mette fin en substituant aux malheureux autant de mannequins de roseaux. Une autre tradition dit que les Argiens furent enterrés tout près de là, chacun dans une fosse qui correspondrait aux sanctuaires dit « des Argiens » retrouvés par les archéologues sur le mont Oppius et sur le Cispius. Sur la base du texte de Varron, qui fournit de précieuses informations sur la situation de ces lieux de culte, les commentateurs et les archéologues sont parvenus à en identifier quelques-uns. Elisa Marroni expose avec force détails les résultats de leurs travaux. Cette première notice est tout à fait représentative de l’ensemble du catalogue : précise, extrêmement détaillée et exposée avec une grande clarté.

 

          Le catalogue fait une large place aux divinités d’origine orientale et aux cultes à mystères : Arimanius, Cybèle, Isis et Mithra, auxquels on peut ajouter Jupiter Dolichenus, Liber Pater et l’Artémis d’Ephèse. Du culte d’Ahriman subsiste un autel de marbre de forme triangulaire sur une base ronde trouvé « sur les pentes de l’Esquilin » sans autre précision (aujourd’hui au musée du Vatican), dont l’inscription seule atteste la fonction. Le culte d’Artémis d’Éphèse n’est attesté que par une inscription rédigée en grec trouvée quelque part sur l’Esquilin. Caelestis, hypostase de Tanit, est de même représentée par une inscription à la base d’une statuette de femme très mutilée trouvée dans les jardins Ruffinoni mais aujourd’hui perdue. Pour le sanctuaire de Cybèle, la Grande Mère, c’est une épigramme de Martial qui en atteste l’existence sur l’Esquilin. Des sources plus tardives permettent de le situer à l’emplacement de Sainte-Marie-Majeure dans le sous-sol de laquelle on a effectivement retrouvé les restes d’un sanctuaire. Le culte d’Isis Fortuna est attesté par une statue de la déesse coiffée de deux uraeus et d’un disque lunaire, tenant dans la main droite la corne d’abondance, trouvée dans le laraire d’une riche demeure de l’époque de Constantin et conservée au Musée du Capitole. Plusieurs autres statuettes garnissaient les murs de ce magnifique laraire : Hercule, Ariane, Harpocrate, Sérapis, Hécate, Aphrodite, toutes divinités associées aux cultes à mystères. Le sanctuaire de Jupiter de Dolichè se trouvait près de l’église Saint Eusèbe où les fouilles ont permis de retrouver, outre du matériel (parfois très fragmentaire), plusieurs inscriptions en bon état. On y voit Jupiter Dolichenus debout sur le taureau, le même en guerrier barbu coiffé de la tiare phrygienne, une tête de veau grandeur nature, un groupe du dieu entouré de nymphes, et ce fragment d’inscription portant l’image du dieu, un aigle à ses pieds, le sceptre dans la main droite et le foudre dans la gauche. Le culte de Liber (Pater) est attesté par plusieurs inscriptions trouvées dans l’église Sainte-Croix-de-Jérusalem et aux environs immédiats.

 

          Huit pages du catalogue sont consacrées au Dieu Soleil Invaincu, Mithra dont le culte est attesté sur l’Esquilin dès l’Empire. Elisa Marroni cite d’abord le spelaeum de la Via Lanza, au voisinage de Saint-Martin-des-Monts, qui fournit un riche matériel archéologique : une tauroctonie, deux petites statues des dadophores, un autel fait d’un chapiteau ionique posé à l’envers, des lampes. Près de là, on a trouvé aussi une autre tauroctonie et une inscription mutilée mais néanmoins explicite. Un autre mithraeum a été mis au jour au 19e siècle au sud de l’actuelle place Dante, dans les jardins Lamiani. Il a livré trois bas-reliefs : une tauroctonie, un Petrogenes et Sol avec le globe et le fléau. L’auteur évoque ensuite le sanctuaire très contesté de la Villa Giustiniani, l’espace souterrain de l’hôpital Saint-Jean-du-Celius avec les deux banquettes latérales et le fragment de fresque qui ont fait poser l’hypothèse d’un mithraeum, sans autre confirmation, un autre espace attribué au culte mithriaque du côté de la Porte Majeure et enfin un probable spelaeum dans les sous-sols des Thermes de Titus.

 

          Il serait naturellement hors de propos dans le cadre de cette présentation de passer en revue l’ensemble de ce passionnant catalogue mais ces quelques lignes auront pu en montrer la richesse et la diversité.

 

          La dernière partie de l’ouvrage, extrêmement dense et tout aussi fouillée que les précédentes, est consacrée à l’étude du contexte historique et religieux au sein duquel sont apparues ces diverses formes de cultes sur l’Esquilin. Partant de l’époque archaïque, elle parcourt toute l’histoire romaine : la période monarchique (en faisant une place toute particulière à Servius Tullius), l’époque républicaine, la fin de la République puis le Haut et le Bas-Empire. Avant de clore définitivement cette magistrale synthèse, Elisa Marroni évoque brièvement les divinités tutélaires de l’armée romaine, très présentes sur l’Esquilin en raison du cantonnement en ce lieu des deux régiments d’equites singulares, ce corps de garde affecté à la protection de l’empereur, qui ont laissé en maints endroits de la colline des témoignages de culte à Silvain, à Jupiter Optimus Maximus, à Liber Pater, aux Génies protecteurs. Les toutes dernières pages sont consacrées à une large réflexion sur les cultes orientaux, présents sur l’Esquilin depuis le 2esiècle, incluant la basilique dite pythagoricienne de la Porte Majeure.

 

          Pour terminer cette rétrospective, nous ne pouvons que laisser la parole à Elisa Marroni en citant l’extrait suivant, ultimes pages de cet impressionnant travail :

 

« La grande diffusion sur l’Esquilin des cultes étrangers et à connotation nettement plébéienne est un indice fort de l’existence en ces lieux de communautés d’origine étrangère perçues essentiellement, bien qu’intégrées avec le temps, comme marginales. Une telle marginalité, permanente en dépit des mutations opérées au cours des temps qui ont fait de l’Esquilin un espace d’inhumations, puis une zone résidentielle pour les aristocrates et les empereurs, apparaît comme une constante au fil des siècles. [...] La présence de communautés étrangères et plébéiennes dans l’Antiquité trouve aujourd’hui encore une perpétuation dans le caractère multi-ethnique et populaire du quartier moderne de l’Esquilin, appelé aussi quartier chinois [...] où s’exprime toutefois une réalité plurielle (Bengladi, Indiens, Pakistanais, et dans une moindre mesure Latino-Américains, Coréens, Africains et Philippins), qui contribue à faire du district de l’Esquilin un des symboles les plus évidents et les plus instrumentalisés d’une multiculturalité dominante. »

 

          Certes, on aurait apprécié de savoir dans quel contexte cette étude a été menée. Les introductions trop longues génèrent quelquefois un peu d’ennui et l’absence totale d’introduction laisse le lecteur sur sa faim. On peut regretter aussi que les plans et illustrations dans le texte soient si rares. Certes, 30 planches en noir et blanc sur papier glacé (dont 8 pages de plans) forment la dernière partie de l’ouvrage, mais il n’est jamais très agréable d’avoir à interrompre la lecture pour se reporter à la fin et reprendre ensuite l’étude. De telles considérations restent cependant tout à fait marginales au regard de l’extrême richesse de cet ouvrage où chacun, du plus spécialisé au simple amateur, peut trouver un aliment à la fois substantiel et agréable à sa soif d’une meilleure connaissance de la Rome antique.