Fenet, Annick: Documents d’archéologie militante, La mission Foucher en Afghanistan (1922-1925). Coll. Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Tome 42. 695 pages. EAN 9782877542401. 120 euros
(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres [AIBL], Paris 2010)
 
Compte rendu par Laurianne Sève, Université Lille 3
 
Nombre de mots : 1142 mots
Publié en ligne le 2011-09-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1142
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          Même si l’Afghanistan, trop souvent placé sous les feux de l’actualité, reste une terre d’aventure, des archéologues continuent d’y travailler malgré les périls et poursuivent l’action de leurs prédécesseurs qui surent y implanter durablement l’influence de la France. Alfred Foucher, fondateur de la Délégation Archéologique Française en Afghanistan et son premier directeur, fut l’un de ces pionniers. Indianiste réputé, spécialiste de l’art du Gandhara et collaborateur en Inde de l’Archaeological Survey of India, il accepta de gagner l’Afghanistan alors qu’il se préparait à rentrer chez lui, et y posa les premières pierres de la présence française. Parti de Bombay à la fin du mois de mai 1921, il passa par l’Iran et arriva à Kaboul en mai 1922, après un périple rendu difficile par les rigueurs de la route et du climat qu’il affronta en compagnie de sa femme Eugénie, dite Éna, partenaire indispensable et actrice à part entière de cette expédition. Foucher négocia avec le gouvernement afghan la convention qui servit de cadre juridique à l’activité archéologique française en Afghanistan, signée le 9 septembre 1922, ainsi que la création d’un lycée franco-afghan dont les premiers professeurs arrivèrent de France en janvier 1923. Il mena des opérations archéologiques dans les environs de Kaboul et fut surtout le premier fouilleur de Bactres, où il opéra de janvier 1924 à juillet 1925. Il y consuma ses fonds et sa santé, désespérant d’y trouver les fabuleuses richesses que la renommée de la grande capitale laissait espérer et déçu de n’y rencontrer que des vestiges de terre dont le dégagement demandait des compétences qui n’étaient pas les siennes. Il quitta définitivement l’Afghanistan à l’automne 1925, passa encore sept mois au Japon pour y diriger la Maison franco-japonaise, et débarqua en France en novembre 1926.

 

          Les archives d’Alfred Foucher, décédé en octobre 1952, ont été déposées à la Société Asiatique par Jean Filiozat, son exécuteur testamentaire. Elles constituent un fonds riche de plusieurs milliers de documents dont plus de 12.600 lettres. Annick Fenet, chargée de leur étude, nous offre ici un imposant volume qui rassemble un choix de 335 documents, pour l’essentiel des lettres, datés de la période afghane de Foucher ou qui y font référence. Elles ont été rédigées par Foucher lui-même et sont dans ce cas conservées sous la forme de brouillons, ainsi que par ses divers interlocuteurs : savants français ou étrangers dont Émile Sénart, principal soutien de Foucher à Paris, membres des services diplomatiques, hauts fonctionnaires du Ministère des Affaires Étrangères, sans oublier la mère d’Eugénie Bazin-Foucher. Le classement adopté est chronologique, ce qui permet de suivre le fil des événements ainsi que l’évolution de l’état d’esprit des Foucher qui se lancèrent avec enthousiasme dans l’aventure, mais en éprouvèrent aussi les fatigues et les désillusions. Cinq périodes sont distinguées :

 

I- 1919 à mars 1922 (Vers « la terre jusqu’ici interdite soudainement devenue promise ». De l’Inde à l’Afghanistan, doc. n° 1-33) ;

II- printemps 1922 à mi-novembre 1923 (« Entreprises archéologico-diplomatiques », doc. n° 34-132) ;

III- fin novembre 1923 à mi-juillet 1925 (« Ah, il n’est pas gai tous les jours le métier d’archéologue... », Les fouilles de Bactres, doc. n° 133-289) ;

IV- mi-juillet 1925 à novembre 1926 (« Le long chemin du retour », De Bactres à l’Europe, doc. n° 290-314) ;

V- décembre 1926 à 1948 (« Le montreur d’ours afghan », doc. n° 315-335).

 

          L’ouvrage comporte par ailleurs un appendice qui consiste en une annexe inédite, prévue à l’origine pour figurer dans le deuxième volume de La vieille route de l’Inde de Bactres à Taxila, ouvrage paru entre 1942 et 1947 pour rendre compte des travaux afghans de Foucher. Le texte, fort intéressant, se présente à la fois comme une évocation du séjour des Foucher en Afghanistan et comme un commentaire historique qui précise notamment le contexte dans lequel fut conclue la convention archéologique ainsi que la façon dont Foucher concevait son action au service de la France. Le volume se termine par plusieurs annexes : une chronologie générale, une liste des responsables politiques français et afghans actifs entre 1920 et 1926 et surtout l’inventaire des archives en rapport avec la création de la DAFA et la mission Foucher. Il comprend aussi une très riche bibliographie, bon indicateur de l’ampleur du travail accompli par A. Fenet. Pour plus de commodité, on aurait aimé néanmoins qu’elle présente de manière séparée les publications archéologiques d’une part, les travaux historiques ou historiographiques d’autre part et enfin les ouvrages littéraires. L’index permet de retrouver les très nombreux personnages cités dans le livre, et donc les notices biographiques qui leur sont consacrées au fur et à mesure où ils apparaissent dans le cours du texte. Le livre aurait sans doute aussi gagné à ce que ces notices soient regroupées en annexe.

 

          Avec cette publication, A. Fenet met donc à la disposition du public une grosse masse d’informations. Mais ces dernières ne sont pas livrées brutes. Elle a eu le souci de donner toutes les informations nécessaires à leur bonne compréhension, les a systématiquement replacées dans leur contexte historique, en a constamment souligné les implications, tout cela au prix d’une recherche exemplaire et pour un résultat remarquable. L’ouvrage est doté d’un appareil de notes très complet ; il commence aussi par une introduction qui se présente en fait comme une étude véritable (La mission d’Alfred Foucher en Afghanistan, p. 35-153). A. Fenet s’est particulièrement intéressée aux différents acteurs, ceux qui œuvraient depuis Paris en trouvant, difficilement, des financements, en assurant la diffusion des travaux de Foucher auprès des savants comme du grand public, mais également tous ceux qui étaient sur le terrain, français, afghans ou scientifiques étrangers. L’ouvrage constitue à ce titre une mine d’informations sur les réseaux scientifiques français et internationaux, et l’on y voit Foucher entretenir une relation suivie avec Sir Aurel Stein, infatigable découvreur de l’Asie Centrale, ou Sir John Marshall, directeur de l’ Archaeological Survey of India et fouilleur de Taxila. Il met également en scène les milieux diplomatiques français et montre combien la présence française en Afghanistan doit à l’action éclairée et pugnace de quelques hommes dont Philippe Berthelot, secrétaire général du Ministère des Affaires Étrangères et ami de longue date de Foucher. Il est enfin précieux pour nous plonger au cœur des réalités de la vie dans le difficile environnement afghan, montre comment les deux archéologues surent s’en accommoder et fourmille de détails sur la vie des expatriés occidentaux, qui recréèrent en Orient de multiples lieux de sociabilité. On y voit aussi comment l’Afghanistan, pays pauvre et isolé, a fait en quelques mois ses premiers pas sur la voie de la modernité. On ne saura donc que trop recommander cet ouvrage, qui intéressera autant les antiquisants que les historiens contemporanéistes ; ils y trouveront en outre mille détails sur la vie politique de la IIIe république et la vie culturelle et scientifique du début du XXe siècle.